Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’intimée, D. M., a présenté une demande de pension d’invalidité en 2014 au titre du Régime de pensions du Canada. Elle soutient que l’anxiété, la dépression et la fibromyalgie l’empêchent de travailler. Elle a travaillé pour la dernière fois en 2013.

[3] L’appelant, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté sa demande au motif que, même si l’intimée avait certaines restrictions en raison de son état de santé, les renseignements disponibles ne révélaient pas que ces limitations l’empêchaient de façon permanente d’effectuer tout type de travail dans un avenir rapproché.

[4] La division générale a établi que l’intimée avait été régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice et que son invalidité avait été prolongée depuis juillet 2013.

[5] L’appelant interjette appel de la décision de la division générale au motif d’erreurs de droit et de conclusions de fait comportant de graves erreurs. La division d’appel du Tribunal a accordé la permission d’en appeler sur le fondement que l’appel avait une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 1.

[6] Cet appel a été instruit par téléconférence. Les deux parties y ont participé.

[7] La division d’appel estime que la division générale a commis des erreurs susceptibles de révision. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit. Elle a aussi fondé sa décision sur des conclusions de fait comportant des erreurs graves. L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen.

Questions en litige

[8] L’appelant soulève de nombreux moyens d’appel. Après avoir abordé les normes de contrôle que la division d’appel doit appliquer lorsqu’elle examine les décisions de la division générale, j’aborderai les questions précises soulevées par l’appelant :

Question en litige no 1 : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne menant pas une analyse en application de l’arrêt Villani?

Question en litige no 2 : la division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait qui comportait une erreur grave, plus précisément à savoir que l’intimée avait une invalidité grave et prolongée alors que la preuve ne soutenait pas une telle conclusion?

Question en litige no 3 : si tel est le cas, la division d’appel devrait-elle renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou est-elle en mesure de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre?

Analyse

[9] Les seuls moyens d’appel devant la division d’appel sont les suivants : la division générale a commis une erreur de droit; elle n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 2.

Normes de contrôle (ou déférence à l’égard de la division générale)

[10] Lorsqu’une division d’appel examine une décision de la division générale, doit-elle appliquer les normes de contrôle telles qu’adoptées dans l’arrêt DunsmuirNote de bas de page 3 ou les critères juridiques que la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) associe aux questions de justice naturelle, aux questions de droit et aux questions de fait? L’approche applicable détermine aussi la question de savoir si la division d’appel doit faire preuve de déférence à l’égard de la division générale relativement à ces questions.

[11] L’appelant soutient que le libellé de la loi constitutive du Tribunal, la Loi sur le MEDS, lie la division d’appel et que les normes de la décision raisonnable et de la décision correcte ne devraient pas s’appliquer à l’examen de la division générale par la division d’appel. De plus, l’appelant fait valoir que la division d’appel n’est pas tenue de faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale relatives aux questions de justice naturelle, de compétence et de droit. Le rôle de la division d’appel lorsqu’elle procède à un examen de ces types de questions est de s’assurer que la décision est correcte. En ce qui a trait aux conclusions de fait erronées, la division d’appel peut seulement intervenir dans une décision de la division générale si l’appelant établit que la décision était fondée sur une conclusion de fait erronée que la division générale a tirée d’une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] L’intimée n’a présenté aucune observation relativement aux normes de contrôle. Elle a fait valoir que les rapports médicaux versés au dossier d’appel contenaient des erreurs qu’elle aimerait corriger.

[13] Il semblerait y avoir des divergences au sujet de l’approche que la division d’appel devrait adopter pour réviser les décisions rendues par la division généraleNote de bas de page 4 portées en appel et, si les normes de contrôle doivent être appliquées, de la question de savoir si la norme de contrôle pour les questions de droit et de justice naturelle diffère de la norme de contrôle pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit.

[14] Compte tenu du fait que les tribunaux doivent encore résoudre ou fournir des éclaircissements au sujet de cette divergence apparente, je me pencherai sur cet appel en appliquant le libellé de la Loi sur le MEDS.

[15] La division d’appel ne doit aucune déférence à l’égard des conclusions de la division générale ayant trait à des questions de droit et de justice naturelleNote de bas de page 5. De plus, la division d’appel pourrait trouver une erreur de droit, qu’elle ressorte ou non à la lecture du dossierNote de bas de page 6.

[16] L’appel devant la division générale portait sur la question de savoir si l’intimée avait une invalidité grave et prolongée à la date de fin de la période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant cette date, une question mixte de fait et de droit. La date de fin de la PMA de l’intimée est le 31 décembre 2015.

