Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale aux fins de réexamen par une ou un autre membre.

Aperçu

[2] L. W. (requérant) a commencé à travailler pour le X en 1984, à l’âge de 21 ans. Après 28 années chez le même employeur, il a subi une blessure au dos et a touché des prestations d’invalidité à long terme. Le requérant a une discopathie dégénérative à la colonne lombaire et de l’arthrose à la hanche droite. Il a reçu son congé d’un programme de réadaptation parce qu’il ne faisait aucun progrès et qu’il a signalé une douleur accrue à la hanche droite. Il n’est pas retourné travailler. Il a déclaré que son équipe de traitement lui a conseillé d’attendre le plus longtemps possible avant de subir une chirurgie pour remplacer une hanche en raison de son âge relativement peu avancé.

[3] Le requérant a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, et le ministre a rejeté sa demande initialement et après révision. La division générale du Tribunal a rejeté l’appel le 8 avril 2018. La division d’appel a accordé la permission d’en appeler après avoir conclu qu’il était possible de soutenir que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle. La division d’appel doit déterminer s’il est plus probable que le contraire que la division générale ait commis une erreur prévue par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) et, le cas échéant, la façon dont la division d’appel corrigera cette erreur.

[4] La division d’appel estime que la division générale a commis une erreur en n’observant pas un principe de justice naturelle. La division d’appel renverra l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen par une ou un autre membre.

Questions en litige

[5] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La division générale devrait-elle envisager une renonciation implicite si la partie appelant ne soulève pas une allégation relative à la justice naturelle devant la division générale d’abord?
  2. Si la division d’appel devait envisager la renonciation implicite lorsque la partie appelante ne soulève pas une allégation relative à la justice naturelle devant la division générale d’abord, la division d’appel devrait-elle le faire en l’espèce?
  3. La membre de la division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en formulant des commentaires pendant l’audience qui auraient soulevé une perception raisonnable de partialité?

Analyse

Examen par la division générale des décisions de la division générale

[6] La partie appelante doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la division générale a commis une erreur prévue par la LMEDS. Les erreurs prévues par la LMEDS sont appelées « moyens d’appel ». L’un des moyens d’appels prévus par la LMEDS est que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelleNote de bas de page 1.

Renonciation implicite et objectif

[7] La Cour d’appel fédérale a déclaré que les allégations de partialité et d’iniquité doivent être soulevées à la première occasion pratique : « [...] des assertions de partialité et de manquement à l’équité procédurale en première instance ne sauraient être invoquées en appel ou dans un contrôle judiciaire si elles pouvaient raisonnablement être soulevées en temps opportun devant la juridiction inférieureNote de bas de page 2 [...] » La Cour fédérale a conclu que la première occasion pratique se produit lorsqu’une personne est informée des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle soulève une objectionNote de bas de page 3. Si la personne qui soulève l’allégation de partialité ou d’iniquité ne soulève pas une objection, on présume qu’elle a renoncé à son droit de prétendre que l’erreur s’est produiteNote de bas de page 4. Cela est appelé la « renonciation implicite ».

[8] La justification de l’application du concept de la renonciation implicite est qu’elle donne au premier décideur la chance d’aborder la question avant qu’il n’en résulte un préjudice, de réparer tout préjudice causé ou de s’expliquer. La Cour fédérale a décrit cela comme étant [traduction] « l’économie des ressources judiciairesNote de bas de page 5 » :

L’économie des ressources judiciaires est un argument important à l’appui d’une telle exigence. Si les demandeurs peuvent obtenir le contrôle judiciaire des décisions qui leur donnent tort simplement en ne soulevant pas les problèmes patents d’interprétation, c’est ce qu’ils feront. Ceci mènera à une duplication des audiences. Il serait de meilleure politique d’encourager la tenue de l’audience la plus équitable possible et ainsi éviter des procédures à répétition. Les demandeurs devraient être tenus de se plaindre à la première occasion, lorsqu’il est raisonnable de s’y attendre.

[9] Cela est compatible avec l’idée qu’une partie appelante ne devrait pas être en mesure de demeurer silencieuse ou « tapie dans l’herbe », puis de « bondir » en soulevant des questions concernant la justice naturelle seulement après avoir perdu sa causeNote de bas de page 6.

Question en litige no 1 : La division générale devrait-elle envisager une renonciation implicite si la partie appelant ne soulève pas une allégation relative à la justice naturelle devant la division générale d’abord?

[10] Il existe plusieurs raisons pour lesquelles la division d’appel ne devrait pas envisager la renonciation implicite simplement parce que la partie appelante soulève cette question pour la première fois à l’étape de la division d’appel. Étant donné la nature, le travail et la clientèle du Tribunal, le recours à la renonciation implicite par la division d’appel crée un obstacle inacceptable en matière d’accès à la justice pour les parties requérantes. La LMEDS ne prévoit pas que la division d’appel peut renoncer implicitement à des allégations concernant la justice naturelle. L’objectif de la renonciation implicite exprimé par les tribunaux, à savoir l’économie des ressources judiciaires, comprend des facteurs concernant le système du Tribunal qui sont différents de ceux concernant les cours.

[11] Il n’existe aucune autorisation légale contraignante qui tient particulièrement compte de raisons de principes pour lesquelles la renonciation implicite ne pourrait pas être appropriée à l’étape de la division d’appel. Un examen des causes de la division d’appel concernant la renonciation implicite donne à penser qu’il vaudrait mieux considérer la question de savoir si la partie appelante a soulevé une allégation en matière de justice naturelle à l’étape de la division générale comme un facteur pour déterminer si une erreur relative à la justice naturelle a réellement été commise, et non de considérer ce facteur comme une justification de la renonciation implicite.

