Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant, Dennis Abram, a travaillé comme ébéniste dans une usine pendant plusieurs années. En 2009, il s’est blessé au dos et, avec l’aide de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT), a obtenu un diplôme de formation générale et terminé une formation collégiale en conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO). En juillet 2014, il a été embauché comme opérateur stagiaire de machine commandée par ordinateur dans une usine de fabrication de pièces pour véhicules automobiles. Il affirme qu’en raison de son incapacité à effectuer les tâches demandées – il était appelé à soulever de lourdes charges dans le cadre de ses fonctions –, il a été congédié après quelques mois. Il n’a pas retravaillé depuis, et il a maintenant 57 ans.

[3] En juin 2016, l’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), affirmant qu’il ne pouvait plus travailler en raison de sa blessure au dos, qui l’empêchait de demeurer assis de manière prolongée, et en raison d’autres troubles, à savoir la dépression, l’apnée du sommeil, l’épilepsie et le diabète. L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre), a refusé sa demande après avoir conclu que l’invalidité de l’appelant n’était pas « grave et prolongée » au sens du Régime de pensions du Canada au cours de sa période minimale d’admissibilité (PMA), qui, selon le ministre, a pris fin le 31 décembre 2011.

[4] L’appelant a interjeté appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence et a conclu, dans une décision datée du 15 octobre 2018, que l’appelant n’avait pas fourni assez d’éléments de preuve démontrant qu’il était incapable régulièrement de détenir une occupation véritablement rémunératrice au cours de sa période minimale d’admissibilité (PMA), et de manière continue par la suite. La division générale a accordé de l’importance au fait que l’appelant avait pu suivre une formation d’appoint de 2 ans et demi, puis travailler comme machiniste pendant neuf moisNote de bas page 1.

[5] Le 14 janvier 2019, l’appelant a demandé la permission d’en appeler devant la division d’appel du Tribunal. Il a fait valoir que la division générale avait commis diverses erreurs lorsqu’elle a rendu sa décision, plus précisément les suivantes :

  • La division générale a conclu que l’appelant avait réussi une formation d’appoint; en fait, il a terminé le programme de justesse.
  • La division générale a conclu que les neuf mois de travail comme machiniste de l’appelant démontraient une capacité à travailler; en fait, X Stamping lui a offert des mesures d’adaptation hors du commun, et pouvait ainsi être qualifié d’« employeur bienveillant ».
  • La division générale a commis une erreur de droit parce sa conclusion selon laquelle les efforts de l’appelant pour suivre une formation d’appoint et conserver un emploi étaient assimilés à une capacité, et non une incapacité, démontre qu’elle a mal compris le principe énoncé dans Inclima c CanadaNote de bas page 2.

[6] Dans ma décision datée du 31 janvier 2019, j’ai accordé à l’appelant la permission d’en appeler parce qu’à mon avis, ses observations conféraient à l’appel une chance raisonnable de succès.

[7] Dans des observations écrites datées du 13 mars 2019, le ministre a soutenu la décision de la division générale, soulignant que, selon la preuve au dossier, l’appelant avait tout de même réussi à terminer la formation après avoir surmonté toutes sortes de difficultés. Il a en outre affirmé que, même si l’ancien employeur de l’appelant, X Stamping, lui avait offert des mesures d’adaptation, il n’était pas un employeur bienveillant selon les critères énoncés dans la jurisprudence.

[8] Après avoir examiné les observations écrites et orales des parties, je conclus que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle a tirées sans tenir compte des éléments dont elle disposait. J’estime que le dossier qui m’est présenté est assez complet pour que je puisse faire mon propre examen des éléments de preuve et déclarer l’appelant invalide à la date où la PMA a pris fin.

Questions en litige

[9] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel devant la division d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Les questions en litige auxquelles je devais répondre sont les suivantes :

Question 1 : La division générale a-t-elle conclu à tort que l’appelant avait réussi une formation d’appoint?

