Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] La requérante est admissible à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC) à compter d’avril 2015.

Aperçu

[2] La requérante est une femme de 34 ans. Elle est atteinte de fibromyalgie, d’une douleur chronique au bas du dos, de migraines et du syndrome du côlon irritable. Elle travaillait comme éducatrice de la petite enfance, mais est incapable de travailler depuis octobre 2012. Le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité le 8 mars 2016. Il a rejeté sa demande au stade initial et après révision. La requérante a interjeté appel de la décision découlant de la révision auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, la requérante doit répondre aux exigences prévues au RPC. Plus précisément, la requérante doit être déclarée invalide au sens du RPC à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant cette date. La PMA est calculée en fonction des cotisations que la requérante a versées au RPC et de la clause pour élever des enfants. Je constate que la PMA de la requérante se termine le 31 décembre 2020. Comme cette date est dans l’avenir, la requérante doit être jugée invalide en date de l’audience.

Question(s) en litige

[4] La requérante était-elle atteinte d’une invalidité grave, c’est-à-dire régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice en date de l’audience, en raison de sa fibromyalgie, de sa douleur chronique au bas du dos, de ses migraines et de son côlon irritable?

[5] Dans l’affirmative, l’invalidité de la requérante était-elle également d’une durée longue, continue et indéfinie en date de l’audience?

Analyse

[6] Une personne est considérée comme invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas de page 1. Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès. La personne doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité satisfait aux deux volets de ce critère; autrement dit, la requérante ne sera pas admissible à la pension d’invalidité si son invalidité n’inclut que l’un de ces volets.

Invalidité grave

[7] Je dois évaluer l’état de santé de la requérante dans sa totalité. Autrement dit, je dois tenir compte de toutes ses détériorations possibles, et non seulement des plus importantes ou de sa détérioration principaleNote de bas de page 2. En l’espèce, je vais donc évaluer l’état de la requérante dans son ensemble plutôt que chacun de ses problèmes séparément, compte tenu des interactions entre ces différents problèmes et leurs traitements.

[8] En février 2010, le docteur Naoum, chirurgien généraliste, a effectué une évaluation endoscopique et a diagnostiqué un grave syndrome du côlon irritableNote de bas de page 3. Ce diagnostic a été confirmé par l’entremise d’une gastroscopie et d’une coloscopie effectuées en mars 2010Note de bas de page 4. La requérante a affirmé qu’elle souffrait du syndrome du côlon irritable depuis l’école secondaire, et que cette affection est déclenchée par l’anxiété et continue de se manifester de façon intermittente et irrégulière chaque semaine. Cette pathologie l’affecte moins lourdement lorsqu’elle est enceinte, mais elle doit quand même surveiller son alimentation.

[9] En raison de son côlon irritable, elle ne peut tolérer les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les autres médicaments qui serviraient à soulager sa douleur chronique au bas du dos et sa fibromyalgie, comme l’a noté sa rhumatologue, la docteure Marie Clements-BakerNote de bas de page 5

[10] Le docteur Ducas, qui est son médecin de famille depuis 1992, a affirmé que les symptômes de son grave mal de dos étaient apparus après sa dernière grossesse en 2013Note de bas de page 6. Durant une conversation téléphonique qui a eu lieu en juin 2016, la requérante a affirmé qu’elle était incapable de rester couchée sur le dos depuis la naissance de son deuxième enfantNote de bas de page 7. Elle a essayé des traitements auprès d’un chiropraticien et d’un massothérapeute, sans succès. En 2016, elle a essayé la cortisone pour sa douleur à la hanche et au dosNote de bas de page 8, mais le traitement ne l’a pas aidée. Elle a essayé le yoga et la méditation de pleine conscience, et a noté dans son questionnaire qu’il lui était impossible de rester couchée pendant une séance de yoga en entierNote de bas de page 9.

[11] Le docteur Ducas a affirmé que la requérante avait reçu un diagnostic de fibromyalgie le 6 octobre 2015Note de bas de page 10, et la docteure Clements-Barket a noté en août 2016 que la douleur diffuse était présente dans tout son corps depuis cinq ansNote de bas de page 11, ce qui signifierait que cette douleur était déjà présente alors que la requérante travaillait.

