Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant, B. M., est né en 1964 et a fréquenté l’école jusqu’en 8e année, mais il a par la suite obtenu un diplôme d’équivalence d’études secondaires. Il a travaillé comme mécanicien naval pendant plus de 20 ans et, plus récemment, il a occupé un emploi d’opérateur d’équipement lourd. Il a cessé de travailler en janvier 2014, parce qu’il ressentait de plus en plus de douleur au cou et au dos. Il a subi une arthroplastie de l’épaule gauche en novembre 2014 et on lui a depuis diagnostiqué un trouble de la douleur chronique.

[3] En juillet 2016, l’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande après avoir conclu que l’invalidité de l’appelant n’était pas « grave et prolongée » au sens du RPC, pendant la période minimale d’admissibilité (PMA) dont il a fixé la date de fin au 31 décembre 2016.

[4] L’appelant a interjeté appel du refus du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel dans sa décision du 1er juillet 2018, estimant, somme toute, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels l’appelant était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à la fin de la PMA. Plus précisément, la division générale a conclu que l’appelant possédait des [traduction] « compétences relativement diversifiéesNote de bas de page 1 » qui ne limiteraient pas de façon importante ses options d’emploi. La division générale a également fondé sa décision sur une conclusion selon laquelle l’appelant n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour suivre les recommandations de ses médecins.

[5] Le 7 août 2018, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel du Tribunal pour les motifs suivants :

  • La division générale a conclu, en passant en revue les antécédents de travail de l’appelant, qu’il avait de l’expérience en gestion d’aéroport, confondant la carrière de l’appelant avec celle de son défunt père.
  • La division générale a conclu que l’appelant a refusé de suivre des traitements de massothérapie et d’acuponcture, ainsi que du counseling en matière de santé mentale, mais elle a ignoré le fait que sa médecin de famille s’était montrée sceptique quant à l’incidence de ces traitements sur son aptitude à l’emploi.
  • La division générale a fait abstraction des rapports médicaux qui montrent clairement que l’appelant ne peut pas se pencher, s’asseoir ou rester debout longtemps, ou soulever des objets de plus de 20 livres.

[6] Dans ma décision datée du 29 août 2018, j’ai accordé la permission d’interjeter appel, parce qu’à mon avis il était défendable que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle l’appelant avait de l’expérience en gestion d’aéroport. Je n’ai pas examiné les autres moyens d’appel de l’appelant à l’époque et j’ai précisé qu’ils seraient jugés sur le fond plus tard.

[7] Dans les observations écrites datées du 12 octobre 2018, le ministre a convenu que la division générale avait erré en concluant que l’appelant avait travaillé comme directeur d’aéroport. Il a aussi admis ce qui suit :

[traduction]

[cette erreur] associée à sa conclusion selon laquelle l’appelant avait des compétences relativement diversifiées a logiquement influencé son examen des facteurs mentionnés dans l’arrêt Villani par rapport aux circonstances de l’appelant. À son tour, cela peut avoir contribué à la conclusion de la division générale selon laquelle l’appelant n’était pas invalide au sens du RPCNote de bas de page 2.

Malgré cette erreur, le ministre a fait valoir que la décision de la division générale devrait être maintenue, parce qu’elle était largement fondée sur une conclusion défendable selon laquelle l’appelant n’avait pas suivi les recommandations de traitement.

[8] Après avoir examiné les observations orales et écrites des parties, je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait; toutefois, je ne suis pas d’accord avec la suggestion du ministre selon laquelle cette erreur était sans importance ou il s’agissait de la seule erreur que la division générale a commise en rendant sa décision. Pour ces raisons, j’ai décidé d’accueillir l’appel et de faire ce que la division générale aurait dû faire, soit accorder à l’appelant une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Questions en litige

[9] Aux termes de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il n’existe que trois moyens d’appel à la division d’appel : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; elle a commis une erreur de droit; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Je dois trancher les questions suivantes :

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle l’appelant avait de l’expérience en gestion d’aéroport?

Question en litige no 2 : Est-ce que la division générale a ignoré l’opinion de la Dre Walton selon laquelle les traitements recommandés à l’appelant auraient peu d’incidence sur son aptitude à travailler?

