Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – La seconde décision de la division générale (DG) contient une erreur de droit puisqu’elle ne comprend pas une analyse valable de la preuve – Si la DG considérait que son mandat était plus restreint dans le cadre de sa seconde décision, elle aurait dû le préciser clairement – Si la DG prévoyait seulement d'analyser certains des éléments de preuve, elle aurait dû en expliquer les raisons – Dans sa seconde décision, la DG avait la possibilité d’approuver expressément des conclusions qu’elle avait tirées dans sa première décision – Par contre, sa seconde décision mentionne à peine l’existence de sa première décision.

Contenu de la décision



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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli et l’admissibilité de l’appelant à la pension d’invalidité est rétablie.

Aperçu

[2] A. C. est l’appelant en l’espèce. Il a commencé à toucher une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC) en janvier 2002. Toutefois, l’appelant a communiqué avec l’intimé, à savoir le ministre de l’Emploi et du Développement social, en mars 2013 pour déclarer qu’il travaillait comme chauffeur et qu’il avait gagné plus de 8 400 $ au cours de l’année civile précédente. Malheureusement, l’appelant a cessé de travailler à nouveau une semaine plus tard, après que le minibus qu’il conduisait ait eu des problèmes mécaniques et ait connu de brusques soubresauts.

[3] En novembre 2013, le ministre a tout de même mis fin à la pension d’invalidité de l’appelant, parce que celui-ci ne répondait plus à toutes les exigences du RPC. L’appelant a demandé au ministre de procéder à une révision de sa décision, mais le ministre a rejeté cette demande. L’appelant a ensuite contesté la décision du ministre devant la division générale du Tribunal, mais celle-ci a rejeté son appel dans une décision datée du 20 février 2017 (première décision de la division générale). Après quoi l’appelant a interjeté appel à la division d’appel du Tribunal; j’ai alors conclu que la division générale avait commis une erreur de droit et j’ai renvoyé l’affaire à la division générale aux fins de réexamen.

[4] Lorsque le dossier est revenu devant la division générale, il a été attribué à la même membre du Tribunal et celle-ci a de nouveau rejeté l’appel. Sa deuxième décision est datée du 10 août 2018 (deuxième décision de la division générale). L’appelant conteste maintenant la deuxième décision de la division générale. J’ai déjà accordé la permission d’en appeler dans cette cause. En l’espèce, j’accueille l’appel et je rends la décision que la division générale aurait dû rendre, soit celle de rétablir l’admissibilité de l’appelant à la pension d’invalidité du RPC.

Questions préliminaires

[5] Le 2 janvier 2019, après la date à laquelle j’ai rendu ma deuxième décision relative à une demande de permission d’en appeler, l’appelant a déposé une nouvelle note provenant de sa médecin de familleNote de bas de page 1. Puis, le 25 mars 2019, après l’audience de la division d’appel, il a déposé une évaluation psychiatriqueNote de bas de page 2. L’appelant a affirmé qu’on avait exigé qu’il fournisse ces renseignements, mais il n’a pas été possible d’établir clairement qui l’avait exigé, et j’ai été incapable d’en trouver la trace.

[6] Le ministre a soutenu que ces documents représentent de nouveaux éléments de preuve et que je ne devrais pas en tenir compteNote de bas de page 3. Je suis d’accord.

[7] Comme je l’explique plus longuement ci-dessous, le rôle de la division d’appel se limite habituellement à décider si la division générale a commis une erreur en se fondant sur les renseignements dont celle-ci disposait. Par conséquent, les tribunaux ont énoncé que la division d’appel ne doit pas généralement tenir compte de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 4. Conformément à ces décisions, j’ai décidé de ne pas tenir compte des nouveaux éléments que l’appelant a déposés dans cette affaire.

Questions en litige

[8] Dans le cadre de cette décision, j’ai mis l’accent sur les questions suivantes :

  1. La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’analysant pas la preuve d’une manière judicieuse?
  2. Quelle est la réparation adéquate en l’espèce?
  3. Est-ce que le ministre a démontré qu’à partir de novembre 2013 l’appelant ne satisfaisait plus aux exigences pour obtenir une pension d’invalidité du RPC?

Analyse

[9] Pour que son appel soit accueilli par la division d’appel, l’appelant doit démontrer que la division générale a commis au moins une des erreurs reconnues (ou moyens d’appel) énoncées à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)Note de bas de page 5.

