Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli et l’appelante a droit à une pension d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada(RPC).

Aperçu

[2] L’appelante, R. D., travaillait comme agente de contrôle dans un petit aéroport lorsque, en septembre 2011, elle a chuté au travail. À la suite de l’accident, l’appelante a tenté à plusieurs reprises de reprendre le travail, mais sa dernière tentative a pris fin en septembre 2013. En juillet 2015, l’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du RPC, indiquant qu’elle était incapable de travailler en raison de sa douleur au dos, aux genoux et à la cheville droite, de la dépression et de troubles du sommeil. Parmi ses nombreuses déficiences fonctionnelles, l’appelante a dit qu’elle était incapable de s’asseoir, de se tenir debout ou de marcher pendant de longues périodesNote de bas de page 1.

[3] L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelante aux niveaux initial et de réexamen. Ultérieurement, la division générale du Tribunal a rejeté un appel de la décision du ministre. J’ai toutefois accordé la permission d’en appeler parce que la division générale aurait pu oublier des documents médicaux importants lorsqu’elle a rendu sa décision.

[4] Je conclus maintenant que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée et que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. À mon avis, l’appelante a prouvé qu’elle a droit à une pension d’invalidité du RPC.

Question préliminaires

[5] Au cours de l’audience devant moi, le représentant de l’appelante a voulu souligner les faiblesses d’une évaluation des capacités de travail propres à un emploi / évaluation de la capacité de travail générale menée par Megan McLaughlin, ergothérapeute à Travail sécuritaire NB, la société d’État du Nouveau-Brunswick qui s’occupe notamment de la réadaptation des travailleurs et leur verse une indemnisation lorsqu’ils subissent des blessures au travailNote de bas de page 2. La représentante du ministre s’est opposée à cette observation, en affirmant qu’il s’agissait d’un nouveau moyen d’appel et qu’il ne devrait pas être soulevé pour la première fois à l’audience de la division d’appel.

[6] Le représentant de l’appelante a précisé qu’il n’avait pas l’intention de soulever un nouveau moyen d’appel, mais qu’il estimait néanmoins important de faire valoir ses arguments si je devais être en mesure de soupeser à nouveau la preuve.

[7] J’ai refusé d’écouter l’argument du représentant de l’appelante pendant que les parties discutaient des moyens d’appel allégués. Toutefois, j’ai accepté d’écouter son argumentation lorsque le sujet s’est transformé en discussion de mes pouvoirs réparateurs. Plus particulièrement, le représentant de l’appelante semblait convenir que son argument ne deviendrait pertinent que si je concluais d’abord que la division générale avait commis une erreur justifiant mon intervention et que je devais exercer mes pouvoirs pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Ce n’est qu’alors que j’ai pu apprécier de nouveau la preuve relative à la capacité de travailler de l’appelante.

[8] La représentante du ministre a répondu aux observations de l’appelante à l’audience, mais j’ai également accueilli sa demande de fournir une réponse écrite supplémentaire dans les deux semaines suivant l’audienceNote de bas de page 3.

Questions en litige

[9] Pour en arriver à cette décision, je me suis concentré sur les questions suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a conclu que les rapports du médecin de famille de l’appelante n’avaient jamais écarté la possibilité que l’appelante soit capable d’effectuer un travail sédentaire?
  2. b) Quel est le redressement approprié compte tenu des faits de la présente affaire?
  3. c) L’appelante a-t-elle droit à une pension d’invalidité du RPC?

Analyse

Le cadre juridique de la division d’appel

[10] Pour que l’appel de l’appelante soit accueilli, elle doit établir que la division générale a commis au moins une des erreurs reconnues (ou moyens d’appel) énoncées au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). En l’espèce, le seul moyen d’appel allégué est que la division générale a par ailleurs fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] En étudiant le degré d’examen que je devrais appliquer à la décision de la division générale, je me suis concentré sur le libellé de la Loi sur le MEDSNote de bas de page 4. Plus précisément, l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS stipule que ce ne sont pas toutes les conclusions de fait erronées qui justifieront mon intervention. Pour qu’une conclusion de fait erronée justifie mon intervention, la décision de la division générale doit plutôt reposer sur cette conclusion, et la division générale doit avoir tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La Cour d’appel fédérale a récemment décrit des conclusions de fait erronées comme des conclusions qui contredisent carrément la preuve ou qui ne sont pas étayées par celle-ciNote de bas de page 5.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée?