Le recours à la renonciation implicite par la division d’appel crée un obstacle inacceptable en matière d’accès à la justice pour les parties requérantes.

[12] Le Tribunal (y compris la division d’appel) n’est pas une cour. Il s’agit d’un tribunal administratif. Étant donné la nature du travail du Tribunal, le fait d’exiger des parties appelantes qu’elles soulèvent une question concernant la justice naturelle à l’étape de la division générale au risque de renoncer implicitement à ce droit à l’étape de la division d’appel peut causer un obstacle en matière d’accès à la justice qui est incompatible avec le projet global du Tribunal. Le Tribunal rend des décisions sur des dispositions législatives qui confèrent des prestations (en l’espèce, des dispositions législatives qui confèrent des prestations sociales : prestations d’assurance-emploi, de pension et de la Sécurité de la vieillesse). Ce type de dispositions législatives doit être interprété de façon libérale et généreuseNote de bas de page 7. La renonciation à l’étape de la division générale peut mettre fin à l’appel en matière de prestations sociales d’une partie requérante. Cependant, les enjeux sont élevés puisque le travail du Tribunal porte sur des dispositions législatives conférant des prestations.

[13] Le Tribunal doit mettre les parties requérantes cherchant à obtenir des prestations au cœur du processus d’appelNote de bas de page 8. La question de la justice naturelle sera la plupart du temps soulevée par les parties requérantes, et non par le ministre étant donné que celui-ci ne participe pas souvent à l’audience tenue devant la division générale. De plus, les parties requérantes ne sont pas obligées d’être représentées devant le Tribunal. Certaines parties requérantes ont des avocates ou des avocats, d’autres ont des professionnelles ou des professionnels, comme des parajuristes, afin de les représenter. Des parties requérantes sont également représentées par des amies ou amis, et d’autres sont non représentées. Un grand nombre de parties requérantes qui comparaissent devant le Tribunal ont des incapacités, et ces incapacités peuvent signifier qu’elles ont des limitations fonctionnelles et résultant de constructions socialesNote de bas de page 9.

[14] La renonciation implicite est un concept juridique que seul un petit groupe de personnes risque de comprendre. Le fait qu’on s’attende à ce qu’une partie requérante soulève une question de justice naturelle à la première occasion pourrait sembler relever du bon sens, mais il est également logique, sur le plan du bon sens, qu’une partie requérante croie que le fait de soulever des questions de partialité ou des préoccupations concernant l’interprétation soit considéré comme étant impoli, obstructionniste ou insuffisamment rigoureux pour un décideur dans une instance donnée. Le fait de mettre les parties requérantes au cœur du processus d’appel devrait signifier qu’il faut examiner sur le fond leurs allégations concernant les erreurs de la division générale au lieu de rejeter ces allégations en se fondant sur des concepts juridiques, comme la renonciation implicite, qu’elles pourraient ne pas connaître.

[15] Le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 10. Il n’existe aucune exigence prévue par la loi selon laquelle les membres du Tribunal, y compris ceux de la division d’appel, doivent être des avocates ou des avocats. Le Tribunal ne suit pas strictement les règles de preuve. La renonciation implicite dans le contexte quasi judiciaire ne semble pas être compatible avec ces éléments du processus informel au sein du Tribunal.

[16] Le Tribunal est également chargé de promouvoir et de démontrer les valeurs de la responsabilité et de la transparenceNote de bas de page 11. À l’heure actuelle, le Tribunal ne publie pas toutes les décisions rendues par la division générale. Cependant il publie les décisions de la division d’appel sur un site Web que le public peut consulter : CanLII. Le public peut accéder à l’ensemble du site Web gratuitementNote de bas de page 12. Il faut être en mesure de constater que la justice a été rendue. Si une représentante ou un représentant soulève des questions concernant la justice naturelle à l’étape de la division générale, il est vrai que celle-ci a ensuite l’occasion de s’expliquer ou d’essayer de corriger le problème d’une manière quelconque. Il est probable que l’objection pour des motifs de justice naturelle fera partie de la discussion dans les motifs de la division générale. Cependant, la plupart des décisions de la division générale ne sont pas publiées sur CanLII. Par conséquent, dans certains cas, il est plus facile de faire preuve de responsabilité et de transparence lorsque les parties requérantes qui soulèvent une question concernant la justice naturelle ont l’occasion de le faire pour la première fois devant la division d’appel, et qu’une décision portant sur cette question est publiée.

Les dispositions législatives ne mentionnent pas la conclusion par la division d’appel à la renonciation implicite en ce qui a trait aux allégations concernant la justice naturelle.

[17] Le Tribunal est régi par des dispositions législatives, et celles-ci ne limitent pas les parties appelantes à soulever une allégation concernant la justice naturelle pour la première fois à l’étape de la division d’appel. Devant la division d’appel, les parties appelantes doivent établir que la division générale a commis une erreur. Les seules erreurs que la division d’appel est autorisée à examiner sont celles prévues à l’article 58(1) de la LMEDSNote de bas de page 13. Une erreur est commise au titre de l’article 58(1)(a) lorsque la division générale n’observe pas un principe de justice naturelle. Rien dans l’article 58(1)(a) n’oblige la division d’appel à examiner si la partie appelante a soulevé la question à l’étape de la division générale, et il est impossible d’énoncer le processus d’appel prévu à l’article 58(1)(a) si la question n’est pas d’abord soulevée à l’étape de la division générale.

[18] La division d’appel suit très strictement le libellé concernant les erreurs énumérées dans la LMEDS pour déterminer la mesure dans laquelle une prétendue erreur fera l’objet d’un examen minutieux, et la division d’appel n’applique pas les normes de preuve appliquées par les cours en ce qui concerne les erreurs soulevées dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale prévoit clairement que la compétence de la division d’appel est limitée aux moyens d’appel prévus à l’article 58(1)Note de bas de page 14.

