Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] En juillet 2012, l’intimée, J. R., a subi une blessure lors d’une collision frontale avec un autre véhicule. Elle a été hospitalisée pendant trois jours en raison de multiples lésions aux os, dont des fractures aux poignets ainsi qu’au pied droit et à la cheville droite. Elle a commencé à éprouver de la douleur à la cuisse droite et au genou gauche ainsi que des problèmes d’humeur et de sommeil.  L’accident a intensifié ses douleurs dorsales préexistantes. Elle a subi plusieurs chirurgies à la cheville droite et au poignet gauche, mais elle éprouve toujours des douleurs chroniques répandues. L’intimée a reçu un diagnostic de syndrome de douleur chronique, de troubles de l’humeur et de dépression, entre autres choses.

[3] L’intimée n’a pas travaillé depuis son accident de voiture. Elle prétend être atteinte d’une invalidité grave. Elle a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pension du Canada en janvier 2015.

[4] L’appelant, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande de l’intimée en vue d’obtenir une pension d’invalidité au stade initial ainsi qu’après réexamen. En appel de la décision de réexamen de l’appelant, la division générale a décidé que l’intimée avait une invalidité grave et prolongée en août 2013, alors que l’un de ses médecins avait déclaré que [traduction] « sa douleur est chronique et ne s’améliore pas ». La division générale a jugé l’intimée invalide en octobre 2013 en vertu de l’al. 42(2)(b) du Régime de pensions du Canada. Les versements devaient commencer en février 2014.

[5] L’appelant a interjeté appel de la décision de la division générale, en faisant valoir qu’elle avait formulé des motifs flous, commis une erreur de droit, et fondé sa décision sur des conclusions erronées. J’ai accordé l’autorisation d’interjeter appel parce que j’étais convaincue que l’on pouvait soutenir que la division générale avait commis une erreur de droit. Aux fins de la demande d’autorisation, j’ai décidé que je n’avais pas à me pencher sur les autres erreurs alléguées qui auraient pu être commises par la division générale. Dans le cadre de l’appel dont je suis saisie, je dois décider si la division générale a commis une erreur.

[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la division générale a erré en vertu du par. 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la LMEDS). Par conséquent, l'appel est accueilli.

Questions en litige

[7] D’après les arguments qui m’ont été présentés, les questions en litige sont les suivantes :

  1. La division générale a-t-elle erré en droit :
    1. en omettant de s’assurer que l’intimée a fourni des preuves médicales corroborantes?
    2. en ne tenant pas compte des « principes de common law appropriés » pour évaluer si l’invalidité de l’intimée était « grave » et « prolongée »?
  2. La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?
  3. Les motifs de la division générale étaient-ils suffisants?

Moyens d’appel

[8] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « LMEDS »), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. (a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] L’appelant plaide que la division générale a erré en vertu des al. 58(1)(b) et (c) de la LMEDS.

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle erré en droit?

(a) La division générale a-t-elle erré en droit en omettant de s’assurer que l’intimée a fourni des preuves médicales corroborantes?

[10] L’appelant fait valoir qu’il ne suffisait pas de juger l’intimée gravement invalide sur la base de son témoignage et que la division générale n’a pas relevé de rapports médicaux ou d’autres éléments de preuve ayant corroboré le témoignage de l’intimée selon lequel elle avait une invalidité grave et prolongée à la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), soit le 31 décembre 2013.

[11] L’appelant soutient qu’aucun document de nature médicale ne suggérait que l’intimée pourrait être gravement invalide à la fin de la PMA. Par exemple, en ce qui concerne le poignet gauche de l’intimée, un chirurgien orthopédique était d’avis qu’elle s’en [traduction] « tirait plutôt bien sur le plan de la douleur »; il a « levé toute restriction de […] mouvement et d’activité », et a dit qu’« elle peut progresser en fonction de l’éventail de mouvements qu’elle peut tolérerNote de bas de page 1. »

[12] En outre, comme l’a prétendu l’appelant devant la division générale, l’intimée a rapporté le 20 mars 2014 qu’elle récupérait d’une chirurgieNote de bas de page 2 et, le 3 avril 2014Note de bas de page 3, qu’elle n’éprouvait pas de douleurs à la cheville. Le 1er mai 2014, le Dr Sanders a rapporté que la stabilité de l’intimée était excellente et que la fréquence de ses chutes s’était beaucoup amélioréeNote de bas de page 4, et le Dr Philips a indiqué le 14 août 2014, que ses douleurs et son instabilité étaient essentiellement choses du passéNote de bas de page 5. L’appelant a soutenu qu’aucune pathologie manifeste n’explique la douleur éprouvée par l’intimée.

[13] L’appelant prétend que la division générale n’a pas expliqué comment l’un ou l’autre de ces éléments de preuve pourrait étayer sa conclusion selon laquelle l’invalidité de l’intimée était grave et prolongée en date du 31 décembre 2013.

[14] Malgré ces passages, je constate qu’au paragraphe 45, la division générale a invoqué des rapports datés du 6 août 2013 et du 28 octobre 2013, ainsi qu’un rapport daté du 2 juillet 2014, pour conclure que l’invalidité de l’intimée était grave à la fin de sa PMA.

[15] Je constate également que l’intimée a continué de déclarer que même après la guérison des fractures, elle éprouvait encore de la douleur à sa cheville droite et à son poignet gauche. La division générale a formulé la même observation.