[17] Lorsqu’une erreur mixte de fait et de droit commise par la division générale révèle une question juridique isolable, la division d’appel peut intervenir au titre de l’article 58(1) de la Loi sur le MEDSNote de bas de page 7.

[18] L’appel devant la division d’appel repose sur des questions distinctes d’erreurs de droit et de conclusions de fait comportant de graves erreurs, dont chacune révèle une question juridique isolable.

Question en litige no 1 : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne menant pas une analyse en application de l’arrêt Villani?

[19] J’estime que la division générale a commis une erreur de droit en ne menant pas une analyse en application de l’arrêt Villani et que, ce faisant, elle n’a pas appliqué la jurisprudence exécutoire.

[20] Nul ne conteste le fait que la décision de la Cour fédérale dans l’arrêt Villani c Canada (Procureur général)Note de bas de page 8 constitue une jurisprudence exécutoire.

[21] La division générale a fait référence à l’arrêt Villani dans sa décisionNote de bas de page 9. Elle a mentionné certains des facteurs énoncés dans l’arrêt Villani dans deux phrases : [traduction] « Le Tribunal a pris en considération les caractéristiques de [l’intimée], notamment le fait qu’elle terminé des études de 12e année et obtenu un diplôme universitaire; et qu’elle était âgée de 33 ans au moment où elle a présenté sa demande. Elle occupait auparavant le poste de superviseure d’une équipe de gestion de crise »Note de bas de page 10. Il n’y a aucune autre évaluation ou explication de la question de savoir si l’invalidité de l’intimée était grave en gardant à l’esprit ces facteurs ou la façon dont ces facteurs ont une incidence sur sa capacité d’exécuter une occupation véritablement rémunératrice.

[22] La division générale a-t-elle mené une évaluation complète (ou suffisante) du contexte réaliste comme prévue par l’arrêt Villani?

[23] Dans l’affaire Murphy c Canada (Procureur général), 2016 CF 1208Note de bas de page 11, la Cour fédérale a conclu que le défaut de la division générale à déterminer raisonnablement le lien d’attachement au marché du travail d’un requérant signifie que l’évaluation réaliste prévue par l’arrêt Villani était incomplète. Une évaluation prévue par l’arrêt Villani qui est incomplète est un motif établi par la Cour fédérale pour accorder un contrôle judiciaire. Par conséquent, il s’agit d’une erreur susceptible de révision dans le contexte d’un appel devant la division d’appel.

[24] Dans la présente affaire, l’évaluation de la division générale était, au mieux, incomplète. Elle mentionnait simplement l’âge, le niveau d’instruction et le travail antérieur de l’intimée, mais elle n’expliquait pas en quoi ces facteurs avaient une incidence sur sa capacité d’occuper un emploi véritablement rémunérateur. Elle n’a pas examiné la question de savoir si l’intimée était capable de détenir un autre emploi, comme un emploi à temps partiel, un travail sédentaire ou des activités modifiées. Elle énonce simplement la preuve de ses problèmes de santé et conclut que l’intimée [traduction] « n’a pas la capacité de travailler compte tenu de ses problèmes de santé »Note de bas de page 12.

[25] J’estime que la division générale a commis une erreur de droit en n’appliquant pas la jurisprudence exécutoire.

Question en litige no 2 : la division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait comportant une erreur grave, plus précisément à savoir que l’intimée avait une invalidité grave et prolongée alors que la preuve n’appuyait pas une telle conclusion?

[26] J’estime que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait comportant des erreurs graves, plus précisément, à savoir que l’intimée avait des migraines incapacitantes, qu’elle recevait des traitements pour ces migraines, et que l’intimée n’a pas la capacité de travailler.

[27] J’estime aussi que la conclusion de la division générale selon laquelle une preuve contradictoire dans les rapports médicaux concernant l’amélioration de l’état de santé de l’intimée devrait être écartée ou qu’on devrait lui accorder peu ou pas de poids du tout, sans expliquer les motifs de cette conclusion, était arbitraire.

[28] Bien que l’intimée ait affirmé dans son témoignage qu’elle souffrait de migraines constamment et qu’elle ne pouvait travailler en aucune circonstance, aucune documentation médicale ne soutient ces affirmations.

[29] La preuve orale d’une requérante doit être prise en considération. Cependant, il doit y avoir une preuve médicale objective de l’invalidité de la requéranteNote de bas de page 13. La division générale a fondé sa décision sur la preuve orale donnée à l’audience au sujet des [traduction] « migraines incapacitantes » de l’intimée, mais elle n’a fait référence à aucune documentation médicale à l’appui de ses migraines.

