Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] L’appelante a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) qui lui sera versée rétroactivement à partir d’avril 2013.

Aperçu

[2] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC en mars 2014Note de bas de page 1. Elle était âgée de 38 ans et mère de deux fillettes. Elle a déclaré qu’elle était invalide en raison d’anxiété et d’insomnie depuis qu’elle avait cessé de travailler, en août 2010, du fait que sa médication et son manque de sommeil affectaient sa mémoire et lui causaient de la difficulté à se concentrerNote de bas de page 2. Le ministre a rejeté cette demande au stade initial ainsi qu’après réexamen, et l’appelante a interjeté appel de la décision de réexamen devant le Tribunal de la sécurité sociale. L’appel a été accueilli par la division générale du Tribunal en octobre 2016. En appel par le ministre, la division d’appel du Tribunal a jugé que la division générale avait commis des erreurs de droit. L’affaire a alors été renvoyée à la division générale pour révision. Une nouvelle audience a été tenue en octobre 2018.

[3] Aux termes du Régime de pensions du Canada (le « Régime »), une personne est déclarée invalide si elle a une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est « grave » que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner invraisemblablement le décèsNote de bas de page 3. Le demandeur d’une pension d’invalidité du RPC doit prouver qu’il est devenu invalide au plus tard à la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), laquelle est déterminée en fonction de ses cotisations au RPC. La PMA de l’appelante prendra fin le 31 décembre 2021Note de bas de page 4. Comme cette date est dans l’avenir, il faut que l’appelante ait été déclarée invalide au plus tard avant la date de la présente audience.

Questions en litige

[4] L’appelante a-t-elle une invalidité grave au sens où elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice?

[5] Dans l’affirmative, l’invalidité devrait-elle vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie?

Analyse

[6] L’appelante et son mari, M. S., ont témoigné aux deux audiences tenues par la division générale. Ils ont répondu aux questions avec franchise et, je crois, au mieux de leur capacité. Ils ont tous deux pris soin de ne pas faire de déclarations sur des événements dont ils ne se souvenaient pas, et j’accepte qu’avec le temps ils ne se souvenaient honnêtement pas de nombreux détails, en particulier en ce qui concernait les traitements reçus par l’appelante. Leur témoignage était plausible, et leur description de la condition de l’appelante concordait généralement avec celle que les médecins de l’appelante ont consignée et ont observée au fil des ans. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, y compris les témoignages et observations faits aux précédentes audiences, je suis convaincue que l’appelante a une invalidité grave et prolongée depuis juin 2011.

Invalidité grave

L’appelante a d’importants problèmes de santé mentale.

[7] L’appelante a depuis longtemps un diagnostic de trouble d’anxiété généralisée et d’insomnie chronique sévère, avec un historique d’épisodes dépressifs et de crises de panique isoléesNote de bas de page 5. Elle a déclaré qu’elle souffrait d’anxiété depuis l’enfance et qu’elle avait ultérieurement développé un trouble d’insomnie. Sa condition et les médicaments qu’elle prend pour la contrôler lui causent de la fatigue, des pertes de mémoire, une inquiétude excessive et une incapacité à se concentrer. Elle a témoigné qu’au fil des ans ces limitations ont nui à sa scolarité et à son emploi. Elle n’a pas terminé un programme de formation pour devenir X et a tout juste réussi à terminer un programme en administration. Elle n’a pas progressé au-delà d’emplois de premier échelon et elle n’a pas occupé longtemps nombre de ces emplois parce qu’on l’a congédiée ou parce qu’elle quittait l’emploi avant de se faire renvoyer. Bien que les emplois qu’elle ait occupés comportaient des tâches de bureau et administratives assez simples, elle n’a jamais eu confiance en ses capacités, commettait des erreurs et était submergée par l’anxiété. Elle pense qu’elle a été capable de continuer de trouver de nouveaux emplois parce qu’elle est aimable et qu’elle avait toujours confiance en elle au début. Elle choisissait soigneusement ses références et utilisait les noms d’employeurs pour qui elle avait travaillé dans le cadre de contrats de courte durée et qui avaient pris fin à l’échéance du contrat et non en raison de son rendement ou parce qu’elle avait démissionné.

