Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – La division générale (DG) a manqué de logique en concluant que les troubles psychologiques de l’intimé étaient à l’origine du fait qu’il ne prenait pas de médicaments – Selon le dossier, ce n’est pas le manque de motivation de l’intimé qui explique sa non conformité, mais bien sa propre opposition aux produits pharmaceutiques – En ayant mal interprété la preuve concernant la non-conformité de l’intimé, la DG a omis d’évaluer le caractère raisonnable de la véritable raison pour laquelle l’intimé ne prenait pas de médicaments.

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’intimé, J. R., détient un diplôme d’études secondaires et a travaillé à son compte comme X jusqu’en juin 2015; il prétend que sa santé mentale s’est alors détériorée au point où il lui est devenu impossible de continuer à travailler. Il est maintenant âgé de 50 ans.

[3] En juillet 2017, l’intimé a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) et a déclaré qu’il ne pouvait plus travailler en raison de sa dépression et de son asthme. L’appelant, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté sa demande après avoir conclu que l’intimé n’était pas atteint d’une invalidité « grave et prolongée » au sens du Régime de pensions du Canada. Le ministre a noté que l’intimé n’avait jamais eu besoin de suivre des traitements continus et réguliers en santé mentale et que son asthme était maîtrisé grâce à des médicaments.

[4] L’intimé a alors interjeté appel du refus du ministre auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Le 31 octobre 2018, la division générale a tenu une audience par vidéoconférence, puis elle a rendu une décision accueillant son appel. Dans ses motifs de décision, la division générale a accepté le témoignage de l’intimé voulant qu’il manquait de motivation et d’énergie en raison de sa dépression. De plus, elle n’a pas retenu contre lui son refus de prendre des antidépresseurs, jugeant que son inobservance thérapeutique n’était [traduction] « pas déraisonnable », comme un manque de motivation faisait partie des symptômes de son affection.

[5] Le 31 janvier 2019, le ministre a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, reprochant à la division générale d’avoir commis différentes erreurs dans sa décision, plus précisément les suivantes :

  • La division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas appliqué le bon critère relatif à l’invalidité, qui nécessite que les requérants se conforment aux traitements recommandés qui sont raisonnables. La division générale n’a pas cherché à savoir s’il avait été raisonnable que l’intimé refuse de prendre du Cipralex et d’autres antidépresseurs parce qu’il préférait prendre de la vitamine D.
  • La division générale a fondé sa décision sur une conclusion erronée, à savoir que le refus de l’intimé de prendre des médicaments d’ordonnance représentait un [traduction] « symptôme de son affection ». En réalité, le dossier ne contenait aucune preuve à cet effet.
  • La division générale a fondé sa décision sur une conclusion erronée voulant que le médecin de famille de l’intimé avait rapporté que son pronostic était [traduction] « sombre ». En réalité, le docteur Michael Lee avait écrit dans son rapport médical du RPC que le pronostic de l’appelant était sombre parce qu’il ne souhaitait pas prendre de médicamentsNote de bas de page 1 — une information contextuelle importante que la division générale n’a pas mentionnée.

[6] Dans ma décision du 5 mars 2019, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’ai jugé que les observations du ministre conféraient à l’appel une chance raisonnable de succès.

[7] Dans des observations écrites datant du 10 mai 2019, le représentant légal de l’intimé, monsieur Kirby, a défendu la décision de la division générale, notant que celle-ci avait considéré les raisons pour lesquelles son client avait refusé de prendre des médicaments et qu’elle les avait jugées crédibles et raisonnables. Monsieur Kirby a rappelé à la division d’appel qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait de la division générale.

[8] J’ai décidé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience orale dans le cadre de cet appel. Je vais donc instruire l’affaire strictement sur la foi du dossier existant, notamment parce que l’intimé a exprimé une préférence pour cette option. Bien qu’il existe des lacunes dans le dossier (l’enregistrement de l’audience tenue par la division générale n’est audible que de façon intermittente), je suis convaincu que les éléments mis en preuve me permettent à eux seuls de statuer sur cette affaire.

[9] Après avoir examiné le dossier et les observations écrites des parties, j’ai conclu que la division générale a erré dans sa décision. J’ai également conclu que la réparation appropriée, en l’espèce, est de renvoyer l’affaire à la division générale pour la tenue d’une nouvelle audience.

