Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant, L. T., est né au Salvador et a immigré au Canada en 1993. Il est maintenant âgé de 50 ans. Il travaillait dans une usine d’assemblage de meubles depuis plus d’une décennie lorsqu’il s’est blessé au dos lors d’un accident de travail en janvier 2005. Il a été affecté à des travaux légers, mais sa douleur s’est aggravée et il a été licencié. En 2007, il a terminé un programme de réintégration au marché du travail (RMT) par l’entremise de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario (CSPAAT), mais il a été incapable d’obtenir un emploi dans le secteur du commerce de détail. Il a reçu des diagnostics de fibromyalgie et de dépression.

[3] En septembre 2016, l’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). L’intimé, c’est-à-dire le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande, car il a conclu que l’appelant n’était pas atteint d’une invalidité « grave et prolongée » au sens du RPC au cours de la période minimale d’admissibilité (PMA), laquelle a pris fin le 31 décembre 2007. Le ministre a reconnu que l’appelant avait certaines limitations physiques, mais il a estimé que celles-ci ne l’empêchaient pas d’occuper un emploi sédentaire.

[4] L’appelant a interjeté appel du refus du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence et, dans une décision datée du 30 juillet 2018, a rejeté l’appel, ayant établi, somme toute, que l’appelant était capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur à l’échéance de la PMA. La division générale a également conclu que l’appelant n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour chercher un autre emploi qui répondrait mieux à ses limitations.

[5] Le 1er octobre 2018, l’appelant a demandé la permission d’interjeter appel à la division d’appel du Tribunal, prétendant que la division générale avait commis diverses erreurs.

[6] Dans une décision datant du 23 octobre 2018, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’ai estimé qu’il était défendable que la division générale avait fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle l’appelant n’avait jamais eu besoin d’un traitement en santé mentale ou reçu une prescription d’antidépresseurs.

[7] Le 5 décembre 2018, le ministre a présenté des observations soutenant que la décision de la division générale était juste et devrait être maintenue.

[8] Après avoir examiné les observations orales et écrites des parties, je suis d’accord avec l’appelant que la division générale a erré en rendant sa décision. Après avoir tenu compte du fondement de l’affirmation de l’appelant, j’annule la décision de la division générale, mais je la remplace par ma propre décision de ne pas accorder une pension d’invalidité du RPC à l’appelant.

Questions en litige

[9] Selon l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il existe seulement trois moyens d’appel devant la division d’appel : la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle; a commis une erreur de droit; a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Je dois répondre aux questions suivantes :

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle erré en accordant peu de poids à une décision de la CSPAAT qui était favorable à l’appelant?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle erré lorsqu’elle a constaté qu’aucune preuve ne démontrait que l’appelant avait déjà eu besoin d’un traitement en santé mentale ou reçu une prescription d’antidépresseurs?

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle erré en affirmant que l’appelant suivait un traitement « conservateur » et que rien ne prouvait qu’il était atteint d’une pathologie grave?

Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle erré lorsqu’elle a appliqué l’analyse réaliste sans tenir compte des principes énoncés dans deux décisions importantes, soit Morley c Canada et Canada c BennettNote de bas de page 1?

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle erré en accordant peu de poids à une décision de la CSPAAT qui était favorable à l’appelant?

[11] L’appelant laisse entendre que la division générale l’a traité de manière inéquitable en refusant de tenir compte d’une décision rendue par le commissaire aux appels de la CSPAAT le 20 mai 2008Note de bas de page 2. Plus précisément, l’appelant prétend que la division générale a ignoré la conclusion du commissaire selon laquelle il était incapable de suivre un programme de perfectionnement scolaire ou de réadaptation fonctionnelle pendant plus de trois heures par jour, même en prenant régulièrement des pauses.