[12] Oui, la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées au sens de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

[13] Pour avoir droit à une pension d’invalidité du RPC, l’appelante devait démontrer qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2016 ou avant cette date, soit à la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA)Note de bas de page 6. En vertu du RPC, une invalidité est grave si le prestataire est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. En outre, une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

[14] En l’espèce, la division générale a décidé que l’invalidité de l’appelante n’était pas grave. Elle a plutôt conclu qu’elle était capable d’effectuer une journée complète de travail et d’accomplir des tâches sédentaires. Pour en arriver à cette conclusion, la division générale a écrit ce qui suit au paragraphe 41 :

[traduction]

Toutefois, ni le Dr Maltais [le médecin de famille de l’appelante] ni le Dr Hatheway [un conseiller médical à Travail sécuritaire NB] n’ont indiqué dans leurs rapports que l’appelante n’était pas capable d’accomplir des tâches sédentaires. Le Tribunal a accordé du poids à tous les autres rapports médicaux et d’évaluation indiquant que l’appelante a démontré sa capacité d’effectuer un travail sédentaire.

[15] L’appelante a soutenu dans son argumentation que ce paragraphe contient une conclusion de fait erronée parce que la division générale a omis :

  1. a) le rapport de la Dre Maltais daté du 5 juin 2014, dans lequel elle décrit les limitations fonctionnelles, les enquêtes et les traitements de l’appelante, puis écrit que selon son avis médical, l’appelante n’est plus capable d’occuper quelque type d’emploi que ce soitNote de bas de page 7;
  2. b) le rapport médical de la Dre Maltais daté du 26 mai 2015, dans lequel elle a noté les tentatives de l’appelante de reprendre le travail, puis a déclaré que l’appelante est incapable de fonctionner au travail, y compris un travail sédentaire, en raison de douleurs intenses qui irradient dans ses membres inférieursNote de bas de page 8;
  3. c) le certificat médical de la Dre Daigle-Sippley daté du 18 février 2015, dans lequel elle a écrit que la demanderesse [traduction] « souffre de douleurs chroniques au dos, est incapable de travailler, ne peut marcher que sur de courtes distances, est incapable de s’asseoir très longtemps, que s’habiller est très difficile, surtout enfiler ses chaussettes, qu’elle a besoin d’équipement pour se laver lorsqu’elle va à la salle de bain, qu’elle a beaucoup de difficulté à se laver, et que sortir du lit est très difficile »Note de bas de page 9.

[16] En réponse, le ministre soutient que l’appelante me demande essentiellement de soupeser à nouveau la preuve, ce que je ne devrais pas faire. À cet égard, le ministre souligne le seuil élevé qui doit être atteint avant que des conclusions de fait erronées puissent justifier l’intervention de la division d’appelNote de bas de page 10.

[17] Le ministre souligne également que la division générale n’avait pas à faire référence à chaque élément de preuve dans sa décisionNote de bas de page 11. Le ministre soutient plutôt que les motifs de la division générale expliquent plus qu’adéquatement le fondement de sa décision, particulièrement lorsqu’ils sont interprétés à la lumière de la preuve et du droit. Et bien que le ministre reconnaisse les opinions des Dres Maltais et Daigle-Sippley, il soutient que la majorité des évaluateurs médicaux ont conclu que l’appelante avait la capacité d’effectuer un travail sédentaire.