[12] D’après le docteur Ducas, qui la traite depuis 1992, la requérante a des antécédents de migrainesNote de bas de page 12. Elle affirme qu’elle avait reçu un diagnostic de trouble de l’articulation temporo-mandibulaire et porte une orthèse buccale. Il est raisonnable que son trouble de l’articulation temporo-mandibulaire, soit le grincement de ses dents, lui cause des migraines. Par contre, la requérante affirme qu’elle souffre de migraines une ou deux fois par semaine et qu’elles peuvent durer jusqu’à trois jours. Elle a affirmé qu’on lui avait dit que la fibromyalgie et le spondylolisthésis dont elle souffre peuvent entraîner des migraines.

[13] À partir d’août 2017, la docteure Clements-Baker a essayé des injections mensuelles du TFN (Simponi) pour soulager la requéranteNote de bas de page 13. En décembre 2017, la docteure Clements-Baker a noté d’importants effets secondaires causés par le Simponi, un médicament biologique. Ces effets comprenaient des migraines, des nausées et une infection des voies respiratoires supérieures ayant nécessité trois traitements d’antibiotiquesNote de bas de page 14.

[14] En 2016, le docteur Ducas a déclaré que les symptômes de la requérante étaient chroniques et difficilement traitables, et que leur traitement au moyen de médicaments conventionnels avait largement échoué jusqu’à ce jourNote de bas de page 15. Comme je l’ai précisé plus haut, la requérante a malgré tout continué d’essayer des traitements jusqu’à la fin de 2017, même s’ils se sont avérés vains et ont exacerbé certains de ses problèmes existants, comme ses migraines, en plus d’avoir causé d’autres affections comme son infection des voies respiratoires supérieures.

[15] La requérante a déclaré que la docteure Clements-Baker était responsable de l’ensemble de ses soins de santé, ce qui est manifeste d’après les nombreuses lettres de la médecin à partir de 2016Note de bas de page 16, qui montrent qu’elle cherchait activement un traitement adéquat pour les multiples problèmes de santé de sa patiente et appuyait son appel en matière d’invalidité. Dans sa dernière lettre datant de janvier 2018Note de bas de page 17, la docteure Clements-Baker note des limitations du mouvement touchant la hanche de la requérante et le bas de sa colonne vertébrale, ainsi que l’apparition d’un syndrome douloureux concomitant qui diminuait encore davantage ses capacités fonctionnelles. Elle affirme qu’il sera dorénavant très difficile de traiter la requérante compte tenu de ses réactions aux médicaments et de sa capacité limitée à prendre des médicaments en raison de ses autres problèmes médicaux.

[16] Pendant l’audience, la requérante a expliqué qu’on lui avait fait prendre de la marijuana thérapeutique (huile CanniMed) en novembre 2017Note de bas de page 18, ce qui avait interféré avec sa contraception. Elle est maintenant enceinte de son troisième enfant et doit accoucher en septembre 2018.

[17] La docteure Clements-BakerNote de bas de page 19 et le docteur DucasNote de bas de page 20 ont tous deux posé un diagnostic de douleur chronique, et plus précisément de syndrome douloureux concomitant. Il a été établi en 2010 que son syndrome du côlon irritable était graveNote de bas de page 21, et elle ne peut tolérer les antidouleurs nécessaires en raison de son côlon irritable. Aucun traitement n’a porté ses fruits, et la requérante a essayé un éventail de traitements et continue de souffrir de toutes ses affections, une série de traitements difficile, comme l’a noté la docteure Clements-Baker en janvier 2018Note de bas de page 22.

[18] Je prends aussi acte qu’un permis de stationnement pour personnes handicapées, valide jusqu’au 5 décembre 2022, a été accordé à la requérante le 18 décembre 2017.Note de bas de page 23

Capacité de travail

[19] L’existence d’une invalidité « grave » chez une personne ne repose pas sur la présence de problèmes de santé graves, mais bien sur la question de savoir si son invalidité l’empêche de gagner sa vie. On ne cherche pas à savoir si elle est incapable d’occuper son emploi habituel, mais plutôt incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 24.