[12] À mon avis, le fait que la CSPAAT a accueilli la demande de l’appelant n’était pas du tout pertinent dans le cadre des délibérations de la division générale. Premièrement, même s’ils peuvent partager des similitudes superficielles parce qu’ils concernent tous deux l’invalidité et la capacité de travail, les régimes d’indemnisation des accidentés du travail sont régis par des critères juridiques qui présentent une grande différence de ceux énoncés dans le RPC. Deuxièmement, au même titre que la division générale, la CSPAAT est un tribunal administratif quasi judiciaire et ses décisions ne peuvent être considérées comme une preuve. Finalement, lorsqu’il a déterminé que l’appelant était [traduction] « inemployable dans un marché de travail concurrentiel », le commissaire aux appels ne s’est pas nécessairement appuyé sur la même preuve que celle dont disposait la division générale. Cependant, la division générale a tenu compteNote de bas de page 3 du sommaire de congé du programme de réadaptation fonctionnelle (PRF) daté du 4 mai 2007Note de bas de page 4. C’est sur ce sommaire que le commissaire aux appels s’est fondé en grande partie pour conclure que l’appelant avait la capacité d’effectuer au plus trois heures de travail par jour.

[13] Somme toute, je ne trouve pas cette observation convaincante.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle erré lorsqu’elle a constaté qu’aucune preuve ne démontrait que l’appelant avait déjà eu besoin d’un traitement en santé mentale ou reçu une prescription d’antidépresseurs?

[14] L’appelant conteste le paragraphe 9 de la décision de la division générale, qui est ainsi rédigé :

[traduction]

Dans son témoignage, [l’appelant] a affirmé qu’il n’avait consulté aucun fournisseur de soins en santé mentale pour traiter ses troubles psychologiques. Il a obtenu un résultat de 61-70 dans son EGF [évaluation globale de fonctionnement] en mai 2007, ce qui révèle des symptômes d’une intensité légère. Aucun document au dossier ne démontre que [l’appelant] a déjà eu besoin de traitement de la part d’un spécialiste de la santé mentale ou qu’on lui avait prescrit des antidépresseurs importants.

L’appelant soutient que la division générale a ignoré des éléments de preuve démontrant qu’il avait bel et bien participé à des séances de counseling psychologique et qu’on lui avait réellement prescrit des médicaments contre la dépression et l’anxiété.

[15] Après avoir examiné le dossier, je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. L’appelant affirme qu’il a suivi des séances de counseling avec un psychologue, le Dr Alireza Ebrahimian, dans le cadre du PRF offert par la CSPAAT, et je constate qu’un élément de preuve lié au sommaire de congé de mai 2007 le démontreNote de bas de page 5. On y décrit un programme pluridisciplinaire intensif de six semaines, supervisé par le Dr Ebrahimian, au cours duquel l’appelant a notamment appris des techniques de gestion de la douleur et relaté des expériences personnelles lors de discussions de groupe :

[traduction]

[L’appelant] a occasionnellement participé aux discussions de groupe et a souvent fait référence au fait qu’il avait recours à sa conviction religieuse pour gérer sa douleur physique et psychologique. [L’appelant] semblait ouvert à la suggestion d’explorer d’autres façons d’envisager ses difficultés personnelles. Il l’a fait en racontant au groupe que l’anxiété qu’il ressentait relativement au bien-être de divers aspects de sa vie pourrait être perçue comme une expérience universelle, vécue par de nombreuses personnes qui n’éprouvent pas nécessairement ses symptômes de douleur chronique ni ses difficultés d’emploi. Il a aussi déclaré qu’il commençait à reconnaître mentalement qu’il pouvait contrôler plusieurs autres facteurs, ce qui pourrait avoir une incidence sur sa qualité de vieNote de bas de page 6.

[16] L’appelant a également rencontré le Dr Ebrahimian pour [traduction] « discuter de son fonctionnement psychologique et de sa perception du programme. » Le PRF a été suivi d’un [traduction] « jour complémentaire » en juillet 2007Note de bas de page 7, au cours duquel l’appelant a participé à une autre discussion de groupe présidée par des membres de l’équipe du PRF, y compris le Dr Ebrahimian.

