Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli, et la décision que la division générale aurait dû rendre est rendue.

Aperçu

[2] D. M. (requérant) a reçu une libération honorable des Forces armées canadiennes en 2003 après de nombreuses années de service. Il a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en 2008 et a prétendu être invalide en raison de problèmes de santé mentale et physique causés par son service. Le ministre, dont le titre est maintenant celui de ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande. Le requérant a présenté une autre demande de pension d’invalidité en octobre 2014 et il a soutenu qu’il était invalide en raison des mêmes problèmes. Le ministre a accueilli cette demande et a accordé des versements rétroactifs maximaux allant jusqu’à juillet 2013.

[3] Le requérant a porté en appel devant le Tribunal la décision du ministre relative au début du versement de la pension d’invalidité. Il a fait valoir que le versement aurait dû commencer en 2008, lorsqu’il avait présenté sa première demande de pension, et qu’il avait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension avant qu’il ne le fasse en 2014. La division générale du Tribunal a accueilli l’appel et a statué que le requérant n’avait continuellement pas eu cette capacité à partir de 2003.

[4] L’appel de cette décision est accueilli, car la division générale a commis une erreur de droit. La division générale n’a pas appliqué le critère juridique approprié relatif à l’incapacité. La demande du requérant relative aux autres versements rétroactifs est rejetée.

Question en litige

[5] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité?

Analyse

[6] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) régit le fonctionnement du Tribunal. Elle énonce seulement trois moyens d’appel bien précis pouvant être pris en considération. Ces moyens d’appel sont les suivants : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence; elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 1. Le ministre soutient que la division générale a commis une erreur de droit, parce qu’elle n’aurait pas appliqué le critère juridique approprié relatif à l’incapacité en l’espèce.

[7] Le Régime de pensions du Canada (RPC) prévoit qu’une personne ne peut être réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de 15 mois à la date à laquelle le ministre a reçu la demande de pensionNote de bas de page 2. Il prévoit également une exception à cette disposition, si le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande pendant une période continue avant la présentation de la demandeNote de bas de page 3. Cette exception à la règle relative à la rétroactivité maximale a été qualifiée de circonscrite et cibléeNote de bas de page 4. Il s’agit d’un critère juridique difficile à remplir.

[8] Afin de déterminer si le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité, le décideur doit examiner la preuve médicale et les activités pertinentes du requérantNote de bas de page 5. La psychiatre du requérant a témoigné devant la division générale. Elle est une psychiatre chevronnée qui a de nombreuses années d’expérience dans le traitement des militaires et des premiers répondants. Elle a affirmé que le requérant est entré en contact avec sa clinique pour la première fois en 2016. Elle a diagnostiqué plusieurs troubles mentaux importants chez lui et était d’avis que ces troubles avaient probablement été présents plusieurs années avant que le requérant ne reçoive sa libération des Forces armées canadiennes. Elle a soutenu que le requérant était probablement incapable de remplir les documents nécessaires dans le cadre de tâches complexes et que son incapacité remontait vraisemblablement à plusieurs annéesNote de bas de page 6. La psychiatre a aussi affirmé que, lorsque le requérant avait présenté sa demande de pension d’invalidité en 2008, il agissait en réaction à une menace provenant de son assureur en cas d’invalidité de longue durée; il n’avait pas l’intention de demander la pension, mais on l’avait incité et forcé à le faireNote de bas de page 7.

[9] En ce qui concerne les activités pertinentes du requérant, la psychiatre a fait valoir que sa capacité en 2008, lorsqu’il avait demandé la pension, était différente de celle qu’il avait lorsqu’il a présenté sa demande en 2014, en raison de ses troubles mentaux et des modifications dans l’approche du ministère des Anciens Combattants à l’endroit des anciens combattants au fil du tempsNote de bas de page 8. La psychiatre a également affirmé que, lorsque le requérant a organisé et produit une décennie de déclarations de revenus avec l’aide d’un comptable et qu’il a demandé que son permis de conduire soit remis en vigueur, il s’agissait vraisemblablement de réactions aux menaces qu’il percevait contre son bien-être ou le bien-être de sa familleNote de bas de page 9.

[10] La division générale a tenu compte de cette preuve, ainsi que du dossier et du témoignage du requérant. Elle a tenu compte du RPC et des décisions pertinentes de la Cour d’appel fédérale. La division générale a conclu que la loi n’empêche pas une interprétation différente de l’article 60 du RPC si elle est fondée sur la preuve dont dispose le décideur. Cette preuve faisait une distinction entre la capacité qu’a une personne d’agir de son propre gré (en suivant sa propre volonté) et la capacité qu’elle a d’agir seulement en réaction à une menace qui aurait des conséquences désastreuses (selon la volonté d’une autre personne)Note de bas de page 10. La division générale a tranché que le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité au titre du RPC à partir de 2003, parce qu’il agissait seulement en réaction à des menaces perçues contre son bien-être ou celui de sa famille et qu’il agissait selon la volonté d’une autre personne, et non en suivant sa propre volonté.