[16] Dans le rapport clinique du 28 octobre 2013Note de bas de page 6, l’intimée décrivait une [traduction] « douleur importante », notamment lorsque l’activité s’intensifiait, qui se poursuivait pendant plusieurs mois. Le médecin était d’avis qu’il était [traduction] « très apparent que la douleur et l’inconfort que cette blessure à sa cheville droite lui cause beaucoup d’inquiétude. » L’intimée avait constaté une certaine instabilité lorsqu’elle marchait et avait déclaré avoir vécu quelques incidents au cours desquels sa cheville avait cédé. L’intimée s’est dite enthousiaste de subir une chirurgie pour régler ses symptômes, mais le médecin a recommandé d’épuiser des options plus prudentes. L’intimée a déclaré qu’elle subirait une autre chirurgie à son poignet gauche en février. Le médecin a reporté le rendez-vous avec l’intimée jusqu’après sa récupération de sa chirurgie au poignet et a mis en place une orthèse de cheville pour tenter de rectifier l’instabilité et de soulager la douleur.

[17] L’intimée a de nouveau été reçue pour sa cheville droite en janvier 2014. Elle portait une orthèse attachée depuis quelques mois et avait constaté une amélioration à ses symptômes lorsqu’elle portait l’orthèse, mais quand elle l’enlevait, elle remarquait sur-le-champ le retour de l’instabilité de sa cheville. Elle avait encore un [traduction] « inconfort très léger ». L’intimée était plutôt frustrée de son état et avait hâte de subir une autre chirurgie à sa cheville droiteNote de bas de page 7.

[18] L’intimée a subi une chirurgie à sa cheville droite le 3 mars 2014. Le 20 mars 2014, elle semblait bien récupérer de sa chirurgieNote de bas de page 8. Le 1er mai, sa stabilité était excellente, mais elle éprouvait encore de la douleur, qui [traduction] « tardait à s’atténuerNote de bas de page 9. » Comme la division générale l’a fait observer, la Dre Sawa a rapporté que l’intimée a subi de la douleur chronique en raison de sa fracture initiale. Lorsque le Dr Phillips a reçu l’intimée le 14 août 2014, il a écrit que sa douleur et ses symptômes d’instabilité s’étaient largement résorbés; toutefois, elle éprouvait encore un peu de douleur. L’intimée aurait déclaré que la douleur était vive et imprévisible et qu’elle était présente tant au repos que lors d’activités. Elle éprouvait cette douleur [traduction] « assez fréquemment, et elle sembl[ait] lui occasionner une détresse importante. » Elle ne prenait pas de médicaments et il était mentionné qu’elle faisait de la physiothérapie deux fois par semaine. Le Dr Phillips n’était pas en mesure de déterminer une pathologie évidente de la douleur continue.

[19] La division générale a conclu que les rapports du 6 août 2013, du 28 octobre 2013 et du 2 juillet 2014 étaient convaincants.

[20] La division générale a également jugé que les témoignages des témoins étaient convaincants. La division générale a conclu que ces rapports médicaux et les témoignages des témoins étayaient le témoignage de l’intimée selon lequel elle était gravement invalide au 31 décembre 2013. En outre, il est clair que la division générale ne considérait pas les éléments de preuve de façon sélective et qu’elle considérait la prépondérance de la preuve pour déterminer si l’intimée pouvait être jugée gravement invalide en date du 31 décembre 2013. La division générale aurait certes pu en venir à une conclusion différente en se fondant sur la preuve dont elle a été saisie, mais l’on ne peut affirmer que la division générale n’est pas parvenue à indiquer les rapports médicaux ou autres éléments de preuve qui ont corroboré le témoignage de l’intimée.

b) La division générale a-t-elle erré en droit en ne tenant pas compte des « principes de common law appropriés » pour évaluer si l’invalidité de l’intimée était « grave » et « prolongée »?

[21] L’appelant fait valoir que la division générale n’a pas appliqué la jurisprudence pertinente pour déterminer si l’intimée était gravement invalide.

L’arrêt Villani

[22] Dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 10, la Cour fédérale du Canada a statué que le critère législatif de la gravité exige un certain degré de référence au « monde réel. » Le critère exige également qu’un décideur tienne compte de la situation personnelle d’un prestataire, comme son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ainsi que son expérience professionnelle et personnelle. Dans l’arrêt Garrett c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 11, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un tribunal commet une erreur de droit lorsque son analyse n’est pas conforme aux principes énoncés dans l’arrêt Villani.

[23] L’appelant soutient que même si la division générale a cité l’arrêt Villani et a énuméré les caractéristiques de l’intimée, comme son âge, ses aptitudes linguistiques, son niveau d’instruction et son expérience de travail, elle n’a pas évalué leur impact sur sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice, le cas échéant. L’appelant soutient que dans les faits, ces caractéristiques amélioraient l’employabilité de l’intimée et [traduction] « militaient contre une conclusion d’invalidité. »

[24] Au paragraphe 42, la division générale a reconnu que le critère de la gravité doit être évalué dans un contexte réel, ce qui signifie que lorsqu’elle décide si l’invalidité d’un prestataire est grave, elle doit tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité, ses compétences linguistiques et son expérience de travail et de vie antérieure. La division générale a écrit que pour conclure que l’invalidité de l’intimée était grave, elle avait tenu compte du fait qu’elle est très jeune, bien éduquée, qu’elle parle couramment l’anglais, et qu’elle avait travaillé comme coiffeuse, employée de bureau et administratrice de la paie.

