Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L'appelante, J. N., est âgée de 51 ans et est née au Nigeria, pays où elle a été à la faculté de droit et a travaillé comme avocate. En 1995, elle a immigré au Canada et elle s'est inscrite à un programme d'études dans un collège communautaire pour suivre une formation d'agente de cour et de tribunal, mais elle n'a jamais travaillé dans ce domaine. Elle a plutôt occupé une série d'emplois dans les domaines de l'administration et du service à la clientèle, et plus récemment dans une entreprise de télécommunications. En décembre 2011, elle a subi une blessure au cou et au dos à la suite d'un accident de véhicule. Elle a ensuite fait plusieurs tentatives de retour au travail, mais elle n'a pas été capable de répondre aux exigences de son emploi. Elle a ni travaillé ni cherché un emploi depuis juin 2015.

[3] En février 2016, l'appelante a présenté une demande de pension d'invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) dans laquelle elle prétend ne plus pouvoir travailler en raison de douleurs chroniques et de troubles connexes. L'intimé, à savoir le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande après avoir déterminer que l’invalidité n’était pas grave et prolongée à la date de fin de la période minimale d’admissibilité (PMA), soit le 31 décembre 2016.

[4] L’appelante a interjeté appel du refus du ministre à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par vidéoconférence et, dans une décision datée du 8 février 2018, elle a rejeté l’appel après avoir conclu que l'appelante n’avait pas démontré qu’elle était « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » à la date de fin de la PMA. La division générale a également conclu que l'appelante n'avait pas suivi les recommandations de traitement raisonnables pour ses problèmes de santé mentale.

[5] Le 13 avril 2018, la représentante légale de l'appelante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, prétendant que la division générale avait commis différentes erreurs en rendant sa décision.

[6] Dans ma décision du 11 juin 2018, j'ai accordé la permission d'en appeler après avoir conclu qu'il y avait une cause défendable selon laquelle la division générale :

  1. n'a pas observé un principe de justice naturelle en rejetant les rapports de spécialistes sans fournir un motif valable;
  2. a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle l'appelante n'a pas suivi le traitement recommandé pour ses troubles de santé mentale.

[7] Le 14 août 2018, le ministre a convenu que la division générale a commis une erreur en rendant sa décision et a recommandé que le dossier soit renvoyé à la division générale en vue d'une nouvelle audience.

[8] Compte tenu de l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale voulant que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, j’ai décidé de ne pas tenir une audience de vive voix et d’examiner l’appel sur le fondement du dossier documentaire existant.

Questions en litige

[9] Selon l'article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il existe seulement trois moyens d’appel auprès de la division d’appel : i) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; ii) elle a commis une erreur de droit; iii) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Je dois tenir compte des questions suivantes :

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en rejetant les rapports de spécialistes parce qu’ils ont été demandés par la représentante légale de l’appelante?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle l'appelante n'a pas suivi les recommandations de traitement pour ses problèmes de santé mentale?

[11] Après avoir examiné les observations de parties en fonction du dossier, j'ai conclu que l'appel doit être accueilli.

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en rejetant les rapports de spécialistes parce qu’ils ont été demandés par la représentante légale de l’appelante?

[12] L'appelante prétend que la division générale a agi de façon inéquitable en rejetant les rapports de spécialiste pour la simple raison qu'ils ont été demandés par sa représentante légale. Elle mentionne particulièrement deux éléments de preuve documentaire, soit un rapport psychologique daté du 27 avril 2016 produit par Betty Kershner et un addenda daté du 14 novembre 2016 à un rapport d'évaluation multidisciplinaire sur la douleur chronique produit par Edward Shane et Jack Lefkowitz, dont la division générale aurait [traduction] "fait totalement abstraction" sans raison valable.