Question préliminaire

[10] Après que la division d’appel a accordé la permission d’en appeler, monsieur Kirby a réclamé une copie de l’enregistrement audio de l’audience tenue par la division générale. Le Tribunal lui a dûment fait parvenir un disque compact contenant un fichier MP3, que monsieur Kirby a qualifié d’ [traduction] « incompréhensible ». Dans une lettre qui accompagnait l’enregistrement, le Tribunal a attribué la qualité sonore à des difficultés techniques. Le 1er avril 2019, monsieur Kirby a soutenu que l’appel de son client était sérieusement compromis du fait que le dossier n’était pas [traduction] « complet ».

[11] J’ai examiné l’enregistrement et je confirme que de longues parties du témoignage de l’intimé, mais pas l’enregistrement en entier, ont été assourdies, possiblement à cause de l’emplacement du microphone. Le 23 avril 2019, j’ai tenu une téléconférence préparatoire afin de discuter des conséquences d’un enregistrement inutilisable.

[12] J’ai entendu les observations des deux parties et, tout compte fait, je n’ai pu me ranger à l’avis de l’intimé, qui croit que l’absence d’un enregistrement nuit nécessairement à sa capacité de participer au processus d’appel. J’ai souligné que les questions litigieuses dans cet appel concernaient la façon dont la division générale avait évalué l’explication qu’il avait fournie pour ne pas avoir pris des médicaments d’ordonnance. Convenant qu’il aurait été utile de disposer d’un enregistrement complet de l’audience, j’ai cependant conclu qu’il n’était pas essentiel pour trancher les questions soulevées en l’espèce. J’ai également souligné qu’il était possible, bien que difficilement, d’entendre certaines parties du témoignage de l’intimé sur l’enregistrement. Là où des lacunes demeuraient, j’étais prêt à entendre un témoignage sous serment, s’il était promis qu’il se rapporte aux questions en litige. J’ai fait remarquer que, de toute manière, le témoignage ne forme qu’une partie du dossier, qui comprend aussi les rapports de médecins, les lettres de l’intimé, et la décision de la division générale comme telle.

[13] La loi régissant le Tribunal ne l’oblige aucunement à enregistrer ses audiences, bien que le Tribunal le fasse par souci de bonne pratique. Monsieur Kirby a exigé des copies des notes qu’aurait pu prendre le membre de la division générale durant l’audience qu’il a présidée; cependant, j’ai constaté que la loi ne me confère aucunement le pouvoir de rendre une telle ordonnance, et je n’ai pu trouver aucune cause de la Cour fédérale ou de la Cour d’appel fédérale qui aurait traité de cette question. Les décisions rendues par des tribunaux d’autres niveaux laissent croire que les notes prises durant une audience par les membres de tribunaux administratifs demeurent des biens personnels de ceux-ci, à moins que la loi ne prévoie explicitement des directives contrairesNote de bas de page 2. Quoi qu’il en soit, même si j’avais constaté que j’étais habilité à ordonner la production des notes prises par la division générale, je n’aurais pas été enclin à le faire. Les notes prises durant une audience représentent un compte rendu personnel et peu fiable de la preuve, grandement influencé par des facteurs tels que la diligence du membre et la rapidité et la lisibilité de son écriture. Je ne crois pas qu’il aurait été utile d’obtenir les notes de la division générale en l’espèce.

Questions en litige

[14] Aux termes de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), seuls les trois moyens d’appel suivants peuvent être invoqués à la division d’appel : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; elle a commis une erreur de droit; et elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[15] Il me faut trancher les questions suivantes :

Question en litige no 1 :  La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas considéré si l’explication fournie par l’intimé pour ne pas avoir pris des antidépresseurs sur ordonnance était raisonnable?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle conclu sans preuve que le refus de l’intimé de prendre des médicaments d’ordonnance était un [traduction] « symptôme de son affection »?

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle dénaturé le pronostic du docteur Lee?

Analyse

[16] Dans l’arrêt Canada c HuruglicaNote de bas de page 3, la Cour d’appel fédérale a statué que les tribunaux administratifs doivent se reporter en premier lieu à leurs lois constitutives pour déterminer leur rôle : « L’approche textuelle, contextuelle et théologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur […] ».