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle ignoré les rapports médicaux faisant état des limitations fonctionnelles de l’appelant?

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle l’appelant avait de l’expérience en gestion d’aéroport?

[11] Je ne m’éterniserai pas sur la question puisque les parties s’entendent pour dire que la division générale a présenté sous un faux jour l’expérience de travail de l’appelant. Cependant, on ne sait toujours pas si le ministre croit que cette erreur a eu une grande influence sur la décision de la division générale. Je partage l’opinion de l’appelant voulant que ce soit le cas. Au paragraphe 7 de ses motifs écrits, la division générale a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Je dois aussi évaluer le volet "grave" du critère dans un contexte réaliste. Cela signifie que pour déterminer si son invalidité est grave, je dois tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie. En l’espèce, l’[appelant] avait 52 ans à la date de sa PMA et il parle couramment l’anglais. Même s’il a initialement quitté l’école à 13 ans, il a par la suite obtenu son diplôme d’études secondaires et il a suivi un programme collégial d’apprenti mécanicien. Ses antécédents professionnels comprennent des tâches de gestion dans un aéroport, un emploi sur un navire de croisière, un emploi de laveur de vaisselle et un autre d’opérateur d’équipement lourd. À l’audience, il a affirmé qu’il avait travaillé comme mécanicien naval pendant 24 ans. Le dernier emploi qu’il a détenu était celui d’opérateur d’équipement lourd chez X. En raison de ses compétences relativement diversifiées, je n’estime pas que ses antécédents ou ses caractéristiques personnelles représentent un obstacle important à ses options d’emploi. Même si son occupation principale de mécanicien naval était très exigeante sur le plan physique, il était de toute évidence aussi capable d’accomplir un travail moins exigeant. [mis en évidence par le soussigné]

[12] J’ai pris connaissance du dossier, y compris l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale, et je n’ai rien vu ni entendu qui laisse croire que l’appelant avait de l’expérience en gestion, que ce soit dans un aéroport ou ailleurs. Dans le passage ci-dessus, on peut voir que la division générale a appliqué les principes de l’arrêt Villani c CanadaNote de bas de page 3, l’arrêt de principe rendu par la Cour d’appel fédérale qui prévoit qu’on doit tenir compte de l’expérience de travail d’un requérant lorsqu’on évalue la gravité de sa prétendue invalidité. La division générale a jugé que, malgré ses limitations physiques, l’appelant demeurait apte à travailler grâce à ses [traduction] « compétences relativement diversifiées ». Ce faisant, la division générale a fondé sa décision sur la conclusion, qui n’est étayée par aucun élément du dossier, selon laquelle l’appelant pouvait s’adapter assez pour exercer une autre profession.

Question en litige no 2 : Est-ce que la division générale a ignoré l’opinion de la Dre Walton selon laquelle les traitements recommandés à l’appelant auraient peu d’incidence sur son aptitude à travailler?

[13] L’appelant conteste la conclusion de la division générale selon laquelle il a ignoré les recommandations de traitement et il insiste sur le fait qu’il a fait de son mieux pour suivre les conseils de ses médecins. Il soutient que la division générale n’a pas tenu compte de la preuve démontrant qu’il avait de bonnes raisons de refuser la massothérapie, l’acuponcture et le counseling en matière de santé mentale.

[14] Après avoir soigneusement examiné les observations des parties sur ce point, j’ai conclu que la division générale avait commis une erreur, même si j’estime qu’il s’agit d’une erreur de droit plutôt que de fait. Il ne fait aucun doute que la décision de la division générale reposait en partie sur une conclusion selon laquelle l’appelant avait fait preuve de négligence dans la façon dont il gérait sa douleur. La division générale a cité l’arrêt Lalonde c CanadaNote de bas de page 4 et a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Un requérant [de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada] a l’obligation de suivre les recommandations de traitements, mais le traitement doit être abordable, disponible et recommandé. Dans le "contexte du monde réel", je dois aussi évaluer si le refus d’un requérant de suivre un traitement est déraisonnable. Enfin, je dois évaluer l’incidence du refus sur l’état d’invalidité du requérantNote de bas de page 5.