[13] Dans ma décision d'accorder la permission d'en appeler, j'ai exprimé mon doute quant au fait que la division générale avait en fait écarté le rapport Karshner. Après avoir examiné le dossier de nouveau, mon doute a fait place à un total désaccord. Je souligne que la division générale n'a pas ignoré les conclusions de la Dre Kershner, contrairement aux allégations de l'appelante; elle en a plutôt fait un résumé dans sa décision, puis elle s'est fondée sur les recommandations de traitement pour conclure que l'appelante ne s'y conformait pas. Dans ce contexte, même si la division générale n'a pas accepté ces éléments du rapport Keshner préférés par l'appelante, je ne vois pas comment il est possible de dire que la division générale ne lui a accordé aucune importance. Au paragraphe 33, la division générale a déclaré ce qui suit : [traduction] « Le [ministre] a également fait remarquer que la Dre Kershner a seulement reçu une fois l'appelante en consultation dans le contexte de la production d'un rapport psychologique médicolégal à la demande de son avocate. » Le fait que la division générale consignait la position du ministre ne signifie pas nécessairement qu'elle l'appuyait. Même si c'était le cas, l'extrait cité n'écarte pas le rapport Kershner parce qu'il s'agit d'un avis médicolégal en soi, mais plutôt parce qu'il a été produit par une praticienne qui avait reçu seulement une fois l'appelante en consultation et qui manquait probablement de connaissances personnelles des antécédents cliniques de l'appelante. À mon avis, il s'agissait d'un motif raisonnable pour accorder moins d'importance au rapport.

[14] En revanche, j'estime maintenant que l'appelante avait un motif valable pour contester le traitement de l'addenda de ShaneLefkowitz par la division généraleNote de bas de page 1. Au paragraphe 16 de sa décision, la division générale a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Il y a un addenda daté du 14 novembre 2016 au rapport d'évaluation multidisciplinaire sur la douleur chronique daté du 23 juin 2016 produit par le Dr Shane, chiropraticien, et le Dr Lefkowitz, spécialiste en réadaptation par chiropraxie. Dans l'addenda, on a rendu diagnostics de syndrome de douleur chronique et de fibromyalgie ont été rendus dans l'addenda et formulé l'avis que l'appelante demeure incapable de travailler. Je n'ai accordé aucune importance à l'addenda parce que le rapport initial du 23 juin 2016 n'avait pas été versé au dossier d'audience.

[15] Dans une note de bas de page, la division générale a déclaré avoir questionné la représentante de l'appelante quant à la raison pour laquelle le rapport d'évaluation initial était manquant. Elle a répondu ne pas savoir, car elle n'avait pas compilé le dossier que son cabinet avait reçu de l'ancien avocat de l'appelante. La division générale n'a pas déclaré si elle acceptait la réponse de la représentante et la raison pour laquelle elle ne l'acceptait pas, dans le cas contraire. J'ai écouté l'enregistrement audio de l'audience par vidéoconférence qui a été tenue le 25 janvier 2018, et je souligne que le membre qui présidait l'audience n'a donné aucun indice selon lequel il allait écarter l'addenda parce qu'il faisait partie d'un tout [traduction] « incompletNote de bas de page 2  ». S'il l'avait fait, la représentante aurait pu être incitée à défendre la pertinence de l'addenda.

[16] L'addenda en soi est un document de quatre pages qui comprend une discussion importante sur les diagnostics et les ponostics de l'appelante Il répond aux trois questions qui, je l'assume, ont été posées aux Drs Shane et Lefkowitz par la représentante légale de l'appelante et fait explicitement état que tous les renseignements compris dans l'addenda découlaient de la version originale du rapport d'évaluation multidisciplinaire sur la douleur chronique. Même si l'addenda a été rédigé pour la demande d'indemnisation pour les victimes d'accidents de véhicules, il comprend ce que je considérerais comme des renseignements pertinents quand à sa capacité de travailler :

[traduction]

Dans le passé, elle a travaillé à temps plein chez X en tant que représentante du service à la clientèle. À la suite de son accident, même si elle est retournée travailler sans prendre un congé, elle l'a fait « de façon intermittente » avec « beaucoup de douleurs » jusqu'à ce qu'elle soit finalement incapable de continuer. Elle a donc pris congé en juin 2015 et elle n'est pas retournée travailler depuis ce moment-là. Selon elle, même si elle travailler, elle avait reçu plusieurs mauvaises évaluations de clients qui s'étaient plaint qu'elle n'offrait pas un bon service, notamment qu'elle ne comprenait pas leurs problèmes, qu'elle n'était pas capable d'offrir des solutions ou qu'elle n'expliquait pas bien les solutions. Son médecin de famille a recommandé qu'elle demeure en congé parce qu'elle était encore incapable de travailler. Elle croit encore être incapable de travail en raison de sa douleur et de ses déficiences, y compris de graves problèmes de mémoire et de concentration qui ont une incidence sur sa capacité d'occuper son emploi précédent ou un autre emploi.