[17] L’application de cette approche vis-à-vis de la Loi sur le MEDS permet de constater que les articles 58(1)(a) et 58(1)(b) ne définissent pas les erreurs de droit ni les manquements à la justice naturelle, ce qui laisse penser que la division d’appel devrait soumettre la division générale à une norme stricte en ce qui concerne les questions d’interprétation juridique. En revanche, le libellé de l’article 58(1)(c) laisse croire qu’il faut faire preuve d’une certaine retenue envers les conclusions de fait tirées par la division générale. La division générale doit avoir fondé sa décision sur la conclusion supposément erronée, et elle doit aussi l’avoir tirée « de façon abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme l’évoque l’arrêt Huruglica, il faut accorder à ces mots l’interprétation qui leur est propre, mais le libellé donne à penser que la division d’appel doit intervenir lorsque la division générale commet une erreur de fait déterminante qui n’est pas simplement déraisonnable, mais flagrante et manifestement contraire au dossier.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas considéré si l’explication fournie par l’intimé pour ne pas avoir pris des antidépresseurs sur ordonnance était raisonnable?

[18] Conformément à l’arrêt de principe Lalonde c CanadaNote de bas de page 4, les personnes demandant une pension d’invalidité sont tenues d’atténuer leurs déficiences en suivant les traitements recommandés par leurs fournisseurs de traitements. Toujours selon Lalonde, les décideurs, eux, doivent déterminer si le refus d’un requérant de suivre un traitement recommandé est déraisonnable et, le cas échéant, déterminer l’incidence de ce refus sur l’état d’incapacité du requérant. Même s’il est démontré qu’un requérant ne s’est pas soumis à un traitement recommandé, le décideur doit chercher à savoir s’il a eu une bonne raison de ne pas suivre le traitement et bien prendre en considération l’incidence de son inobservance thérapeutique sur sa capacité.

[19] À cet égard précis, je ne peux conclure qu’une erreur de droit a été commise. La division générale a cité Lalonde, comme elle le devait, et elle s’est acquittée de son obligation de déterminer si l’intimé avait fourni une explication raisonnable pour avoir refusé de prendre des médicaments prescrits :

[traduction]
Je dois déterminer si le refus du requérant de suivre le traitement recommandé est déraisonnable et, le cas échéant, déterminer l’incidence que pourrait avoir eue ce refus sur son état d’incapacité. Chaque affaire doit être considérée comme un cas d’espèce, et le critère consiste toujours à déterminer si le requérant a agi raisonnablement eu égard à sa situation particulière et à ses capacités. La question à trancher est de savoir s’il était raisonnable que le requérant ne suive pas le conseil médical formulé à son endroit. Le manque de coopération du requérant doit être considéré dans le contexte de sa situation particulière. Son médecin de famille a relevé son manque de motivation, et le requérant a témoigné qu’il manquait de motivation et d’énergie en raison de sa dépression. Je reconnais que les requérants ont l’obligation de chercher eux-mêmes à obtenir des traitements et de l’aide. Le fait que le requérant ne bénéficie pas d’un médecin de famille depuis décembre 2017 a eu des conséquences sur son bien-être et a compliqué encore davantage sa prise en charge médicale. Compte tenu de cette circonstance précise, le manque de coopération du requérant est lié à ses troubles psychologiques. Compte tenu des soins de premières lignes déficients et de son trouble psychiatrique réfractaire de longue date, je conclus que son refus de suivre les traitements recommandés n’est pas déraisonnable et qu’il s’agit plutôt d’un symptôme de son affectionNote de bas de page 5.

Selon le dossier, l’intimé a refusé plus d’une fois de se conformer aux traitements recommandés par ses médecins. La division générale a excusé ces refus pour deux raisons : la perte de son médecin de famille et son manque de motivation attribuable à son trouble psychologique. Si la division générale ne s’était pas appliquée à évaluer l’explication de l’intimé relativement à son refus de prendre des médicaments prescrits, il aurait été plus facile pour le ministre de soutenir qu’une erreur de droit avait été commise. Cependant, dans les faits, la division générale s’est bel et bien penchée sur les raisons pour lesquelles l’intimé n’avait pas suivi les recommandations. Bien qu’on puisse être en désaccord avec cette analyse ou contester son caractère raisonnable, aucun des moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS ne se trouverait ainsi invoqué.

