Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelante, D. T., a travaillé pendant de nombreuses années en tant que technologue en essais électroniques. Elle a une déficience auditive depuis l’enfance, mais elle était capable d’accomplir son travail parce que ses patrons l’autorisaient à communiquer par courriel. En juillet 2015, son poste a été aboli lorsque l’entreprise a déménagé ses activités au Mexique. L’appelante affirme qu’elle a postulé pour différents emplois, mais qu’elle n’a reçu aucune offre d’emploi parce qu’elle ne peut pas communiquer par téléphone ni en personne sans l’aide d’un interprète gestuel.

[3] L’appelante a maintenant 52 ans. En juillet 2017, elle a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, en affirmant qu’elle ne pouvait plus travailler à cause d’une perte auditive bilatérale grave. L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande après avoir conclu que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité « grave et prolongée » au sens du Régime de pensions du Canada (RPC).

[4] L’appelante a interjeté appel de la décision du ministre auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience en personne et, dans une décision datée du 7 décembre 2018, elle a conclu que l’appelante n’avait pas fourni une preuve suffisante selon laquelle elle était régulièrement incapable de détenir un emploi véritablement rémunérateur à la date de l’audienceNote de bas de page 1. La division générale a également conclu que l’appelante n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour obtenir un autre emploi adapté à ses limitations.

[5] Le 1er février 2019, l’appelante a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, en prétendant que la division générale avait commis des erreurs au moment de rendre sa décision. L’appelante a insisté sur le fait qu’elle était incapable de postuler pour un emploi, car sa perte auditive grave l’empêchait de participer à la première étape d’une entrevue téléphonique ou en personne. Elle a également contesté la suggestion de la division générale selon laquelle elle pourrait être capable d’occuper un poste de saisie de données, car cela nécessiterait de communiquer avec d’autres personnes.

[6] Dans ma décision datée du 28 février 2019, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’ai constaté que les observations de l’appelante conféraient à l’appel une chance raisonnable de succès. Bien que l’appelante ne les a pas soulevés dans ses observations, j’ai également cerné deux autres endroits où la division générale aurait possiblement commis des erreurs.

[7] Dans ses observations écrites du 1er avril 2019, le ministre a défendu la décision de la division générale, en soutenant que la membre qui présidait avait soupesé la preuve portée à sa connaissance et en était arrivée à la conclusion défendable que la déficience auditive de l’appelante n’avait pas empêché l’appelante d’essayer d’occuper des emplois en dehors de son champ d’expertise.

[8] Après avoir examiné les observations orales et écrites des parties, j’estime que la division générale a commis des erreurs de fait et de droit. Je suis convaincu que le dossier est suffisamment complet pour me permettre d’effectuer ma propre appréciation de la preuve et de conclure que l’appelante était invalide à la date de l’audience.

Questions en litige

[9] Aux termes de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), seuls trois moyens d’appel peuvent être invoqués devant la division d’appel : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; elle a commis une erreur de droit; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 2.

[10] Je dois trancher les questions suivantes :

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’appelante était capable d’occuper un autre emploi?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur le détail non pertinent selon lequel la fille de l’appelante avait participé à la recherche d’emploi de sa mère?

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle commis une erreur en mal interprétant l’arrêt Villani c Canada?

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’appelante était capable d’occuper un autre emploi?

[11] Je suis convaincu que la division générale n’a pas pleinement évalué l’employabilité de l’appelante en tenant compte de sa déficience et de son profil personnel.

[12] Je ne tire pas cette conclusion à la légère. Je sais que le mandat principal de la division générale est de soupeser la preuve et de tirer des conclusions de faitNote de bas de page 3. Je suis également conscient du libellé de l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS, qui donne à penser que les conclusions de fait de la division générale doivent se voir accorder un degré de déférence.

[13] Je conviens que la division générale a le droit d’apprécier la preuve portée à sa connaissance comme bon lui semble, mais seulement jusqu’à un certain point. La division générale risque de franchir le seuil d’erreur lorsque ses conclusions sont tellement dissociées du dossier qu’elles ne peuvent plus être défendues.

[14] En l’espèce, la division générale a accepté que l’appelante avait une déficience auditive grave et que son audition s’était détériorée au cours des 16 années où elle a occupé son dernier emploi. Dans sa décision, la division générale a conclu que l’appelante et sa fille avaient [traduction] « fourni des témoignages francs qui étaient conformes à la preuve médicaleNote de bas de page 4 ».