[25] Bien que la division générale ait déclaré qu’elle a pris en compte la situation de l’intimée lorsqu’elle a évalué la gravité de son invalidité, elle n’a pas décrit comment elle s’est répercutée sur sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice, comment elle a diminué son employabilité, ou comment elle a considéré que sa situation la rendrait gravement invalide. Elle n’a pas considéré de quelle façon des facteurs comme son âge, ses études, sa langue et son expérience de travail, ainsi que ses problèmes de santé, ont eu une incidence sur sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice en contexte réel.

[26] En omettant de démontrer comment elle a évalué la situation particulière de l’intimée en contexte réel, l’analyse de la division générale n’a pas respecté les exigences juridiques énoncées dans l’arrêt Villani.

Les arrêts Lalonde et Kaminski

[27] Dans l’arrêt Lalonde c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines)Note de bas de page 12 et Kaminski c. Canada (Développement social)Note de bas de page 13, la Cour d’appel fédérale a décidé qu’une évaluation « réaliste » exige qu’un décideur détermine si le refus d’un prestataire de subir un traitement est déraisonnable et quel pourrait être l’impact sur le statut d’invalide de la personne concernée, si le refus devait être jugé déraisonnable.

[28] La division générale a écrit au paragraphe 48 qu’elle était convaincue que l’intimée avait fait [traduction] « de véritables efforts pour améliorer sa santé ». Elle a mentionné le traitement subi par l’intimée, dont six chirurgies. La division générale a écrit qu’elle a constaté les [traduction] « efforts extrêmes que [l’intimée] et sa famille ont déployé pour suivre le traitement recommandé, sans amélioration importante. » La division générale a également constaté que l’intimée n’avait pas pu bénéficier des services d’un établissement pluridisciplinaire parce qu’aucun n’était accessible où elle résidait.

[29] L’appelant fait valoir que le paragraphe 48 représente simplement une reformulation des faits concernant le traitement de l’intimée. L’appelant prétend que la division générale n’a pas déterminé si le refus de l’intimée de donner suite à toutes les recommandations de traitement était raisonnable et si ce refus a eu un impact sur son invalidité. Plus particulièrement, l’appelant prétend qu’il existait suffisamment de preuves établissant que nombre de médicaments antidouleurs sont demeurés accessibles à l’intimée en 2013 et 2014. L’appelant fait particulièrement référence à la note clinique du Dr Macaluso datée du 6 août 2013. Il a écrit qu’une partie du plan de gestion consistait à commencer à faire prendre à l’intimée des médicaments axés sur le rétablissement du sommeil et sur l’atténuation de la douleur. Ils ont décidé de lui faire prendre 10 mg de nortriptyline au coucher, ce qui pouvait être augmenté selon la tolérance au médicament. Il a également fourni une ordonnance de Pennsaid, en tentant de viser expressément la cheville et le poignetNote de bas de page 14. Il a porté le dosage de Nortriptyline à 40 mg et à 40 gouttes de Pennsaid pour la douleur jusqu’en septembre 2013Note de bas de page 15.

[30] Je constate toutefois que dans son dernier rapport, daté du 19 septembre 2013, le Dr Macaluso a fait observer que l’intimée avait essayé le Pennsaid, mais [traduction] « n’avait pas conclu que ce médicament s’était révélé très utile » et que le Nortriptyline a été augmenté à 40 mg par soir [traduction] « sans que cela ne procure d’avantage important »Note de bas de page 16. Compte tenu du rapport le plus récent du Dr Macaluso, je conclus que ni le Nortriptyline ni le Pennsaid ne sont demeurés des options inutilisées.

[31] L’appelant invoque également le rapport des Dr Sawa et Sanders qui laisse croire que d’autres options pharmacologiques s’offraient à l’intimée. Le 2 juillet 2014, l’intimée a consulté le Dr Sawa, un résident rattaché au Dr Robert Richards, chirurgien orthopédique. La Dre Sawa a conseillé à l’intimée de continuer à prendre des antiinflammatoires non stéroïdiens pour soulager sa douleur au besoinNote de bas de page 17. Le 14 août 2014, le Dr Joel Phillips, un résident rattaché au Dr Sanders, a constaté que la douleur à la cheville droite de l’intimée semblait lui causer une « détresse importante ». Il a également noté qu’elle ne prenait aucun médicament à ce moment-làNote de bas de page 18. L’intimée a également révélé dans son questionnaire relatif aux prestations d’invalidité qu’elle ne prenait pas de médicamentsNote de bas de page 19. De plus, à l’audience devant la division générale tenue en février 2017, l’intimée a témoigné qu’elle avait mis à l’essai plusieurs analgésiques, mais n’en prenait aucun à ce moment-làNote de bas de page 20. Enfin, dans son évaluation médico-légale de la douleur chronique, le Dr Mula a formulé plusieurs recommandations comportant l’essai de plusieurs médicaments, dont le Tylenol et des antidépresseurs comme le Nortriptyline ou le Cymbalta, pourvu qu’il n’y ait pas de contre-indicationsNote de bas de page 21.

[32] On ne sait pas exactement si le Dr Mula savait que l’intimée avait déjà essayé le Nortriptyline sans avantage appréciable. Fait à noter, le Dr Mula a recommandé que l’intimée participe à un programme multidisciplinaire complet de traitement de la douleur et reçoive des injections de blocage nerveux et des injections visant les zones gâchettes sous les soins d’un spécialiste de la douleur.