[20] Par ailleurs, bien que la division générale puisse s’être acquittée de son obligation en vertu de la loi, je suis convaincu que son analyse du refus de l’intimé de suivre les recommandations a été compromise par des erreurs de fait importantes qu’elle a commises en évaluant la preuve, comme nous nous apprêtons à le voir.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle conclu sans preuve que le refus de l’intimé de prendre des médicaments d’ordonnance était un [traduction] « symptôme de son affection »?

[21] La division générale a conclu qu’il était raisonnable pour l’intimé d’avoir refusé de prendre des médicaments, car son inobservance thérapeutique était un [traduction] « symptôme de son affection »Note de bas de page 6. Cependant, je n’ai trouvé aucune preuve au dossier qui appuie cette conclusion. J’ai donc conclu que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[22] Il ne fait aucun doute que l’intimé souffre de dépression et d’anxiété et que ces troubles ont appauvri son énergie et sa motivation. Le docteur Michael Lee, ancien médecin de famille de l’intimé, a écrit ce qui suit au sujet de son patient : [traduction] « Déprimé. Aucun intérêt ni ambition pour faire quoi que ce soitNote de bas de page 7 ». J’estime cependant que la division générale a poussé sa logique trop loin en concluant que les troubles psychologiques de l’intimé étaient responsables de son inobservance thérapeutique.  

[23] En effet, le dossier révèle que l’inobservance thérapeutique de l’intimé n’est pas attribuable à un manque de motivation, mais bien à sa propre opposition aux produits pharmaceutiques. En mai 2014, un psychiatre consultant a noté que l’intimé avait pris du Cipralex pendant une journée et avait [traduction] « arrêté d’en prendre parce qu’il n’aimait pas prendre des médicamentsNote de bas de page 8 ». Dans une lettre non datée, l’intimé s’est exprimé comme suit : [traduction] « Je ne prends pas de médicaments comme des antidépresseurs parce que je crois aux produits naturels, et je prends donc chaque matin 10 gouttes, ou 10 000 unités, de vitamine D3 liquide sous la langue. Cela fonctionne bien et me garde heureuxNote de bas de page 9 ». Il semble aussi que son aversion aux médicaments ne se limitait pas aux agents psychoactifs; dans une lettre datée du 20 juillet 2017, le docteur Lee a écrit que l’intimé ne prenait aucun antidouleur parce qu’il ne voulait pas prendre des pilulesNote de bas de page 10 ».

[24] La division générale savait qu’un manque d’initiative n’expliquait pas à lui seul l’inobservance thérapeutique de l’intimé, et elle en a pris acte dans sa décision :

[traduction]
Le requérant a affirmé avoir souffert de dépression depuis son enfance. Il a pris un antidépresseur en 2014, mais celui-ci l’avait rendu malade et incapable de manger pendant 12 jours. Il ne souhaitait pas prendre d’antidépresseurs parce qu’il n’avait pas foi en eux. Il prenait de la vitamine D, et estimait que ce remède naturel aidait à améliorer son état psychologique.

Je me demande s’il était raisonnable que l’intimé renonce pour toujours à une gamme complète de médicaments en raison des effets secondaires ayant supposément été causés par un type précis d’antidépresseurs qu’il n’avait pris qu’une journée. Quoi qu’il en soit, il est manifeste que son inobservance thérapeutique s’expliquait surtout par sa propre philosophie. Malgré cela, la division générale a conclu que l’inobservance thérapeutique de l’intimé était [traduction] « liée à ses troubles psychologiques ».

[25] À mon avis, cette conclusion ne correspond pas aux éléments au dossier. Le docteur Lee a écrit que l’intimé n’avait [traduction] « pas d’intérêt envers les médicamentsNote de bas de page 11 »; cependant, la prépondérance de la preuve disponible révèle qu’il ne prenait pas de médicaments d’ordonnance non pas en raison d’un manque d’intérêt ou de motivation, mais parce qu’il s’y opposait activement. Étant donné qu’une grande partie du témoignage de l’intimé est inaudible sur l’enregistrement, je ne peux être sûr de ce qui a été dit durant l’audience tenue par la division générale, même si cette dernière a écrit que son témoignage était [traduction] « franc, réfléchi et cohérent par rapport à la preuve médicale ». Cela est possible, et la division générale, à titre de juge des faits, était en droit de juger crédible l’intimé. Par contre, il demeure que la division générale n’a pas réconcilié dans sa décision la preuve flagrante révélant que l’inobservance thérapeutique de l’intimé était attribuable à d’autres facteurs que son affection psychologique.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle dénaturé le pronostic du docteur Lee?