[10] En l’espèce, j’ai porté une attention particulière à la question de savoir s’il était plus probable qu’improbable que la division générale ait commis une erreur de droit en rendant sa décision. Aux termes de la Loi sur le MEDS, toute erreur de droit pourrait justifier mon intervention dans cette causeNote de bas de page 6.

La division générale n’a pas analysé la preuve de manière judicieuse

[11] Le ministre a octroyé une pension d’invalidité du RPC à l’appelant, qui entrait en vigueur en janvier 2002Note de bas de page 7. Avant d’octroyer cette prestation, le ministre a demandé qu’un rapport médical indépendant soit effectué pour confirmer que l’appelant était atteint d’un trouble de somatisation (douleur chronique, surtout à l’épaule droite), d’une phobie sociale et d’un trouble d’apprentissage aggravé par le trouble déficitaire de l’attentionNote de bas de page 8.

[12] À cette époque, le ministre était donc convaincu que l’appelant satisfaisait aux exigences pour toucher une pension d’invalidité. Parmi ces exigences, il y a celle que l’appelant devait être atteint d’une invalidité grave et prolongée. Au titre du RPC, une invalidité est grave si la partie requérante est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, et une invalidité est prolongée si elle dure vraisemblablement pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîne vraisemblablement le décèsNote de bas de page 9.

[13] Toutefois, en août 2011, l’appelant est retourné au travail en tant que chauffeur saisonnier à temps partiel qui reconduisait des enfants à l’école et les ramenait à la maison en fourgonnette, puis en minibus. Il a gagné un peu moins de 4 000 $ en 2011 et un peu plus de 8 400 $ en 2012. Il a communiqué avec le ministre le 1er mars 2013 pour déclarer sa rémunération, ce qui a déclenché un réexamen de son dossier. Environ une semaine plus tard, cependant, l’appelant a de nouveau arrêté de travailler en raison d’un accident de travail. Plus précisément, il déclare que l’autobus qu’il conduisait a connu des problèmes de transmission, ce qui a provoqué de brusques soubresauts, dont le résultat a été des douleurs au dos et au cou, accompagnées de maux de tête fréquents.

[14] L’appelant n’est jamais retourné au travail après l’accident de mars 2013. Il a affirmé qu’il ne pouvait pas conduire sur de longues distances et qu’il pouvait à peine marcherNote de bas de page 10. Le ministre a néanmoins conclu que, à partir de la fin de novembre 2013, l’appelant ne pouvait plus être considéré comme atteint d’une invalidité grave au sens du RPC. Le ministre a donc mis fin à la pension d’invalidité de l’appelant à partir du 1er décembre 2013.

[15] Dans la deuxième décision de la division générale, celle que j’examine actuellement, la division générale a fait remarquer à juste titre qu’il revenait au ministre de prouver que l’appelant ne satisfaisait plus aux critères d’admissibilité pour toucher une pension d’invalidité du RPCNote de bas de page 11.

[16] Pour résumer, la division générale a conclu que les troubles mentaux de l’appelant et sa douleur à l’épaule droite étaient essentiellement réglés lorsqu’il est retourné travailler en août 2011. Puis, en se fondant sur un questionnaire rempli par l’ancien employeur de l’appelantNote de bas de page 12, la division générale a conclu que l’appelant avait retrouvé la capacité de travailler, en ce sens qu’il était un employé productif, efficace et fiableNote de bas de page 13.

[17] Bien que l’appelant ait admis que ses troubles mentaux et sa douleur à l’épaule droite s’étaient assez estompés pour lui permettre de travailler comme chauffeur de 2011 à 2013, il a soutenu que sa capacité à travailler avait toujours des limites en raison de sa douleur au dos, un problème qui remontait à de nombreuses années. En effet, il a affirmé que sa douleur au dos s’était grandement accentuée après l’accident de mars 2013 et qu’elle l’avait empêché de travailler depuis.

[18] Néanmoins, la division générale a conclu que l’appelant s’était remis de son accident de mars 2013 et qu’il pouvait retourner au travail en mai 2013Note de bas de page 14. Dans sa deuxième décision, la division générale a fait référence presque exclusivement à la preuve de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents de travail (CSPAAT) de l’Ontario, qui était responsable de la réadaptation de l’appelant après son accident de mars 2013.