Question 2 : La division générale a-t-elle conclu à tort que le dernier emploi de l’appelant, comme machiniste, témoignait d’une capacité à travailler?

Question 3 : La division générale a-t-elle mal interprété l’arrêt Inclima?

[11] Après avoir examiné ces questions, je suis convaincu que la division générale a ignoré les éléments de preuve démontrant que i) la formation d’appoint de l’appelant n’était pas un grand succès, et ii) son dernier emploi témoignait autant de son incapacité que de sa capacité. Puisque la décision de la division générale peut être annulée pour ces deux raisons, je n’estime pas nécessaire de répondre à la question 3.

Analyse

Question 1 : La division générale a-t-elle conclu à tort que l’appelant avait réussi une formation d’appoint?

Question 2 : La division générale a-t-elle conclu à tort que le dernier emploi de l’appelant, comme machiniste, témoignait d’une capacité à travailler?

[12] Puisque ces deux questions sont liées, je les aborderai ensemble. Je conclus que la division générale a ignoré les éléments de preuve établissant que l’appelant n’avait pas acquis les compétences nécessaires pour satisfaire aux exigences du poste d’opérateur de machine.

[13] Dans sa décision, la division générale s’est appuyée sur le fait que l’appelant avait pu terminer un long programme de transition professionnelle parrainé par la CSPAAT pour conclure qu’il avait la capacité de travailler. Elle a affirmé ce qui suit :

[Traduction] La preuve a démontré que le requérant a suivi des programmes de formation et de perfectionnement d’envergure d’août 2011 à juillet 2014 et que, pendant cette même période, il a obtenu son diplôme d’études secondaires ainsi qu’une attestation collégiale de technicien en CFAO. En outre, les éléments de preuve produits par le requérant démontrent qu’il assistait aux cours selon l’horaire prévu. Je conclus que la présence régulière du requérant aux cours, et sa réussite des programmes de formation et de perfectionnement, pendant une période de près de trois ans, démontrent qu’il détenait une capacité à faire un travail sédentaire et/ou des travaux légers avant la fin de sa PMA et aprèsNote de bas page 3.

L’appelant soutient que la division générale n’a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant que, bien qu’il ait suivi les programmes de formation d’appoint jusqu’à la fin, il ne faisait qu’acte de présence. J’estime que cet argument est fondé.

[14] Il n’est habituellement pas déraisonnable de présumer, comme l’a fait la division générale en l’espèce, que la capacité d’un requérant à terminer un programme d’études ou de formation signifie qu’il a aussi la capacité à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Cependant, l’appelant s’est efforcé d’expliquer qu’il a peiné à obtenir son diplôme de formation générale. À l’audience, il a affirmé lors de son témoignage qu’il éprouvait beaucoup de douleurs tout au long du programme, et qu’il a tout juste réussi ses cours à l’académie X, même s’il pouvait travailler à son rythme et prendre des pausesNote de bas page 4. Il a affirmé s’être heurté à des problèmes similaires lorsqu’il est passé à la formation en CFAO au X. Il trouvait les cours difficiles physiquement et mentalement, car sa douleur l’empêchait de se concentrer. Même s’il ne pouvait soulever des charges de plus de 10 livres, la formation exigeait qu’il le fasse régulièrement. Il n’osait pas faire part de ses douleurs à la CSPAAT de peur de voir ses prestations coupéesNote de bas page 5.

[15] Même si la division générale est présumée avoir entendu cet élément du témoignage et l’avoir pris en compte, rien ne me permet de croire qu’elle a véritablement tenté de comprendre la situation. Elle a plutôt tenu pour acquis que, puisque l’appelant avait un diplôme en main, il était prêt à affronter le monde du travail. Toutefois, le dossier démontre que lorsque l’appelant a tenté de faire le travail pour lequel il avait été formé, il ne pouvait en accomplir les tâches essentielles.