[18] La capacité de l’appelante d’effectuer un travail sédentaire était au cœur de la conclusion de la division générale selon laquelle elle n’était pas admissible à une pension d’invalidité du RPC. Pourtant, sur ce point clé, la division générale ne semble pas avoir compris qu’il y avait une preuve contradictoire du médecin de famille de l’appelante. À mon avis, la conclusion de fait au paragraphe 41 de la décision de la division générale est manifestement erronée et est clairement contredite par la preuve : la Dre Maltais a dit à deux reprises que l’appelante est incapable d’effectuer un travail, y compris un travail sédentaire.

[19] Le certificat médical signé par la Dre Daigle-Sippley est quelque peu différent en ce sens que la division générale n’en a fait aucune mention. Toutefois, la décision de la division générale peut également être qualifiée d’arbitraire parce qu’elle n’a pas fourni de motifs pour rejeter une preuve importante qui contredisait sa conclusion concernant la capacité résiduelle de travailler de l’appelanteNote de bas de page 12.

[20] À mon avis, la division générale a donc fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées au sens de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS. Par conséquent, mon intervention en l’espèce est justifiée.

Question en litige no 2 : Quel est le redressement approprié compte tenu des faits de la présente affaire?

[21] J’ai conclu qu’il convient en l’espèce de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[22] Les recours dont je dispose sont énoncés au paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS. Parmi les options disponibles, les parties ont débattu de la question de savoir si je devrais renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[23] D’une part, le représentant de l’appelante a fait valoir que dans les cas où une erreur a été constatée, l’appel devrait normalement être renvoyé à la division générale pour réexamen. Toutefois, le représentant de l’appelante a indiqué qu’il pourrait y avoir des circonstances spéciales en l’espèce qui justifieraient l’exercice de mon pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Plus particulièrement, plus de trois ans se sont déjà écoulés depuis que l’appelante a présenté sa demande de pension d’invalidité du RPC.

[24] Le ministre, pour sa part, a fait valoir que même si la division générale avait effectivement commis une erreur, l’appelante demeure non admissible à une pension d’invalidité du RPC. Plus précisément, le ministre a fait valoir que l’appelante avait l’obligation de tenter de trouver un emploi sédentaire, mais elle ne l’a pas faitNote de bas de page 13. Subsidiairement, cependant, si l’erreur de la division générale nécessite une nouvelle appréciation de la preuve, le ministre soutient que l’affaire devrait être renvoyée à la division générale, puisqu’elle se spécialise dans l’appréciation et l’évaluation de la preuveNote de bas de page 14.

[25] Bien que le rôle de réparation de la division d’appel devrait se concentrer sur la meilleure façon (la plus efficace) de corriger les erreurs qu’elle a relevées, l’erreur en l’espèce se rapporte à une question très centrale sur laquelle il existe une preuve contradictoire importante (déterminer si l’appelante a conservé la capacité d’effectuer un travail sédentaire). Par conséquent, je reconnais qu’il faudra apprécier de nouveau la preuve pour corriger l’erreur de la division générale.

[26] Néanmoins, j’ai décidé qu’il convient de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre parce que :

  1. a) l’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC, qui vise à aider les personnes qui sont incapables de travailler en raison d’un grave problème de santé;
  2. b) sa demande a été présentée en vertu d’un régime administratif visant à rendre des décisions rapidesNote de bas de page 15;
  3. c) le pouvoir de déterminer si une prestation est payable à une personne est accordé à l’ensemble du Tribunal et non seulement à l’une de ses divisionsNote de bas de page 16;
  4. d) cette façon de faire favorise la prise de décisions rapides et rentables et est appuyée par l’article 2 et l’alinéa 3(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

[27] Il vaut en outre la peine de souligner que les deux parties conviennent que le dossier de preuve qui m’a été soumis est complet et qu’elles ont toutes deux déposé des observations détaillées – tant à la division générale qu’à la division d’appel – expliquant pourquoi l’appelante a droit ou non à une pension d’invalidité du RPC. J’ai également écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. Par conséquent, je ne vois guère d’avantage à renvoyer l’appel à la division générale pour qu’un autre membre examine le dossier. En fait, cela créerait un risque que le dossier revienne à la division d'appel.

