Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] Le délai pour que le requérant demande la révision de la décision du ministre de lui refuser une pension d’invalidité ne peut pas être prolongé.

Aperçu

[2] Le requérant porte en appel le refus du ministre de prolonger le délai pour demander la révision de la décision du ministre de rejeter sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

[3] Voici une chronologie des événements les plus importants dans cette affaire :

  • Août 2005 : le requérant a été blessé lors d’un accident de travail. Il a subi une grave blessure au cou qui a entraîné la perte permanente de l’usage de sa main gauche et de l’usage partiel de sa main droite.
  • Le 23 décembre 2008 : le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité du RPC du requérant. Le requérant a affirmé qu’il était incapable de travailler en raison des blessures subies dans l’accident de travailNote de bas de page 1.
  • Le 24 février 2009 : appel téléphonique entre l’évaluatrice médicale et le requérantNote de bas de page 2. Le requérant soutient que l’évaluatrice médicale lui a dit durant cette conversation que le RPC devait attendre la décision de la Worker’s Compensation Board [Commission d’indemnisation des accidents du travail] (WCB), qu’il devrait fournir les résultats de son appel devant la WCB lorsqu’il les aurait, et que sa demande serait en suspens en attendant son appel devant la WCB. Le ministre a nié que ces déclarations avaient été faites.
  • Le 24 février 2009 : lettre du ministre rejetant la demande du requérantNote de bas de page 3. Le requérant nie avoir reçu cette lettre et affirme qu’il a seulement reçu les feuilles d’instructions intitulées [traduction] « Demander la révision d’une décision du Régime de pensions du Canada (RPC) »Note de bas de page 4. Selon le ministre, tant la lettre que les instructions ont été envoyées au requérant par courrier.
  • Le 17 juin 2013 : le ministre a reçu une lettre provenant de l’avocat du requérant demandant la révision de la décision de refuser la pension d’invalidité du RPC au requérantNote de bas de page 5.
  • Le 17 décembre 2013 : lettre provenant de Service Canada adressée à l’avocat du requérant demandant une explication du délai qui s’est écoulé avant la présentation de la demande de révision et des preuves qu’il avait l’intention persistante de présenter une telle demandeNote de bas de page 6.
  • Le 8 janvier 2014 : lettre provenant de l’avocat du requérant adressée à Service Canada énonçant les raisons du délai écoulé avant la présentation de la demande de révisionNote de bas de page 7.
  • Le 26 mars 2014 : le ministre a rejeté la demande de révision du requérant, présentée en retardNote de bas de page 8.
  • Le 5 juin 2014 : le requérant a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.
  • Le 28 juin 2016 : la division générale a rejeté l’appel.
  • Le 16 juin 2017 : la division d’appel a rejeté la demande de permission d’en appeler du requérant.
  • Le 3 mai 2018 : la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire du requérant et a renvoyé l’affaire à la division d’appel aux fins de réexamen.
  • Le 28 juin 2018 : la division d’appel a accueilli la demande de permission d’en appeler du requérant.
  • Le 25 juillet 2018 : la division d’appel a accueilli l’appel du requérant et a renvoyé l’affaire à la division générale afin qu’une nouvelle audience soit tenue.

Questions en litige

  1. Le ministre a-t-il envoyé la lettre du 24 février 2009 rejetant la demande de pension d’invalidité du requérant?
  2. Si le ministre a envoyé cette lettre, a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’il a refusé de prolonger le délai pour que le requérant demande une révision?
  3. Si ce n’est pas le cas, est-ce que je peux prolonger le délai pour que le requérant puisse le faire?

Analyse

Le ministre a-t-il envoyé la lettre du 24 février 2009 au requérant?

[4] Je dois d’abord déterminer si le ministre a envoyé au requérant la décision relative au rejet datée du 24 février 2009.

[5] Le requérant avait 90 jours pour demander une révision après qu’il a été avisé de la décision de la manière prescriteNote de bas de page 9. La notification, de la manière prescrite, doit être faite par écrit et envoyée par le ministreNote de bas de page 10.

[6] Si le ministre n’a pas envoyé la lettre, la demande de révision du requérant n’était pas en retard, puisque la période de 90 jours accordée pour demander une révision n’avait pas commencé. Le ministre serait obligé d’examiner sa demande de révision sur le fond.