[8] C’est dans le secteur de l’assurance que l’appelante a occupé son dernier emploi. Cet emploi comprenait du service à la clientèle, l’administration des nouvelles prestations et la saisie de données. Elle a commencé à occuper cet emploi en novembre 2009 et a cessé en août 2010. Elle était alors enceinte cinq mois et demis de son premier enfant. Elle a déclaré que la date prévue de l’accouchement était fin novembre 2010 et qu’elle avait prévu de travailler jusqu’à la date la plus rapprochée de la naissance. Toutefois, à mesure que sa grossesse avançait, elle avait des crampes et ressentait une anxiété grandissante et, au mois d’août, son médecin de famille, la Dre Budzianowski-Kwiatkowski, a recommandé qu’elle arrête de travailler plus tôt. L’appelante s’est alors mise en congé d’invalidité de courte durée ou en congé de maladie et n’est pas retournée travailler jusqu’à ce que son congé de maternité commence, en novembre. Comme je l’ai dit plus haut, j’ai trouvé l’appelante crédible et je retiens ses déclarations comme véridiques. Bien que le relevé d’emploi de l’appelante semble dire qu’elle ait quitté son emploi parce qu’elle partait en congé de maternitéNote de bas de page 6, j’estime qu’elle a en fait quitté son emploi plus tôt que prévu en raison de sa santé, y compris l’anxiété.

[9] Le congé de maternité de l’appelante allait prendre fin en décembre 2011Note de bas de page 7. Elle a déclaré qu’elle avait fait les arrangements nécessaires pour faire garder sa fillette et que sa mère était disponible en renfort. Sa famille avait besoin de son revenu et elle avait l’intention de retourner travailler comme prévu. Il est possible qu’elle aurait été capable de retourner à l’emploi qu’elle occupait auparavant et de se débrouiller avec cet emploi ou d’en trouver rapidement un autre, comme elle l’avait déjà fait par le passé. Toutefois, au printemps de 2011, l’appelante a décidé de se faire tester pour un cancer héréditaire en raison d’une mutation génique connue dans sa famille. Elle n’avait pas voulu subir ce test auparavant, mais elle a décidé de le subir du fait que sa fille pouvait aussi être affectée. Le test à subir et la probabilité de 50 % qu’on lui trouve la mutation ont accentué son anxiété. Cela a empiré lorsqu’elle a appris qu’elle avait la mutation génique BCRA1, qui accroît sensiblement son risque de développer un cancer du sein et des ovaires.

[10] Cela a créé une toute nouvelle source d’inquiétude pour l’appelante : la crainte de contracter la maladie, la nécessité de décider de procéder ou non à une ablation prophylactique de seins et des ovaires, et le fait que sa fille et tout autre enfant qu’elle aurait auraient 50 % de chance d’avoir aussi la mutation génique. L’appelante a déclaré que pendant les premiers mois, elle s’est raisonnablement bien débrouillée avec le travail et pour prendre soin de sa fille, qui dormait la majeure partie de la journée. Sa capacité de composer avec l’anxiété s’est détériorée après qu’à un moment donné la Dre Budzianowski-Kwiatkowski lui a conseillé de ne pas retourner travailler à la fin du congé de maternité. Il semble que cela se soit produit en juin 2011Note de bas de page 8.

[11] Comme on l’explique ci-après, il ressort de la preuve que, depuis cette date, l’appelante a continué de souffrir d’anxiété et d’insomnie et que ces affections se répercutent quotidiennement sur sa capacité fonctionnelle.

L’appelante n’a pas la capacité de travailler.

[12] Pour déterminer si l’invalidité de l’appelante est « grave », on ne doit pas se demander si l’appelante souffre de graves déficiences mais plutôt si l’invalidité l’empêche de gagner sa vie. Il faut que l’appelante soit régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, et pas juste incapable d’accomplir le travail de son ancien emploiNote de bas de page 9. Il me faut donc décider si l’appelante a une quelconque capacité de travailler. Ce faisant, il me faut tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vieNote de bas de page 10.