[15] La décision portait non pas sur l’ampleur de la perte auditive de l’appelante, mais sur ses efforts visant à améliorer cette déficience, comme le prévoit l’arrêt de principe Inclima c CanadaNote de bas de page 5. La division générale a résumé le témoignage de l’appelante sur ce point comme suit :

[traduction]

Depuis 2015, elle estime avoir posé sa candidature en ligne pour 50 à 100 postes différentes dans les domaines de la fabrication de produits électroniques, de la main-d’œuvre, de l’assemblage et de la saisie de données. Elle ne précise pas toujours sa perte auditive dans sa candidature. Elle estime avoir reçu une réponse de 10 à 20 % des employeurs à qui elle a soumis sa candidature. Dès qu’elle précise sa perte auditive à des employeurs potentiels, elle n’a plus de nouvelles d’eux. Si elle ne précise pas sa déficience, elle reçoit alors plusieurs appels pour des entrevues. L’[appelante] a déclaré que lors des premières entrevues téléphoniques, sa fille prétendait être l’[appelante] pour qu’elle puisse passer à l’étape suivante du processus de sélection. Toutefois, les deux fois où l’[appelante] a pris part à une entrevue en personne, elle était incapable de communiquer avec son interlocuteur étant donné qu’aucun interprète gestuel n’était présent. Elle n’a donc pas passé à l’étape suivante du processus de sélection. De plus, lorsque l’employeur a appris qu’elle n’avait pas participé à la première entrevue téléphonique, il ne souhaitait plus l’embaucher. Elle a été en mesure de fournir le nom de quelques entreprises où elle a postulé et où elle n’a pas réussi l’entrevueNote de bas de page 6.

[16] J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience tenue devant la division générale, et celui-ci confirme largement le récit ci-dessus. L’enregistrement révèle que la membre qui présidait a questionné étroitement l’appelante au sujet des démarches qu’elle a faites pour trouver un emploi au cours des trois dernières années. Il révèle également que l’appelante a fait de son mieux pour répondre aux questions. Malgré cela, la division générale a conclu que la tentative de l’appelante d’obtenir un autre emploi était insuffisante :

[traduction]

Lorsque je lui ai demandé combien de demandes d’entrevue pour des postes de saisie de données elle avait reçues, elle était incertaine. Elle a dit que sur les 50 à 100 emplois pour lesquels elle a postulé, environ 5 à 10 d’entre eux étaient des emplois au gouvernement. Toutefois, elle n’a reçu aucune nouvelle. Elle n’a pas pu fournir d’autres renseignements à propos de ces postes. Elle ne savait pas pourquoi elle demandait une entrevue en personne alors que cela ne convenait pas. Lorsque je lui ai demandé pourquoi sa fille, qui s’était fait passer pour elle, n’avait tout simplement pas demandé à ce que l’entrevue de sa mère ait lieu en personne, elle a répondu que lorsqu’elle précisait sa perte auditive aux employeurs, ceux-ci n’étaient plus intéressés. Dans l’ensemble, j’ai estimé que son témoignage était vague et ne contenait aucun détail au sujet de sa recherche d’emploi. De plus, elle n’a pas cherché d’emplois depuis quatre mois. Je suis consciente que la perte auditive de l’[appelante] constitue un obstacle important à la recherche d’un emploi convenable. Toutefois, il existe des possibilités d’emploi pour des personnes qui ont une perte auditive grave, et je ne suis pas convaincue que, selon la prépondérance des probabilités, la preuve montre que l’[appelante] n’a pas fait de démarches pour trouver un emploi convenable [mis en évidence par la soussignée]Note de bas de page 7.

[17] Je n’ai pas jugé que le témoignage de l’appelante était vague ou qu’il manquait de détails. Comme précisé dans les passages ci-dessus, l’appelante a été capable d’évaluer le nombre d’emplois pour lesquels elle a postulé. Elle a été en mesure de donner le pourcentage d’employeurs potentiels qui lui avaient répondu et d’énumérer les domaines dans lesquels elle avait postulé. Elle a été capable de décrire les circonstances dans lesquelles les entrevues se sont déroulées et pourquoi, à son avis, ces entrevues ont finalement été infructueuses. Elle a été en mesure de nommer certaines entreprises qui avaient refusé de l’embaucher.