[19] Plus précisément, la division générale s’est fondée sur le rapport d’une physiothérapeute, Mme Miulescu, daté du 16 mai 2013. Mme Miulescu a conclu que l’appelant pouvait retourner au travail, en travaillant un jour sur deux, à condition de respecter les restrictions suivantes : [traduction] « capable de marcher au plus 500 mètres; capable de se tenir debout; capable de s’asseoir pendant au plus 2,5 heures; capable de monter des escaliers et dans une échelle; capable de prendre le transport en commun pour se rendre au travail; capable de conduire une voiture pour de courtes périodes; et ne pas être exposé à des vibrations pour de longues périodesNote de bas de page 15. »

[20] Toutefois, en ce qui concerne les restrictions de l’appelant, la preuve médicale contenait de nombreuses opinions différentesNote de bas de page 16. Un fait significatif est que la médecin de famille de l’appelant, la Dre Courchesne, a déclaré qu’il était peu probable que l’appelant puisse occuper un emploi en raison de la douleur chronique qu’il éprouvait depuis longtempsNote de bas de page 17. En novembre 2013, une période cruciale dans le cadre du présent appel, la Dre Courchesne a confirmé que l’appelant n’était pas capable d’effectuer un travail qui l’obligeait à rester debout ou assis pour une longue période, à faire des torsions, à se pencher ou à soulever des objetsNote de bas de page 18. Dans sa lettre, la Dre Courchesne a admis qu’un examen d’IRM du dos de l’appelant effectué en mai 2013 n’avait pu expliquer les symptômes de celui-ci, mais elle a fait remarquer que des symptômes de douleur subjectifs pouvaient toujours se manifester.

[21] Cependant, la deuxième décision de la division générale ne traite d’aucun de ces éléments importants, mais contradictoires.

[22] Je conviens que la division générale n’est pas tenue de renvoyer à chaque élément de preuve dont elle dispose. Il est plutôt présumé qu’elle a examiné l’ensemble de la preuveNote de bas de page 19. Toutefois, la division générale peut commettre une erreur de droit si elle omet d’analyser la preuve de manière judicieuse. Cela peut se produire si, par exemple, la division générale ne mentionne pas des éléments de preuves importants ou ignore les contradictions significatives de la preuveNote de bas de page 20.

[23] Je suis d’avis que la deuxième décision de la division générale ne contient pas une analyse judicieuse de la preuve. Par exemple, la division générale n’a pas mentionné les rapports de la médecin de famille de l’appelant et n’a pas traité des contradictions présentes dans la preuve concernant les limitations fonctionnelles de l’appelant. De plus, dans la deuxième décision de la division générale, il n’est pas, ou que peu, question de la preuve fournie par l’appelant sur sa capacité de retourner au travail après l’accident de mars 2013. Par exemple, l’appelant a décrit oralement et par écrit la douleur intense qu’il ressentait au dos et au cou, ses maux de tête fréquents, ses difficultés de mobilité importantes et son incapacité à s’asseoir, à se tenir debout ou à marcher pour de longues périodesNote de bas de page 21.

[24] Durant l’audience devant moi, le ministre a soutenu que la deuxième décision de la division générale devait être confirmée, parce que la division générale avait minutieusement analysé la preuve dans sa première décision. Le ministre a aussi affirmé que, lorsque j’ai renvoyé l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen parce que celle-ci avait transféré le fardeau de la preuve du ministre à l’appelant de façon inappropriée, la division générale n’avait rien d’autre à faire que d’appliquer correctement le fardeau de la preuve et de rendre une nouvelle décision.

[25] De plus, comme la division générale n’était pas tenue de prendre en compte toute la preuve de nouveau, le ministre a fait valoir que je ne devrais pas blâmer la division générale de mettre en évidence seulement les éléments de preuve qui appuyaient le mieux sa décision et de ne pas mentionner le reste de la preuve.