[28] Compte tenu de la décision que la division générale aurait dû rendre, je dois maintenant déterminer si l’appelante a droit à une pension d’invalidité du RPC.

Question en litige no 3 : L’appelante a-t-elle droit à une pension d’invalidité du RPC?

[29] À mon avis, l’appelante a prouvé qu’elle a droit à une pension d’invalidité du RPC.

[30] Comme nous l’avons déjà mentionné, pour avoir droit à une pension d’invalidité du RPC, l’appelante doit démontrer qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2016 ou avant cette date. J’ai commencé mon analyse en me demandant si l’invalidité de l’appelante était grave, ce qui signifie qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[31] Pour déterminer si les demandeurs ont une invalidité grave, le Tribunal applique un certain nombre de principes directeurs qui ont été établis dans des décisions judiciaires antérieures.

[32] Par exemple, l’exigence relative à la gravité doit être évaluée dans un contexte réalisteNote de bas de page 17. Cela signifie que, pour décider si une invalidité est grave, je dois tenir compte de l’ensemble de l’état de santé du prestataire et garder à l’esprit des facteurs comme l’âge, le niveau de scolarité, la compétence linguistique, l’expérience professionnelle et l’expérience de vieNote de bas de page 18. La question n'est pas de savoir si les prestataires sont incapables d'exercer leur occupation régulière ou préférée, mais s'ils sont incapables d'exercer une occupation véritablement rémunératrice qui convient à leur étatNote de bas de page 19.

[33] Lorsque j’évalue la gravité, je me concentre moins sur la question de savoir si les prestataires ont reçu un diagnostic d’un problème de santé particulier et plus sur la façon dont ce problème de santé affecte leur capacité de travaillerNote de bas de page 20. Pour obtenir gain de cause, un appelant doit fournir une preuve médicale objective de son invalidité; toutefois, les membres du Tribunal doivent prendre dûment en considération et soupeser l’ensemble de la preuve, tant écrite qu’oraleNote de bas de page 21.

[34] Tel qu’il a été mentionné précédemment, la question centrale en l’espèce est de savoir si l’appelante a conservé la capacité d’effectuer un travail sédentaire après sa chute en septembre 2011. En fait, la preuve a révélé que l’appelante est tombée au travail en mai et de nouveau en septembre 2011. Au moment de la deuxième chute, l’appelante s’est blessée aux chevilles, aux genoux et au dos, ainsi qu’au bras et au pied droits. Elle a dit que les effets de ces chutes ont changé sa vie et se sont poursuivis longtempsNote de bas de page 22.

[35] Dans le questionnaire soumis dans le cadre de sa demande de prestations d’invalidité du RPC, l’appelante a énuméré de nombreuses limitations fonctionnelles, notamment que sa douleur au dos et aux genoux l’empêche de rester assise, debout et de marcher pendant de longues périodesNote de bas de page 23. Dans le questionnaire, l’appelante a également écrit que la douleur nuit à sa capacité de se souvenir, de se concentrer et de dormir.

[36] À l’audience de la division générale, qui a eu lieu environ 10 mois après la fin de sa PMA, l’appelante a dit qu’elle avait rarement quitté la maison et qu’elle devait constamment alterner entre rester assise, debout et allongée. Elle avait de la difficulté à se laver et à s’habiller. Elle a acheté une nouvelle voiture, mais l’a à peine utilisée. Contrairement aux activités qu’elle a exercées avant septembre 2011, l’appelante a déclaré qu’elle ne fait maintenant que les plus petits travaux ménagers. Son incapacité à s’asseoir et à se tenir debout pendant de longues périodes signifie également qu’elle a dû abandonner de nombreux passe-temps, comme la lecture, le tricot, le crochet, faire la cuisine et le bavardage avec des amis à l’ordinateurNote de bas de page 24. L’appelante est devenue très émotive à l’audience lorsqu’elle a décrit comment sa douleur a nui à sa relation avec ses petits-enfantsNote de bas de page 25. Elle a dit que cela lui avait causé une [traduction] « dépression nerveuse » en 2014.