[18] Au-delà de cette négligence à l’égard du dossier, la division générale a parfois fait preuve d’une logique douteuse. La division générale, qui avait précédemment trouvé l’appelante crédible lorsqu’elle parlait de sa déficience, la jugeait maintenant comme étant non fiable par rapport à sa recherche d’emploi. Elle semblait déconcertée par la révélation selon laquelle la fille de l’appelante se faisait parfois passer pour sa mère au téléphone, même s’il était évident que cette manœuvre n’était rien de plus qu’une tentative désespérée de passer la première étape des entrevues. Finalement, la division générale a tiré une conclusion défavorable du fait que l’appelante n’avait pas cherché d’emplois depuis quatre mois, bien que je ne sois pas au courant de l’existence d’une quelconque exigence selon laquelle une personne qui présente une demande de prestations d’invalidité est tenue de chercher un emploi jusqu’à la tenue de l’audience.

[19] Le ministre soutient que la division générale a estimé avec raison que la recherche d’emploi de l’appelante était trop limitée, car l’appelante a seulement postulé pour des postes correspondant à ses compétences et à son expérience. Je suis en désaccord. Il est vrai que l’appelante a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je peux faire le travail, mais je ne peux pas obtenir l’emploiNote de bas de page 8 ». Cette déclaration exprime la conviction de l’appelante qu’elle a la capacité, mais elle reflète également son employabilité réelle sur le marché du travail concurrentiel. Le dernier emploi de l’appelante comme technologue en essais électroniques était en grande partie sédentaire, et l’appelante avait droit à des mesures d’adaptation inhabituelles (le droit de communiquer exclusivement par courriel) que peu d’employeurs seraient disposés à accepter. Il semble que l’appelante a seulement postulé pour des emplois qui convenaient à ses qualifications, mais je suis persuadé que si elle avait élargi sa recherche d’emploi pour inclure des postes peu spécialisés, comme vendeuse au détail, commis à la saisie de données ou serveuse dans un restaurant, pour donner trois exemples choisis au hasard, elle aurait reçu la même réponse décevante.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur le détail non pertinent selon lequel la fille de l’appelante avait participé à la recherche d’emploi de sa mère?

[20] Au paragraphe 11 de sa décision, la division générale a écrit ceci : [traduction] « Le fait que sa fille l’ait aidée dans sa recherche d’emploi est un autre indice que l’[appelante] est capable de travailler dans un milieu de travail convenable ou adapté ».

[21] Comme il a été précisé, la division générale a accordé du poids à la révélation selon laquelle la fille de l’appelante s’était fait passer pour sa mère lors de plusieurs entrevues téléphoniques. Je conviens qu’il n’était pas utile de tromper de la sorte les employeurs potentiels, mais je ne pense pas que tenter de le faire prouvait l’existence d’une capacité d’une manière ou d’une autre. À cet égard, la déclaration de la division générale constitue une conclusion de fait erronée, tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. En effet, en examinant cette preuve, on pourrait plus logiquement arriver à une conclusion opposée à celle de la division générale : le besoin d’aide de l’appelante, aussi peu judicieux soit-il, était en réalité un indicateur d’invalidité plutôt que de capacité.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle commis une erreur en mal interprétant l’arrêt Villani c Canada?

[22] Lorsque j’ai accordé la permission d’en appeler, j’étais d’avis qu’il y avait une cause défendable selon laquelle la division générale aurait commis une erreur de droit en n’appliquant pas correctement le principe de « contexte réaliste » établi dans l’arrêt Villani c CanadaNote de bas de page 9. Dans sa décision, la division générale a écrit ce qui suit : [traduction] « Comme je ne suis pas convaincue que l’[appelante] était atteinte d’une invalidité grave à la date de fin de la PMA, sa situation personnelle n’est pas pertinente pour rendre la présente décisionNote de bas de page 10 ».

[23] Il est clair dans Villani que l’état de santé d’une partie requérante et ses antécédents sont indissociablement liés et ne peuvent être considérés indépendamment : « [L]es occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérantNote de bas de page 11 ». En l’espèce, la division générale a déclaré explicitement qu’elle avait évalué la gravité de la déficience de l’appelante sans d’abord tenir compte de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques, de son expérience de travail et de son expérience de la vie.

