Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – La division générale (DG) a rejeté l’affaire de façon sommaire en appliquant la règle selon laquelle on ne peut pas rendre une décision par rapport à une question si une décision a déjà été prise (res judicata) – Toutefois, si la DG souhaite appliquer cette règle, elle doit suivre deux étapes – Avant d’appliquer la règle, le décideur doit déterminer si cela pourrait causer une injustice – Le membre de la DG ne s’est pas penché sur la question à savoir s’il y avait vraiment lieu d’appliquer la règle interdisant de prendre une décision par rapport à une question si une décision a déjà été prise – Le fait de ne pas s’être penché sur cette question constitue une erreur de droit – En rejetant l’affaire de façon sommaire, la prestataire n’a pas eu la chance d’expliquer s’il y avait des circonstances spéciales en raison desquelles la DG n’aurait pas dû appliquer la règle – En n’obtenant pas ce type de renseignements de la prestataire, la DG ne pouvait pas déterminer de façon convenable qu’il était évident que l’appel était voué à l’échec.

Contenu de la décision



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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] C. M. (requérante) explique qu’elle a de nombreux problèmes de santé qui se sont continuellement aggravés depuis les 10 dernières années. Elle est atteinte de fibromyalgie et d’un trouble de stress post-traumatique. Il y a des jours où elle est incapable de quitter son lit.

[3] La genèse de l’instance est importante en l’espèce. La requérante a présenté quatre fois une demande de pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC).

[4] Le ministre a rejeté la première demande. En mai 2012, le tribunal de révision a conclu que la requérante n’était pas admissible à une pension d’invalidité du RPC. La requérante a demandé et reçu la permission d’appeler de cette décision de la Commission d’appel des pensions. La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a tenu une nouvelle audience, puis a rejeté l’appel. La requérante n’a pas interjeté appel par la suite.

[5] La requérante a présenté une seconde demande de pension d’invalidité en avril 2015. Le ministre a rejeté sa demande en affirmant que la question avait déjà été tranchée et qu’elle ne pouvait donc pas être tranchée à nouveauNote de bas de page 1. La requérante n’a pas demandé au ministre de réviser cette décision.

[6] La requérante a présenté une troisième demande de pension d’invalidité en janvier 2016. Le ministre a rejeté la demande, pour la même raison ayant justifié le rejet de la demande d’avril 2015. Encore une fois, la requérante n’a pas demandé au ministre de réviser sa décision.

[7] En octobre 2017, la requérante a présenté une quatrième demande de pension d’invalidité. Le ministre a rejeté la demande. Dans sa lettre de révision, le ministre a affirmé que l’affaire avait déjà été jugée et qu’elle ne pouvait pas l’être à nouveau. La requérante a interjeté appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[8] Le 6 mars 2019, la division générale a décidé de rejeter de façon sommaire l’appel parce qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès. La requérante a fait appel de cette décision à la division d’appel.

[9] Il me faut déterminer si la division générale a commis l’une des erreurs prévues par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) qui justifieraient d’accueillir l’appel.

[10] À mon avis, il est plus probable qu’improbable que la division générale ait commis une erreur prévue par la Loi sur le MEDS. L’appel est accueilli.

Question en litige

[11] Le membre de la division générale a-t-il commis une erreur prévue par la Loi sur le MEDS en rejetant de façon sommaire l’appel de la requérante?

Analyse

Examen des décisions de la division générale par la division d’appel

[12] La division d’appel n’offre pas aux parties la possibilité de défendre à nouveau leur position pleinement. La division d’appel examine plutôt les décisions de la division générale afin de déterminer si elles contiennent des erreurs. Cet examen est fondé sur le libellé de la Loi sur le MEDS, qui établit les moyens d’appel pour les causes à la division d’appel.  

[13] En vertu de la Loi sur le MEDS, un appel est accueilli si la division générale a commis une erreur de droit.

Rejet sommaire

[14] Le membre de la division générale doit rejeter de façon sommaire un appel s’il est convaincu que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Le Tribunal doit déterminer s’il est évident et manifeste sur la foi du dossier que l’appel est voué à l’échec. La question n’est pas de savoir si le Tribunal doit rejeter l’appel après avoir examiné les faits, la jurisprudence et les arguments des parties. Il faut plutôt déterminer si l’appel est voué à l’échec, indépendamment des éléments de preuve et des arguments que la partie requérante pourrait présenter au cours d’une audienceNote de bas de page 3.

Pension d’invalidité

[15] Pour toucher une pension d’invalidité du RPC, une partie requérante doit être atteinte d’une invalidité grave, ce qui signifie qu’elle doit être « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 4 ». Il est nécessaire que l’invalidité soit grave à l’échéance de la période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant cette date. Le ministre calcule la PMA en fonction des cotisations que la partie requérante a versées au RPC.

Règle interdisant de juger une chose déjà jugée

[16] Le Tribunal respecte la règle de droit interdisant de statuer sur des questions qui ont déjà été tranchées. Le Tribunal peut seulement envisager d’appliquer cette règle de droit si les parties sont les mêmes que dans la décision antérieure, et si cette première décision était finaleNote de bas de page 5. Toutefois, l’application de cette règle demeure un choix, et celui-ci relève donc du pouvoir discrétionnaire. Cette règle vise à favoriser une administration ordonnée de la justice, mais pas au prix d’une injustice concrète dans une affaire donnée. Avant d’appliquer cette règle, le décideur doit considérer si elle pourrait entraîner une injustice. Les facteurs à considérer incluent les suivants :

  1. le libellé du texte de loi (d’où vient le pouvoir de rendre la décision);
  2. l’objet de la loi;
  3. l’existence d’un droit d’appel;
  4. les garanties offertes aux parties dans le cadre de l’instance;
  5. l’expertise du décideur précédent;
  6. les circonstances ayant donné naissance à l’instance initiale;
  7. le risque d’injusticeNote de bas de page 6.