[7] La question de savoir si le requérant avait reçu la lettre de rejet a été soulevée pour la première fois en tant que question juridique à l’audience du 3 décembre 2018. J’ai demandé au requérant de déposer une copie des feuilles d’instructions qu’il a reçues. J’ai aussi demandé aux deux parties de présenter des observations sur cette question. Après que les parties ont déposé ces observations, le requérant a demandé une autre audience orale. La suite de l’audience s’est déroulée le 13 février 2019.

[8] Le requérant a affirmé qu’après sa conversation téléphonique du 24 février 2009 avec l’évaluatrice médicale, il a reçu par la poste les feuilles d’instructions sur la façon de demander une révisionNote de bas de page 11, mais il n’a pas reçu de lettre. Comme les feuilles d’instructions [traduction] « correspondaient » à ce qu’on lui avait dit au téléphone, il les a « seulement » mises dans son dossier.

[9] M. Jukes a déclaré que le requérant et lui ne se sont pas rendu compte des répercussions juridiques potentielles qui découlaient du fait de ne pas avoir reçu la lettre de rejet, jusqu’à ce que le requérant présente la feuille d’information à l’audience du 3 décembre 2018. Toutefois, cela avait précédemment été soulevé en tant que question de fait. La lettre de janvier 2014 que M. Jukes a adressée à Service Canada énonçait qu’après avoir été informé au téléphone que sa demande avait été rejetée, le requérant avait reçu une lettre [traduction] « l’informant du processus d’appel, mais l’essentiel de la décision avait été communiqué au téléphoneNote de bas de page 12 ». La demande de permission d’en appeler que le requérant a présentée à la division d’appel énonçait que le requérant avait reçu une [traduction] « lettre expliquant le processus d’appel, mais la lettre reçue ne contenait aucune raison écriteNote de bas de page 13.

[10] Mme Carr a soutenu que le requérant ne pouvait pas avoir reçu seulement les feuilles d’instructions, car celles-ci ne comportaient pas d’adresse postale. Dans le cadre des pratiques ministérielles normales, les lettres de rejet du RPC sont envoyées sur du papier à correspondance officielle du gouvernement et des données sont systématiquement produites concernant le nom, l’adresse et le numéro d’assurance sociale de la personne. Le numéro d’assurance sociale du requérant est inscrit dans le coin en bas à gauche des feuilles d’instructions, ce qui signifie que la lettre et les instructions ont été imprimées en même temps. Le requérant n’aurait pas pu recevoir seulement les feuilles d’instructions, car aucune adresse n’y figurait. La salle de courrier n’aurait pas pu savoir à qui l’envoyer. Postes Canada n’aurait pas pu la livrer parce que le nom et l’adresse du requérant n’auraient pas pu se trouver sur l’enveloppe.

[11] Le ministre doit démontrer selon la prépondérance des probabilités (qu’il est plus probable qu’improbable) que la lettre de rejet a été envoyée au requérant.

[12] Je suis convaincu que le requérant croit sincèrement à ce point-ci qu’il n’a pas reçu la lettre, mais plus de 10 ans se sont écoulés depuis. Il se peut qu’il ait seulement trouvé les feuilles d’instructions dans son dossier lorsque la lettre de janvier 2014 a été envoyée à Service Canada, mais cela ne veut pas dire que la lettre elle-même n’a pas été égarée par inadvertance. Je reconnais qu’il est possible qu’une erreur ait été commise dans la salle de courrier et que la lettre et les instructions aient été séparées. Mais cela n’explique pas la façon dont la salle de courrier aurait été capable de préparer une enveloppe avec le nom et l’adresse du requérant. Une possibilité n’est pas une probabilité.

[13] J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que la lettre et les feuilles d’instructions aient toutes été envoyées au requérant, et qu’il a égaré la lettre.

Le ministre a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire?

[14] Comme j’ai déterminé que la lettre de décision a été envoyée au requérant, je dois déterminer si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’il a refusé de prolonger le délai dont disposait le requérant pour demander une révision.

[15] La décision du ministre de rejeter ou d’accueillir une demande de révision tardive est une décision discrétionnaire. Le pouvoir discrétionnaire du ministre doit être exercé de façon judiciaireNote de bas de page 14.

[16] Un pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé de façon judiciaire s’il peut être établi que le décideur a :

  • agi de mauvaise foi;
  • agi dans un but ou pour un motif irrégulier;
  • pris en compte un facteur non pertinent;
  • ignoré un facteur pertinent;
  • agi de manière discriminatoireNote de bas de page 15.