[37] Au cours de l’audience, l’appelante a également décrit ses symptômes comme étant très imprévisibles, ce qui signifie qu’elle serait une travailleuse peu fiableNote de bas de page 26. Plus particulièrement, elle a dit que ses douleurs au dos [traduction] « s’exacerbent » de temps en temps. Au cours de ces poussées, l’appelante a témoigné que sa douleur devient tellement atroce qu’elle n’a d’autre choix que de rester au lit, de prendre des médicaments forts et d’attendre que la poussée passe. Ces poussées, a-t-elle déclaré, peuvent se produire plusieurs fois par mois et durer des jours, voire des semaines. De plus, elles peuvent être entraînées par quelque chose d’aussi simple qu’une toux, un mouvement inapproprié ou un mauvais pas.

[38] Dans son témoignage, l’appelante avait de la difficulté à se souvenir des dates, ce qu’elle a admis librement. Toutefois, comme la division générale, je ne vois aucune raison de douter de sa crédibilité sur des questions clés liées à ses symptômes et à ses limitations fonctionnelles. Par conséquent, il convient d’accorder à son témoignage oral, qui n’a pas été contesté à l’audience, un poids et une considération suffisants.

[39] Tel que décrit précédemment, la demande de pension d’invalidité du RPC de l’appelante a été appuyée par son médecin de famille, la Dre Maltais. Plus précisément, la Dre Maltais a écrit que l’appelante était incapable de fonctionner dans le cadre d’un emploi, y compris le travail sédentaire, en raison de ses douleurs chroniques, de ses limitations fonctionnelles et de sa dépressionNote de bas de page 27.

[40] Néanmoins, le ministre s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Inclima c Canada (Procureur général) pour soutenir que l’appelante demeure non admissible à une pension d’invalidité du RPCNote de bas de page 28. Plus précisément, la Cour d’appel fédérale a écrit dans cette affaire que lorsqu’il y a des preuves que les prestataires conservent une certaine capacité de travail, ils doivent démontrer que les efforts pour obtenir et conserver un emploi ont été infructueux en raison de leur état de santé. En l’espèce, le ministre soutient que l’appelante demeure apte à effectuer un travail sédentaire, mais que ses tentatives de trouver un autre emploi étaient insuffisantes et infructueuses pour des raisons non liées à son état de santé.

[41] À l’appui de sa position, le ministre s’appuie sur plusieurs rapports médicaux – comme ceux rédigés par la Dre FawazNote de bas de page 29, la Dre DesmondNote de bas de page 30 et Solutions de santé canadiennesNote de bas de page 31 – dans lesquels les auteurs ont conclu que les symptômes de l’appelante ne pouvaient être expliqués objectivement et qu’elle devrait être capable de reprendre son emploi antérieur ou d’effectuer un travail sédentaire. Les auteurs du rapport de Solutions de santé canadiennes ont conclu qu’il n’y avait [traduction] « aucune contre-indication médicale à [l’appelante] de participer à un programme professionnel et de reprendre un poste sédentaireNote de bas de page 32 ». Ces rapports ont été rédigés entre septembre 2012 et octobre 2014.

[42] En ce qui concerne la capacité d’effectuer un travail sédentaire, le ministre (et la division générale) a également souligné un rapport sur le congé médical de Travail sécuritaire NB datant de janvier 2012Note de bas de page 33, des rapports d’ergothérapie de septembre 2012Note de bas de page 34 et d’août 2013Note de bas de page 35 et, peut-être plus important encore, l’évaluation des capacités de travail propres à un emploi et l’évaluation de la capacité de travail générale menées par Megan McLaughlin en octobre 2013Note de bas de page 36.

[43] À mon avis, l’argument du ministre en l’espèce risque de porter la décision de la Cour dans l’arrêt Inclima au niveau d’une exigence législative, ce qu’elle n’est pas. Au contraire, comme l’a écrit récemment un de mes collègues, l’arrêt Inclima doit respecter les exigences législatives énoncées à l’alinéa 42(2)a) du RPC et tenir compte du fait que les prestataires ont l’obligation de prouver leur admissibilité à une pension d’invaliditéNote de bas de page 37.