[16] En juillet 2015, X a embauché l’appelant à titre de stagiaire opérant une machine commandée par ordinateur, un emploi consistant à entrer des matières premières dans une machine programmée pour produire des pièces pour véhicules automobiles. Je suis d’accord avec le ministre pour dire que peu d’éléments de preuve permettaient d’affirmer que X était un employeur bienveillant; même si l’appelant était stagiaire, le dossier démontre que l’employeur attendait de lui tout de même un minimum de résultats — ou du moins, il s’attendait raisonnablement à ce qu’il finisse par pouvoir effectuer le travail à un certain moment. Dans Atkinson c CanadaNote de bas page 6, la Cour d’appel fédérale a conclu que de simplement prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé ne fait pas en sorte que l’employeur soit bienveillant. Elle a conclu que, pour qu’un employeur soit considéré comme bienveillant, les mesures d’adaptation prises doivent aller au-delà de ce que l’on peut s’attendre à obtenir dans un milieu de travail concurrentiel. En outre, elle a précisé que les attentes de l’employeur à l'égard du rendement de l’employé constituaient un facteur clé pour déterminer si l’employeur était un employeur bienveillant; c’est-à-dire, déterminer si l’employeur devait modifier ses attentes quant à la productivité de l’employé par rapport à celle des employés occupant des postes similaires.

[17] En l’espèce, les éléments de preuve démontrent que, même si l’appelant pouvait travailler à son rythme, et qu’on lui offrait périodiquement de l’aide pour effectuer ses tâches, l’employeur s’attendait tout de même à ce que son investissement soit rentable. On peut le constater plus concrètement dans le fait que X a congédié l’appelant après seulement 7 mois et demi parce qu’il n’était pas satisfait la qualité de son travailNote de bas page 7. À mon avis, l’erreur commise par la division générale n’était pas d’avoir conclu implicitement que X n’était pas un employeur bienveillant, mais de ne pas avoir tenu compte des raisons pour lesquelles l’employeur a rapidement laissé tomber l’appelant.

[18] Dans sa décision, la division générale a conclu que le dernier emploi de l’appelant ne constituait pas une tentative ratée de retour au travail, mais la preuve qu’il avait une capacité à travailler après la fin de la PMA. Elle a donné les explications suivantes, au paragraphe 20 :

[Traduction] Après avoir terminé la formation d’appoint, [l’appelant] a participé à un programme de placement dans une quincaillerie, puis a travaillé comme opérateur de machine commandée par ordinateur dans une usine de fabrication de pièces pour véhicules automobiles. Selon son témoignage, ces deux emplois outrepassaient ses limitations physiques, ce qui a eu pour résultat qu’il n’a pas été embauché à la suite du programme de placement, et qu’il a perdu son emploi à l’usine car il ne pouvait accomplir toutes les tâches requises. Toutefois, il a travaillé neuf mois à l’usine sans s’absenter, et, pendant cette même période, il a réussi une autre formation d’appoint et obtenu une accréditation supplémentaire. En outre, ces neuf mois de travail lui ont procuré des revenus correspondants à ceux d’une occupation véritablement rémunératrice.

[19] La division générale a conclu que les deux stages de l’appelant n’avaient pas débouché sur un emploi, mais elle n’a pas essayé de comprendre les raisons de ces échecs. Elle n’a fait que souligner [traduction] « qu’il ne pouvait accomplir toutes les tâches requises ». La division générale a plutôt accordé de l’importance au fait qu’il ne s’était jamais absenté, ainsi qu’à ce qu’elle considérait comme des revenus correspondant à ceux d’une occupation véritablement rémunératrice durant la période visée. Je reconnais que ces facteurs peuvent constituer des indicateurs importants d’une capacité à travailler, mais ils ne peuvent être pris en compte isolément, sans considérer l’ensemble de la carrière de l’appelant, notamment lorsque, comme dans le cas présent, les choses tournent mal malgré des efforts manifestes pour se recycler et retourner sur le marché du travail.