[19] Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale ne prévoit pas que les parties appelantes doivent soulever des questions concernant la justice naturelle le plus tôt possible ou que le fait de ne pas soulever une question à l’étape de la division générale signifie que la division d’appel laissera entendre que la partie appelante a renoncé à son droit de poursuivre l’appel. De plus, il n’y a aucun renseignement concernant cet obstacle possible à l’accès d’un des moyens d’appel dans des sources d’information offertes en ligne au public sur le site Web du Tribunal.

[20] Même les représentantes ou représentants professionnels, les parajuristes et les avocates ou avocats ne connaissent peut-être pas l’idée selon laquelle la division d’appel pourrait conclure à la renonciation implicite à une question concernant la justice naturelle si la partie appelante n’a pas soulevé cette question à l’étape de la division générale d’abord. La loi confère l’ensemble des pouvoirs du Tribunal, et si l’un des moyens d’appel à l’étape de la division d’appel ne peut pas être examiné sans être soulevé devant la division générale en premier lieu, il y aurait lieu qu’une représentante légale ou qu'un représentant légal s’attende à ce que la loi régissant le Tribunal, à savoir la LMEDS, le prévoie clairement.

Il n’existe aucune jurisprudence contraignante qui examine précisément les raisons de principe pour lesquelles la division d’appel devrait conclure à la renonciation implicite.

[21] La notion de la renonciation implicite est mentionnée dans des décisions de cours fédérales, mais aucune de ces décisions ne tient particulièrement compte des raisons de principe pour lesquelles il devrait y avoir renonciation implicite si la partie appelante ne soulève pas une question concernant la justice naturelle à l’étape de la division générale en premier lieu.

[22] Le ministre soutient que les principales causes citées précédemment, soit les arrêts Hennessey et Benitez, prévoient que la division d’appel doit examiner s’il devrait y avoir une renonciation implicite dans le cadre d’appels de décisions de la division générale devant la division d’appel.

[23] Le représentant du requérant fait valoir que l’une des causes principales portant sur la renonciation, à savoir l’arrêt Hennessey, n’a aucune force exécutoire sur le Tribunal étant donné qu’il s’agit d’une affaire dans laquelle la Cour d’appel fédérale a tranché qu’il y avait renonciation implicite si une partie appelante soulevait pour la première fois une impartialité de la part de la Cour fédérale devant la Cour d’appel fédérale. Autrement dit, l’arrêt Hennessey portait sur la renonciation implicite si une partie appelante ne soulevait pas une question concernant la justice naturelle en cour, et non devant la division générale du Tribunal.

[24] Je suis d’accord et j’estime que les causes dans lesquelles les cours ont établi qu’il y avait renonciation implicite sont moins utiles pour déterminer si cela devrait s’appliquer à un tribunal qui est moins officiel et seulement de nature quasi judiciaire.

[25] Le représentant du requérant souligne également que l’autre cause concernant la renonciation implicite qui est souvent citée, à savoir l’arrêt Benitez, découle du système d’immigration. Les instances devant les tribunaux d’immigration sont, selon ses observations, de nature plus officielle et judiciaire que le Tribunal. L’arrêt Benitez concernait un groupe de parties appelantes cherchant à obtenir le contrôle judiciaire relativement à l’équité de leur audience devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Les parties appelantes ont prétendu que l’iniquité découlait du fait que la SPR avait suivi des lignes directrices sur la tenue d’audience établies par la présidence de la CISR. Selon le représentant du requérant, les audiences devant la SPR sont de nature plus officielle et judiciaire que celles tenues devant la division générale du Tribunal, et, par conséquent, les principes concernant la renonciation implicite en litige entre la SPR et la Cour fédérale ne doivent pas être appliqués entre la division générale et la division d’appel.

[26] Il est difficile de comparer de manière significative le processus de la CISR à celui du Tribunal, et il n’est probablement pas nécessaire pour moi de trancher en l’espèce, mais je souligne, comme il a été fait précédemment, que le travail de la CISR et du Tribunal est différent et que ces deux organisations ont différents processus et procédures internes. D’après ma lecture, l’arrêt Benitez ne constitue pas une déclaration définitive ou contraignante concernant ce que le Tribunal doit exiger de la part des parties appelantes à l’étape de la division générale avant qu’elles puissent soulever des préoccupations relatives à la justice naturelle devant la division d’appel.

[27] Il existe des arrêts de la Cour fédérale dans lesquels il y a renonciation implicite plus particulièrement dans le contexte du Tribunal. Dans l’arrêt Sharma c Canada (Procureur général)Note de bas de page 15, la Cour d’appel fédérale du Canada a refusé d’examiner une question relative à l’équité procédurale qui, selon le requérant, était survenue à l’étape de la division générale en déclarant que le requérant avait soulevé cette question pour la première fois devant la Cour et que, par conséquent, l’avis de celle-ci était qu’elle n’était pas en mesure d’examiner cette question. La Cour a déclaré qu’il y avait renonciation implicite. Cependant, dans cette affaire, le requérant n’avait pas non plus soulevé la question concernant la justice naturelle à l’étape de la division d’appel, et la permission d’en appeler était limitée à une question différente. L’arrêt Sharma conclut clairement que la Cour d’appel est prête à conclure à une renonciation implicite si la partie requérante soulève l’allégation concernant la justice naturelle en premier lieu pendant le contrôle judiciaire en cour après le traitement de la cause devant le Tribunal. L’arrêt Sharma n’examine pas expressément la question de savoir s’il devrait y avoir renonciation implicite à l’étape de la division d’appel pour déterminer si la division générale a commis une erreur prévue par la LMEDS.