Selon nous, elle demeure incapable de travailler.

[17] L'addenda est un document qui pourrait être lu seul, et je ne constate aucune raison de rejeter les conclusions simplement parce que le rapport d'examen initial a été exclu du dossier d'audience pour un motif quelconque. Même si la division générale, en tant que juge des faits, doit se voir accorder une déférence quant à la façon dont elle soupèse la preuve, il doit y avoir un fondement rationnel, que celui-ci soit énoncé explicitement ou compris de façon implicite, pour écarter un rapport d'expert comprenant une déclaration claire et précise à l'appui de la position de l'appelante.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle l'appelante n'a pas suivi les recommandations de traitement pour ses problèmes de santé mentale?

[18] L'appelante prétend que la division générale a conclu à tort qu'elle n'avait pas donné suite au traitement recommandé pour ses problèmes psychologiques. Plus particulièrement, l'appelante conteste la conclusion de la division générale selon laquelle elle n'a pas donné suite à [traduction] « un programme de physiothérapie de soutien recommandé par les Drs Kershner et Rudky ». L'appelante déclare que cette conclusion contredisait la preuve documentaire et le témoignage qui démontraient qu'elle avait suivi toutes recommandations de traitement psychologique, y compris la pharmacothérapie quotidienne, la psychothérapie de groupe hebdomadaire, la psychothérapie individuelle mensuelle et le traitement psychiatrique semestriel.

[19] Je souligne que la division générale a rendu des conclusions explicites : i) l'appelante n'a pas fait un suivi auprès de la Dre Rudky, psychiatre; ii) elle ne s'est jamais jointe à un groupe de psychothérapie de soutien; iii) les services de counseling offerts par une église ne sont pas un substitut de traitement psychologique. Selon l'enregistrement de l'audience, l'appelante a déclaré ce qui suit dans le cadre de son témoignage : elle consulte la Dre Rudky tous les six moisNote de bas de page 3; ii) elle participe à des séances hebdomadaires de counseling de soutien psychologique offertes par son égliseNote de bas de page 4; iii) elle a eu des rendez-vous mensuels avec le pasteur, qui est psychologue selon elleNote de bas de page 5.

[20] Je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu'elle a conclu que rien ne prouvait que l'appelante avait subi un traitement régulier offert par une professionnelle ou un professionnel qualifié dans le domaine de la santé mentale.

Conclusion

[21] Je conclus ce qui suit : i) la division générale n'a pas observé un principe de justice naturelle en rejetant un rapport d'expert pertinent pour un motif non étayé; ii) elle a fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle l'appelant n'avait pas suivi les recommandations de traitement pour ses problèmes de santé mentale.

[22] L’article 59 de la LMEDS énonce les réparations que la division d’appel peut accorder en appel. L’appelante a demandé que la division d’appel rende simplement la décision que la division générale aurait dû rendre et lui accorder la pension d’invalidité du RPC. En revanche, le ministre recommande une nouvelle audience devant la division générale.

[23] Après mûre réflexion, je crois que le ministre a raison. Il s’agit d’une cause qui porte ou repose en grande partie sur la preuve factuelle, qui est abondante, et j’hésite à m’éloigner de mon mandat afin d’apprécier cette preuve sur le fond. Dans l’arrêt Housen c. NikolaisenNote de bas de page 6, la Cour suprême du Canada a laissé entendre qu’une cour d’appel est loisible de remplacer l’avis du juge de première instance par la sienne seulement lorsqu’il s’agit d’une pure question de droit. De plus, je ne suis pas certain en l’espèce que l’issue aurait été différente si la division générale n’avait pas commis les erreurs mentionnées précédemment.

[24] L’affaire est renvoyée devant la division générale en vue d’une nouvelle audience.

Mode d'instruction :

Représentants :

Sur la foi du dossier

Stacy Koumarelas, représentante de l'appelante
Christian Malciw, représentant de l’intimé

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