[20] Dans le cas qui nous occupe, le placement de l’appelant n’a pas fonctionné, mais la division générale n’a pas cherché à en connaître les raisons, que ce soit en lui demandant d’expliquer comment il n’avait pu, physiquement et mentalement, accomplir le travail, ou en examinant les raisons du congédiement évoquées par l’ancien employeur. L’appelant a affirmé qu’il devait soulever de lourdes charges, au-delà de ses limitations, et que, malgré sa formation, il ne pouvait faire fonctionner les machines commandées par ordinateur dans un milieu de travail réel. Dans le questionnaire de l’employeur pour le RPC rempli en mai 2017, G. D., cadre chez X, a écrit que l’appelant ne [traduction] « comprenait pas le fonctionnement des machines commandées par ordinateur, malgré sa formation » ni ne pouvait [traduction] « faire une seule pièce avec ces machines ». Toutefois, G. D. a affirmé que l’appelant [traduction] « faisait de son mieux », ce qui sous-entend qu’il souffrait d’une certaine déficience qui l’empêchait d’occuper un poste d’opérateur de machine commandée par ordinateur.

[21] La division générale a également présumé que la capacité à travailler de l’appelant pouvait être inférée de ses derniers revenus, liés à son travail pour X, à savoir les montants de 14 000 $ et 7 000 $ reçus en 2014 et en 2015, respectivement. Même s’il est vrai, au sens le plus strict, qu’un montant de 21 000 $ sur une période de 7 mois et demi excède le seuil minimum établi pour que le revenu soit considéré comme correspondant à celui d’une occupation « véritablement rémunératrice » selon l’article 68.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, cet élément ne doit pas éclipser le fait prépondérant que cette source de revenus s’est en fin de compte tarie, et ce, pour des raisons qui étaient liées, en partie, aux déficiences alléguées par l’appelant. J’ai l’impression que la division générale a perdu de vue le fait qu’une tentative de retour au travail, même si elle est ratée, permettra toujours au travailleur de toucher des revenus, quels qu’ils soient.

[22] Bref, je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion erronée, à savoir que le dernier emploi de l’appelant, s’étant soldé par un échec, témoignait d’une capacité et non d’une incapacité.

Réparation

[23] La Loi sur le MEDS énonce les pouvoirs qui permettent à la division d’appel de corriger les erreurs commises par la division générale. En vertu du paragraphe 59(1), je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale. De plus, en vertu de l’article 64 de la Loi sur le MEDS, la division d’appel peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la Loi sur le MEDS.

Le dossier est-il complet?

[24] Dans les observations qu’elles m’ont présentées de vive voix, les parties ont convenu que, si je concluais à l’existence d’une erreur dans la décision de la division générale, la réparation appropriée serait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre. Bien entendu, les parties ne s’entendaient pas sur la décision à rendre, l’appelant soutenant que les éléments de preuve démonteraient son invalidité, et le ministre soutenant le contraire.

[25] La Cour d’appel fédérale a précisé qu’un décideur devrait tenir compte du temps qu’il faut mettre pour régler une demande de pension d’invalidité. Cela fait presque trois ans que l’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité. Si cette affaire était renvoyée à la division générale, il faudrait retarder encore davantage le règlement d’une affaire en instance déjà depuis trop longtemps. Le Tribunal est tenu d’agir aussi rapidement que l’équité et la justice naturelle permettent, et je doute que les éléments de preuve soient vraiment différents si la division générale tenait une autre audience.

[26] J’estime que le dossier dont je dispose est complet. Aucune des erreurs de la division générale n’a empêché que des éléments de preuve pertinents soient admis. L’appelant a eu amplement l’occasion de présenter des documents médicaux, et il y a beaucoup de renseignements au dossier sur ses antécédents de travail et sur ses efforts pour se recycler. Il existe un enregistrement sonore de l’audience, que j’ai écouté en entier. Celui-ci révèle que l’appelant a eu droit à une audience complète devant la division générale et qu’il a été entendu sur ses déficiences et sur la façon dont elles ont eu une incidence sur sa capacité à travailler.