[28] Dans un arrêt très récent, Brochu c Canada (Procureur général)Note de bas de page 16, la Cour fédérale a conclu que la division d’appel n’avait pas commis une erreur révisable dans un cas concernant une prétendue omission par la division générale d’observer un principe de justice naturelle. La division d’appel a refusé la permission d’en appeler à un requérant qui a prétendu pour la première devant la division d’appel que la division générale avait commis une erreur lorsqu’elle a tenu une audience par téléconférence au lieu d’une audience en personne ou par vidéoconférence. La division d’appel a conclu que le requérant n’avait aucune chance raisonnable de succès pour plusieurs raisons, dont l’une étant qu’il n’avait pas soulevé une question relative à l’équité procédurale dans le formulaire d’audience avant d’atteindre l’étape de la division d’appel et que, par conséquent, il n’avait pas soulevé la question aussitôt que possible.

[29] Comme dans d’autres causes dans lesquelles la division générale discute de la nécessité de soulever des questions concernant la justice naturelle dès que possible, l’arrêt Brochu aborde expressément le contenu de l’allégation concernant la justice naturelle au lieu de simplement conclure à une renonciation implicite. La division d’appel a rejeté l’argument du requérant selon lequel la division générale devait tenir une audience en personne étant donné que la crédibilité de celui-ci était en litige, elle a souligné une préoccupation quant au fait de se fonder sur un comportement pour apprécier la crédibilité, et elle s’est fondée sur le fait que la décision concernant le mode d’audience est très discrétionnaire et qu’on ne devrait pas intervenir légèrement à cet égardNote de bas de page 17. La Cour fédérale a tenu compte de tous ces éléments de la décision de la division d’appel dans sa propre décision également; elle n’a pas conclu strictement à une renonciation implicite de la part de la partie requérante ou déclaré d’une manière quelconque que la renonciation était le facteur déterminant.

[30] À proprement parler, les cours fédérales n’ont pas précisément obligé le Tribunal à conclure à une renonciation implicite de la part de la partie appelante à l’étape de la division d’appel.

L’économie des ressources judiciaires comprend des facteurs concernant le système du Tribunal qui sont différents de ceux concernant les cours.

[31] L’objectif de l’exigence pour les parties requérantes de soulever les questions concernant la justice naturelle dès que possible, à savoir l’économie des ressources judiciaires, ne fonctionne pas de la même façon dans le contexte du Tribunal que dans le contexte des cours. Celles-ci ont conclu clairement qu’il n’est pas juste de faire l’objet d’un manquement à un principe de justice naturelle à une instance d’une cour ou d’un tribunal, de garder le silence ou de demeurer « tapie dans l’herbe », puis de « bondir » en cour, et qu’il ne s’agit pas d’une utilisation adéquate des ressources judiciaires.

[32] Toutefois, ce concept fonctionne différemment si la partie appelante a une question en matière de justice naturelle à l’étape de la division générale et qu’elle souhaite le soulever pour la première fois à l’étape de la division d’appel. La division d’appel n’est pas une cour d’appel. La division générale et la division d’appel sont simplement des divisions distinctes du même tribunal. Les parties requérantes qui reçoivent une décision rendue par la division générale et demandent la permission d’en appeler à la division d’appel en raison d’une allégation concernant un principe de justice naturelle pourraient ne pas avoir [traduction] « bondi »; on pourrait dire qu’elles se trouvent encore dans l’herbe. Elles sont simplement passées à un autre décideur du même tribunal qui a le pouvoir explicite de réviser les erreurs commises par ses collègues.

[33] Il serait inefficace d’autoriser les parties appelantes à soulever des questions concernant la justice naturelle pour la première fois à l’étape de la division d’appel, car cela pourrait entraîner une procédure supplémentaire (à savoir une décision de la division d’appel relativement à une demande de permission d’en appeler, possiblement une décision sur l’appel sur le fond, puis possiblement une nouvelle audience devant la division générale) alors que la question pourrait avoir été abordée immédiatement si elle avait été soulevée à l’étape de la division générale. Cet argument est plus solide si la question concerne les services d’interprétation, par exemple, qu’il ne le serait dans le cas d’une question de partialité, lorsque la façon dont la question doit être résolue par la ou le membre accusé de partialité est moins évidente.

[34] Selon le type de la prétendue question concernant la justice naturelle, le fait de soulever la question à l’audience devant la division générale garantit presque une seconde audience devant la division générale, alors que le fait de demeurer tapie dans l’herbe entraînera seulement une seconde audience devant la division générale si la partie requérante perd sa cause devant la division générale et la gagne devant la division d’appel. Dans l’ensemble, il serait possible que le fait de donner l’occasion aux parties requérantes de déterminer si elles soulèvent la question concernant la justice naturelle devant la division d’appel permette d’économiser des ressources judiciaires et évite la tenue d’une seconde audience devant la division générale prévue par celle‑ci pour des causes dans lesquelles la partie requérante aurait eu gain de cause si elle avait simplement attendu tapie dans l’herbe.

[35] L’économie de ressources judiciaires est également pertinente pour les parties, et non seulement pour le nombre total de cas à traiter du Tribunal. Toutefois, comme il a été mentionné précédemment, la partie intimée devant la division générale ne participe pas à l’audience la plupart du temps, peu importe la cause, et seule la partie requérante participe à l’instance devant la division d’appel. L’incidence d’une seconde audience devant la division générale sur les ressources du ministre est donc différente de l’incidence d’une seconde audience à l’étape des cours.