[15] Ce passage résume de façon juste la loi en vigueur qui impose aux requérants d’une pension d’invalidité d’atténuer leurs déficiences en prenant des mesures raisonnables pour suivre des traitements. Toutefois, je ne crois pas que la division générale a réellement appliqué l’arrêt Lalonde lorsqu’elle a évalué les circonstances de l’appelant.

[16] Au paragraphe 11 de sa décision, la division générale a affirmé avoir constaté une [traduction] « tendance récurrente » à ne pas suivre les recommandations de traitement, en particulier celles du Dr Broad, de la Dre Walton et du Dr Sobolev. Elle a ensuite consacré le reste de sa décision à une analyse des recommandations que ces fournisseurs de traitement avaient faites à l’appelant et à la question de savoir si l’appelant avait suivi leurs conseils.

  • Dans un rapport daté du 16 juin 2015, le Dr Broad, qui est neurochirurgien, a recommandé à l’appelant de suivre des traitements de physiothérapie, de massothérapie et d’acuponcture afin de contrôler sa douleur mécanique au cou, en plus de la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. La division générale s’est montrée sceptique sur les raisons invoquées par l’appelant de ne pas poursuivre ces traitements, mais elle a finalement conclu que ces derniers n’auraient pas amélioré son état de façon significative; [traduction] « Les traitements étaient de nature conservatrice et leur incidence aurait probablement été relativement temporaire : cela ne traitait pas la source même des symptômes de [l’appelant]Note de bas de page 6. »
  • Les notes cliniques et les rapports de la Dre Walton, la médecin de famille de l’appelant, montrent qu’elle a posé un diagnostic de syndrome de la douleur chronique chez l’appelant peu de temps après avoir commencé à le voir en juin 2014. La division générale a fait remarquer que la Dre Walton avait recommandé à de nombreuses reprises à l’appelant de suivre une thérapie cognitivo-comportementale, mais que ce dernier hésitait à suivre du counseling en santé mentale parce qu’il trouvait son humeur normale. La division générale a estimé que, étant donné que le syndrome de la douleur chronique et la santé mentale sont souvent interreliés, l’appelant aurait probablement bénéficié de la thérapie, mais rien n’indiquait qu’il y avait eu recours, même si elle était abordable et disponible.
  • Dans un rapport daté du 25 avril 2017, le Dr Sobolev, un algologue, a recommandé à l’appelant de recevoir des injections aux facettes vertébrales lombaires du bas du dos. Le 29 juin 2017, l’appelant a reçu une première série d’injections qui l’ont soulagé pendant deux semaines, d’après ce qu’il a ensuite déclaré. Il a affirmé qu’il n’a jamais reçu d’autre injection, parce que la clinique de traitement de la douleur n’a plus communiqué avec lui et, qu’entre temps, il avait perdu sa médecin de famille. La division générale a blâmé l’appelant pour ne pas avoir fait de suivi, concluant qu’il ne s’était pas acquitté de sa responsabilité de gérer ses propres soins et de faire un effort raisonnable pour améliorer son état.

Tout d’abord, je ne suis pas certain que ces exemples représentent une [traduction] « tendance récurrente » de non-respect des recommandations, comme la division générale le soutient, surtout lorsque l’on tient compte de tous les antécédents médicaux de l’appelant, y compris du fait qu’il était disposé à subir une arthroplastie de l’épaule, qu’il a suivi des traitements de physiothérapie pendant plusieurs semaines après cette chirurgieNote de bas de page 7 et qu’il a essayé un grand nombre de médicaments par la suite, dont BuTrans, OxyNEO, la gabapentine, Effexor, Lyrica, Cymbalta, l’amitriptyline et la nortriptylineNote de bas de page 8. Plus précisément, étant donné que la division générale a estimé que les recommandations du Dr Broad n’étaient pas pertinentes, la conclusion selon laquelle l’appelant n’avait pas respecté des recommandations serait fondée sur la supposée omission de l’appelant de suivre une thérapie cognitivo-comportementale ou de chercher à obtenir d’autres injections aux facettes vertébrales lombaires.