Le membre de la division générale a-t-il commis une erreur en rejetant de façon sommaire l’appel de la requérante?

[17] Le membre de la division générale a commis une erreur de droit en rejetant de façon sommaire l’appel de la requérante.

[18] Le membre de la division générale a jugé que l’appel de la requérante n’avait aucune chance raisonnable de succès. Il a décidé d’appliquer la règle interdisant de juger une question ayant déjà été jugée :

[traduction]
Le Tribunal estime que le principe de la chose jugée s’applique en l’espèce. La PMA de l’appelante n’a pas changé depuis qu’elle a présenté sa première demande de prestations d’invalidité du RPC. Les parties et les questions en litige demeurent également les mêmes, et la décision précédemment rendue par la division d’appel du TSS, en novembre 2014, était finale1. L’appelante ne peut donc pas remettre en litige la question ayant précédemment été tranchée dans le cadre d’une audience2. Le Tribunal n’est tout simplement pas habilité à réexaminer la question de l’invaliditéNote de bas de page 7.

[19] La requérante n’est pas représentée par un avocat. Elle affirme que la division générale a commis une erreur de droit. Cependant, elle semble en réalité soutenir que la division générale a commis une erreur de fait en concluant que rien n’avait changé dans son statut d’invalidité, alors que son état s’était aggravé. Elle affirme que sa mobilité était en fait beaucoup plus limitée que lorsqu’elle avait présenté sa première demande. Elle explique qu’elle est à peine capable de marcherNote de bas de page 8. Le ministre n’a présenté aucune observation à la division générale, et le délai imparti à cet effet est maintenu échu.  

[20] J’accueille l’appel. La division générale a commis une autre erreur de droit que celle ayant été soulevée par la requérante.  

[21] La division générale a commis une erreur de droit en rejetant de façon sommaire l’appel. Pour rejeter de façon sommaire un appel, il doit être évident et manifeste que l’appel est voué à l’échec. La division générale a rejeté de façon sommaire cette cause en appliquant la règle interdisant de juger une chose ayant déjà été jugée. Cependant, deux étapes doivent être suivies pour que la division générale puisse appliquer cette règle. D’abord, la division générale doit être convaincue que les questions en litige et les parties en cause sont les mêmes que dans la décision antérieure, et que cette décision antérieure était finale. Ensuite, la division générale doit déterminer s’il convient qu’elle choisisse d’appliquer la règle, en tenant compte d’une série de facteurs. L’un de ces facteurs consiste à savoir si l’application de la règle présente un risque d’injustice.

[22] La division générale a seulement suivi la première étape. La PMA de la requérante n’a jamais changé d’une demande à l’autre, et la division générale a donc jugé que la question litigieuse était demeurée la même. Les parties étaient les mêmes (la requérante et le ministre), et la division générale a constaté que la décision antérieure était finale.

[23] Toutefois, le membre de la division générale n’a pas tenu compte des facteurs permettant de décider s’il fallait réellement appliquer, en l’espèce, la règle interdisant de juger une chose déjà jugée. Même si les questions litigieuses et les parties sont les mêmes, et que la première décision était finale, il est possible que la division générale doive choisir de ne pas appliquer la règle. Une erreur de droit est commise si les facteurs servant à déterminer si la règle doit s’appliquer ne sont pas pris en considération.

[24] La division générale n’a pas recueilli auprès de la requérante les informations dont elle avait besoin pour déterminer s’il fallait appliquer la règle. La division générale a transmis à la requérante un avis précisant qu’il était possible qu’elle rejette de façon sommaire l’appel comme [traduction] « le principe de la chose jugée s’appliqu[ait] dans cette affaireNote de bas de page 9 ». Cependant, cet avis à l’intention de la requérante n’expliquait pas ce qu’était, concrètement, la règle de la chose jugée. Il précisait que les parties et les questions en litige étaient les mêmes et qu’une décision définitive avait été rendue. Dans l’avis, il était demandé à la requérante d’expliquer par écrit pourquoi l’appel avait une chance raisonnable de succès. Par contre, l’avis ne décrivait pas les différents facteurs que la division générale devrait considérer avant de décider d’appliquer la règle au détriment de la requérante. La requérante aurait notamment pu disposer de renseignements sur les circonstances ayant donné naissance à l’instance initiale, ou sur le risque d’injustice découlant de l’application de la règle.

[25] Comme la cause a été rejetée de façon sommaire, la requérante n’a pas eu la possibilité d’expliquer si des circonstances particulières justifiaient que la division générale n’applique pas la règle interdisant de juger une chose déjà jugée. Puisqu’elle a négligé de recueillir de telles informations de la part de la requérante, la division générale n’était pas en mesure de conclure s’il était évident et manifeste que l’appel était voué à l’échec.

Conclusion

[26] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen. La division générale donnera à la requérante l’occasion de témoigner et de présenter des arguments relativement aux deux volets du critère qui intervient pour l’application de la règle interdisant de juger une chose déjà jugée.

 

Mode d’instruction :

Représentante :

Sur la foi du dossier

C. M., non représentée

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