[36] De plus, la division d’appel compte une autre façon clé de veiller à l’économie des ressources judiciaires. La division d’appel détermine si la permission d’en appeler sera accordée pour une question concernant la justice naturelle : il doit y avoir une chance raisonnable de succès. Il serait moins probable qu’une cause dans laquelle une partie requérante attendait véritablement tapie dans l’herbe confère à l’appel une chance raisonnable de succès sur le fond. Dans certaines causes, il est possible que l’attente dans l’herbe soit une décision calculée, ce qui démontre que le manquement n’était pas grave ou que celui-ci n’est pas du tout survenu.

Il faut tenir compte du moment où la partie appelante a soulevé une question concernant la justice naturelle lorsque cela est pertinent afin de déterminer s’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle.

[37] La tendance dans les décisions de la division d’appel donne à penser qu’il est important d’examiner si la partie appelante a soulevé une allégation concernant la justice naturelle à l’étape de la division générale comme facteur pour déterminer si une erreur relative à la justice naturelle s’est réellement produite, et non de tenir compte de l’omission de soulever la question à la division générale comme justification pour conclure à la renonciation implicite.

[38] La division a de tout temps examiné la question de savoir si la partie requérante a soulevé la question concernant la justice naturelle à la première occasion pratique et ainsi si la division d’appel devrait conclure à la renonciation implicite de la partie requérante. Ces causes de la division d’appel n’ont aucune force exécutoire. Toutefois, étant donné que ces causes tiennent compte de la renonciation implicite à l’étape de la division d’appel et que mon rôle n’est pas compatible avec cette approche, je dois tenir compte de ces causesNote de bas de page 18.

[39] La division d’appel a refusé de conclure à la renonciation implicite de la part de parties appelantes dans deux causes différentes dans lesquelles les parties appelantes non représentées n’ont pas soulevé clairement des questions relatives à la partialité à l’étape de la division généraleNote de bas de page 19.

[40] En revanche, dans deux autres causes concernant l’interprétation du libellé, la division d’appel a conclu à la renonciation implicite. Dans ces deux causes, il n’est pas évident de savoir si la division d’appel aurait conclu que les prétendus problèmes concernant l’interprétation du libellé à l’étape de la division générale auraient donné lieu à un manquement à un principe de justice naturelle si la renonciation n’avait pas été implicite. Dans une cause, le Tribunal a noté que l’appelante était capable de communiquer efficacement avec lui en anglaisNote de bas de page 20. Dans l’autre, le membre de la division d’appel a déclaré que le fait que l’appelant n’ait pas soulevé le manquement précédemment a fait en sorte que le membre a remis en doute l’existence d’un manquement important à un principe de justice naturelle à l’audienceNote de bas de page 21.

[41] Une situation semblable s’est produite dans une autre cause devant la division d’appel dans laquelle la question concernant la justice naturelle était quelque peu différente. La division d’appel a examiné la question de savoir s’il était équitable que la division générale exige que la représentante de l’appelante de fournir un argument sur-le-champ pendant l’audience relativement à l’incidence d’une jurisprudenceNote de bas de page 22. Le membre de la division d’appel a convenu que les allégations en matière d’équité doivent être soulevées dès que possible, mais il a également souligné que la représentante de l’appelant est finalement parvenue à fournir un argument sur la jurisprudence, à la demande de la division générale. Cela donne à penser que le membre de la division générale a non seulement tenu compte de la renonciation implicite, mais également de la question de savoir si un seul manquement avait été commis étant donné le fait que la représentante de l’appelante a finalement présenté l’argument qu’il aurait dû présenter.

[42] Dans une autre cause, une ou un membre de la division d’appel a conclu à la renonciation implicite, mais a choisi de toute d même aborder le prétendu manquement au principe de justice naturelle afin de conclure qu’aucun manquement n’avait été commisNote de bas de page 23.

[43] Ces affaires démontrent que la division d’appel a parfois refusé d’estimer raisonnable la renonciation implicite selon les circonstances particulières de l’espèce. Cependant, les causes démontrent également que la division d’appel a conclu à la renonciation implicite dans certaines situations, mais qu’elle a ensuite analysé le fond de l’allégation concernant la justice naturelle ou qu’elle a laissé entendre que le fait de ne pas avoir soulevé la question devant la division générale constituait un facteur pour déterminer l’existence réelle d’un manquement à un principe de justice naturelle. Ces causes ne démontrent pas une tendance claire ou constante selon laquelle la division d’appel conclut à la renonciation implicite et rejette simplement une question concernant la justice naturelle en se fondant purement sur la question de base consistant à savoir si la partie appelante a soulevé la question devant la division générale en premier lieu. L’analyse effectuée par plus d’une ou d’un membre de la division d’appel appuie l’idée selon laquelle il existe des circonstances limitées dans lesquelles les membres de la division d’appel sont prêts à conclure à la renonciation implicite et selon laquelle ces causes dans lesquelles les membres sont prêts à le faire sont celles dans lesquelles la division d’appel conclut que le fondement du manquement est convaincant.

[44] À la lumière de ce qui précède, la division d’appel ne devrait pas conclure à la renonciation implicite pour les causes dans lesquelles les parties appelantes soulèvent le manquement à un principe de justice naturelle pour la première fois dans le cadre de l’appel. Étant donné la nature du travail ainsi que la structure du Tribunal, l’approche axée sur la clientèle qu’il devrait adopter, la jurisprudence des cours et même ses propres causes, la division d’appel devrait examiner la question de savoir si la partie appelante a soulevé une allégation concernant la justice naturelle devant la division générale comme facteur pour déterminer si une erreur relative à la justice naturelle a réellement été commise au lieu de considérer ce facteur comme une justification pour la renonciation implicite.

Question en litige no 2 : Si la division d’appel devait envisager la renonciation implicite lorsque la partie appelante ne soulève pas une allégation relative à la justice naturelle devant la division générale d’abord, la division d’appel devrait-elle le faire en l’espèce?