[17] Mon rôle n’est pas de déterminer si le ministre a pris la bonne décision. Mon rôle est de déterminer s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. Le fardeau de la preuve incombe au requérant, qui doit montrer que le ministre ne l’a pas fait.

[18] La lettre de décision a été envoyée au requérant le 24 février 2009. Le courrier au Canada est généralement reçu dans un délai de 10 jours. J’estime donc que la décision a été communiquée au requérant au plus tard le 6 mars 2009. Il avait jusqu’au 4 juin 2009 pour demander une révision. Le ministre n’a pas reçu la demande de révision avant le 17 juin 2013.

[19] Étant donné que le requérant n’a pas demandé la révision avant le 17 juin 2013, le ministre peut seulement prolonger la période pour demander une révision s’il est convaincu de ce qui suit : 1) il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai; 2) le requérant a manifesté l’intention persistante de demander la révision; 3) la demande de révision a des chances raisonnables de succès; et 4) l’autorisation du délai supplémentaire ne porte pas préjudice au ministre ni d’ailleurs à aucune autre partieNote de bas de page 16.

[20] Les quatre facteurs doivent être respectésNote de bas de page 17.

[21] Le requérant a affirmé qu’il s’est fondé sur les déclarations que l’évaluatrice médicale a faites durant leur conversation téléphonique du 24 février 2009; l’évaluatrice médicale lui a dit que le RPC devait attendre la décision de la WCB, que le requérant devait fournir la décision relative à son appel devant la WCB lorsqu’il l’aurait, et que sa demande resterait en suspens en attendant son appel devant la WCB. En raison de ces déclarations, il n’a demandé une révision qu’après qu’un comité médical de la WCB a rejeté l’opinion médicale sur laquelle la WCB s’était fondée précédemment. Après la décision du comité médical, la WCB a admis que le requérant ne pouvait pas travailler comme gardien de sécurité et était incapable de trouver un emploi qui convenait à ses limitations.

[22] Le ministre a conclu que le requérant avait une chance raisonnable d’avoir gain de cause. Cependant, il a déterminé que le retard n’avait pas été raisonnablement expliqué, qu’il n’y avait pas d’intention persistante d’en appeler, et qu’une prolongation causerait un préjudice au ministre puisqu’il y avait déjà eu un délai de plus de quatre ansNote de bas de page 18.

[23] Le ministre n’a pas agi de façon judiciaire lorsqu’il a déterminé qu’une prolongation lui causerait un préjudice. Il n’a pas demandé que des observations soient présentées à ce sujet dans la lettre adressée le 17 décembre 2013 à l’avocat du requérant et sa décision ne contient aucune explication concernant cette conclusion. La décision énonçait que quatre ans s’étaient écoulés, mais ne traitait pas de la question de savoir si le délai causait un préjudice au ministre. Rien ne prouve que le dossier avait été perdu ou détruit, ou que le ministre avait subi un préjudice quelconque.

[24] Le ministre n’a pas non plus agi de façon judiciaire lorsqu’il a déterminé que le retard n’avait pas été raisonnablement expliqué et qu’il n’y avait pas d’intention persistante de demander une révision. Le ministre a examiné en détail la correspondance pertinente, les registres d’échanges téléphoniques et le dossier Client View (qui documente tous les échanges qui ont eu lieu avec le requérant). Toutefois, il n’a pas bien tenu compte de la position du requérant selon laquelle le retard qui s’est produit lors de la présentation de la demande de révision a été causé par les déclarations orales que l’évaluatrice médicale lui a faites. La décision mentionnait seulement qu’il n’y avait aucune trace dans les registres qu’une telle conversation avait eu lieu. Comme le ministre n’a pas évalué la crédibilité et l’importance potentielle de la position du requérant, il a omis de tenir compte d’un facteur pertinent.

[25] J’estime que le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire.

Est-ce que je peux prolonger le délai pour que le requérant puisse présenter sa demande de révision?

[26] Étant donné que j’ai estimé que le ministre n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, je dois déterminer si je peux prolonger le délai pour que le requérant présente une demande de révision.

[27] Il n’y a pas de doute que la demande de révision du requérant avait une chance raisonnable de succès. De plus, rien ne prouve que le ministre subirait un préjudice si je prolongeais le délai pour présenter la demande de révision.