[27] Par conséquent, je suis en mesure d’examiner les éléments de preuve dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait rendue si elle n’avait pas commis une erreur. À mon avis, si la division générale avait i) adéquatement évalué les circonstances dans lesquelles l’appelant a terminé le programme de transition professionnelle, et ii) bien saisi que son stage chez X Stamping était en réalité une tentative ratée de retour au travail, elle serait parvenue à une conclusion différente. Selon mon propre examen du dossier, je suis convaincu que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2011, et de manière continue par la suite.

L’appelant est-il atteint d’une invalidité grave?

[28] Pour être déclarée invalide, une personne doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la fin de la PMA ou avant. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice », et n’est prolongée que si elle est déclarée « devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès »Note de bas page 8.

[29] Je suis persuadé que l’appelant ne peut plus effectuer les mêmes travaux physiques que ceux qu’il effectuait lorsqu’il était charpentier, entrepreneur et travailleur d’usine. Les éléments de preuve démontrent clairement qu’il a été victime d’un accident de travail qui lui a causé une blessure au dos en août 2009. En septembre 2010, un neurochirurgien a examiné des rapports d’imagerie de la colonne lombaire de l’appelant et a conclu que sa douleur sciatique au dos émanait d’une compression, à la vertèbre L4-5, de la racine nerveuse L5, aggravée par son obésité morbide. La chirurgie n’était pas possibleNote de bas page 9.

[30] L’appelant a suivi une formation en vue d’effectuer un travail moins physique et plus spécialisé. Comme nous l’avons souligné, il a obtenu un diplôme de formation générale et suivi des cours sur l’utilisation d’équipement de conception et de fabrication assistées par ordinateur. Cependant, lorsqu’il a essayé de faire le travail pour lequel il a été formé, il a échoué complètement. Selon son témoignage, son poste chez X était loin d’être sédentaire, et que, même s’il était une personne ayant des antécédents de douleurs lombaires de nature mécanique, on s’attendait à ce qu’il soulève des charges modérées. Son employeur a plus tard déclaré que l’appelant n’avait pas été capable de produire ne serait-ce qu’une seule pièce utilisable, même après plus de sept mois en poste. Cette situation a été causée par l’un ou plusieurs des facteurs suivants : i) un mauvais appariement entre les aptitudes innées de l’appelant et la carrière vers laquelle il a été orienté par la CSPAAT; ii) une formation inadéquate à X et au X, ou iii) un manque d’effort de la part de l’appelant, soit dans le cadre de la formation ou au travail.

[31] J’estime que l’échec de l’appelant chez X n’est pas dû à un manque d’effort, mais plutôt à un manque de capacité. Rien dans le dossier dont disposait la division générale à l’audience n’indique qu’il y aurait eu simulation, et les rapports soulignaient unanimement la bonne attitude de l’appelant. En mars 2012, lorsque l’appelant suivait encore des cours pour l’obtention de son diplôme, le gestionnaire de dossier de la CSPAAT a écrit ce qui suit : [traduction] « Il n’y a aucun problème d’absence, et le travailleur fait des efforts véritables dans tous ses cours »Note de bas page 10. En décembre 2013, X a déclaré qu’il avait travaillé fort dans le cadre d’un programme de formation et de recherche d’emploiNote de bas page 11. Un rapport de mai 2014 du X mentionne que l’appelant a terminé sa formation en CFAO sans problèmeNote de bas page 12. Même X a reconnu que, malgré le rendement décevant de l’appelant au travail, il avait fait de son mieux.