[44] Dans cette optique, mon collègue a interprété l’arrêt Inclima comme s’il affirmait que, lorsqu’il existe des preuves de capacité de travail, les prestataires peuvent s’appuyer sur des preuves montrant que leurs efforts pour obtenir et conserver un emploi ont échoué en raison de leurs problèmes de santé pour fournir un fondement probatoire à l’appui de leur droit à une pension d’invalidité du RPC. En termes plus simples, qu’est-ce que les efforts d’emploi de l’appelante nous disent au sujet de sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice? Comme dans l’arrêt D’Errico c Canada (Procureur général), il s’agit d’une affaire dans laquelle je peux tenir compte de l’invalidité de l’appelante, de sa situation personnelle et des efforts déployés collectivement pour évaluer son admissibilité à une pension d’invalidité du RPCNote de bas de page 38.

[45] À mon avis, il convient d’accorder à l’opinion de la Dre Maltais concernant la capacité de travailler de l’appelante un poids considérable. En tant que médecin de famille traitant à qui l’appelante se confie, elle est la mieux placée pour évaluer l’état général de l’appelante. De plus, son rapport médical de mai 2015 est plus récent que celui sur lequel le ministre se fonde, mais il est toujours daté avant la fin de la PMA de l’appelante.

[46] Le rapport de Solutions de santé canadiennes met particulièrement en évidence la complexité de l’état de santé de l’appelante. En effet, 14 problèmes de santé ont été identifiés comme contribuant à la santé globale et aux limitations fonctionnelles de l’appelante. Plus précisément, le rapport de Solutions de santé canadiennes a relevé d’importants facteurs psychosociaux, des facteurs biomécaniques et d’autres problèmes médicaux, comme la maladie dégénérative de la colonne vertébrale, qui constituent des obstacles importants au retour au travail de l’appelante. En effet, l’aspect psychosocial du dossier de l’appelante a été jugé très important et il a été noté que l’appelante avait des antécédents de dépression remontant à 2010. Contrairement à ce que les auteurs du rapport de Solutions de santé canadiennes ont été chargés de faire, je n’ai toutefois pas besoin de séparer les divers troubles de santé de l’appelante en troubles qui sont liés au travail ou non.

[47] Bien que les auteurs du rapport de Solutions de santé canadiennes aient conclu qu’il n’y avait aucune contre-indication médicale à ce que l’appelante occupe désormais un poste sédentaire, cette conclusion, à mon avis, n’équivaut pas du tout à dire que l’appelante a la capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. C’est particulièrement vrai dans un cas comme celui-ci, où plusieurs symptômes de l’appelante ne peuvent être expliqués objectivement, mais sont néanmoins importants.

[48] Je conclus également qu’un grand nombre ou la totalité des rapports médicaux sur lesquels le ministre s’est appuyé ont été contredits par les tentatives réelles de l’appelante de retourner au travail, qui seront examinées plus loin.

[49] À mon avis, un obstacle plus important au droit de l’appelante à une pension d’invalidité du RPC est la conclusion de Mme McLaughlin selon laquelle l’appelante avait [traduction] « démontré sa capacité d’accomplir des journées complètes d’activités professionnelles générales répondant aux exigences physiques de sédentarité »Note de bas de page 39.

[50] Je note toutefois que les tribunaux ont fait preuve de prudence en faisant référence à des catégories de travail vagues, comme le travail sédentaire ou semi-sédentaire, et que de telles expressions peuvent être peu utilisées pour évaluer la gravité aux termes du RPCNote de bas de page 40. Dans l’arrêt Wirachowsky c Canada, par exemple, une affaire qui présente de nombreuses similitudes avec celle-ci, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur l’incapacité du prestataire de s’asseoir et de se tenir debout pendant de longues périodes et a déclaré que ce serait une erreur de conclure que le prestataire était capable de faire un travail semi-sédentaireNote de bas de page 41. Pour les raisons suivantes, une telle prudence est particulièrement justifiée dans le cas du rapport de Mme McLaughlin.