[11] La division générale a commis une erreur de droit. La disposition du RPC relative à l’incapacité est une exception restreinte à la règle de rétroaction maximale. La disposition n’exige pas du décideur qu’il tienne compte des raisons menant le requérant à prendre ou à ne pas prendre une décision. Il n’est pas nécessaire d’évaluer si un requérant a été contraint de présenter une demande de pension ou d’effectuer une autre tâche. Le critère juridique consiste simplement à évaluer si le requérant est incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. La division générale n’a pas appliqué le critère juridique approprié aux faits qui lui étaient présentés lorsqu’elle a pris en considération les raisons qu’avait le requérant pour prendre des décisions.

[12] Pour ces motifs, l’appel doit être accueilli.

Réparation

[13] La Loi sur le MEDS prévoit les réparations que la division d’appel peut accorder dans un appelNote de bas de page 11. Il est approprié que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre. La Loi sur le MEDS confère à la division d’appel le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, et de trancher les questions de droit et de fait nécessaires pour statuer sur un appelNote de bas de page 12. Les faits ne sont pas contestés. Les parties s’entendent sur les dispositions législatives et la jurisprudence qui sont pertinentes. De plus, le requérant a présenté sa dernière demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en 2014, et beaucoup de temps s’est donc écoulé depuis.

[14] La preuve est simple et elle comprend les éléments suivants :

  1. Le requérant a été libéré des Forces armées canadiennes en 2003.
  2. La période minimale d’admissibilité (date à laquelle une partie requérante doit être déclarée invalide afin de toucher la pension d’invalidité) du requérant s’est terminée le 31 décembre 2006.
  3. Le requérant est atteint de nombreux troubles de santé mentale, y compris le trouble de stress post-traumatique, l’anxiété et la dépression. Il a d’autres problèmes de santé, y compris un traumatisme crânien, une grave apnée du sommeil et une toxicomanie en rémission.
  4. Le requérant a demandé que son permis de conduire soit remis en vigueur en 2007.
  5. Le requérant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en 2008 et une autre fois en 2014.
  6. Le requérant a accepté d’être soigné pour ses problèmes et a suivi des traitements après avoir reçu une libération honorable des Forces armées canadiennes.
  7. Le requérant a été en mesure de reconduire les membres de sa famille à des rendez-vous et des activités.
  8. Le requérant a engagé un comptable, a organisé des documents et a produit des déclarations de revenus pour 10 années avec l’aide du comptable.
  9. Le requérant a essayé à trois reprises de démarrer et d’exploiter une entreprise à la maison, mais sans succès.

[15] La question juridique à trancher est de savoir si le requérant était incapable de façon continue de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité avant de le faire en octobre 2014. Il s’agit d’une exception restreinte à la règle de rétroaction maximale prévue par le RPC. Il faut tenir compte de la preuve médicale et des activités du requérantNote de bas de page 13. Il n’y a aucun doute que le requérant est atteint de nombreux problèmes médicaux qui persistent malgré ses efforts pour les surmonter. Cependant, je ne suis pas convaincue qu’il était incapable de façon continue de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension avant qu’il ne le fasse en 2014. Le requérant a pris des décisions importantes pendant sa supposée période d’incapacité, y compris demander que son permis de conduire soit remis en vigueur, accepter et suivre un traitement, engager un comptable et produire des déclarations de revenus pour de nombreuses années, et présenter sa première demande de pension d’invalidité en 2008. Cela démontre clairement que le requérant était capable de former et d’exprimer l’intention de faire de nombreuses choses, dont présenter une demande de pension d’invalidité. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il faut tenir compte des activités d’un requérant, mais pas de ses raisons de les effectuer. Par conséquent, il importe peu de savoir si le requérant a agi selon sa volonté ou en réaction à la volonté d’un autre.

[16] Il n’y a aucune preuve que le requérant n’ait pas été en mesure de prendre des décisions sur sa santé, qu’un professionnel de la santé ait exigé qu’une tierce partie prenne des décisions au nom du requérant ou qu’une tierce partie ait agi en son nom au moyen d’une procuration.

[17] La psychiatre du requérant a affirmé qu’il était probable que le ministère des Anciens Combattants ait guidé le requérant dans ses démarches pour présenter la demande de pension d’invalidité en 2008. J’accorde très peu d’importance à cet élément. Elle ne soignait pas le requérant à cette époque et cette affirmation constitue donc une supposition. De même, j’accorde peu de poids à son témoignage concernant les raisons du requérant de demander la remise en vigueur de son permis de conduire ou d’entreprendre les démarches pour produire ses déclarations de revenus.

Conclusion

[18] Je félicite le requérant pour sa persévérance et les efforts qu’il a faits pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille malgré des problèmes de santé très importants. Je suis très sensible à sa cause. Toutefois, le Tribunal n’a pas le pouvoir de rendre des décisions fondées sur des circonstances atténuantes ou la compassion.

[19] L’appel doit être accueilli. La demande du requérant pour une prolongation du versement rétroactif de la pension d’invalidité est rejetée.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 21 novembre 2018

Téléconférence

D. M., intimé
Casey Dorey, avocat de l’intimé
Jean-François Cham, avocat de l’appelant

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