[32] Si l’appelant était incapable d’effectuer un travail relativement peu exigeant physiquement, se pose la question de savoir s’il était capable de détenir tout autre type d’occupation véritablement rémunératrice à la date où la PMA a pris fin. Je ne le crois pas, et ce pour les raisons suivantes :

(i) Les problèmes de dos de l’appelant sont importants et bien documentés

[33] Comme nous l’avons souligné, les plaintes de l’appelant concernant sa douleur sciatique au dos coïncident avec la façon dont les changements touchant sa colonne évoluent, comme le démontrent un tomodensitogramme et un rapport d’imagerie par résonance magnétique, datant respectivement de 2009 et 2010Note de bas page 13. En septembre 2010, le Dr Jhawar, neurologue, a conclu que l’appelant pouvait travailler, pourvu qu’il n’ait pas à se pencher ou à se tourner de manière répétitive, ni à soulever des charges de plus de 10 livres. C’est sur cette opinion que s’est appuyée la CSPAAT pour conclure que l’appelant était un bon candidat pour la formation d’appoint.

[34] Toutefois, il n’y a pas beaucoup d’emplois peu spécialisés qui offrent le genre de mesures d’adaptation dont l’appelant semble avoir besoin. Étant donné que son recyclage n’a pas donné les résultats escomptés, j’estime que l’appelant n’a pas la capacité résiduelle nécessaire pour occuper un autre emploi.

(ii) L’appelant a divers problèmes de santé dont l’effet combiné est invalidant

[35] Les problèmes de dos de l’appelant ne peuvent être examinés indépendamment de ses autres problèmes de santé dans le cadre de l’évaluation de son invalidité. Selon l’arrêt Bungay c CanadaNote de bas page 14, toutes les déficiences possibles d’un requérant pouvant avoir une incidence sur son employabilité doivent être examinées, pas seulement les déficiences les plus importantes ou la déficience principale. Par extension, le décideur doit aussi examiner les effets combinés des problèmes de santé d’un requérant sur son employabilité.

[36] Dans le cas présent, il y a manifestement peu de documents médicaux qui précèdent la date de fin de la PMA. Toutefois, le rapport du Dr Jhawar indique bien qu’en plus d’une discopathie dégénérative, on a diagnostiqué à l’appelant de l’hypertension et du diabète, dès 2010. Tout particulièrement, l’appelant pesait à ce moment-là 325 livres, ce qui, selon le neurologue, aggravait ses troubles musculosquelettiques et cardiovasculaires. Le Dr Jhawar a vivement conseillé à l’appelant de perdre du poids.

[37] Les requérants doivent démontrer qu’ils ont déployé des efforts raisonnables afin de suivre le traitement recommandéNote de bas page 15. Toutefois, le défaut de suivre entièrement un traitement n’est pas toujours déraisonnable, et la conformité doit être évaluée en tenant compte des circonstances personnelles du requérantNote de bas page 16. En l’espèce, l’appelant a manifestement tenté de perdre du poids, car, comme l’indique le rapport médical pour le RPC rempli par son médecin de famille en mai 2016, il pesait alors 139 kilogrammes, ou environ 306 livresNote de bas page 17. En outre, même si l’appelant avait réussi à perdre davantage de poids, on ne saurait affirmer que cette perte de poids aurait nécessairement amélioré sa capacité fonctionnelle ou son employabilité. Il est surtout important de reconnaître les limites de la volonté humaine à modifier des habitudes de vie bien ancrées; rares sont ceux qui peuvent perdre des douzaines de livres sur demande.

(iii) Les antécédents et les caractéristiques personnelles de l’appelant limitaient son employabilité

[38] Selon Villani c CanadaNote de bas page 18, le critère de gravité doit être évalué dans un contexte réaliste, ce qui signifie qu’il faut tenir compte des circonstances personnelles du requérant, y compris de l’âge, du niveau de scolarité, des aptitudes linguistiques, des antécédents de travail et de l’expérience de vie.

