Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] V. H. (requérante) est médecin et a pratiqué la médecine pendant de nombreuses années. Elle a fait une consommation excessive d’alcool et de drogue, ce qui a entraîné la perte de son permis d’exercice de la médecine. Elle a également été impliquée dans des procédures devant le tribunal pénal et le tribunal de la famille. La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada et a soutenu qu’elle était invalide en raison de ses dépendances et de problèmes de santé mentale. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a approuvé la demande et a accordé à la requérante des paiements rétroactifs pendant 15 mois. La requérante a demandé une rétroactivité additionnelle de la pension d’invalidité jusqu’en 2009, année où elle a arrêté de travailler, au motif qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension.

[3] Le ministre a refusé la demande de rétroactivité additionnelle des versements de la requérante. La requérante a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal. La division générale du Tribunal a rejeté l’appel. L’appel de cette décision interjeté par la requérante est rejeté parce que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit ni omis d’observer un principe de justice naturelle.

Questions préliminaires

[4] La pratique du Tribunal est de faire un enregistrement audio de toutes les audiences. En raison d’un problème technique, il n’a pas été possible d’enregistrer cette audience. Les deux parties ont accepté que l’audience soit instruite sans que celle-ci soit enregistrée.

[5] La requérante a déposé une transcription de l’audience devant la division généraleNote de bas de page 1. Le ministre a convenu qu’elle était exacte et qu’on pouvait s’y fier. J’ai lu la transcription avant de rendre ma décision.

[6] La requérante a déposé des documents qui laissaient entendre qu’elle soutiendrait que la division générale a fait preuve de partialité. Au début de l’audience, la requérante a laissé tomber ce moyen d’appel. Il n’a donc pas été examiné.

[7] La requérante a aussi demandé à présenter un nouvel élément de preuve, soit un rapport médical rédigé par le Dr IslerNote de bas de page 2, pour l’appel. Cependant, les nouveaux éléments de preuve ne sont généralement pas autorisés au titre de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)Note de bas de page 3. La question à trancher lors d’un appel devant la division d’appel n’est pas la question de savoir si un requérant devrait avoir gain de cause sur le fond de l’appel, mais celle de savoir si la division générale a commis une erreur au titre de la Loi sur le MEDS au point où la division d’appel devrait intervenir. Un nouvel élément de preuve comme celui que la requérante souhaite présenter n’est pas nécessaire pour trancher cette question. Par conséquent, je n’ai pas tenu compte du nouvel élément de preuve présenté par la requérante.

Question en litige

[8] La division générale a-t-elle appliqué correctement le critère juridique relatif à l’incapacité lorsqu’elle a rendu sa décision?

[9] La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en ne permettant pas à la requérante de défendre pleinement sa cause?

Analyse

[10] La Loi sur le MEDS régit le fonctionnement du Tribunal. Elle prévoit les trois seuls moyens d’appel que la division d’appel peut considérer. Ces moyens d’appel sont les suivants : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence, elle a commis une erreur de droit, ou elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 4. L’affirmation de la requérante selon laquelle la division générale a commis deux de ces erreurs est examinée ci-dessous.

Question en litige no 1 : Erreur de droit

[11] Le Régime de pensions du Canada (RPC) prévoit qu’une personne ne peut être réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de 15 mois à la date de la présentation de sa demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 5. La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité en juin 2015. Elle a été jugée invalide en mars 2014, soit 15 mois avant de présenter sa demande.

[12] Le RPC prévoit une exception restreinte à cette règle de rétroaction de 15 mois. Il stipule que, lorsqu’un requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite, une rétroactivité additionnelle peut être accordéeNote de bas de page 6. Cela est exposé correctement dans la décision de la division généraleNote de bas de page 7. La question dont était saisie la division générale était celle de savoir si la requérante était capable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant qu’elle ne la fasse en 2015. Pour trancher cette question, la division générale a examiné la preuve concernant les activités et la prise de décisions de la requérante, y compris le fait qu’elle s’occupait des travaux ménagers et qu’elle consentait aux traitements pour ses problèmes de santé.

[13] La requérante soutient que cette exception à la règle de rétroactivité est précise et ciblée. Elle fait valoir que la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt MorrisonNote de bas de page 8 enseigne que les activités d’un requérant peuvent être pertinentes pour cette conclusion, mais seulement si la preuve médicale n’est pas précise au sujet de sa capacité. Elle soutient que la preuve médicale en l’espèce se rapporte spécifiquement à sa capacité de former ou d’exprimer une intention, et qu’il n’est donc pas nécessaire de tenir compte de ses autres activités, et que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle l’a fait.