[17] Lors de l’audience devant la division générale, l’appelant a affirmé qu’il résidait dans une petite collectivité du nord de l’Alberta qui se trouve à une distance importante du village le plus près et à une distance encore plus grande de la ville la plus près. Il a expliqué à la division générale que parcourir ces trajets en voiture aggravait sa douleur, et l’obligeait à prévoir au moins deux heures de transport supplémentaires pour lui permettre de prendre des pauses. La division générale a tout de même estimé que la thérapie cognitivo-comportementale était [traduction] « disponible ».

[18] L’appelant a aussi soutenu à maintes reprises qu’il avait été pris de court par le départ de sa médecin de famille, Dre Walton, au milieu de l’année 2017, et c’est la raison qu’il a invoquée pour ne pas avoir fait de suivi auprès du Dr Sobolev afin de recevoir d’autres injections. La division générale a choisi de mettre l’accent sur le fait que l’appelant n’avait pas revu le Dr Sobolev pour obtenir des injections, plutôt que sur les faits que l’appelant avait présentés en premier lieu. L’appelant a admis que les injections avaient soulagé sa douleur, mais pour deux semaines seulement, soit bien moins longtemps que les trois mois qui avaient été avancés comme durée possible. Malgré cela, la division générale a pénalisé l’appelant pour ne pas avoir cherché à obtenir d’autres injections, même si elle avait déjà écarté la physiothérapie, la massothérapie et l’acuponcture, parce que leurs bienfaits étaient seulement temporaires. Cependant, on pourrait dire la même chose des injections du Dr Sobolev, qui ne traitaient pas non plus la source même de la douleur de l’appelant.

[19] Il n’est pas ici question d’un requérant qui refuse constamment et sans raison de suivre les recommandations des médecins. La preuve démontre que l’appelant était généralement disposé à suivre les conseils de ses fournisseurs de soins et il a présenté des raisons défendables pour les fois où il ne l’était pas. Si la division générale a choisi de fonder sa décision, même en partie, sur le fait que l’appelant n’a pas suivi une thérapie cognitivo-comportementale et n’a pas demandé d’autres injections, elle se devait d’accorder une certaine importance aux raisons invoquées pour ne pas l’avoir fait. Je ne vois aucun indice dans la décision de la division générale que cette dernière a rempli cette obligation.

[20] Je constate que la division générale n’a pas suivi la jurisprudence applicable lorsqu’elle a ignoré la preuve selon laquelle il existait des circonstances atténuantes qui faisaient en sorte que l’appelant pouvait difficilement suivre les traitements recommandés.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle ignoré les rapports médicaux faisant état des limitations fonctionnelles de l’appelant?

[21] L’appelant insiste sur le fait que, contrairement aux conclusions de la division générale, il est invalide, et il attire l’attention sur les rapports médicaux qui appuient ses dires, y compris le rapport de la Dre Walton datant de juin 2016, qui établit qu’il était incapable de soulever des objets de plus de 20 livres ou de rester assis ou debout longtemps.

[22] J’estime que ce moyen d’appel, qui part du principe qu’un médecin devrait avoir le dernier mot dans les demandes de prestations d’invalidité, n’est pas valable. Il convient de rappeler que l’invalidité au sens du RPC est une question aussi juridique que médicale. Même si le rapport médical du Régime de pensions du Canada produit par la Dre Walton appuyait la demande de prestations d’invalidité de l’appelant, il ne représentait que l’un des nombreux facteurs dont la division générale devait tenir compte.

[23] Quoi qu’il en soit, il est de jurisprudence constante qu’un tribunal administratif chargé de tirer des conclusions de fait est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont il est saisi et n’est pas tenu de mentionner chacune des observations déposées par les partiesNote de bas de page 9. Bien que le requérant puisse ne pas être d’accord avec les conclusions de la division générale, un tribunal administratif est libre d’examiner les faits pertinents, d’évaluer la qualité des éléments de preuve, puis de décider de l’importance à leur accorder. Je peux seulement présumer que la division générale a choisi d’accorder moins d’importance à l’évaluation de la Dre Walton; elle a ainsi agi dans les limites de son pouvoir.

Réparation

[24] La LMEDS confère à la division d’appel le pouvoir de corriger les erreurs commises par la division générale. En vertu de l’article 59(1), je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément à certaines directives, ou confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale. De plus, en vertu de l’article 64 de la LMEDS, la division d’appel peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la LMEDS.