[17] Il est bien connu que la fibromyalgie constitue un trouble tant psychologique que physique. Par conséquent, le PRF et le PRF complémentaire que l’appelant a suivis comportaient un volet significatif lié au counseling en santé mentale et à la thérapie de groupe. À cet égard, je suis d’avis que la division générale a erré lorsqu’elle a estimé que l’appelant n’avait jamais eu besoin de traitement en santé mentale, et il importe peu que la CSPAAT soit celle qui était à l’origine du PRF ou que la durée de celui-ci ait été limitée. Je suis aussi d’avis que l’erreur de la division générale a eu une incidence importante sur sa décision, qui contient le passage suivant : « L’état psychologique de [l’appelant] ne le rend pas incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice [...] ».

[18] En ce qui concerne les médicaments, je constate que, contrairement aux conclusions de la division générale, des éléments de preuve démontrent que l’appelant a pris des antidépresseurs pendant au moins 10 ans. Dans le rapport médical qui accompagnait la première demande du RPC de l’appelantNote de bas de page 8, la Dre Thi Ngoc Dang Nguyen, médecin de famille, a inclus Celexa et l’amitriptyline dans la liste des médicaments de son patient. Ces deux médicaments sont utilisés contre la dépression et l’anxiété. L’amitriptyline faisait également partie des médicaments énumérés dans une lettre provenant du Dr Rafat Faraawi, rhumatologue, datée de juin 2006Note de bas de page 9, et ce médicament figurait aussi dans le deuxième rapport médical du RPC préparé par la Dre Nguyen en août 2016Note de bas de page 10. Je sais que la division générale a mentionné l’amitriptyline dans sa décision, mais elle l’a fait dans un passageNote de bas de page 11 qui traitait uniquement des symptômes liés à la douleur de l’appelant, et je suppose que la division générale ne connaissait peut-être pas l’usage principal de ce médicament.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle erré en affirmant que l’appelant suivait un traitement « conservateur » et que rien ne prouvait qu’il était atteint d’une pathologie grave?

[19] Dans sa décision, la division générale a expliqué comme suit pourquoi elle a conclu que l’invalidité de l’appelant n’était pas grave :

[traduction]

[L’appelant] a reçu un diagnostic de fibromyalgie avant la PMA et on a fait remarquer que le comportement douloureux jouait un rôle important dans son invalidité. Aucune pathologie grave n’a été décelée et le traitement qui a été recommandé était conservateur. L’activité et l’exercice physique sont recommandés dans les cas de fibromyalgieNote de bas de page 12.

L’appelant conteste cette analyse, car le trouble de douleur chronique et la fibromyalgie sont des troubles subjectifs du système nerveux qui cause une douleur généralisée aux muscles et aux os, de la fatigue et de la dépression. Je suis du même avis. La preuve démontre que l’appelant a subi des blessures causées par des mouvements répétitifs, qui ont évolué pour devenir une fibromyalgie. Comme tous les troubles de douleur chronique, la fibromyalgie est caractérisée par l’absence de signes et de symptômes objectifs qui peuvent être révélés par une scanographie ou une analyse sanguine, une réalité qui a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Martin c Nouvelle-ÉcosseNote de bas de page 13. En établissant une causalité entre l’absence de signes pathologiques et l’absence de gravité, la division générale a mal compris la nature de la demande de l’appelant.

[20] Il existe une brisure semblable dans la façon dont la division générale a évalué le traitement de l’appelant. La division générale a tiré une conclusion défavorable de sa propre conclusion selon laquelle l’appelant avait seulement suivi un traitement conservateur; le terme « conservateur », dans le contexte médical, signifie habituellement « non effractif », c’est-à-dire toute technique qui n’a pas recours à la chirurgie. Dans ce contexte, il était injuste que la division générale blâme l’appelant de ne pas avoir besoin d’un traitement qui n’était pas adéquat pour ses troubles médicaux.

Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle erré lorsqu’elle a appliqué l’analyse réaliste sans tenir compte des décisions Bennett et Morley?

[21] Comme l’appelant le fait correctement remarquer, la décision Bennett recommande que les décideurs qui examinent des questions concernant le RPC se rappellent qu’une occupation véritablement rémunératrice est basée sur la capacité d’une personne à se rendre au travail chaque fois et aussi souvent qu’elle doit le faire. Autrement dit, il n’est pas raisonnable que, dans un marché du travail concurrentiel, l’on s’attende à ce qu’un requérant de pension d’invalidité trouve un employeur compréhensif offrant un horaire de travail flexible ou des exigences réduites en matière de productivité. La décision Morley a établi une variante du même principe, en mettant en garde les décideurs contre les risques de considérer que la capacité d’effectuer des tâches allégées dans un environnement de travail commercial équivaut à la capacité d’effectuer des travaux ménagers, qu’une personne peut généralement effectuer à son propre rythme.

[22] Ces deux décisions ont été rendues par la Commission d’appel des pensions, qui n’existe plus, dont les décisions n’ont pas force exécutoire sur la division d’appel ou, d’ailleurs, sur la division générale. Les principes énoncés dans ces décisions sont tout de même justes et correspondent tout à fait à l’arrêt de principe en matière d’invalidité Villani c Canada,Note de bas de page 14 qui a énoncé que l’invalidité, au sens du RPC, ne nécessite pas que la partie requérante démontre qu’elle est incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable.

[23] L’appelant insiste sur le fait que son expérience au programme de RMT offert par la CSPAAT démontrait qu’il était incapable régulièrement de détenir une occupation véritablement rémunératrice et que la division générale a erré lorsqu’elle en a conclu autrement, après avoir ignoré l’aspect « régulier » du critère lié à la gravité. L’appelant fait remarquer qu’il était incapable de participer au programme de RMT pendant plus de trois heures par jour, et qu’il devait prendre une pause d’au moins dix minutes toutes les heures, une mesure d’adaptation qui ne serait pas acceptable dans un contexte réel, selon lui.

[24] En somme, j’estime que cette observation a peu de fondement, car elle constitue essentiellement une demande d’évaluer à nouveau la preuve concernant les déficiences de l’appelant. Je souligne le passage suivant énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Villani :

[T]ant et aussi longtemps que le décideur applique le critère juridique adéquat pour la gravité de l’invalidité – c’est-à-dire qu’il applique le sens ordinaire de chaque mot de la définition légale de la gravité donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i) [du RPC], il sera en mesure de juger d’après les faits si, en pratique, un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. L’évaluation de la situation du requérant est une question de jugement sur laquelle la Cour hésite à intervenir.

Ce passage laisse entendre que, en tant que juge des faits, la division générale devrait se voir accorder un degré de déférence dans la façon dont elle évalue les antécédents d’une partie requérante. Cela suppose également que la question de savoir si le critère en matière d’invalidité a été appliqué est plus importance que la façon dont il a été appliqué. En réalité, cette approche suit des décisions récentes de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 15 qui ont strictement défini les trois moyens d’appel prévus par l’article 58(1) de la LMEDS. En bref, la cour estime maintenant que la division d’appel n’a pas le pouvoir d’intervenir dans des questions mixtes de fait et de droit. Il est donc nécessaire de demander si un motif d’appel peut clairement être décrit comme une erreur de droit ou une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale.

[25] À mon avis, l’allégation de l’appelant constitue une erreur mixte de fait et de droit. Essentiellement, il conteste la façon dont la division générale a appliqué le droit concernant la régularité à son expérience dans le programme de RMT et, pour cette seule raison, cela excède ma compétence.