[28] Les questions de savoir si une explication raisonnable a été fournie pour le retard et s’il y avait une intention persistante d’en appeler s’entremêlent dans cette affaire. La position du requérant est qu’il existe une explication raisonnable du retard en raison des déclarations orales qui lui ont été faites lors de la conversation téléphonique du 24 février 2009, soit que le RPC doit attendre la décision de la WCB, sa demande de pension d’invalidité du RPC allait rester en suspens en attendant la décision relative à son appel devant la WCB et il devrait attendre que ses problèmes avec la WCB soient réglés avant de rappeler. Si le requérant a attendu avant de présenter sa demande de révision en raison des déclarations orales de l’évaluatrice médicale selon lesquelles il devrait rappeler après que ses problèmes avec la WCB sont réglés, le requérant aurait eu l’intention persistante d’en appeler une fois que ses problèmes avec la WCB ont été réglés.

[29] Pour examiner ces facteurs, je dois évaluer s’il est crédible que l’évaluatrice médicale a réellement fait les déclarations que le requérant lui a attribuées. Le comportement du requérant me convainc qu’il est un témoin honnête et qu’il croit réellement que ces déclarations ont été faites.

[30] Mais le comportement peut être trompeur et ne représente qu’un des facteurs permettant d’évaluer la crédibilité. L’évaluation de la crédibilité se fait à partir du bon sens, de la constance inhérente et de la conformité aux documents contemporains et incontestés. J’ai déterminé que la position du requérant selon laquelle l’évaluatrice médicale a fait ces déclarations n’est pas crédible pour les raisons suivantes :

  • Premièrement, cela ne sonne pas vrai. J’accepte la position de Mme Carr selon laquelle le RPC n’attend pas de connaître une décision de la WCB avant d’agir et que la suspension d’une demande pendant une période indéterminée en attendant le règlement des problèmes entre une partie requérante et la WCB n’est pas une pratique du RPC. Je trouve qu’il est difficile d’imaginer qu’une évaluatrice médicale aurait, à sa propre initiative, fait des déclarations qui entraient clairement en conflit avec la loi et les procédures relatives au RPC. Elle n’aurait eu aucune raison de le faire.
  • Deuxièmement, les registres contemporains ne mentionnent aucunement ces déclarations. Elles ne sont mentionnées ni dans le registre des conversations téléphoniques ni dans la lettre qui a été envoyée ce jour-là. Si l’évaluatrice médicale avait fait ces déclarations, elle les aurait probablement notées dans le registre téléphonique et la lettre de décision. Elle n’avait aucune raison de ne pas le faire.
  • Troisièmement, les feuilles d’instructions que le requérant reconnaît qu’il a reçues énonçaient qu’une demande de révision devait être présentée dans les 90 jours suivant la communication de la décision. Elles mentionnaient aussi que le requérant ne devrait pas attendre avant d’envoyer sa demande, même s’il attendait de recevoir plus de renseignementsNote de bas de page 19. Même si cela contredisait les déclarations que le requérant a attribuées à l’évaluatrice médicale, le requérant n’a présenté aucune demande de renseignements pour clarifier cette incohérence.
  • Quatrièmement, même si le requérant a engagé un avocat au printemps de 2009, il n’a apparemment discuté de ces déclarations avec lui qu’après avoir demandé une révision en juin 2013. Quand je lui ai demandé à l’audience s’il avait parlé des déclarations à son avocat, il a affirmé ce qui suit : [traduction] « Je crois que j’ai dit à mon avocat que je dois poursuivre ma demande de la WCB parce que toutes mes autres demandes dépendaient de la demande de la WCB […] Je ne peux pas affirmer que j’ai mentionné la demande du RPC à mon avocatNote de bas de page 20 ». Son avocat n’a pas communiqué avec Service Canada pour confirmer les déclarations, et la lettre détaillée de demande de révision datée de juin 2013 ne fait nullement référence à ces déclarations.

[31] Comme je suis d’avis que la position du requérant selon laquelle l’évaluatrice médicale a fait les déclarations qui lui ont été attribuées n’est pas crédible, aucune explication raisonnable n’a été fournie pour justifier le retard. Étant donné qu’aucun élément ne prouve qu’il y a eu des échanges entre le requérant et le ministre entre la lettre de décision du 24 février 2009 et la demande de révision de juin 2013, aucune preuve crédible ne démontre une intention persistante d’en appeler.

[32] J’estime que le requérant n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités que le retard avait une explication raisonnable et qu’il avait l’intention persistante d’interjeter appel. Comme il devait satisfaire à ces quatre facteurs, je ne peux pas prolonger le délai pour la présentation d’une demande de révision.

Conclusion

[33] L’appel est rejeté.

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