[13] À première vue, l’appelante semble une candidate peu probable à l’obtention d’une pension d’invalidité du RPC. À 43 ans, elle est encore assez jeune. Sa langue maternelle est l’anglais. Elle a un diplôme d’études secondaires et un diplôme en administration d’un collège communautaire. Bien qu’elle souffre depuis longtemps de problèmes de santé mentale, elle a occupé un emploi rémunéré chaque année entre les âges de 18 et 35 ans. Néanmoins, la preuve me convainc que, malgré ces attributs positifs, l’appelante n’est plus régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[14] Lorsque l’appelante a cessé de travailler en août 2010, elle avait de la difficulté dans son emploi, alors qu’elle travaillait comme représentante du service à la clientèle, à l’administration des nouvelles prestations et à la saisie des données. Elle a témoigné qu’on lui avait fait des remarques au sujet de son rendement au travail. Dans un questionnaire sur l’emploi, son employeure a déclaré que son travail était insatisfaisant, qu’elle faisait des erreurs dans l’entrée des données, qu’elle ne comprenait pas son rôle, qu’elle avait une faible assiduité et qu’elle avait besoin de l’aide de ses collègues de travail. Elle n’avait pas la capacité de satisfaire aux exigences de son emploi et sa période de probation avait été prolongéeNote de bas de page 11.

[15] En décembre 2011, la Dre Budzianowski-Kwiatkowski a noté que la dépression, l’anxiété et l’insomnie chroniques de l’appelante lui causaient des problèmes continus d’agitation diurne, d’anxiété, de grande fatigue et de totale insomnie. L’appelante a continuellement de la difficulté à s’occuper de sa fille et avait besoin de beaucoup d’aide de la part d’amis et de membres de la famille; elle avait aussi de la difficulté à prendre soin d’elle-même et de la difficulté à fonctionner au quotidien. La Dre Budzianowski-Kwiatkowski ne pensait pas que l’appelante serait capable d’occuper un quelconque emploi dans son état actuelNote de bas de page 12.

[16] La preuve médicale corrobore le témoignage de l’appelante et de son mari selon lequel l’état de l’appelante ne s’est jamais amélioré au point de la rendre capable d’occuper un emploi, quel qu’il soit. D’octobre 2011 à juillet 2012, l’appelante a vu la Dre Guan, une psychiatre dans une clinique de traitement de la santé mentale génésique (santé reproductive). Lorsqu’elle est tombée enceinte de son deuxième enfant, début 2013, l’appelante a été adressée à la Dre Bowering, une autre psychiatre de la même clinique. En mai 2013, la Dre Bowering a mentionné qu’elle avait accès aux notes de la Dre Guan. Cette dernière a décrit les « antécédents bien documentés d’anxiété généralisée et un historique de dépression de l’appelante. L’appelante avait une anxiété sociale axée sur le rendement et ruminait des événements négatifs. Elle vivait sous le joug de l’anxiété généralisée et [traduction] « presque tout ce qu’elle faisait, elle le faisait à travers les lentilles de l’anxiété et de l’inquiétude. » Elle se mettait dans un tel état de contrariété qu’elle en devenait physiquement malade, ce qui lui causait une insomnie chronique consécutive à l’anxiété, laquelle nuisait à sa concentration. Elle avait très peu d’énergieNote de bas de page 13.