[26] Je ne peux admettre les arguments du ministre pour les raisons suivantes :

  1. Si la division générale avait jugé que son mandat était plus restreint au moment de rendre la deuxième décision, elle aurait alors dû l’énoncer clairement. Au lieu de cela, la deuxième décision de la division générale s’inscrit dans un contexte général, comme on le voit à ce qui suit : [traduction] « Le ministre a-t-il déterminé que l’[appelant] avait cessé d’être invalide à la fin de novembre 2013Note de bas de page 22? » Cela est semblable à la façon dont la question est présentée dans la première décision de la division générale et ne laisse pas croire que la division générale a interprété ma décision précédente comme une limite à l’étendue de sa question.
  2. De même, si la division générale avait eu l’intention d’évaluer une partie de la preuve et non sa totalité, elle aurait alors dû donner ses raisons d’agir ainsi. Toutefois, la division générale n’a fourni aucune explication du genre. De fait, la division générale avait l’option de reprendre délibérément dans sa deuxième décision certaines ou l’entièreté des conclusions présentées dans sa première décision. Au lieu de cela, elle ne mentionne presque pas sa première décision dans sa deuxième décision.
  3. La deuxième décision de la division générale semble incomplète à première vue. Par exemple, la division générale n’a aucunement mentionné la situation personnelle de l’appelant, même si des décisions exécutoires rendues par la Cour d’appel fédérale exigent qu’elle le fasseNote de bas de page 23. Encore une fois, je ne pourrais admettre les théories du ministre concernant ces omissions; il revenait à la division générale d’expliquer les lacunes apparentes dans sa décision.

[27] Dans l’ensemble, j’ai donc estimé que la deuxième décision de la division générale comprenait une erreur de droit, parce qu’elle n’incluait pas une analyse judicieuse de la preuve. De plus, je ne peux pas me servir de la première décision de la division générale pour compenser les lacunes de la deuxième décision de la division générale.

[28] Comme la division générale a commis une des erreurs de droit décrites à l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS, je peux intervenir en l’espèce.

Il convient de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre

[29] Les recours dont je dispose sont énoncés à l’article 59(1) de la Loi sur le MEDS. Parmi les options disponibles, j’ai surtout réfléchi à la question de savoir si je devrais renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[30] En l’espèce, le ministre a soutenu que la division générale n’avait commis aucune erreur. Parallèlement, si la division générale avait commis une erreur, elle aurait eu peu d’importance, ou n’en aurait eu aucune, et je devrais confirmer la deuxième décision de la division générale sans tenir compte de cette erreur.

[31] En l’espèce, les deux parties ont convenu que la preuve au dossier était complète et qu’il y avait peu d’avantages à renvoyer l’affaire devant la division générale une troisième fois.

[32] Bien que la division d’appel devrait mettre l’accent sur la façon la plus avantageuse et la plus efficace de corriger les erreurs qu’elle a relevées, l’erreur en l’espèce se rapporte au vif du sujet. Par conséquent, je concède que je dois réévaluer la preuve afin de corriger l’erreur de la division générale.

[33] Néanmoins, j’ai décidé qu’il convient de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, parce que :

  1. les pensions d’invalidité du RPC visent à aider les personnes qui sont incapables de travailler en raison d’un grave problème de santé, mais l’incertitude concernant l’admissibilité de l’appelant persiste depuis novembre 2013;
  2. les délais en l’espèce sont importants et l’historique procédural est long;
  3. le RPC prévoit un régime administratif visant à rendre des décisions rapidementNote de bas de page 24;
  4. le pouvoir de déterminer si une prestation est payable à une personne est accordé à l’ensemble du Tribunal et non seulement à l’une de ses divisionsNote de bas de page 25;
  5. cette façon de faire favorise la prise de décisions rapide et efficiente, et est appuyée par les articles 2 et 3(1)(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

[34] Il vaut en outre la peine de souligner que les deux parties ont déposé des observations détaillées, tant devant la division générale que devant la division d’appel, expliquant les raisons pour lesquelles l’appelant a droit ou non à une pension d’invalidité du RPC. J’ai également écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. Par conséquent, il n’y a guère d’avantages à renvoyer l’appel à la division générale pour qu’un autre membre examine le dossier.

[35] Pour toutes ces raisons, j’ai décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

L’admissibilité de l’appelant à une pension d’invalidité du RPC est rétablie

[36] Pour avoir gain de cause dans cette affaire, le ministre devait prouver que, à la fin de novembre 2013, l’appelant ne satisfaisait plus aux exigences lui permettant d’obtenir une pension d’invalidité du RPC. À mon avis, le ministre n’y est pas parvenu.

[37] Essentiellement, le ministre a soutenu que l’emploi de chauffeur que l’appelant a occupé de 2011 à 2013 démontre qu’il n’était plus atteint d’une invalidité grave au sens du RPC. De plus, bien que le ministre admette que l’appelant a été impliqué dans un accident de travail en mars 2013, il affirme que l’appelant était complètement remis de cet accident à la fin de novembre 2013, si ce n’est avant.