[33] L’appelant fait valoir que si la douleur de l’intimée était si grave, on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce qu’elle épuise toutes les recommandations de traitement et à ce qu’elle mette à l’essai ou à ce qu’elle prenne régulièrement les analgésiques recommandés pour atténuer la gravité de sa douleur, sauf si sa douleur chronique résistait au traitement. Toutefois, comme l’intimée refusait de prendre d’autres analgésiques à l’essai, l’appelant soutient soit que ce refus était déraisonnable soit que la douleur de l’intimée ne pouvait être si grave.

[34] L’intimée prétend qu’elle a donné suite à toutes les recommandations de traitement à l’essai.

[35] L’intimée a subi un vaste traitement et a consulté de nombreux spécialistes, parfois à la demande de son assureur. Bien qu’elle ait consulté le Dr Mula à des fins médico-légales, il a également formulé des recommandations de traitement, notamment une approche pluridisciplinaire. Bien que la division générale ait noté qu’il n’y avait pas d’établissements de traitement pluridisciplinaire où l’intimée résidait, elle n’a pas déterminé s’il était raisonnable pour elle de ne pas suivre un tel traitement ou de donner suite à toute autre recommandation ni établi quel serait l’impact de ce refus sur son invalidité.

[36] La division générale aurait dû examiner quelles recommandations de traitement subsistaient, si l’intimée s’était conformée à ces recommandations de traitement, s’il était raisonnable qu’elle les refuse, et quel serait l’incidence d’un refus sur son invalidité. Il ne suffisait pas que la division générale affirme qu’aucun établissement pluridisciplinaire n’était disponible où l’intimée résidait parce que dans un tel cas, elle aurait pu conclure que l’intimée aurait dû se rendre à ces établissements; en d’autres termes, elle aurait pu conclure que son refus était déraisonnable. Toutefois, en l’absence d’une telle évaluation, la division générale a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer les principes énoncés dans les arrêts Lalonde et Kaminski.

L’arrêt Inclima

[37] L’appelant fait valoir que la division générale n’a pas non plus appliqué l’arrêt Inclima c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 22. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a statué que des prestataires qui disaient répondre à la définition d'incapacité grave doivent non seulement démontrer qu'ils ont de sérieux problèmes de santé, mais où il y a des preuves de capacité de travail, ils doivent également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé. L’appelant prétend que la division générale n’a pas examiné la question de savoir si l’intimée avait déployé des efforts pour trouver un emploi et le conserver, et dans l’affirmative, si ces efforts s’étaient révélés infructueux en raison de sa santé.

[38] Je ne suis pas convaincue par ces arguments parce que la division générale a conclu que l’intimée en l’espèce n’avait pas démontré de capacité de travailler résiduelle. Une évaluation à la lumière de l’arrêt Inclima est déclenchée seulement une fois que le juge des faits est convaincu qu’il existe une preuve de la capacité de travailler. Si la division générale avait déterminé que l’intimée avait une capacité de travailler, elle aurait été tenue d’appliquer l’arrêt Inclima.

L’arrêt Monk

[39] L’appelant soutient que la division générale n’a pas appliqué l’arrêt Monk c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 23 pour établir si la tentative de l’intimée de reprendre le travail constituait une « vaine tentative de retour au travail ». La Cour fédérale a statué qu’une vaine tentative serait fonction des faits d’une affaire en particulier; elle a affirmé qu’un retour au travail de seulement quelques jours constituerait une vaine tentative, mais que des gains réalisés pendant deux ans qui seraient conformes aux gains antérieurs ne pourraient représenter une vaine tentative.

[40] L’appelant fait observer que l’intimée a témoigné devant la division générale qu’elle avait tenté de reprendre le travail comme réceptionniste dans un salon pendant environ 30 minutes, mais qu’elle n’a pu tenir le coup. L’appelant prétend que la division générale aurait dû déterminer si cette tentative pouvait être considérée comme une « vaine tentative de retour au travail ».

[41] Je ne crois pas que cet argument en particulier aide l’appelant d’une quelconque façon. La tentative de l’intimée de reprendre le travail comme réceptionniste pendant 30 minutes semble se ranger dans la catégorie des vaines tentatives décrite dans l’arrêt Monk. Néanmoins, si le travail de l’intimée comme réceptionniste constituait un effort sincère pour retourner au travail et si cet emploi était considéré comme un emploi convenable, la division générale aurait dû déterminé si cela reflétait une « vaine tentative de retour au travail » et si elle a montré régulièrement une capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

[42] Tel qu’il est mentionné précédemment, la division générale a commis une erreur de droit en omettant d’évaluer de façon appropriée la gravité de l’invalidité de l’intimée et plus particulièrement, en n’appliquant pas les arrêts Villani, Lalonde, Kaminski, et Monk.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[43] L’appelant fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur deux conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance : 1) l’intimée avait pris du Percocet à l’essai; 2) il n’y avait « aucune preuve de capacité de travailler ».