[17] L’appelante a vu la Dre Bowering tous les trois mois pendant les deux années et demie suivantes. Elle déclarait parfois une amélioration dans certains aspects, mais elle continuait d’avoir des limitations significatives en raison de son anxiété et de son incapacité de dormirNote de bas de page 14. Il n’y avait pas beaucoup d’analyse de sa capacité de travailler, probablement parce que l’appelante avait été approuvée pour des prestations d’invalidité de longue durée en février 2012Note de bas de page 15. Toutefois, en octobre 2014, la Dre Bowering a eu une longue discussion avec l’appelante au sujet de son retour au travail. L’appelante a décrit l’état d’anxiété et d’épuisement dans lequel elle se trouvait chaque jour après n’avoir accompli que quelques tâches, et elle s’est dite préoccupée par la façon dont elle composerait avec cela dans un milieu de travail. Elle était également anxieuse au sujet des opérations qu’elle avait décidé d’avoir. La Dre Bowering a déclaré qu’elle ne pensait pas qu’un retour au travail, même graduel, réussirait, mais que la situation pourrait être réévaluée une fois que l’appelante aurait subi sa chirurgie et aurait récupéréNote de bas de page 16. Lorsque l’appelante a vu la Dre Bowering pour la dernière fois, en octobre 2015, elle était toujours aux prises avec un trouble d’anxiété généralisée et des problèmes de sommeil chroniques. Elle était facilement débordée, très fatiguée, avait les idées embrouillées et avait du mal à se concentrerNote de bas de page 17.

[18] L’appelante a obtenu son congé des soins de la Dre Bowering après cela parce que le programme visait l’administration de soins psychiatriques prénatals et postnatals et que sa deuxième fille était alors âgée de presque deux ans. L’appelante s’est souvenue d’avoir vu des psychiatres après cela, mais elle ne se souvenait pas des détails, juste qu’aucun d’eux ne semblaient bien lui convenir. Elle s’est souvenue qu’elle ne s’est pas bien entendue avec la Dre Daszkiewicz, qu’elle a vue en novembre 2016. Elle n’est pas retournée pour un deuxième rendez‑vous et la Dre Budzianowski-Kwiatkowski l’a adressée à quelqu’un d’autre. L’appelante ne se souvenait pas d’avoir vu la Dr Hameer en janvier 2017. La Dre Daszkiewicz et la Dr Hameer ont toutes deux indiqué que l’appelante déclarait une persistance de son anxiété et de son insomnie. À la Dre Daszkiewicz, l’appelante a déclaré qu’elle était constamment inquiète et à la Dr Hameer, elle a déclaré qu’elle manquait d’énergie et qu’elle avait de la difficulté à se concentrerNote de bas de page 18.

[19] J’ai tenu compte du fait que les psychiatres de l’appelante l’ont décrite en termes positifs, disant d’elle qu’elle était aimable, coopérative, cohérente, orientée vers des buts et d’une apparence soignée et qu’elle avait une bonne capacité d’introspection et de jugement. Je ne crois cependant pas que cela porte à conclure que l’appelante ait la capacité de travailler. Il se peut qu’elle fasse bonne impression de prime abord, mais elle ne s’en est pas bien sortie dans son précédent emploi, en raison de son anxiété et de son insomnie. Depuis qu’elle a cessé de travailler, son anxiété s’est accentuée et elle continue de faire de l’insomnie sévère.

[20] Je me suis aussi demandée si le fait que l’appelante était la personne principale qui s’occupait de ses deux filles depuis leur naissance était une indication qu’elle avait une capacité de travailler. Bien que cela soit vrai dans certains cas, je ne crois pas que ce soit le cas ici. L’appelante s’en sort avec beaucoup d’aide de la part d’amis et de membres de la famille. Elle a déclaré que certains jours sont mieux que d’autres, mais elle ne sait jamais quand. Chaque journée est différente et souvent elle doit appeler sa mère à la dernière minute pour lui demander de venir. Si sa mère n’est pas disponible, c’est son mari qui revient tôt à la maison ou qui s’absente carrément du travail. Ses journées sont un peu plus gérables maintenant que ses filles sont à l’école à temps plein, mais ses limitations ont toujours un impact significatif sur sa vie de tous les jours. Ses filles arrivent souvent en retard à l’école parce qu’elle ne peut les y conduire à temps si elle n’a pas dormi la veille. Elle doit faire des siestes tous les jours. Il lui arrive souvent d’oublier d’aller chercher ses filles. Elle se fait des notes et règle des alarmes pour presque tout. Elle ne fait pas régulièrement de bénévolat à l’école parce qu’elle ne peut s’engager à quoi que ce soit. Au mieux, elle s’inscrira à un événement particulier, et elle pourrait annuler sa participation à la dernière minute. Elle a déclaré qu’à l’école de ses filles elle peut compter sur un groupe d’amis qui la soutiennent, qui comprennent sa situation et qui l’aident au besoin. À la maison, elle s’efforce de faire le strict minimum pour ce qui est des tâches ménagères et de cuisiner les repas, mais il lui faut parfois se mettre au lit dès que son mari revient à la maison, à 18 h 15. Dans de telles circonstances, je ne crois pas que la capacité de l’appelante de fonctionner à la maison et de prendre soin de ses enfants soit une preuve de sa capacité de travailler.