[25] Dans les observations présentées de vive voix, les deux parties ont convenu que, si j’avais relevé des erreurs dans la décision de la division générale, le redressement approprié serait de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Bien entendu, les parties ne s’entendaient pas sur ce que devrait être cette décision, l’appelant soutenant que la preuve disponible établissait l’invalidité et le ministre faisant valoir le contraire.

[26] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le décideur doit tenir compte du temps qui s’est écoulé avant qu’une décision concernant une demande de prestations d’invalidité ait été rendue. L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité voilà plus de trois ans. Si cette affaire était renvoyée à la division générale, il y aurait un délai supplémentaire. En outre, le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent. Je doute que la preuve de l’appelant soit substantiellement différente si l’affaire était instruite de nouveau.

[27] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est complet. L’appelant a déposé de nombreux rapports médicaux auprès du Tribunal, et j’ai en main de nombreux renseignements concernant ses antécédents personnels et professionnels. La division générale a tenu une audience orale complète et a entendu le témoignage de l’appelant au sujet de ses déficiences et de leur incidence sur sa capacité de travailler. Les traitements qui lui ont été recommandés et ceux qu’il a effectivement suivis ont été discutés longuement.

[28] Par conséquent, je suis en mesure d’apprécier la preuve qui figurait dans le dossier dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre si elle n’avait pas commis d’erreur. J’estime que si la division générale avait évalué adéquatement l’expérience de travail de l’appelant et interprété correctement la jurisprudence concernant l’atténuation des traitements, ses conclusions auraient été différentes. Ma propre évaluation du dossier m’a convaincu que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2016.

L’appelant est-il atteint d’une invalidité grave?

[29] Pour être considéré comme invalide, le requérant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date. Une invalidité est grave si la personne est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit « vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou [doit] entraîner vraisemblablement le décès »Note de bas de page 10.

[30] L’appelant a reçu un diagnostic de syndrome de la douleur chronique, mais il ne s’agit pas d’un cas où la douleur du requérant ne s’accompagnait pas de blessures physiologiques objectives. L’appelant a été d’abord soigné pour une blessure à l’épaule gauche il y a plus de 20 ansNote de bas de page 11, et cette épaule a ensuite été atteinte par l’arthrite. Après avoir ressenti une douleur croissante et éprouvé une plus grande restriction du mouvement, il a subi une arthroplastie totale de l’épaule en novembre 2014.

[31] L’épaule de l’appelant n’était pas son seul problème. Il se plaignait aussi de maux de dos et le dossier contient un rapport d’imagerie qui permet de constater les changements correspondant aux symptômes décrits; un examen par IRM de la colonne cervicale a révélé une [traduction] « dégénérescence discale relativement avancée des vertèbres C5-C6 et C6-C7Note de bas de page 12. »

[32] Bien que l’arthroplastie de l’épaule ait amené un certain soulagement, aucun des fournisseurs de traitement de l’appelant n’a affirmé que celui-ci serait capable de reprendre le type d’emploi exigeant sur le plan physique qu’il occupait auparavant. Le Dr Broad, le neurochirurgien, a prévenu l’appelant de ne pas reprendre son ancien travail d’opérateur et de mécanicien d’équipement lourd. La Dre Walton, sa médecin de famille, a jugé que l’appelant était atteint d’une [traduction] « invalidité chronique » et que le pronostic était peu encourageant.

[33] Si le travail physique dépasse maintenant les capacités de l’appelant, existe-t-il un type d’emploi qui s’inscrirait de façon réaliste dans les capacités de ce dernier, compte tenu de son profil et de ses antécédents? À mon sens, non. L’éducation formelle de l’appelant est limitée et il était âgé de 52 ans à la fin de la PMA. Il a les compétences pour travailler comme mécanicien naval et opérateur d’équipement lourd, mais ces dernières sont peu applicables en dehors de ces contextes précis. Bien que le ministre ait fait valoir que l’appelant était capable d’exercer une autre occupation, je conclus qu’il est peu probable qu’il puisse se recycler pour occuper un poste sédentaire ou obtenir et conserver un emploi véritablement rémunérateur, par exemple, comme commis ou représentant du service à la clientèle.