Le Percocet

[44] L’appelant soutient que la division générale a conclu abusivement que l’intimée avait pris du Percocet. L’appelant fait observer que l’intimée avait témoigné devant la division générale qu’elle avait pris divers médicaments par le passé, mais qu’elle n’avait pas mentionné expressément le Percocet. Elle avait également témoigné qu’elle ne prenait aucun médicament au moment de l’audience, autre que des inhibiteurs calciques. L’appelant fait également observer que le questionnaire relatif à l’invalidité de l’intimée indiquait qu’elle ne prenait aucun médicament pour maîtriser sa douleurNote de bas de page 24. De plus, l’appelant constate que plusieurs médecins ont rapporté que l’intimée ne souhaitait pas prendre de médicaments.

[45] Au paragraphe 17, la division générale a résumé sa compréhension du témoignage de l’intimée selon lequel elle avait pris de nombreux analgésiques à l’essai, dont le Percocet. Au paragraphe 48 de son analyse, la division générale a écrit que l’intimée avait [traduction] « pris de nombreux analgésiques à l’essai, qui lui causaient de graves nausées et une incapacité de fonctionner. » Toutefois, la division générale ne dressait pas la liste de médicaments en particulier au paragraphe 48.

[46] Bien que l’intimée n’ait peut-être pas témoigné qu’elle a pris du Percocet, elle a divulgué dans une lettre non datée à la division générale qu’elle en avait pris à l’essaiNote de bas de page 25. Dans la même lettre, elle dressait la liste de ses médicaments, qui comprenait l’Oxycocet, nom générique du Percocet. Il n’existait pas de preuve documentaire à l’appui. Cependant, on ne peut affirmer qu’il n’y avait aucune preuve que l’intimée avait pris du Percocet à l’essai.

[47] Que la division générale ait erré ou non en identifiant le Percocet comme analgésique pris par l’intimée, je conclus que la prise ou non du Percocet ou d’un autre analgésique par l’intimée fait peu de différence. La division générale n’a pas fondé sa décision sur le fait que l’intimée a pris un analgésique en particulier. La division générale se concentrait plutôt sur le nombre d’analgésiques différents pris par l’intimée. Je conclus que la division générale n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a établi que l’intimée avait pris du Percocet.

Capacité de travailler

[48] L’appelant soutient que la division générale a conclu de façon abusive qu’il n’y avait aucune preuve de capacité de travailler compte tenu de la preuve qui lui avait été soumise. L’appelant fait valoir que dans les faits, il existait des preuves devant la division générale qui [traduction] « tend[aient] à établir que l’état de l’intimée n’était pas « grave » avant [la fin de la PMA] », et que la division générale a donc erré en concluant qu’il n’existait pas de preuve de la capacité de travailler. L’appelant soutient par exemple qu’une analyse d’une évaluation professionnelle et des compétences transférables effectuée en 2014 indique que l’intimée a conservé une capacité de travail résiduelle et que malgré ses lésions physiques, l’intimée pourrait travailler comme réceptionniste, commis de bureau, adjointe administrative, représentante des ventes au détail et des comptes, ou commis de paieNote de bas de page 26.

[49] Je constate qu’aucune des parties n’a produit de copie de l’évaluation professionnelle. Le Dr Mula a fait mention de l’évaluation professionnelle dans son évaluation médico-légale de la douleur chronique, mais il a rejeté toute notion que ces types d’occupations convenaient à l’intimée, parce qu’il estimait qu’elle ne serait pas en mesure de satisfaire aux exigences mentales et physiques en raison de ses douleurs chroniques au poignet gauche et à la main droite, au bas du dos, et à ses troubles de l’humeur continus.

[50] L’appelant prétend qu’il faudrait accorder peu de valeur probante à l’avis du Dr Mula parce que l’équilibre des preuves médicales de 2015 n’étaye pas l’avis du Dr Mula selon lequel l’intimée était gravement invalide à ce moment-là. Par exemple, tandis que l’intimée a mentionné dans son questionnaire relatif aux invalidités (préparé en janvier 2015) qu’elle avait des limites physiques, l’appelant affirme que ces limites ne l’auraient pas empêchée d’effectuer régulièrement un travail sédentaire à temps partiel ou saisonnier. Alors que l’intimée indiquait dans le questionnaire relatif à l’invalidité qu’elle n’avait pas de difficulté à s’asseoir, elle mentionnait que sa main gauche [traduction] « [était] très limitée. » Cette information est cohérente avec certaines des preuves médicales. Comme l’a indiqué son médecin dans son rapport (dressé en janvier 2015), l’intimée est gauchère et était incapable d’utiliser longtemps son poignet gauche sans ressentir davantage de douleur. De fait, l’intimée a subi une autre chirurgie à son poignet gauche en mars 2015. Il est peu probable que l’intimée aurait subi une autre chirurgie à son poignet gauche si elle n’avait pas ressenti de douleurs ou si son poignet gauche avait été entièrement fonctionnel.

[51] L’appelant fait valoir qu’outre ce facteur, le rapport du Dr Mula ne traite pas de la capacité de l’intimée vers la fin de sa PMA, soit le 31 décembre 2013. Le Dr Mula a préparé son opinion en juillet 2015. L’appelant soutient que dans le cadre de l’évaluation de la gravité de l’invalidité de l’intimée—qui consiste à déterminer si elle est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice—il faut se pencher sur l’invalidité vers la fin de la PMA. L’appelant fait valoir que la division générale a erré en fondant sa décision sur des avis médicauxNote de bas de page 27 qui traitaient de l’invalidité de l’intimée longtemps après la fin de la PMA.