[21] L’appelante a témoigné qu’en 2014 elle a pris part à un programme de réadaptation professionnelle qui comportait des séances de thérapie cognitivo‑comportementale et de nombreuses visites à domicile par une ergothérapeute. Il a été déterminé qu’elle n’était pas capable de retourner à son emploi et la compagnie d’assurance a décidé de ne plus couvrir les frais de sa thérapie. Bien qu’il n’y ait pas de rapport sur la réadaptation professionnelle au dossier, j’accepte le témoignage de l’appelante selon lequel cela s’est produit. Cela a aussi été confirmé par la Dre Budzianowski-KwiatkowskiNote de bas de page 19. Sans être concluant, le fait que l’appelante ait été jugée incapable d’accomplir les tâches d’un poste de premier échelon dans un environnement de travail favorable et accommodant par un fournisseur d’assurance ayant un intérêt financier à la faire retourner au travail a un certain poids.

[22] En mai 2018, la Dre Budzianowski-Kwiatkowski a examiné l’état général de l’appelante et a déclaré qu’elle souffrait de graves problèmes d’anxiété, d’insomnie sévère et de fatigue chronique et que son état s’était aggravé après la naissance de son premier enfant. Elle ne pensait pas que l’appelante serait capable de toute activité productive à temps plein ou partielNote de bas de page 20. Le ministre a soutenu que ce rapport avait peu de valeur du fait que la Dre Budzianowski-Kwiatkowski n’avait pas fait mention d’éléments probants sur lesquels reposait son opinion. Au contraire, la Dre Budzianowski-Kwiatkowski a cité les rapports de la Dre Bowering, ses propres notes consignées dans le dossier médical de l’appelante, le plan de retour au travail de l’appelante et ses séances à la clinique du sommeil. Le ministre n’a présenté aucune preuve que la Dre Budzianowski-Kwiatkowski inventait de toutes pièces ou imaginait ce qui s’était produit ou encore qu’elle n’était pas qualifiée pour citer d’autres preuves médicales dans son propre rapport. Je considère que son rapport est un résumé valable des antécédents médicaux de l’appelante jusqu’à aujourd’hui. Ayant été le médecin de famille de l’appelante et l’ayant vue fréquemment pendant 12 ans, la Dre Budzianowski-Kwiatkowski est tout à fait qualifiée pour évaluer la capacité de travailler de l’appelante.

[23] Bien que l’appelante ait des périodes où elle est fonctionnelle et semble capable de s’occuper de ses enfants avec une certaine aide, lorsque je fais une évaluation réaliste de sa valeur pour un employeur, j’en arrive à la conclusion qu’elle n’a aucune capacité de travailler. Elle s’en sortait mal à son précédent emploi de premier échelon puisqu’elle a été forcée de quitter pour des raisons de santé. Depuis, son état s’est aggravé : elle a eu deux enfants et a des craintes dévastatrices au sujet de sa santé qui l’affectent elle et ses filles. Ses facteurs de stress ont grandement accentué son anxiété et, à mon avis, ont éliminé toute capacité de travail qu’elle aurait pu avoir depuis qu’elle a cessé de travailler en août 2010. Elle est chroniquement incapable de dormir, ce qui lui cause un « brouillard » mental et de l’épuisement presque tous les jours. Dans ses bons jours, il lui faut quand même dormir pendant la journée; elle commet, comme parent, des erreurs qui ne seraient pas tolérées dans un milieu de travail et elle s’en remet souvent à autrui pour prendre sa relève. Sa personnalité attachante pourrait signifier qu’elle peut convaincre quelqu’un de l’embaucher, mais il est peu probable qu’elle serait capable de conserver un emploi. En raison de son état de santé, il lui serait difficile de se rendre régulièrement au travail ou de travailler de façon compétente et productive.