[45] Si j’ai tort et que la division d’appel doit envisager la renonciation implicite, il est déraisonnable que la parajuriste du requérant en l’espèce ait soulevé la question concernant la partialité pendant l’audience devant la division générale. Je ne conclurai donc pas à la renonciation implicite. Les commentaires formulés par la membre de la division laissent entendre qu’elle savait déjà que ses commentaires étaient inappropriés, mais elle a continué et elle les a tout de même formulés, ce qui compliquerait à tout le moins la présentation de la question auprès d’elle.

[46] En l’espèce, la membre de la division générale a questionné le requérant sur la raison pour laquelle il n’avait pas encore subi une chirurgie à la hanche. La membre a donné au requérant une recommandation directe au sujet de la chirurgie à la hanche en déclarant ce qui suit : [traduction] « Ne les laissez pas vous dire d’attendre pour un remplacement de la hanche [...] Vous devrez peut-être vous plaindre pour obtenir ce que vous désirez. » La membre a affirmé : [traduction] « Je ne suis pas censée vous dire cela », puis elle a fait part de son âge et de son expérience très positive quant à un remplacement de la hanche, plus particulièrement en ce qui concerne sa capacité de skier. Elle a également ajouté : [traduction] « J’espère qu’on n’écoutera pas cet enregistrement. Je suis très en faveur [de la chirurgie en vue d’un remplacement de la hanche] le plus tôt possible. »

[47] En réponse, le requérant a demandé une question de suivi concernant l’expérience de la membre de la division générale concernant le remplacement de sa hanche, à savoir si elle avait reçu des avertissements au sujet de certains types d’activités physiques à la suite de sa chirurgie. La membre a répondu de manière assez détaillée à la question. La parajuriste du requérant a seulement réagi dans la mesure où elle a tenté de comparer la situation de son client à celle de la membre en déclarant : [traduction] « Mais vous êtes en forme, Madame la Présidente, je veux dire que vous êtes en bonne forme physique ».

[48] La membre de la division générale a reconnu qu’il était inapproprié de faire part de sa propre expérience médicale et de donner des recommandations médicales en l’espèce en affirmant ce qui suit : [traduction] « Je ne suis pas censée vous dire cela [...] J’espère qu’on n’écoutera pas cet enregistrement. » La membre est même allée jusqu’à dire que, si on écoutait l’enregistrement, elle pourrait [traduction] « en entendre parler ». Selon l’enregistrement, on entend quelque chose comme si la parajuriste aurait déclaré [traduction] « Peu importe » en réponse, mais j’estime qu’il ne s’agissait pas d’une renonciation explicite, mais plutôt une tentative faite par la parajuriste, dans une situation gênante, de ramener la membre de la division générale au cœur du sujet en l’espèce.

[49] Il est raisonnable que le requérant assume d’après ces commentaires qu’on lui demande indirectement de garder un secret pour la membre : elle savait que la formulation de commentaires n’était pas appropriée et qu’elle souhaitait clairement qu’ils ne soient pas constatés après révision, ce qui se produirait seulement si l’une des parties interjetait appel.

[50] La représentante du ministre a soulevé l’argument selon lequel la parajuriste du requérant a de l’expérience et qu’elle aurait dû soulever la question pendant l’audience devant la division générale. Le représentant du requérant en l’espèce est d’avis que la parajuriste ne s’est pas opposé.

[51] D’un point de vue pratique, il existe des problèmes inhérents quant au fait d’exiger d’une parajuriste (ou même d’une avocate) de soulever une impartialité à l’étape de la division générale. La prise d’une telle mesure serait assez importante en l’espèce pour exiger que le requérant en fasse précisément la demande. Le simple fait de demander une suspension pourrait en soi soulever la question auprès de la membre de la division générale, particulièrement dans le cas où la membre avait déjà reconnu qu’elle n’aurait pas dû dire ce qu’elle a dit. Des parties requérantes pourraient ne pas souhaiter soulever la question directement auprès de la ou du membre parce qu’elles craignent que cela cause préjudice à leur cause, mais une simple demande d’ajournement pourrait envoyer le signal à la ou au membre qu’une partie requérante envisage déjà ses options. Ces difficultés ne sont peut-être pas uniques au Tribunal, mais, en tant qu’organisme quasi judiciaire dont l’objectif est que l’instance se déroule de manière informelle, le fait de soulever une objection officielle entraîne ces types de problèmes.

[52] Quoi qu’il en soit, dans ces circonstances, il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne qui n’était pas représentée par une avocate de soulever une perception raisonnable de partialité à la membre de la division générale au même moment que cette membre reconnaissait explicitement qu’elle disait des choses qu’elle ne devrait pas dire. La parajuriste a tenté d’aborder la question en comparant la situation de son client à celle de la membre et en disant gauchement [traduction] « Peu importe » lorsque la membre a continué de songer à haute voix au caractère inapproprié de ses déclarations et des conséquences possibles qui pourraient en découler.

[53] J’estime que la parajuriste du requérant n’a pas vraiment soulevé une objection relativement à la conduite de la membre de la division générale à l’audience et que, même si l'on doit tenir compte de la renonciation implicite, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que la parajuriste ait soulevé la question à l’audience de la division générale. Dans l’arrêt Sharma, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une ou un parajuriste aurait dû soulever une objection quant à l’absence d’une interprétation du libellé à l’étape de la division générale. Toutefois, l’arrêt Sharma était différent parce que le demandeur n’a jamais soulevé la question concernant la justice naturelle avant que l’affaire soit instruite par les cours. De plus, la question dans l’arrêt Sharma concernait l’interprétation du libellé. La dynamique était donc différente. En l’espèce, le fait de soulever immédiatement la partialité auprès de la membre de la division générale alors qu’elle semble elle-même consciente du fait que son comportement pourrait être inapproprié n’est probablement pas plus facile pour une parajuriste que cela ne le serait pour une personne non spécialisée.