[34] Contrairement à la division générale, je conclus que l’appelant a pris des mesures raisonnables pour atténuer ses déficiences par un traitement. Comme je l’ai noté, l’appelant s’est montré ouvert à subir une chirurgie lorsqu’on le lui a recommandé et il a essayé tout un éventail d’analgésiques. Il est vrai que l’appelant n’a pas essayé la massothérapie et l’acuponcture, alors que le Dr Broad l’avait recommandé, mais je suis d’accord avec la division générale que ni l’une ni l’autre de ces thérapies n’aurait apporté plus que des bienfaits temporaires à ses douleurs mécaniques au cou et à l’épaule. On pourrait faire la même affirmation en ce qui concerne les injections aux facettes vertébrales lombaires qui, selon l’appelant, ne l’ont soulagé que pendant deux semaines la seule fois qu’il les a essayées.

[35] Même si elles avaient eu un effet prolongé, elles demeuraient relativement hors de portée d’un requérant vivant dans une collectivité éloignée. L’appelant réside à X, en Alberta, à environ quatre heures de route d’Edmonton où se situe la clinique de traitement de la douleur du Dr Sobolev. Durant son témoignage devant la division générale, l’appelant a mentionné à deux reprises la difficulté que représentait pour lui le fait de devoir se rendre à Edmonton ou même à Grande PrairieNote de bas de page 13. J’ai l’impression que la distance qui sépare l’appelant des services médicaux a également été un facteur dans le fait qu’il n’ait pas suivi la recommandation de la Dre Walton d’entamer une thérapie cognitivo-comportementale. Lors de son témoignage, l’appelant a insisté sur le fait que ses problèmes étaient strictement physiologiques, et il s’est montré ouvertement sceptique en ce qui concernait les bienfaits que le counseling en matière de santé mentale aurait pu avoir pour lui. La Dre Walton n’a indiqué nulle part dans ses notes l’endroit où elle avait l’intention d’envoyer l’appelant en thérapie, mais je doute qu’un service aussi spécialisé ait été offert à proximité de son lieu de résidence. Il est probable que, malgré ses réserves, il aurait été plus réceptif à la thérapie si elle avait été offerte près de chez lui.

[36] Le témoignage de l’appelant devant la division générale, la franchise qui s’en dégageait et sa description de ses symptômes et de leurs effets sur sa capacité à fonctionner dans un milieu professionnel étaient crédibles. J’ai aussi accordé de l’importance aux longs antécédents professionnels de l’appelant, qui comprenaient de nombreuses années d’emploi à salaire élevé. On peut raisonnablement présumer qu’une personne possédant un tel sens démontré de l’éthique de travail n’aurait pas quitté le marché du travail à moins qu’il y ait une cause sous-jacente importante.

L’appelant est-il atteint d’une invalidité prolongée?

[37] Le témoignage de l’appelant, corroboré par les rapports médicaux, indique qu’il souffre de douleurs à l’épaule gauche et au dos depuis plusieurs années. Les traitements n’ont produit qu’un effet limité, et l’appelant est devenu effectivement inemployable. Il est difficile de juger si sa santé s’améliorera considérablement, même s’il commençait le counseling ou un autre type de thérapie. À mon avis, ces facteurs qualifient l’invalidité de l’appelant de « prolongée ».

Conclusion

[38] J’accueille l’appel. La division générale a fondé sa décision sur des conclusions erronées voulant que l’appelant avait de l’expérience en gestion et avait omis de suivre les recommandations de traitement de ses médecins. Ayant décidé qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour me permettre de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, je conclus que l’appelant est atteint d’une invalidité qui est devenue grave et prolongée en janvier 2014, le dernier mois au cours duquel l’appelant a déclaré qu’il était capable de travaillerNote de bas de page 14. Conformément à l’article 42(2)(b) du RPC, une personne ne peut être réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date à laquelle le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité. En l’espèce, la demande a été reçue en juillet 2016; par conséquent, l’appelant est réputé avoir été invalide en avril 2015. Selon l’article 69 du RPC, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité réputée. La pension d’invalidité de l’appelant doit donc commencer en août 2015.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 11 décembre 2018

Téléconférence

B. M., appelant
Sandra Doucette, représentante de l’intimé

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