[20] Il y a des divergences quant aux dates où la requérante travaillait. Elle a travaillé dans différentes garderies pendant six ou sept ans après ses études collégiales. Elle a ensuite déménagé à X, où elle a obtenu et occupé pendant trois ans un emploi à temps plein dans une seule et même garderie. Ses tâches nécessitaient qu’elle soulève les enfants et les aide à manger, à faire la sieste, et à aller aux toilettes. Il s’agit d’un emploi de nature physique.

[21] En mars 2011, la requérante a accouché de sa première fille et a pris un congé de maternité complet. Elle a affirmé qu’elle était incapable, à l’époque, de s’endormir sur son dos juste après l’accouchement en raison de l’injection qui avait été administrée dans sa colonne vertébrale aux fins de la césarienne. On lui avait dit que son dos irait mieux après six mois, mais elle a trouvé que son état s’est aggravé.

[22] La requérante a affirmé qu’elle a repris le travail en automne 2011 à la garderie X. Cet emploi était censé être à temps plein, mais son côlon irritable lui causait des ennuis et elle devait faire des pauses fréquentes et quitter la salle de classe toutes les 30 minutes. Elle avait continué d’y travailler à temps plein pendant un ou deux mois. Elle avait ensuite apporté du soutien auprès de différentes garderies. La requérante a expliqué que les programmes parascolaires sont régis par la commission scolaire et qu’on la faisait travailler des quarts fractionnés à temps partiel à différents endroits, comme X. En tout, elle avait travaillé chez X pendant un an et avait complètement arrêté de travailler vers octobre 2012. À ce stade, elle était physiquement incapable de s’asseoir sur le sol avec les enfants, ce qui était nécessaire dans le cadre de son travail.

[23] En plus de son travail à la garderie, la requérante a aussi travaillé comme comptable. Vers la fin de 2011 et au début de 2012, elle a fait du classement et de la comptabilité pendant la saison des impôts pour son cousin, travaillant depuis le bureau au domicile de ce dernier. Après la saison fiscale, leur collaboration a pris fin comme la requérante était incapable de se pencher pour classer des documents. 

[24] La requérante a affirmé qu’elle avait, en 2012, étudié la possibilité de retourner aux études afin de suivre une formation pour une autre profession qu’elle serait physiquement capable de faire. Elle en avait discuté avec son médecin pour savoir ce qu’elle serait capable de faire. Elle avait considéré du travail de bureau, mais il lui serait impossible de rester assise longtemps.

[25] Après avoir arrêté de travailler en octobre 2012, la requérante n’a pas touché de prestations d’assurance-emploi. En juin 2013, elle a donné naissance à son deuxième enfant, de nouveau par césarienne; depuis, elle a de la difficulté à marcher à cause de la douleur chronique et souffre de migraines. Elle a affirmé qu’elle avait regardé les emplois offerts en ligne chez X et X et qu’elle avait examiné les descriptions des postes, mais avait jugé qu’elle n’était pas en mesure de satisfaire aux exigences pour soulever du matériel. Elle avait postulé un emploi dans un centre de soins de jour, où elle n’aurait pas besoin de soulever de charges et devait seulement accompagner les adultes dans leurs sorties, durant la journée. Quand l’employeur a demandé à la requérante si elle avait des limitations, elle lui avait dit que ses jambes s’engourdissaient. Elle n’est jamais passée à l’étape de l’entrevue officielle.

[26] En avril 2016, le docteur Ducas a noté que la requérante avait arrêté de travailler en raison de la gravité de ses douleurs musculaires diffuses et de sa grave douleur au bas du dos. Il avait alors précisé que ses symptômes étaient chroniques et difficiles à traiterNote de bas de page 25. Il a été établi que la requérante souffre toujours de douleur chronique et du syndrome du côlon irritable. En juillet 2017, la docteure Clements-Baker a noté qu’il n’y avait aucun moyen, vu son état, que la requérante puisse reprendre un emploiNote de bas de page 26. Elle avait ensuite essayé d’autres médicaments biologiques qui, eux aussi, n’étaient pas parvenus à aider la requérante. En janvier 2018, la docteure Clements-Baket a déclaré la requérante inapte au travailNote de bas de page 27.