[26] Par ailleurs, je ne constate pas d’erreur de droit seule. Dans sa décision, la division générale a correctement cité le critère en matière de gravité, comme suit : [traduction] « Une personne est considérée comme atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 16. » La division générale a aussi correctement énoncé le principe central de l’arrêt Villani : [traduction] « Je dois évaluer le critère relatif à la gravité dans un contexte réaliste. Cela signifie que pour déterminer si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vieNote de bas de page 17 ».

[27] Je ne constate pas non plus une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale. L’appelant a prétendu qu’il a eu de la difficulté à terminer le programme de RMT, mais le dossier contenait des éléments de preuve à cet égard (dans la décision du commissaire aux appels de la CSPAAT de mai 2008 et l’enregistrement audio de l’audience de juin 2018). À titre de juge des faits, la division générale est présumée avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve portés à sa connaissance et n’est pas tenue de traiter de chaque élément dans sa décisionNote de bas de page 18. De fait, la division générale était au courant de la participation de l’appelant au programme de RMT et elle a résumé le rapport transmis par Cascade Disability Management le 9 mars 2007Note de bas de page 19, à la fin du programme. Au paragraphe 11 de sa décision, la division générale a souligné que, même s’il avait un comportement douloureux, l’appelant avait eu une assiduité [traduction] « presque parfaite » pendant le programme de six semaines, car il avait pu bénéficier de mesures d’adaptation ergonomiques.

[28] Comme juge des faits, la division générale avait le droit de soupeser la preuve comme elle l’entendait, dans les limites prévues à l’article 58(1) de la LMEDS. En l’espèce, la division générale a vraisemblablement tenu compte du témoignage de l’appelant selon lequel la charge de travail du programme de RMT, soit trois heures par jour accompagnées de pauses régulières, représentait plus que ce qu’il pouvait tolérer. Après avoir soupesé ce témoignage et l’avoir comparé à d’autres éléments de preuve, y compris le rapport de Cascade mentionné ci-dessus et le sommaire de congé du PRF de mai 2007Note de bas de page 20, la division générale a conclu que les déficiences de l’appelant ne l’empêchaient pas d’occuper un emploi de façon fiable.

[29] De même, rien ne démontre que la division générale aurait mal appliqué ou n’aurait pas adéquatement tenu compte de l’arrêt Villani. Comme cela est mentionné au paragraphe 17 de sa décision, la division générale a bel et bien essayé d’appliquer l’analyse réaliste, estimant que, même si le niveau d’instruction de l’appelant était limité, il avait poursuivi ses études et il avait démontré une capacité à être fonctionnel dans des milieux de travail où l’anglais prédominait. La division générale s’est aussi appuyée sur l’évaluation relative au marché du travail, qui a évalué les compétences transférables de l’appelant et sa capacité à suivre une formation professionnelle, et qui a trouvé un certain nombre d’occupations qui convenaient à ses limitations.

Réparation

[30] La LMEDS énonce le pouvoir de la division d’appel de corriger les erreurs commises par la division générale. En vertu de l’article 59(1), je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives, ou encore confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale. De plus, en vertu de l’article 64 de la LMEDS, la division d’appel peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la LMEDS.

[31] La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’un décideur devrait tenir compte du délai écoulé pour amener une demande de pension d’invalidité à sa conclusion. L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité il y a deux ans et demi. Le renvoi de la présente affaire à la division générale ne fera que retarder le traitement de cette demande. En outre, le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[32] Dans leurs observations orales présentées devant moi, l’appelant et le ministre ont convenu que, si je constatais une erreur commise dans la décision de la division générale, la réparation appropriée serait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre et que j’évalue moi-même le contenu de la demande de prestations d’invalidité de l’appelant. Évidemment, les parties avaient des points de vue différents sur le bien-fondé de la demande de prestations d’invalidité de l’appelant. L’appelant a soutenu que si la division générale s’était adéquatement prononcée sur sa douleur chronique et sa santé mentale, elle aurait conclu qu’il était invalide et elle aurait rendu une décision différente. Le ministre a fait valoir que, quelles que soient les erreurs de la division générale, la prépondérance de la preuve disponible renvoyait tout de même à une conclusion selon laquelle l’appelant était capable de détenir certains types d’occupations.