[39] L’appelant a quitté l’école après sa neuvième année, et obtenu son diplôme d'équivalence d'études secondaires à l’âge adulte. Il a passé la majeure partie de sa carrière à un poste peu spécialisé d’assemblage dans une usine. Il a tenté de se perfectionner, et, bien qu’il ait fait preuve de diligence concernant sa présence en classe et ses travaux scolaires, des doutes demeurent quant à savoir s’il avait véritablement acquis, à la fin du programme de transition, les compétences requises sur le marché du travail. L’appelant a démontré une capacité à apprendre, mais j’ai l’impression que la douleur sous-jacente a réduit sa capacité à rester concentré dans ses tâches. De plus, le 31 décembre 2011, l’appelant avait 50 ans, ce qui est bien au-delà de ce que la plupart des employeurs considèrent comme les âges d'activité maximale. Ces éléments, combinés à ses problèmes physiques documentés, ont bel et bien rendu l’appelant inapte au travail à la fin de la PMA. Des événements ultérieurs le confirment également, notamment le fait que l’appelant n’ait pu conserver son poste d’opérateur de machine commandée par ordinateur. Cet emploi se voulait relativement sédentaire, mais en réalité, il imposait des exigences physiques assez rigoureuses. On peut en fait en dire autant de bien d’autres types d’emplois pour lesquels l’appelant pourrait être par ailleurs qualifié, par exemple, commis d'entrepôt ou chauffeur-livreur.

(iv) Le témoignage de l’appelant était convaincant et crédible

[40] La franchise démontrée par l’appelant devant la division générale, ainsi que sa description de ses symptômes et de leurs effets sur sa capacité à fonctionner dans un milieu professionnel, ont fait en sorte que son témoignage était crédible. L’appelant a parlé de ses deux années d’études, d’abord au niveau du secondaire, puis au collégial, dans une technique. Il a décrit les obstacles qu’il a dû surmonter pour retourner sur le marché du travail, faisant état premièrement de sa recherche d’emploi, suivie d’une période probatoire en conception de cuisine dans une quincaillerie, puis de sa courte expérience d’opérateur stagiaire de machine commandée par ordinateur chez X. Il a relaté avec précision et de manière convaincante que c’est uniquement parce qu’il prenait des antidouleurs (codéine et Robaxacet), qu’il a pu travailler pendant 7 mois et demi, mais que ces médicaments nuisaient à sa concentration; il ne pouvait atteindre les quotasNote de bas page 19. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait inscrit mars 2015 comme date d’invalidité dans le questionnaire accompagnant sa demande de prestations, l’appelant a répondu que sa tentative de travail chez X était insoutenable, et qu’il était convaincu d’avoir vraiment fait de son mieuxNote de bas page 20.

L’appelant est-il atteint d’une invalidité prolongée?

[41] Il ressort des éléments de preuve médicaux que l’appelant souffrait de maux de dos débilitants, aggravés par une obésité chronique, depuis 2009. Le traitement n’a eu que très peu d’effets, et l’appelant est devenu effectivement incapable de répondre aux besoins du marché du travail. Il est difficile de juger si sa santé s’améliorera substantiellement, même s’il subit d’autres types de traitement. À mon avis, ces facteurs permettent d’affirmer que l’invalidité de l’appelant est prolongée.

Conclusion

[42] L’appel est accueilli. La division générale a fondé sa décision sur une hypothèse erronée selon laquelle le programme de transition professionnelle avait préparé l’appelant à travailler dans un milieu de travail réel. La division générale a ensuite estimé à tort que le stage de courte durée de l’appelant chez X, qui n’a malheureusement pas débouché sur un emploi, démontrait sa capacité à travailler, plutôt qu’une tentative ratée de retour au travail.

[43] Après avoir décidé qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour me permettre de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, j’estime que l’appelant est atteint d’une invalidité qui est devenue grave et prolongée en août 2009, le mois où il a subi l’accident de travail qui lui a causé une blessure au dos. Conformément à l’alinéa 42(2)b) du RPC, une personne ne peut être réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date à laquelle le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité. En l’espèce, le ministre a reçu la demande en juin 2016; par conséquent, l’appelant est réputé avoir été invalide à compter de mars 2015. Selon l’article 69 du RPC, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité réputée. La pension d’invalidité de l’appelant doit donc commencer en juillet 2015.

Date de l’audience :

Le 30 avril 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

D. A., appelant

Bryan Delorenzi, représentant de l’appelant

Stéphanie Pilon, représentante de l’intimé

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