[30] J’ai examiné la documentation médicale au dossier d’appel. La seule mention des migraines se trouve dans les questionnaires de l’intimée.

[31] La documentation médicale inclut les rapports médicaux qui établissent les diagnostics de fibromyalgie, de dépression, d’anxiété et de reflux de l’intimée, et de douleur chronique en raison de la dépression et de l’anxiété. Cette documentation ne confirme pas que l’intimée a reçu des traitements pour la migraine.

[32] Par conséquent, la conclusion de fait selon laquelle l’intimée avait reçu des traitements pour des migraines incapacitantes (et qu’ils n’avaient pas été concluants) a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale.

[33] La division générale a aussi établi que l’intimée [traduction] « n’avait pas la capacité de travailler compte tenu de ses problèmes de santé »Note de bas de page 14. Cependant, le seul élément de preuve relativement à cette question est l’affirmation de l’intimée selon laquelle elle n’a pas la capacité de travailler. La division générale n’a pas tenu compte de la question de savoir si l’intimée était capable de détenir un autre emploi, comme un emploi à temps partiel, un travail sédentaire ou des activités modifiées, en fonction de tout autre élément de preuve du dossier d’appel.

[34] En 2014, le Dr Hargrove a rapporté que les problèmes de santé de l’intimée (dépression et anxiété) s’amélioraient et qu’une lente amélioration était attendue avec la médication, la physiothérapie et les autres traitements. La division générale a accepté une preuve contradictoire dans le témoignage de l’intimée, à savoir que son état ne s’est pas amélioré.

[35] La division générale a privilégié la preuve testimoniale plutôt que la preuve médicale, mais elle n’a pas expliqué adéquatement les motifs pour lesquels elle a accordé davantage de poids à cette preuve qu’à la preuve documentaire. Si la division générale décide que les éléments de preuve contradictoires devraient être rejetés ou se voir accorder moins d’importance ou encore aucune importance, elle doit expliquer ses motifs pour en arriver à cette décisionNote de bas de page 15. Ne pas le faire entraîne le risque que cette décision soit entachée d’une erreur de droit ou soit qualifiée d’arbitraire.

[36] Ayant relevé des erreurs susceptibles de révision, j’examinerai quelle est la réparation appropriée.

Question en litige no 3 : Si la division générale a commis une telle erreur, la division d’appel devrait-elle renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou est-elle en mesure de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre?

[37] J’ai établi que la division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision, et qu’elle a fondé cette décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[38] L’appelant fait valoir que, bien que la division d’appel a l’autorité juridique de substituer sa propre décision, elle ne devrait pas le faire en l’espèce car le membre de la division d’appel n’était pas présent pour observer le témoignage de l’intimée, qui a été fait en personne à l’audience devant la division générale. L’appelant soutient que la crédibilité est visée, en plus de la preuve contradictoire au dossier. Seul un enregistrement audio est disponible, et l’appelant fait valoir que cela est insuffisant pour que la division d’appel puisse évaluer le témoignage de l’intimée.

[39] L’intimée n’a présenté aucune observation sur cette question. Elle soutient que les rapports médicaux contenaient des erreurs et que le Dr Hargrove était [traduction] « hostile » à l’égard de sa demande de prestations d’invalidité du Régime. Elle fait valoir que la division générale a tenu compte adéquatement de son témoignage et a bien compris que les rapports médicaux contenaient des erreurs.

[40] J’estime que, en appliquant mal la jurisprudence exécutoire, l’approche de la division générale à l’égard de la recherche des faits n’était pas suffisamment complète pour que je puisse rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[41] Pour rendre une décision relativement à la question de savoir si l’appelante avait une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2015 ou avant cette date, qui tient compte de la jurisprudence pertinente et l’applique, il sera nécessaire de tenir compte de la preuve et de la crédibilité du ou des témoins, de rechercher les faits et d’apprécier la preuve (qui est contradictoire à certains égards importants). Ces tâches conviennent mieux à la division générale qu’à la division d’appel.

Sommaire des erreurs alléguées

[42] J’ai établi que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées et a commis une erreur de droit lorsqu’elle a rendu sa décision, et que cette affaire devrait être renvoyée à la division générale pour un nouvel examen.

Conclusion

[43] L’appel est accueilli. Le dossier est renvoyé à la division générale pour un nouvel examen conformément à ces motifs et à cette décision.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 30 novembre 2017

Téléconférence

Stéphanie Pilon, avocate de l’appelant

Faiza Ahmed-Hasan, observatrice pour l’appelant

D. M., intimée, non représentée

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