[52] Tandis que la division générale s’en remettait en partie aux avis médicaux qui avaient été préparés après la fin de la PMA de l’intimée, je conclus que la division générale s’est également appuyée sur des rapports de 2013. Par exemple, au paragraphe 45, la division générale a indiqué qu’elle avait tenu compte du rapport du Dr Macaluso daté du 6 août 2013 et du rapport de consultation daté du 28 octobre 2013 des Dr Kerrigan et Sanders. Pour ce motif, je ne puis me rendre aux arguments de l’appelant selon lesquels la division générale a négligé de traiter de la capacité de l’intimée vers la fin de sa PMA.

[53] L’appelant prétend en outre que la division générale a également mal compris la preuve lorsqu’elle a examiné le rapport médical du nouveau médecin de famille. L’appelant soutient que le médecin de famille affirme essentiellement que l’intimée est « temporairement invalide » parce qu’il recommande qu’une pension d’invalidité soit accordée et que l’admissibilité de l’intimée soit réévaluée dans 12 à 18 mois [traduction] « pour voir à quel point ces mesures thérapeutiques l’ont aidée. »

[54] Je constate toutefois que le médecin de famille n’avait pas indiqué qu’il devrait attendre les résultats de la chirurgie que l’intimée pourrait subir, mais il n’a aucunement suggéré que la chirurgie et d’autres mesures thérapeutiques permettraient nécessairement d’atténuer la douleur et l’inconfort de l’intimée. De ce point de vue, je ne suis pas convaincue que le médecin de famille a nécessairement conclu que l’intimée était alors « temporairement invalide », compte tenu du fait que près de trois ans s’étaient déjà écoulés depuis l’accident de voiture.

[55] Somme toute, il était loisible à la division générale d’interpréter et de tirer des conclusions de la preuve qui lui a été soumise, mais les conclusions nécessitaient un fondement probatoire solide. La division générale a nettement conclu à l’absence de preuve de capacité de travailler, mais il s’agissait d’une conclusion beaucoup trop vaste, compte tenu qu’il existait des preuves que l’intimée conservait peut-être une capacité de travailler. Cette preuve comprenait l’évaluation faite par le chirurgien orthopédique et l’évaluation professionnelle à laquelle le Dr Mula faisait référence. La division générale n’était pas tenue d’accepter la preuve de capacité de travailler, mais elle aurait dû en accuser réception et expliquer pourquoi elle a privilégié d’autres preuves médicales qui, à son avis, établissaient que l’intimée avait une invalidité grave.

[56] Bien que la division générale ait pu rejeter cette preuve, pour quelque motif que ce soit, et ait conclu qu’elle ne pouvait pas être étayée selon la prépondérance de la preuve, parce que cette preuve indiquait que l’intimée avait une certaine capacité de travail, la division générale a erré en concluant qu’il n’y avait pas de preuve de capacité de travailler. La division générale a fondé sa décision, du moins en partie, sur cette conclusion. Cela constituait une conclusion de fait erronée en vertu de l’al. 58(1)(c) de la LMEDS.

Question en litige no 3 : Les motifs de la division générale étaient-ils suffisants?

[57] L’appelant a soulevé un troisième motif d’appel : les motifs de la division générale sont insuffisants, surtout parce qu’ils ne couvrent pas les arguments de l’intimée devant la division générale. L’appelant prétend que l’insuffisance des motifs résulte en un manquement aux principes de justice naturelle. Comme j’ai accueilli l’appel pour les motifs précédents, je n’ai pas à traiter de ce troisième motif d’appel.

[58] Néanmoins, je l’aborderai brièvement. L’appelant fait valoir que la division générale devait donner des motifs compréhensibles assez détaillés comportant un fondement logique de la conclusion. L’appelant soutient que le caractère adéquat des motifs devrait être évalué, compte tenu du fait que le rôle de la division générale consistait à déterminer si l’intimée a établi qu’elle était invalide au sens du Régime de pensions du Canada vers la fin de sa PMA et qu’elle a été constamment invalide depuis.

[59] L’appelant reconnaît que la division générale énonce sa position aux paragraphes 40, 43 et 49 de sa décision, mais fait valoir que la division générale n’a pas expliqué le motif de rejet. L’intimée note qu’il aurait pu être plaidé que de nombreux éléments de preuve auraient pu établir que l’invalidité de l’intimée n’était pas grave. Selon l’appelant, ces éléments de preuve sont exposés aux paragraphes 63 à 66 de ses arguments. Ce sont les suivants :

  • le rapport du Dr Mula, daté du 5 juillet 2015 (GD1-40)
  • l’affidavit de Tania Arreaga, établi sous serment le 29 mai 2017 (pièce A, pages 1 et 2 et pages 7 et 8, volume I, appendice D)
  • Questionnaire relatif aux prestations d’invalidité (GD2-111)

[60] L’appelant fait également observer que bien que la division générale ait mentionné des éléments de preuve qui [traduction] « tendent à établir [que] l’état de l’intimée n’était pas grave », son analyse de cette preuve ne suffisait pas pour permettre à l’appelant de déterminer si le critère juridique approprié avait été appliqué pour établir si l’intimée remplit les conditions d’obtention d’une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada. Plus particulièrement, l’appelant constate que la division générale a décidé d’accorder peu de valeur probante aux avis résumés par le Dr Mula dans son rapport, tout simplement parce qu’ils avaient produits [traduction] « dans le cadre d’une réclamation d’assurance ». Toutefois, l’appelant fait valoir du même souffle que la division générale a pu invoquer le rapport du Dr Mula pour conclure que l’invalidité de l’intimée était grave, quoique cela aussi a été fait dans le contexte de l’assurance.