[38] Pour soutenir ses arguments, le ministre accorde une grande importance aux éléments de preuve suivants :

  1. la rémunération de l’appelantNote de bas de page 26;
  2. un questionnaire rempli par l’ancien employeur de l’appelantNote de bas de page 27;
  3. un rapport d’examen médical rempli en 2016 par la Dre Courchesne pour soutenir les efforts de l’appelant qui tentait de faire renouveler son permis de conduireNote de bas de page 28;
  4. des rapports médicaux préparés par ou pour la CSPAATNote de bas de page 29.

[39] Selon le ministre, ces éléments de preuve démontrent que, depuis la fin de novembre 2013, l’appelant a été régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Je ne suis pas de cet avis. Voici mes raisons.

[40] Premièrement, je conviens que le travail satisfaisant de l’appelant comme chauffeur de 2011 à 2013 démontre que l’appelant avait une certaine capacité de travailler. Toutefois, je ne peux convenir que ce travail démontre que l’appelant était régulièrement capable de détenir une occupation au seuil d’un emploi véritablement rémunérateur.

[41] Par exemple, l’année 2012 est l’année où l’appelant a eu la rémunération la plus élevée. Cette année-là, il n’a pris qu’un mois de congé de maladie, mais son revenu est demeuré en deçà de 8 500 $Note de bas de page 30. De fait, avec une rémunération de seulement 236 $ par semaine, le revenu annuel de l’appelant s’établirait à moins de 12 000 $, même s’il était en mesure de travailler 50 semaines par annéeNote de bas de page 31. À mon avis, ces chiffres ne sont pas l’expression d’une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 32.

[42] J’ai également évalué si l’appelant était capable de gagner plus d’argent, soit en travaillant un plus grand nombre d’heures, soit en travaillant ailleurs.

[43] En l’espèce, l’appelant travaillait environ 22 heures par semaine. Des heures supplémentaires lui étaient offertes s’il acceptait d’effectuer un trajet plus long, mais l’appelant a refusé en raison de sa santé. Il a affirmé qu’il était habituellement le dernier chauffeur à sortir de la cour et le premier à y retournerNote de bas de page 33. Il s’agissait d’une situation quelque peu unique; cet emploi permettait à l’appelant de travailler un peu le matin et un peu l’après-midi, et de pouvoir se reposer pour une période significative entre les deux, ce que l’appelant trouvait essentiel.

[44] En ce qui concerne sa rémunération, il n’y a aucune indication que l’appelant était sous-payé pour le travail qu’il effectuait ou qu’il aurait été mieux payé ailleursNote de bas de page 34. Pour des motifs expliqués plus en détail ci-dessous, j’estime également qu’il est peu probable que l’appelant aurait pu trouver un autre emploi qui aurait été mieux rémunéré et qui aurait mieux convenu à son état de santé.

[45] En résumé, je considère donc que la rémunération de l’appelant en 2012 atteignait presque sa rémunération maximale potentielle, même si elle s’établissait largement en deçà du seuil d’un emploi véritablement rémunérateur.

[46] Deuxièmement, j’admets le rapport médical de la Dre Courchesne datant d’avril 2016, qui a été préparé pour soutenir les efforts que l’appelant a déployés pour renouveler son permis de conduireNote de bas de page 35. Cependant, ce rapport a été préparé dans un contexte très précis et je ne l’interprète pas comme une observation sur la capacité de travailler de l’appelant ou comme une contradiction des lettres précédentes de la Dre Courchesne, où elle déclarait clairement qu’il était extrêmement improbable que l’appelant retourne au travail pour occuper son emploi précédent ou n’importe quel autre emploiNote de bas de page 36.

[47] Troisièmement, je conviens que les rapports médicaux préparés pour la CSPAAT laissent entendre que l’appelant pouvait retourner au travail en toute sécurité et qu’il était remis, ou le serait bientôt, des conséquences physiques de son accident de mars 2013Note de bas de page 37. Toutefois, surtout dans le cas d’une personne atteinte de douleur chronique, cela est très différent d’une affirmation selon laquelle la personne est capable de retourner au travail, et encore moins qu’elle est régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[48] Un fait significatif est que la CSPAAT a mis l’accent sur les conséquences précises que l’accident de travail avait eues sur la capacité de travailler de l’appelant. Tout particulièrement, l’accent semble avoir été mis sur les conséquences physiques de l’accident, mais presque sans tenir compte des antécédents de l’appelant liés à sa douleur chronique au bas du dos.