Question en litige no 3 : La membre de la division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en formulant des commentaires pendant l’audience qui auraient soulevé une perception raisonnable de partialité?

[54] La membre de la division générale a formulé des commentaires pendant l’audience qui ont soulevé une perception raisonnable de partialité. Elle a ainsi omis d’observer un principe de justice naturelle.

[55] L’instance devant la division générale se déroule de la manière la plus informelle que les facteurs concernant la justice naturelle le permettentNote de bas de page 24. Pour déterminer s’il existe une perception raisonnable de partialité, la bonne question juridique à poser serait celle de savoir à quelle conclusion en arriverait une personne raisonnable, censée et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratiqueNote de bas de page 25. La personne examinant la partialité doit être raisonnable, et la perception de partialité doit être raisonnable dans les circonstances de l’espèceNote de bas de page 26.

[56] Le requérant fait valoir que la membre de la division générale a formulé des commentaires inappropriés pendant l’audience qui soulève une perception raisonnable de partialité. Le requérant soutient que, en réponse à son témoignage concernant la raison pour laquelle il n’avait pas encore subi une chirurgie à la hanche, la membre de la division générale a directement mentionné ses propres antécédents médicaux et elle lui a fait des recommandations médicales. Le requérant fait valoir que la membre de la division générale a laissé entendre qu’il devrait subir la même chirurgie à la hanche qu’elle avait subie.

[57] Le requérant soutient que ces commentaires soulèvent une perception raisonnable selon laquelle la membre était partiale à l’égard du requérant parce que celui-ci n’avait pas encore choisi de subir la même chirurgie qu’elle avait subie. Le requérant fait valoir que la membre a rendu une conclusion sur la question de savoir si sa chirurgie à la hanche était recommandée sans se fonder sur la preuve dûment portée à sa connaissance, mais plutôt sur sa propre expérience relativement à cette chirurgie. Le requérant soutient que la membre de la division générale a commis une erreur relative à la justice naturelle grave parce que ses commentaires [traduction] « permettent de douter de l’impartialité du Tribunal de la sécurité sociale et la capacité de celui-ci à trancher les causes concernant la pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada conformément aux règles relatives à la preuve et à l’impartialitéNote de bas de page 27 ».

[58] Le ministre soutient que la division générale n’a pas omis d’observer un principe de justice naturelle. Tout d’abord, le ministre fait valoir que la membre de la division générale n’a fait aucune déclaration à l’audience qui pourrait mener à une perception raisonnable de partialité. Le ministre soutient que, lorsqu’on tient compte des commentaires de la membre dans le contexte, il était approprié qu’elle demande la raison pour laquelle le requérant n’avait pas envisagé la chirurgie puisqu’elle l’avait subie.

[59] Le ministre fait également valoir que les commentaires généraux de la membre concernant la chirurgie ne signifiaient pas qu’elle ne faisait plus preuve d’impartialité ou qu’elle a été réellement partiale, et qu’une personne raisonnablement renseignée n’en constate aucune. Le ministre soutient que la membre a exprimé son opinion ne devrait pas priver la décideuse de l’exercice de ses droits et que le fait d’avoir subi la même chirurgie pourrait être un précieux atout dans le cadre de son emploi. TLe ministre a cité la Cour suprême du Canada, qui a déclaré dans une cause portant sur la perception raisonnable de partialité que l’exigence de neutralité de la part des décideurs ne prévoit pas qu’ils doivent « faire abstraction de toute [leur] expérience de la vie à laquelle [ils] doi[vent] peut-être [leur] aptitude à arbitrer les litiges ». Les juges emportent leurs sympathies en cour, mais la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

La sagesse que l’on exige d’un juge lui impose d’admettre, de permettre consciemment, et peut-être de remettre en question, l’ensemble des attitudes et des sympathies que ses concitoyens sont libres d’emporter à la tombe sans en avoir vérifié le bien-fondé.

La véritable impartialité n’exige pas que le juge n’ait ni sympathie ni opinion. Elle exige que le juge soit libre d’accueillir et d’utiliser différents points de vue en gardant un esprit ouvertNote de bas de page 28.

[60] Le ministre soutient que la division générale n’a pas tenu compte de la preuve médicale qui n’a pas été portée à sa connaissance de manière appropriée, à savoir des conclusions médicales tirées par la membre d’après l’opportunité de sa chirurgie visant à remplacer une hanche. Le ministre est d’avis que la division générale devait analyser et a analysé la preuve médicale pour déterminer si le requérant était admissible à une pension d’invalidité.

[61] J’ai examiné la partie de l’audience orale auquel renvoie le requérant. J’estime que la division générale a commis une erreur et qu’elle n’a pas observé un principe de justice naturelle.

[62] La question n’est pas seulement de savoir si la membre de la division générale avait le droit demander au requérant la raison pour laquelle il n’avait pas subi une chirurgie à la hanche. Il ne fait aucun doute qu’elle avait le droit de poser cette question au requérant.

[63] La question n’est pas de savoir s’il existe une perception raisonnable de partialité simplement parce que la membre a subi une chirurgie à la hanche, et il y a des mentions de la question relative à la chirurgie à la hanche dans le dossier. Le ministre a raison de souligner que la neutralité à laquelle nous nous attendons des décideurs n’a pas été violée simplement parce qu’ils ont certaines expériences de vie qui entraînent des attitudes ou des sympathies qu’ils pourraient emporter au travail. Cependant, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada, il y a lieu de s’attendre à ce qu’un décideur aura la sagesse de permettre consciemment, et peut-être de remettre en question, cet « ensemble », puis qu’il soit libre d’accueillir et d’utiliser différents points de vue en gardant un esprit ouvert.