[51] La conclusion de Mme McLaughlin était fondée sur une évaluation de deux jours effectuée à la fin d’octobre 2013. Compte tenu des difficultés de l’appelante à reprendre son ancien emploi, on a demandé à Mme McLaughlin d’évaluer les capacités fonctionnelles de l’appelante de façon plus générale et de déterminer si elle pouvait satisfaire aux exigences de travailler plus précisément comme représentante du service à la clientèle.

[52] En fin de compte, Mme McLaughlin a conclu que l’appelante était incapable de travailler comme représentante du service à la clientèle parce que ce profil d’emploi exigeait de rester souvent assiseNote de bas de page 42. L’appelante s’est assise pendant 110 minutes de la journée d’évaluation de 229 minutes, mais elle n’a pu rester assise que pendant 34 minutes, avec quatre « petites pauses » pendant lesquelles elle s’est levée pendant une minute. De plus, l’appelante a commencé à moins bien tolérer la position assise le deuxième jour de l’évaluation.

[53] Pour ce qui est de la position debout, qui n’était pas considérée comme une exigence du travail de représentante du service à la clientèle, Mme McLaughlin a fait observer que l’appelante est restée debout pendant 119 minutes lors de la journée d’évaluation, mais qu’elle ne pouvait demeurer debout en position statique que pendant 35 minutes, avec quatre « petites pauses » en position assise, et qu’elle pouvait demeurer debout en position dynamique pendant 45 minutes, avec cinq « petites pauses »Note de bas de page 43.

[54] Ces observations, en particulier l’incapacité de l’appelante de rester assise pendant de longues périodes, n’appuient manifestement pas la conclusion de Mme McLaughlin selon laquelle l’appelante pourrait occuper à temps plein un emploi sédentaire. De fait, son rapport renferme cette importante remarqueNote de bas de page 44 :

[traduction]

[L’appelante] a obtenu de meilleurs résultats lorsqu’on lui a donné l’occasion d’alterner entre l’activité en position assise et en position debout. On a constaté que l’appelante avait des tolérances posturales très limitées, tant en position debout qu’en position assise, et des changements de position fréquents ont été constatés tout au long des deux jours d’évaluation.

[55] Dans l’ensemble, j’ai conclu que le rapport de Mme McLaughlin avait peu ou pas de poids. Comme dans l’arrêt Wirachowsky, ce rapport est loin de l’évaluation qui doit être faite en vertu du RPC. De plus, la valeur du rapport de Mme McLaughlin est médiocre compte tenu du témoignage de vive voix de l’appelante — dans lequel elle a décrit l’imprévisibilité de ses symptômes et déclaré qu’elle était restée au lit pendant des semaines après l’évaluationNote de bas de page 45 — et de ses efforts réels pour reprendre le travail.

[56] Au sujet du retour au travail de l’appelante, je soulignerais les conditions favorables suivantes :

  1. a) L’appelante travaillait comme agente de contrôle dans un petit aéroport qui n’offrait que deux vols de départ par jour, de sorte que l’aéroport n’était occupé que pendant environ une heure le matin et une heure l’après-midiNote de bas de page 46. Le travail comportait différentes tâches, bien que l’appelante ait témoigné qu’aucune d’entre elles n’était difficile. La rotation entre ces différentes tâches a également permis à l’appelante d’alterner entre la position assise et la position debout.
  2. b) L’appelante a fait trois tentatives de retour au travail et elle a participé à un programme de réadaptation interdisciplinaire offert par Travail sécuritaire NB avant sa première et sa troisième tentativesNote de bas de page 47.
  3. c) Les deuxième et troisième tentatives de l’appelante de reprendre le travail étaient supervisées par un ergothérapeute et elle travaillait pour un employeur très conciliantNote de bas de page 48. Par exemple, on lui a permis d’augmenter graduellement ses heures de travail et elle n’a été tenue d’accomplir que les tâches qu’elle était capable d’accomplirNote de bas de page 49. De plus, l’appelante devait obtenir une nouvelle certification, de sorte que son employeur lui a permis de prendre du temps pendant les heures de travail pour faire les lectures et les modules en ligne nécessaires.