[49] Pour l’application du RPC, toutefois, la source de la douleur de l’appelant est peu pertinente. Comme l’a écrit la Dre Courchesne, les symptômes de douleur chronique de l’appelant allaient probablement persister même après qu’il se soit remis des blessures physiques causées par l’accident de mars 2013 et même si la source de sa douleur ne pouvait être découverte grâce à des examens d’imagerieNote de bas de page 38. De fait, la consommation récente d’alcool par l’appelant comme moyen de soulager sa douleur témoigne de la détérioration de son étatNote de bas de page 39.

[50] Pour ce qui en est de la douleur chronique, je constate qu’on a diagnostiqué un trouble de la douleur chronique chez l’appelant dès mars 2000 et que l’expert indépendant mandaté par le ministre, le Dr Hamilton, a diagnostiqué un trouble de somatisation chez l’appelant en 2006Note de bas de page 40. La douleur de l’appelant émanait de la région de son épaule droite et de sa colonne lombaireNote de bas de page 41.

[51] À la lumière des antécédents de douleur chronique bien documentés et de longue date en l’espèce, j’accorde peu d’importance à la théorie exposée dans certains rapports de la CSPAAT selon laquelle l’appelant simulait ses symptômes. En effet, même Mme Miulescu a admis que des facteurs non organiques entraient en ligne de compte, que ceux-ci limitaient la rémission de l’appelant et que ses résultats du Roland-Morris Disability Questionnaire [Questionnaire de Roland-Morris relatif à l’invalidité] indiquaient que son état s’était peu amélioré au cours du traitementNote de bas de page 42.

[52] Cependant, les rapports de Mme Miulescu doivent être analysés de façon plus détaillée parce que le ministre s’en sert comme preuve de la capacité de travail de l’appelant après l’accident de mars 2013. Il est important de signaler que l’appelant a participé à un programme de traitement à la clinique de Mme Miulescu du 9 avril au 30 mai 2013. Selon l’appelant, ce programme a été peu utile. Au contraire, Mme Miulescu a remarqué des améliorations importantes.

[53] Par exemple, lorsque Mme Miulescu a effectué sa première évaluation de l’appelant au début d’avril 2013, elle a constaté que sa capacité à marcher, à se tenir debout, à s’asseoir et à soulever des charges de plus de cinq kilogrammes était fortement limitéeNote de bas de page 43. À la fin du programme, cependant, le 30 mai 2013, elle a noté que l’appelant n’avait plus aucune limitation, sauf le fait qu’il affirmait qu’il n’était pas capable de marcher plus de 200 mètresNote de bas de page 44.

[54] Selon moi, les rapports de Mme Miulescu ne sont pas fiables, car ils présentent une opinion trop optimiste de la condition globale de l’appelant. À certains endroits, ses rapports semblent également contenir des incohérences. Par exemple, dans un de ses rapports, Mme Miulescu a déclaré que l’appelant n’avait aucune limitation quant à la conduite automobile ou à l’utilisation du transport en commun, mais elle affirme aussi que l’appelant devrait éviter une exposition prolongée aux vibrationsNote de bas de page 45. Je ne vois pas de quelle façon une personne pourrait éviter les vibrations lorsqu’elle se trouve à bord d’une voiture ou d’un autobus. Dans le même document, Mme Miulescu a constaté que l’appelant avait réussi à rester assis sur un ballon de physiothérapie pour au plus 30 minutes à la fois, mais elle a ensuite noté que l’appelant pouvait tolérer la position assise pendant plus de 2 heures et demie.

[55] Il est important de souligner que l’opinion de Mme Miulescu selon laquelle l’appelant n’avait aucune limitation fonctionnelle est infirmée par d’autres rapports médicaux présents au dossier. Par exemple, les rapports de la CSPAAT produits en avril et en mai 2013 par le Dr Raynor, un chirurgien orthopédiste, et la Dre Somers, une chiropraticienne, énumèrent les restrictions concernant le retour au travail de l’appelant, y compris une capacité limitée à se pencher vers l’avant et à saisir des objets, à soulever des objets, à conduire, à transporter des objets, à pousser et tirer, ainsi qu’à rester assis ou debout pour de longues périodesNote de bas de page 46. De même, la Dre Courchesne a déclaré que l’appelant était incapable d’effectuer un travail qui l’obligeait à s’asseoir, à rester debout, à faire une torsion, à se pencher ou à soulever quelque chose pour de longues périodesNote de bas de page 47.