[26] À cet égard, je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée.

[27] Dans le rapport médical qui accompagnait la demande de pension d’invalidité du RPC de son patient, le docteur Lee a formulé un pronostic [traduction] « sombre » à l’endroit de l’intimé, précisant que celui-ci n’avait pas d’intérêt pour les médicamentsNote de bas de page 12. Comme nous l’avons vu plus tôt, à la lumière de la preuve montrant que l’intimé était fervent de médecine douce, cette déclaration donne à penser que le docteur Lee voulait dire que son patient s’opposait à la prise de médicaments, et non qu’il ne s’y intéressait tout simplement pas. Cette impression est également renforcée par la lettre de juillet 2017 du docteur Lee, dans laquelle le médecin de famille réitère son pronostic, [traduction] « sombre », et ajoute ceci : [traduction] « Patient ne respecte pas le plan de traitement. » Cette déclaration explicite, à l’inverse de celle dans le précédent rapport médical du RPC, laissait entendre en toute limpidité que l’avenir peu prometteur de l’intimé avait quelque chose à voir avec un écart dont il était lui-même responsable.

[28] La division générale a donc eu raison de conclure que le docteur Lee avait décelé un lien entre le trouble de l’intimé et son refus de prendre des antidépresseurs. Toutefois, le docteur Lee n’a jamais affirmé que le trouble de l’intimé expliquait son refus. En effet, c’est précisément le contraire qu’il semble avoir laissé entendre : son refus de prendre des antidépresseurs aggravait son trouble.

[29] Dans des observations présentées au Tribunal, l’intimé a soutenu que la division générale n’avait pas dénaturé l’opinion du docteur Lee : le médecin de famille avait clairement affirmé que son pronostic était sombre, et toute qualification apportée à cette déclaration n’était pas pertinente. Je ne peux en convenir. Il ne fait aucun doute que le docteur Lee était pessimiste quant au rétablissement de l’intimé; par contre, ce sont les raisons de son pessimisme qui importent. Si le pronostic de l’intimé avait été sombre parce que son affection l’empêchait de chercher à être soigné, l’analyse de la division générale aurait été conforme à Lalonde. Par contre, comme son pronostic était sombre du fait qu’il refusait par principe de suivre les traitements recommandés, l’analyse de la division générale a raté la cible. La division générale, ayant mal compris la preuve relative à l’inobservance thérapeutique, n’a pas évalué le caractère raisonnable de la véritable raison pour laquelle l’intimé ne prenait pas de médicaments.

Réparation

[30] La Loi sur le MEDS énonce les pouvoirs dont dispose la division d’appel pour corriger les erreurs commises par la division générale. En vertu de l’article 59(1), je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément à certaines directives, ou encore confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale. De plus, en vertu de l’article 64 de la Loi sur le MEDS, la division d’appel peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la Loi sur le MEDS.

[31] En vertu de l’article 3 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel est tenue de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus expéditive que les circonstances et la justice naturelle permettent. Néanmoins, en l’espèce, j’estime que la mesure la plus appropriée consiste à renvoyer l’affaire à la division générale pour la tenue d’une nouvelle audience.

[32] J’ai le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, mais je ne me sens pas à l’aise de trancher cette affaire sur le fond. Étant donné que de grandes parties de l’enregistrement de l’audience devant la division générale sont inaudibles, je dispose d’un dossier qui est incomplet. À la différence de la division d’appel, le principal mandat de la division générale consiste à apprécier les éléments de preuve et à établir les faits. La division générale est donc mieux placée que moi pour entendre le témoignage oral de l’intimé et en évaluer la crédibilité.

Conclusion

[33] Pour les motifs qui précèdent, j’accueille cet appel puisque je conclus que la division générale a fondé sa décision sur deux conclusions erronées concernant l’acceptation du traitement par l’intimé, ou plutôt son inobservance du traitement. Le dossier n’est pas suffisamment complet pour que je tranche cette affaire sur le fond, si bien que je la renvoie à la division générale pour nouvelle décision. Je donne aussi comme directive à cette dernière de tenir une audience orale, soit par téléconférence, par vidéoconférence ou en personne.

 

Représentants :

Viola Herbert, pour l’appelant

Terry Kirby, pour l’intimé

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