[33] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est complet. L’appelant a déposé de nombreux rapports médicaux auprès du Tribunal, et j’ai en main de nombreux renseignements concernant ses antécédents professionnels et son historique de gains. La division générale a tenu une audience entière et a questionné l’appelant au sujet de ses déficiences et de leur incidence sur sa capacité de travail. Je doute que la preuve de l’appelant soit substantiellement différente si l’affaire était instruite de nouveau.

[34] Par conséquent, je suis en mesure d’apprécier la preuve qui figurait dans le dossier dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre si elle n’avait pas commis d’erreur. Selon moi, même si la division générale avait tenu compte du traitement en santé mentale que l’appelant a suivi et avait abordé la question de sa fibromyalgie et de sa douleur chronique, elle aurait tiré la même conclusion. Ma propre évaluation du dossier m’a convaincu que l’appelant n’a pas démontré qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2007.

L’intimé était-il atteint d’une invalidité grave à l’échéance de la PMA?

[35] Pour être considérée comme invalide, la partie requérante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date. Une invalidité n’est grave que si la personne concernée est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle « [doit] vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou [doit] entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 21 ».

[36] Après avoir examiné le dossier, je ne suis pas convaincu que, somme toute, l’appelant était atteint d’une invalidité grave à l’échéance de la PMA. Je ne doute aucunement que l’appelant a subi une blessure au dos en 2005, comme le souligne les rapports des Drs Faraawi et Billing datant de cette périodeNote de bas de page 22. La preuve démontre que les blessures de l’appelant l’empêchent de retourner au type de travail exigeant sur le plan physique qu’il effectuait en tant qu’assembleur de meubles, mais je ne suis pas convaincu qu’il est incapable d’effectuer un emploi moins exigeant. Comme la division générale, j’accorde beaucoup d’importance au fait que l’appelant n’a pas cherché un autre travail adapté à ses limitations.

L’appelant avait une capacité résiduelle

[37] L’arrêt de principe Inclima c Canada prévoit que les parties requérantes doivent prouver leur invalidité en démontrant qu’elles ont tenté en vain de demeurer dans la population active et productive. Pour appliquer le principe énoncé dans l’arrêt Inclima, un décideur doit d’abord déterminer si la partie requérante avait la capacité résiduelle nécessaire pour déployer de tels efforts.

[38] L’appelant n’a peut-être plus la capacité d’occuper un emploi exigeant, mais je constate des indices selon lesquels il avait au moins la capacité résiduelle de chercher un autre travail pendant la PMA. Pour arriver à cette conclusion, je me suis fondé sur les facteurs suivants :