[61] L’appelant soutient que globalement, la décision est lacunaire parce que la division générale n’a pas énoncé ou expliqué quels éléments de preuve établissaient la gravité de l’invalidité de l’intimée. Bien que la division générale ait reconnu les arguments de l’appelant selon lesquels il y avait des avis médicaux contradictoiresNote de bas de page 28, l’appelant soutient que l’on peut difficilement savoir si la division générale a pris en compte l’une ou l’autre des preuves médicales qui laissaient croire que l’intimée n’était pas gravement invalide à la fin de sa PMA parce qu’aucune analyse n’a été effectuée.

[62] L’appelant suggère que si la division générale accordait peu ou pas de poids aux preuves médicales qui étaient favorables à la position de l’appelant uniquement parce qu’elles avaient été préparées pour l’assurance, elle a erré. L’appelant fait valoir que ce fondement est insuffisant pour accorder peu de valeur probante à un avis d’expert.

[63] L’appelant n’est pas d’accord avec l’analyse de la division générale et avec le fondement qui lui a servi à conclure que l’intimée est gravement invalide, et il prétend que la division générale aurait dû traiter de ses arguments. Cependant, cela ne rend pas la décision globalement illogique. Après tout, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c. South Yukon Forest CorporationNote de bas de page 29, il est superflu qu’un décideur rédige des motifs exhaustifs traitant de tous les éléments de preuve et des faits dont il est saisi.

[64] La division générale a conclu que les avis de 2013 du Dr Macaluso, du Dr Sanders et de Mme Kerrigan, que certains des rapports de 2014 et de 2015, et que des témoignages de certains témoins ont établi que l’intimée avait une invalidité grave. La division générale a conclu que l’intimée avait donné suite à toutes les recommandations de traitement raisonnables, sauf celle de se présenter dans un établissement pluridisciplinaire. La division générale a conclu qu’il était raisonnable que l’intimée n’ait pas déjà pris part à un programme pluridisciplinaire en raison de son lieu de résidence. La division générale a expliqué clairement comment elle en est arrivée à sa conclusion.

[65] Toutefois, je conviens avec l’appelant que la division générale ne s’est pas penchée adéquatement sur les arguments de l’intimée selon lesquels d’autres éléments de preuve auraient pu mener à une décision différente. Je ne laisse pas entendre que la preuve sur laquelle l’appelant s’appuie établit effectivement que l’intimée n’aurait pas pu être gravement invalide à la fin de sa PMA. Toutefois, après examen de la preuve, je conclus qu’il existait un certain fondement permettant à l’appelant de faire valoir que l’intimée n’avait pu être gravement invalide. Par exemple, l’appelant souligne les résultats d’une évaluation faite par un chirurgien orthopédique et d’une évaluation professionnelle qui relevaient des occupations convenables. Par conséquent, les arguments de l’appelant selon lesquels la division générale aurait dû se pencher sur ses arguments selon lesquels il existait des preuves qui pourraient établir que l’intimée n’était pas gravement invalide étaient fondés.

[66] À cet égard, la décision de la division générale est lacunaire. La division générale était tenue d’effectuer son analyse, d’évaluer la preuve et d’expliquer, par exemple, pourquoi elle a privilégié le témoignage du Dr Macaluso, du Dr Sanders et de Mme Kerrigan; certains rapports de 2014 et 2015, et le témoignage de certains témoins plutôt que la preuve qui, comme le prétend l’appelant, avait tendance à établir que l’intimée n’était pas gravement invalide.

[67] Dans des observations supplémentaires déposées le 9 juillet 2018, l’appelant m’a fourni deux autres jugements qui se penchaient sur la question de la valeur probante devant être accordée à des rapports médicaux indépendants ou produits en défense. Dans S.L. c. Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 30, la division d’appel a accueilli la demande d’autorisation d’appel parce que la division générale n’avait pas tenu compte des rapports médicaux de six spécialistes qui avaient évalué S.L. au cours de la période de un an ayant précédé la fin de sa PMA, alors qu’aucun autre rapport médical ne couvrait cette période. La division générale avait déterminé que les rapports avaient été produits dans le contexte d’un litige relatif à l’assurance. La division d’appel a conclu que les conclusions de la division générale étaient préoccupantes et qu’elles justifiaient un examen complémentaire.

[68] De même, dans H.T. c. Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 31, la division d’appel a conclu que la division générale n’avait pas expliqué clairement pourquoi les rapports médicaux indépendants étaient moins utiles ou précieux que ceux des médecins traitants, et dans ce cas, si elle s’était penchée sur ces rapports dans son évaluation de l’invalidité. La division d’appel a également accueilli la demande d’autorisation d’appel dans cette affaire.

[69] Les décisions S.L. et H.T. ont été résolues sur consentement; les parties ont conclu une entente et par conséquent, il n’y a pas eu d’audience sur le fond de l’affaire. La division d’appel n’avait pas pris de décision finale sur la question de la valeur probante accordée à des rapports médicaux indépendants ou axés sur la défense.