[57] À mon avis, il est difficile d’imaginer un rôle mieux adapté aux limitations de l’appelante : le travail était très léger et permettait à l’appelante d’alterner entre des positions assise et debout. Par conséquent, l’incapacité de l’appelante de retourner au travail avec succès dans ces conditions constitue une preuve convaincante que ses divers troubles, pris de façon cumulative, sont tels qu’elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[58] À cela, j’ajouterais que l’employabilité de l’appelante est également affectée négativement par l’imprévisibilité de ses symptômes et par certaines de ses caractéristiques personnelles. Par exemple, l’appelante avait 57 ans à la fin de sa PMA et son expérience professionnelle se limite à travailler dans l’industrie hôtelière et dans la sécurité aéroportuaire. Compte tenu de ses limitations fonctionnelles, ces facteurs ne pointent pas vers une personne qui pourrait facilement se recycler pour effectuer un travail sédentaire.

[59] Pour tous ces motifs, j’ai conclu que l’invalidité de l’appelante est grave au sens du RPC.

[60] En ce qui concerne la question de savoir si l’invalidité de l’appelante est également prolongée, je note le rapport médical de la Dre Maltais daté de mai 2015 dans lequel elle souligne que les douleurs au dos de l’appelante persistent depuis 2011, ce qui signifie que son pronostic est moins favorable et que son invalidité est susceptible d’être de longue duréeNote de bas de page 50. La Dre Daigle-Sippley a également indiqué qu’il était peu probable que l’état de l’appelante s’amélioreNote de bas de page 51.

[61] Je tiens également à souligner que l’appelante a participé deux fois à des programmes de réadaptation interdisciplinaire offerts par Travail sécuritaire NB, qu’elle a participé à divers traitements recommandés par la Dre Maltais et qu’elle a bénéficié de longues pauses au travail. Malgré ces efforts, l’état de l’appelante s’est peu amélioréNote de bas de page 52. En fait, la combinaison de douleurs et de dépression dont souffre l’appelante s’est même aggravée à certains moments.

[62] Je conclus donc que l’invalidité de l’appelante est longue, continue et susceptible de se poursuivre pendant une période indéfinie.

[63] Par conséquent, l’appelante a une invalidité grave et prolongée depuis qu’elle est tombée au travail en septembre 2011 et a droit à une pension d’invalidité du RPC.

[64] En vertu de la loi, une personne ne peut être réputée invalide plus de quinze mois avant la date à laquelle le ministre reçoit la demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 53. Comme la demande de l’appelante a été reçue par le ministre en juillet 2015, elle est réputée avoir été invalide en avril 2014.

[65] Conformément à l’article 69 du RPC, les paiements commencent quatre mois après la date réputée de déclaration de l’invalidité. Dans ce cas, les paiements commenceront rétroactivement en août 2014.

Conclusion

[66] J’ai conclu que la division générale avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, comme le prévoit l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS. Plus particulièrement, la division générale a négligé des rapports écrits par la Dre Maltais dans lesquels elle a indiqué que l’appelante était incapable d’effectuer un travail, y compris un travail de nature sédentaire. J’ai également conclu qu’il s’agissait d’un cas approprié pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[67] Comme la preuve qui a été négligée portait sur la capacité de travailler de l’appelante, j’ai évalué les rapports de la Dre Maltais par rapport aux autres éléments de preuve au dossier sur cette question. À mon avis, ces rapports corroborent le témoignage de l’appelante et il convient de leur accorder un poids considérable. En fin de compte, j’ai donc décidé que l’appelante avait prouvé son droit à une pension d’invalidité du RPC à compter du mois d’août 2014.

[68] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

13 septembre 2018

Téléconférence

R. D., appelante
David Brannen, représentant de l’appelante
Viola Herbert (parajuriste), représentante de l’intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.