  • Dans son rapport de mars 2005, le Dr Faraawi a noté qu’une évaluation clinique avait révélé une sensibilité au cou et au dos de l’appelant, mais aucune restriction physique importante. Lors d’un examen de suivi en juin 2006Note de bas de page 23, le Dr Faraawi a décelé un [traduction] « comportement douloureux » et il a conclu que l’appelant avait la fibromyalgie.
  • Dans l’évaluation de RMT et le plan de traitement proposé de juillet 2005Note de bas de page 24, Karen Geoffrey, consultante en réadaptation, a analysé les restrictions documentées de l’appelant dans le contexte de ses résultats de test psycho-professionnel et elle a constaté qu’un emploi en service à la clientèle ou comme commis aux renseignements lui conviendrait bien.
  • À la fin du programme de RMT en mars 2007, Kara Adair, consultante en réadaptation professionnelle chez Cascade Disability Management, a noté que l’appelant avait terminé un programme d’anglais langue seconde de 8 août 2005 au le 9 juin 2006, un programme de 10e année de perfectionnement des compétences en anglais du 12 juin 2006 au 27 octobre 2006, un programme de compétences en service à la clientèle du 30 octobre 2006 au 5 février 2007 et un programme de formation relatif aux compétences en recherche d’emploi du 6 février 2007 au 2 mars 2007. Selon Mme Adair, l’appelant l’a avisée à de nombreuses reprises qu’il n’était pas capable de travailler, mais son assiduité aux programmes était [traduction] « presque parfaite ».
  • Selon le sommaire de congé du PRF de mai 2007Note de bas de page 25, l’appelant a démontré qu’il était [traduction] « capable d’accomplir des activités à un niveau considéré comme étant “limité” sur le plan physique, selon la définition des niveaux d’exigences physiques de la Classification nationale des professions ». Il a reçu le conseil d’éviter de se pencher ou de pivoter à répétition, d’éviter les activités impliquant des mouvements au-dessus de l’épaule et d’alterner entre la position assise, la position debout et la marche.
  • Le sommaire de congé du PRF soulignait aussi que l’appelant n’avait pas reçu un diagnostic de dépression, mais bien un diagnostic de trouble de la douleur lié tant à des facteurs psychologiques qu’à l’état de santé général. Avec l’aide du Dr Ebrahimian, psychologue, l’appelant a réussi à apprendre des techniques de gestion de la douleur et a démontré une [traduction] « grande amélioration en ce qui concerne le caractère continu et la durée de sa douleur. » Le résultat de l’appelant dans son EGF se situait sur l’échelle de 61-70, révélant des symptômes légers.
  • Rien dans le dossier ne démontre que l’appelant ait jamais reçu de counseling précisément à propos de la dépression ou de l’anxiétéNote de bas de page 26.
  • En octobre 2007, le Dr K. Billing, algologue, a conclu que l’appelant était atteint de douleur chronique et de fibromyalgie. Selon le Dr Billing, l’appelant a déclaré ce qui suit : [traduction] « [l]a douleur lombaire et la douleur à la jambe droite s’intensifient en position assise et debout, durant une marche de deux ou trois minutes et au moment d’entrer ou de sortir de la voiture, de se tourner dans le lit, de tousser, d’éternuer et de se pencher vers l’avantNote de bas de page 27. »

[39] Comme d’autres fournisseurs de traitement, le Dr Billing a conclu que l’appelant était atteint de douleur chronique et de fibromyalgie, mais un diagnostic n’équivaut pas à un constat d’invaliditéNote de bas de page 28. L’enjeu principal dans le cadre des causes d’invalidité du RPC n’est pas la nature ou le nom de la maladie, mais son incidence fonctionnelle sur la capacité de travail du requérantNote de bas de page 29. À mon avis, le récit du Dr Billing à propos de la douleur de l’appelant ne correspond pas à la preuve datant de la même époque, durant laquelle, comme nous l’avons vu, l’appelant a terminé un programme éducatif exhaustif de recyclage et de perfectionnement d’une durée de 18 mois, qui comprenaient de nombreux modules de travail quotidien en classe. Je reconnais que l’appelant a été en mesure de terminer le programme en partie parce qu’il a pu prendre des pauses régulières et utiliser des dispositifs ergonomiques, mais il n’y a aucune raison de croire que des mesures d’adaptation semblables ne seraient pas offertes dans un travail de bureau ou à un comptoir. Je fais aussi remarquer que l’appelant a affirmé, durant son témoignage à la division générale, qu’il se rend au Salvador tous les hivers, un voyage qui nécessiterait à tout le moins qu’il reste longtemps assis pendant certaines périodesNote de bas de page 30.