[56] À mon avis, ces restrictions correspondent plutôt à la preuve de l’appelant et imposent des limites importantes quant à l’employabilité de ce dernier.

[57] La position du ministre en l’espèce est d’autant plus remise en question par la situation personnelle de l’appelant, qui nuit grandement à ses chances de réintégrer le marché du travail. Je soulève la question de la situation personnelle de l’appelant, parce que les tribunaux ont affirmé que le critère relatif à la gravité du RPC doit être évalué dans un contexte réalisteNote de bas de page 48. Cela signifie que je dois tenir compte de l’état global de l’appelant, en plus de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents professionnels et l’expérience de vieNote de bas de page 49.

[58] En l’espèce, j’aimerais souligner les facteurs pertinents suivants :

  1. L’appelant avait 55 ans quand le versement de ses prestations d’invalidité a cessé;
  2. Ses problèmes de santé pertinents comprennent une douleur chronique au bas du dos, ainsi qu’un trouble d’apprentissage, un trouble déficitaire de l’attention et un trouble de somatisationNote de bas de page 50;
  3. Il a terminé sa 12e année à une école pour personnes atteintes de difficultés d’apprentissage, mais n’a pas terminé un programme subséquent au Collège XNote de bas de page 51;
  4. Les expériences de travail les plus récentes de l’appelant sont celles de gardien d’école de 1984 à 1998 et de chauffeur de fourgonnette et de minibus de 2011 à 2013 (décrite ci-dessus).

[59] Ces facteurs laissent croire que l’appelant devra surmonter des obstacles considérables pour réintégrer le marché de travail. Notamment, l’appelant a peu d’expériences de travail récentes et peu de compétences transférables, et la probabilité qu’il réussisse à se recycler est faible.  

[60] Je fais également remarquer qu’à son emploi précédent, l’appelant bénéficiait d’un horaire particulièrement flexible, qui lui permettait de travailler un peu le matin et un peu l’après-midi, avec une longue période de repos entre les deux. Si l’appelant n’est pas capable de réintégrer cet emploi, il pourrait être bien difficile pour lui de trouver un autre employeur qui offre une telle flexibilité.

[61] Dans l’ensemble, le ministre n’a donc pas réussi à prouver qu’à partir de novembre 2013, l’appelant était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Par conséquent, le ministre n’était pas en droit de couper la pension d’invalidité du RPC de l’appelant, et ses prestations devraient être rétablies.

Conclusion

[62] J’accueille cet appel, car la division générale n’a pas analysé la preuve d’une manière judicieuse. Elle a donc commis l’erreur de droit prévue à l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS. Entre autres, la division générale a ignoré des rapports importants et contradictoires rédigés par la médecin de famille de l’appelant, notamment.

[63] Dans le cadre de cette décision, j’ai aussi décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Ainsi, je conclus que le ministre n’a pas prouvé qu’il était en droit de couper la pension d’invalidité du RPC de l’appelant lorsqu’il l’a fait. Par conséquent, l’admissibilité de l’appelant à la pension d’invalidité du RPC est rétablie.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 6 mars 2019

Téléconférence

A. C., appelant

Tiffany Glover et Marcus Dirnberger (observateur), représentants de l’intimé

Annexe

Régime de pensions du Canada

  1. Personne déclarée invalide
  2. 42(2) Pour l’application de la présente loi :
    1. a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :
      1. (i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,
      2. (ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;
    2. b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne – notamment le cotisant visé au sous-alinéa 44(1)(b)(ii) – n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été faite.
  3. [...]
  4. Cas où la pension cesse d’être payable
  5. 70(1) Une pension d’invalidité cesse d’être payable avec le paiement qui concerne, selon le cas :
    1. a) le mois au cours duquel le bénéficiaire cesse d’être invalide […].

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

  1. Moyens d’appel
  2. 58(1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :
    1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
    2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
    3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
  3. [...]
  4. Décisions
  5. 59(1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.
  6. [...]
  7. Pouvoir du Tribunal
  8. 64(1) Le Tribunal peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la présente loi.
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