[24] L’appelante est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Puisqu’il n’y a pas de preuve de capacité de travailler, il n’est pas nécessaire à l’appelante de prouver qu’elle a essayé de retourner au travail et que ses efforts en ce sens n’ont pas porté fruit en raison de son état de santéNote de bas de page 21. Et même s’il lui incombait de prouver cela, elle se serait acquittée de cette charge de par sa tentative infructueuse de réadaptation professionnelle.

L’appelante a raisonnablement suivi les recommandations de traitement.

[25] De nombreux rapports médicaux font état des traitements poussés de l’appelante, lesquels ont été résumés par la Dre Budzianowski-Kwiatkowski en mai 2018Note de bas de page 22. L’appelante a essayé de nombreuses médications et a souffert des effets secondaires de la plupart des médicaments. Des thérapeutes et des psychiatres ont étudié son sommeil et lui ont fait suivre une thérapie cognotivo‑comportementale, un traitement par rétroaction biologique (biofeedback) et des séances de counseling psychologique. Aucun traitement n’a fonctionné de façon durable dans son cas.

[26] J’estime que le fait que l’appelante ne soit pas retournée voir la Dre Daszkiewicz était raisonnable dans sa situation. Elle n’avait pas établi un bon rapport avec la praticienne. La Dre Budzianowski-Kwiatkowski a compris cela et lui a proposé de l’adresser à quelqu’un d’autre. Je considère que les éventuels trous dans les soins psychiatriques de l’appelante résultent des listes d’attente — l’appelante figure actuellement sur une liste d’attente — et de la difficulté à trouver quelqu’un avec qui elle peut établir une relation thérapeutique satisfaisante. L’appelante s’est montrée prête et disposée à essayer tout traitement qui lui a été suggéré.

Invalidité prolongée

[27] L’invalidité de l’appelante devrait vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie. Lorsqu’elle a cessé de travailler une première fois, son pronostic était bonNote de bas de page 23, mais son état ne s’est pas amélioré. En mai 2014, la Dre Bowering a pensé que son état pourrait s’améliorer lentement avec une thérapie cognitivo‑comportementale continue et un essai de médicationNote de bas de page 24. Toutefois, ces options n’ont pas procuré d’avantages durables. En octobre 2014, la Dre Bowering ne pensait pas qu’il valait la peine de réévaluer la capacité de travailler de l’appelante tant qu’elle n’aurait pas subi ses importantes chirurgiesNote de bas de page 25. L’appelante a subi une double mastectomie en décembre 2016, mais on ne lui a pas encore programmé de chirurgie pour l’ablation des ovaires. Elle ignore à quel moment elle sera opérée pour cela. En outre, la Dre Budzianowski-Kwiatkowski a déclaré qu’après l’ovariectomie, l’appelante entrerait dans une ménopause chirurgicale, laquelle accentuera probablement son anxiété et son insomnie et pourrait lui causer un grave état dépressifNote de bas de page 26.

[28] Les limitations de l’appelante l’ont rendue incapable de travailler pendant plus de sept ans. Elle a essayé tous les traitements disponibles Il y a plus de chance que son état s’aggrave qu’il ne s’améliore. Son affection est prolongée.

Conclusion

[29] L’appelante avait une invalidité grave et prolongée en juin 2011, lorsque la Dre Budzianowski‑Kwiatkowski a déterminé qu’elle ne devrait pas retourner travailler après la fin de son congé de maternité. Toutefois, aux fins de la détermination de la date de début du versement de la pension d’invalidité, l’appelante ne peut être déclarée invalide plus de 15 mois avant que le ministre ait reçu sa demandeNote de bas de page 27. La demande a été reçue en mars 2014, de sorte que la date réputée de déclaration de l’invalidité de l’appelante est décembre 2012. Les paiements commencent quatre mois après la date réputée de déclaration d’invalidité, soit en avril 2013Note de bas de page 28.

[30] L’appel est accueilli.

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