[27] On pourrait penser que la position initiale de la docteure Clements-Baker signifiait que la requérante était incapable de reprendre son emploi habituel d’éducatrice de la petite enfance. Cependant, je juge que la dernière opinion, formulée en 2018 par la médecin, révèle que la requérante est complètement inapte à travailler. J’admets l’opinion de la docteure Clements-Baker, comme il a été établi qu’elle est une spécialiste ayant continuellement suivi la requérante depuis 2015 et ayant cherché à traiter tous ses problèmes de santé, et pas juste la fibromyalgie.

[28] Selon le registre des gains de la requéranteNote de bas de page 28, ses gains de 22 296 $ en 2008 en font son année la plus lucrative. En 2011 et 2012, elle n’a même pas gagné assez d’argent pour atteindre le seuil minimal des gains annuels ouvrant droit à pension. Le potentiel de gains de la requérante a baissé de façon constante à compter de 2008, puis a radicalement chuté en 2010. Il a aussi été noté qu’elle n’avait pas bénéficié d’un congé de maternité durant cette période.

[29] Il me faut évaluer dans un contexte réaliste le volet du critère se rapportant à la gravité de l’invaliditéNote de bas de page 29. Ainsi, pour déterminer si une personne est atteinte d’une invalidité grave, je dois tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. 

[30] La requérante est une très jeune femme à qui il reste bien des années avant la retraite. Elle a fait deux ans d’études collégiales pour devenir éducatrice à la petite enfance et a aussi terminé un programme de certificat d’un an en autisme et science du comportement. Eu égard àson âge, à son éducation et à ses aptitudes linguistiques, la requérante est très bien placée pour se recycler et trouver un emploi véritablement rémunérateur. Elle possède des compétences transférables puisqu’elle a travaillé en comptabilité ainsi que comme caissière dans des magasins de détail et comme éducatrice en garderie.

[31] Tous les facteurs du monde réel étayeraient une capacité à détenir une occupation rémunératrice. Malgré tout, en tenant compte de ses limitations pour se pencher et rester assise, de sa douleur chronique, des poussées irrégulières de son côlon irritable nécessitant des pauses imprévues et de ses limitations sur le plan du mouvement, et en considérant les opinions de ses deux médecins, je conclus que la requérante serait incapable de se recycler ou de trouver un emploi convenable pour des raisons de santé.

[32] Je constate que la requérante a essayé tous les traitements recommandés, sans succès. Elle a démontré qu’elle est incapable d’occuper son emploi habituel d’éducatrice à la petite enfance, et sa spécialiste, la docteure Clements-Baker, l’a jugée incapable d’occuper tout type d’emploi.

[33] Je conclus que la requérante a prouvé qu’elle est atteinte d’une invalidité grave qui la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Invalidité prolongée

[34] La requérante a reçu un diagnostic de côlon irritable en 2010 et un diagnostic de fibromyalgie, une affection permanente, en 2015. Elle est toujours atteinte de ces deux problèmes de santé à l’heure actuelle.

[35] Le docteur Ducas a conclu en 2016 que les problèmes de santé de la requérante étaient chroniquesNote de bas de page 30, et la docteure Clements-Baker a conclu qu’un syndrome douloureux concomitant était apparu en date de 2018Note de bas de page 31. En dépit des traitements suivis au cours de nombreuses années, la douleur s’était développée pour donner lieu à des pathologies concomitantes.

[36] Je conclus que la requérante est atteinte d’une invalidité prolongée qui doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie.

Conclusion

[37] La requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en octobre 2012, moment où elle a cessé de travailler. Cependant, aux fins du calcul de la date pour le versement de la pension, une personne ne peut être réputée invalide plus de 15 mois avant que le ministre n’ait reçu la demande de pensionNote de bas de page 32. La demande a été reçue en mars 2016 et la date réputée de l’invalidité est donc décembre 2014. La pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité; son versement commencera donc en avril 2015Note de bas de page 33.

[38] L’appel est accueilli.

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