[64] La membre a donné au requérant une recommandation directe au sujet d’une chirurgie à la hanche en déclarant : [traduction] « Ne les laissez pas vous dire d’attendre pour un remplacement de la hanche [...] Vous devrez peut-être vous plaindre pour obtenir ce que vous désirez. » La membre a ajouté : [traduction] « Je ne suis pas censée vous dire cela », puis elle a fait part de son âge et de son expérience concernant le remplacement d’une hanche. Elle a également déclaré : [traduction] « J’espère qu’on n’écoutera pas cet enregistrement. Je suis très en faveur [de la chirurgie en vue d’un remplacement de la hanche] le plus tôt possible. »

[65] La décision du requérant à savoir s’il donnait suite à la chirurgie était pertinente pour la détermination par la division générale de la gravité de son invalidité. Selon le témoignage du requérant, on lui a recommandé d’attendre aussi longtemps qu’il le pouvait pour subir une chirurgie à la hanche étant donné son âge. Selon son témoignage, il n’était pas inscrit à une liste d’attente en vue d’une chirurgie à la hanche. La membre de la division générale a donné son opinion concernant l’opportunité d’attendre en vue d’une chirurgie visant à remplacer une hanche et elle a dit qu’elle était [traduction] « en faveur » de subir cette chirurgie rapidement. Elle a fait part de son expérience concernant la chirurgie et sa participation à des activités récréatives et physiques après la chirurgie.

[66] Une personne raisonnable, censée et bien renseignée qui aurait étudié l’affaire de façon réaliste et pratique et qui aurait réfléchi conclurait que les commentaires de la membre de la division générale soulèvent une perception raisonnable de partialité. Le requérant n’avait pas donné suite au traitement pour lequel la membre a suggéré qu’il n’attende pas, dont elle est en faveur et qui a bien fonctionné dans son cas d’après ses explications. Les commentaires de la membre soulèvent une perception raisonnable de partialité.

[67] Même si les audiences devant le Tribunal sont moins officielles et que certaines des exigences procédurales dans le contexte d’une cour ne s’appliquent pas, le travail accompli par les membres doit correspondre aux normes élevées en matière d’équité et d’impartialité. Cela est conforme aux intérêts en matière de dignité des personnes atteintes d’invalidité et au mandat du Tribunal d’un point de vue général.

[68] Finalement, les personnes qui prennent les décisions dans les tribunaux actuels doivent refléter la diversité des communautés qu’elles servent. Les membres du Tribunal auront ce qu’on appelle parfois une [traduction] « expérience de vie » en plus d’une expérience professionnelle concernant l’invalidité et les modèles médicaux de soins de santé. Cette expérience de vie pourrait signifier que les membres qui ont eu des déficiences physiques ou psychologiques similaires ou qui ont reçu un diagnostic de troubles semblables à ceux des parties requérantes qui cherchent à obtenir une pension d’invalidité auprès d’elles ou eux.

[69] Il peut y avoir des exemples limités dans lesquels des membres peuvent faire part de renseignements sur leur expérience de vie en matière d’invalidité auprès des parties à l’audience sans créer une perception raisonnable de partialitéNote de bas de page 29. Des membres atteintes ou atteints d’une invalidité apportent une valeur ajoutée; la Cour suprême du Canada a reconnu que les décideurs doivent faire preuve d’humanité au travailNote de bas de page 30. Selon les critères juridiques, ils doivent mettre l’accent sur la capacité de la partie requérante à travailler, et non sur leurs diagnosticsNote de bas de page 31, et vérifier les hypothèses. Le fait de communiquer des renseignements dans des contextes limités au cours d’une audience informelle pourrait ne pas toujours donner lieu à une perception raisonnable de partialité, mais la formulation de recommandations franchit certainement cette limite. Les membres qui divulguent des renseignements personnels de nature médicale doivent seulement le faire si l’objectif est conforme à la tâche à accomplir.

Réparation

[70] Si la division d’appel constate une erreur dans la décision de la division générale, elle a le pouvoir de renvoyer l’affaire à la division générale aux fins de réexamen ou de rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 32.

[71] Dans beaucoup de causes, la façon de procéder la plus efficace est de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Dans certaines causes, la division d’appel peut juger convenable de renvoyer l’affaire à la division générale, par exemple s’il y a des lacunes au dossier en raison d’un manquement à un principe de justice naturelle, comme une perception raisonnable de partialité de la part de la ou du membre de la division générale, ou si la division générale n’a pas tenu une audience complète.

[72] Le ministre était d’avis que, si la division d’appel a constaté une erreur, elle devrait rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Le représentant du requérant a déclaré préféré le renvoi de l’affaire à la division générale aux fins de réexamen étant donné que le dossier n’est peut-être pas complet.

[73] La division d’appel renvoie l’affaire à la division générale aux fins de réexamen. Il semble que, en ce qui concerne à tout le moins la question du traitement du requérant (et plus particulièrement sa chirurgie à la hanche), le requérant devrait avoir l’occasion de présenter sa preuve sur cette question à nouveau et dans son entièreté. Il est possible que sa preuve concernant cette question n’était pas complète étant donné qu’il a été interrompu par la membre de la division générale qui a parlé de sa propre expérience et qui lui a formulé des recommandations sur la façon dont il devrait agir relativement au traitement. En l’espèce, la justice naturelle devrait accorder au requérant l’occasion de présenter sa preuve à nouveau s’il y a lieu, ce qui n’est pas du ressort de la division d’appel.

Conclusion

[74] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale aux fins de réexamen par une ou un autre membre.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 27 novembre 2018

Téléconférence

Daniel Griffith, représentant de l’appelant
Viola Herbert, représentante de l’intimé

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