[14] Cependant, la décision dans l’arrêt Morrison énonce ce qui suit :

[traduction]

[L’incapacité] est une question circonscrite, mais il est difficile d’y répondre. Pour y répondre, il peut être nécessaire d’obtenir un avis médical spécialisé touchant particulièrement la période entre la date prétendue de début de l’invalidité et la date de l’éventuelle demande de prestations d’invalidité et, élément très important, les activités pertinentes de la personne en cause entre la date prétendue de début de l’invalidité et la date de la demande, ce qui nous informe sur la capacité de cette personne pendant cette période de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Les activités de la personne en cause pendant cette période auront une importance particulière si les avis médicaux spécialisés sont de nature générale, variée ou équivoque et possiblement non appuyés pleinement ou adéquatement par la preuve médicale.

La décision n’énonce pas que les activités du requérant ne sont pas pertinentes lorsque la preuve médicale n’est pas générale, variée ou équivoque. Elle énonce que la preuve relative aux activités d’un requérant revêt une importance particulière s’il existe une preuve médicale générale ou équivoque. Par conséquent, la division générale n’a pas commis une erreur de droit lorsqu’elle a tenu compte des activités de la requérante.

[15] En fait, la division générale a précisément tenu compte du fait que la requérante était capable de s’occuper des travaux ménagers et de consentir et d’assister aux traitements durant la période pendant laquelle elle prétendait être incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité. De plus, la requérante a affirmé dans son témoignage qu’elle avait l’intention de présenter une demande probablement dès 2011Note de bas de page 9 et qu’elle y avait pensé, mais qu’elle avait un [traduction] « blocage » à l’égard de la présentation réelle de la demandeNote de bas de page 10. La division générale n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a tenu compte des activités de la requérante pendant la période de son incapacité alléguée.

[16] La requérante soutient également qu’elle n’aurait pas pu être capable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité de 2009 à 2015 parce que, dans le contexte de ses problèmes de dépendance, elle était dans le déni quant à son invalidité. En raison de ce déni, elle ne pouvait pas former ou exprimer l’intention de présenter une demande de pension. La requérante fait aussi valoir que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle a omis de tenir compte de cela.

[17] La Commission d’appel des pensions a décidé, dans une cause, que parce qu’un requérant ne pouvait pas accepter un diagnostic de schizophrénie, il ne pouvait pas former ou exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 11. Dans cette affaire, il existait une preuve selon laquelle le requérant n’était pas conscient ou au courant de la portée ou de la nature de sa maladie ou qu’il souffrait en fait d’une maladie grave.

[18] Cependant, les faits relatifs à cette affaire sont bien différents de ceux de l’affaire dont je suis saisi. La requérante a affirmé dans son témoignage qu’elle avait une dépendance qui avait une incidence sur sa capacité de travailler. Elle était consciente de sa maladie. Elle a affirmé dans son témoignage qu’elle avait l’intention de présenter une demande, mais qu’elle avait un [traduction] « blocage attribuable à la fierté » qui l’empêchait de le faire réellement, et aussi qu’elle croyait qu’elle pourrait obtenir cinq ans de rétroactivitéNote de bas de page 12. La division générale s’est attardée à l’argument selon lequel le déni de la requérante concernant son problème de santé l’empêchait d’être capable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pensionNote de bas de page 13, a examiné la preuve, et a conclu que l’avis de la requérante selon lequel elle pourrait obtenir cinq ans de rétroactivité démontrait probablement davantage qu’elle pouvait former l’intention de présenter une demande de pension, mais qu’elle avait choisi d’attendreNote de bas de page 14. La division générale n’a donc pas commis d’erreur de droit parce qu’elle a examiné et appliqué le droit aux faits qui lui ont été soumis. Ce moyen d’appel est rejeté.

Question en litige no 2 : Justice naturelle

[19] Les principes de justice naturelle visent à s’assurer que toutes les parties à un appel ont la possibilité de présenter pleinement leur cause au Tribunal, qu’elles ont l’occasion de prendre connaissance des renseignements qui leur sont défavorables et de donner leur version des faits, et que l’appel est jugé de manière impartiale compte tenu des faits et du droit.

[20] Le dernier moyen d’appel invoqué par la requérante est celui que la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle parce que la question de son incapacité à présenter une demande de pension a été soulevée pendant l’audience de la division générale et qu’elle n’a pas été capable de présenter pleinement sa cause relativement à cette question. Cependant, pendant l’audience, la membre du Tribunal a offert à la requérante davantage de temps pour présenter plus d’éléments de preuve relativement à la question de son incapacitéNote de bas de page 15. La requérante n’a pas déposé d’autres éléments avant que la division générale ne rende sa décision. Rien ne l’empêchait de le faire. La division générale a donc observé les principes de justice naturelle et l’appel est rejeté sur ce motif.

Conclusion

[21] J’ai beaucoup d’empathie pour la requérante et sa situation très difficile. Je la félicite pour sa persévérance dans ses combats de nature juridique et de santé. Cependant, je ne suis pas convaincue que la division générale a commis une erreur de droit ou a omis d’observer un principe de justice naturelle.

[22] L’appel est donc rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 7 août 2018

Vidéoconférence

Me Peter Rumscheidt, représentant de l’appelante
Julien Leger, représentant de l’intimé

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