[70] Je conclus que la division générale a erré en accordant peu de valeur probante à certaines preuves d’expert simplement parce qu’elles avaient été produites dans le cadre d’une réclamation d’assurance. Ce seul fondement ne suffit pas pour déterminer la valeur probante à attribuer. Si, par exemple, la division générale avait établi que les experts n’étaient pas bien qualifiés ou qu’ils avaient fait preuve de partialité ou que les hypothèses à la base de leurs avis étaient erronées, ce fondement aurait pu permettre de les juger inadmissibles ou d’attribuer oeu ou pas de valeur probante aux rapports. Toutefois, le seul fait que les rapports avaient été dressés pour le compte d’un assureur était insuffisant pour accorder peu de valeur probante.

Mesure de réparation demandée

[71] L’article 59 de la LMEDS m’habilite à déterminer s’il y a lieu de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives que la division d’appel juge indiquées ou de confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[72] L’appelant soutient qu’il ne convient pas que je modifie en l’espèce la décision de la division générale. L’appelant me demande instamment d’accueillir l’appel, d’annuler la décision de la division générale, et de renvoyer l’affaire à la division générale afin que soit tenue une nouvelle audience par un membre différent.

[73] L’appelant fait valoir que c’est la décision appropriée parce qu’il n’incombe pas à la division d’appel de soupeser et d’évaluer de nouveau la preuve; ce rôle incombe à la division générale, notamment lorsque les parties sont en désaccord sur une question de fait clé : dans cette affaire, cette question consiste à déterminer si l’intimée s’était conformée au traitement. L’appelant fait valoir qu’une telle issue est cohérente avec les arrêts Quadir c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 32, Garvey c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 33, et Cameron c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 34 et que la Cour d’appel fédérale a statué qu’il incombe à la division générale de trancher la question de l’invalidité. L’appelant soutient que les cas dans lesquels la division d’appel doit opérer une substitution de sa propre décision devraient être exceptionnels, survenir lorsque les parties conviennent que des erreurs ont été commises, et ne devraient jamais se produire lorsque les parties sont en désaccord quant à des éléments de preuve clés qui jouent un rôle primordial dans la question ultime. L’appelant fait valoir que la situation de fait en l’espèce et la nature des erreurs de droit justifient de renvoyer l’affaire à la division générale.

[74] En outre, l’appelant prétend que le dossier est incomplet et que le renvoi de l’affaire à la division générale permettrait à l’intimée de produire un dossier documentaire plus complet.

[75] Dans l’arrêt Quadir, la Cour d’appel fédérale a établi que la division d’appel était simplement en désaccord avec la conclusion de la division générale et son intervention relativement à une question mixte de fait et de droit était—si aucune erreur de droit ne se dégager—compte tenu de sa compétence, déraisonnable. De même, dans l’arrêt Cameron, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un simple désaccord avec l’application de principes établis aux faits d’une affaire ne justifie pas la division d’appel d’intervenir.

[76] Dans l’arrêt Garvey, la Cour d’appel fédérale a statué que lorsqu’il se dégage un problème de droit d’une erreur mixte de fait et de droit commise par la division générale, la division d’appel peut intervenir en vertu du paragraphe 58(1) de la LMEDS. Tandis que la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il était raisonnable que la division d’appel ait conclu qu’elle n’avait pas le droit de soupeser de nouveau la preuve soumise à la division générale, la Cour a fait cette affirmation dans le contexte dans lequel la division d’appel ne pouvait pas intervenir, c’est-à-dire lorsqu’il y avait un simple désaccord sur l’application du droit établi aux faits.

[77] Dans certaines circonstances, il serait approprié que la division d’appel substitue sa propre décision, mais nous ne sommes pas en présence de l’une de ces occasions. Bien que la division générale ait conclu que l’intimée a fait de véritables efforts pour améliorer santé, cela ne suffisait pas pour satisfaire au critère de Lalonde. La division générale ne vérifiait pas s’il y avait d’autres recommandations de traitement, si l’intimée s’y est conformée, si un refus éventuel était déraisonnable, et finalement si un refus exerçait un impact sur son invalidité.

[78] L’intimée nie vigoureusement ne pas avoir observé le traitement ou la disponibilité d’options de traitement, tandis que l’appelant fait valoir que la preuve documentaire montre que l’intimée disposait de plusieurs options, dont un programme pluridisciplinaire qui demeurait inutilisé. Il est regrettable que la division générale n’ait pas cherché à déterminer s’il y avait d’autres motifs, comme des facteurs de coûts, pourquoi l’appelant ne s’est pas prévalu de cette option en particulier ou d’autres recommandations de traitement.

[79] Si la division générale avait déterminé que le refus de l’intimée de se conformer aux options de traitement était déraisonnable, cela aurait pu constituer une autre erreur s’il n’y avait pas eu d’interrogatoire de l’intimée relativement à son dossier de conformité.

[80] Ces facteurs justifient de renvoyer l’affaire en division générale.

[81] Enfin, je fais observer que pendant l’instruction devant moi, l’intimée a fourni des dossiers médicaux mis à jour. Règle générale, il n’est pas permis de produire de nouveaux éléments de preuve au cours d’un appel devant la division d’appel—sauf pour certaines exceptions limitées—mais une nouvelle audience devant la division générale permettra à l’intimée de les invoquer et de s’appuyer sur tout document additionnel, sous réserve d’une opposition à la recevabilité par l’appelant.

Conclusion

[82] L’appel est accueilli et la cause référée à la division générale pour une nouvelle audience par un nouveau membre.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 19 juin 2018

Téléconférence

Laura Dalloo (avocate), représentante de l’appelant

J. R., intimée

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