[40] Je crois bel et bien que la preuve révèle une capacité résiduelle d’étudier d’autres options en matière d’emploi. Je fais cette affirmation en gardant à l’esprit l’âge, le niveau d’instruction, les compétences linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie de l’appelant, comme l’exige l’arrêt VillaniNote de bas de page 31. L’appelant avait seulement 39 ans à l’échéance de la PMA. Il avait atteint un niveau d’instruction limité avant d’arriver au Canada, mais le fait qu’il a terminé le programme de RMT a démontré une capacité d’acquérir de nouvelles compétences. Il maîtrise assez bien l’anglais pour avoir pu se débrouiller pendant de nombreuses années dans un milieu de travail où c’était la langue prédominante, et il a démontré plus tard qu’il était capable de se recycler en anglais.

L’appelant n’a pas essayé d’obtenir un autre emploi

[41] Ultimement, l’appel de l’appelant échoue parce qu’il n’a pas fait de tentative sérieuse de retour au travail depuis sa blessure au dos en 2005. Il est donc impossible de savoir avec certitude s’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à l’échéance de la PMA. À l’audience de la division générale, l’appelant a affirmé qu’il n’était pas capable d’occuper un autre emploiNote de bas de page 32, mais je doute qu’il puisse en être certain s’il n’a jamais essayé de le faire. Le rapport de Cascade Disability ManagementNote de bas de page 33 révèle que le plan de RMT de l’appelant prévoyait qu’il participe à un stage de travail de février à mai 2007. Des emplois en service à la clientèle chez Staples et Value Village avaient été jugés vraisemblablement convenables pour l’appelant, mais il a insisté sur le fait que sa douleur et ses limitations physiques étaient trop graves pour lui permettre d’accomplir les tâches essentielles liées à l’un ou l’autre des deux postes. L’appelant a déclaré qu’il ne se sentait pas employable et il a admis qu’il avait envoyé un seul curriculum vitae, soit bien moins que le minimum de 20 recommandé dans le programme de formation en recherche d’emploiNote de bas de page 34. Il a également admis qu’il n’avait pas utilisé son ordinateur à la maison pour effectuer sa recherche d’emploi et qu’il n’avait pas acheté de journal pour y chercher des emplois. En fin de compte, Mme Adair, la conseillère en réadaptation professionnelle qui a rédigé le rapport, a déterminé qu’il était inutile de trouver un stage pour l’appelant, car celui-ci [traduction] « n’était pas engagé dans l’idée de se trouver un emploiNote de bas de page 35. »

[42] Selon l’arrêt Inclima, la partie requérante demandant une pension d’invalidité qui se trouve dans la situation de l’appelant doit démontrer qu’elle a fait des tentatives raisonnables d’obtenir et de conserver un emploi qui ont été infructueuses en raison de sa santé. Les personnes qui revendiquent l’admissibilité aux prestations d’invalidité doivent se montrer prêtes à participer à des programmes de formation ou de recyclage leur permettant de trouver un autre emploiNote de bas de page 36. En l’espèce, l’appelant ne l’a pas fait.

L’appelant était-il atteint d’une invalidité prolongée à l’échéance de la PMA?

[43] Comme la preuve de l’appelant n’a pas atteint la norme applicable au chapitre de la gravité, il n’est pas nécessaire de déterminer si son invalidité est prolongée.

Conclusion

[44] Je rejette cet appel. Bien que la division générale a erré dans sa façon d’évaluer la santé mentale et la douleur chronique de l’appelant, je ne suis pas d’avis qu’elle aurait tiré une conclusion différente si elle n’avait pas commis ces erreurs. Après avoir moi-même examiné le dossier, je ne suis pas convaincu que l’appelant était atteint d’une invalidité grave en date du 31 décembre 2007.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 26 février 2019

Téléconférence

L. T., appelant
Todd Cook, représentant de l’appelant
Stéphanie Pilon, représentante de l’intimée

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