[24] La division générale semblait avoir l’impression d’être libérée de la nécessité de tenir compte des facteurs réalistes prévus dans l’arrêt Villani après avoir jugé que l’appelante n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour reprendre le travail. Il s’agit d’une erreur de droit. En fait, un décideur ne peut pas invoquer le prétendu défaut d’une partie requérante de tenter de trouver un autre emploi, sauf s’il constate au préalable qu’elle avait la capacité résiduelle de le faire. Toutefois, pour conclure à une capacité résiduelle, les facteurs énoncés dans l’arrêt Villani doivent toujours être pris en considération.

Réparation

[25] La Loi sur le MEDS énonce les pouvoirs dont dispose la division d’appel pour corriger les erreurs commises par la division générale. En vertu de l’article 59, je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément à certaines directives, ou encore confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale. De plus, en vertu de l’article 64 de la Loi sur le MEDS, la division d’appel peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la Loi sur le MEDS.

Le dossier est complet

[26] Dans les observations présentées de vive voix, les deux parties ont convenu que, si je relevais des erreurs dans la décision de la division générale, la réparation appropriée consisterait à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Bien entendu, les parties ne s’entendaient pas sur ce que devrait être cette décision, l’appelante soutenant que la preuve disponible établissait l’invalidité et le ministre faisant valoir le contraire.

[27] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le décideur doit tenir compte du temps qui s’est écoulé avant qu’une décision concernant une demande de prestations d’invalidité ait été rendue. L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité il y a deux ans. Si je devais renvoyer l’affaire à la division générale, cela causerait un délai supplémentaire à une instance déjà prolongée. Le Tribunal est tenu d’agir le plus rapidement que l’équité et la justice naturelle permettent, et je doute que la preuve soit considérablement différente si la division générale était saisie de l’affaire à nouveau.

[28] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est complet. Aucune des erreurs de la division générale n’a empêché l’admission d’éléments de preuve pertinents. L’appelante a eu amplement l’occasion de déposer des documents médicaux, et son dossier comprend beaucoup de renseignements sur ses antécédents professionnels et sur ses démarches pour trouver un autre emploi après avoir été licenciée en 2015. Il existe un enregistrement audio de l’audience que j’ai écouté dans son intégralité. Celui-ci révèle que la division générale a tenu une audience orale complète et a entendu le témoignage de l’appelante sur sa déficience auditive et son incidence sur sa capacité de travailler.

[29] Par conséquent, je suis en mesure d’apprécier la preuve qui figurait dans le dossier dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre si elle n’avait pas commis d’erreur. À mon avis, si la division générale avait évalué correctement les éléments de preuve concernant les démarches de l’appelante pour reprendre le travail, avait accordé peu d’importance au rôle qu’a joué la fille de l’appelante dans la recherche d’emploi de sa mère, et avait bien appliqué les principes établis dans l’arrêt Villani, elle en serait alors venue à une conclusion différente. Ma propre appréciation du dossier m’a convaincu que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de l’audience.

L’appelante est atteinte d’une invalidité grave

[30] Pour être jugée invalide, la partie requérante doit établir que, selon la prépondérance des probabilités, elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à l’échéance de la période minimale d’admissibilité ou avant celle-ci, ou à la date de l’audience, laquelle vient en premier. Une invalidité n’est grave que si la personne concernée est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit « vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou […] entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 12 ».

[31] Il n’y a aucun doute que l’appelante a une déficience auditive grave. Elle a passé plusieurs audiogrammes au cours des dix dernières années, et les résultats révèlent tous une perte auditive bilatérale modérée à graveNote de bas de page 13. Elle n’est pas candidate à un implant cochléaire, et il est peu probable qu’un autre traitement améliore son état. Évidemment, l’appelante a une déficience auditive depuis qu’elle est enfant, mais cela ne l’a pas empêchée d’obtenir un diplôme collégial et d’entreprendre une carrière fructueuse pendant de nombreuses années. L’appelante a affirmé que lorsque son dernier employeur l’a engagée en 1999, elle était encore capable de communiquer par téléphone, et ses supérieurs étaient disposés à lui offrir des mesures d’adaptation. Elle a dit qu’ils avaient continué de le faire alors même que son audition s’était détériorée au fil des ans, l’empêchant de communiquer par tout autre moyen que par courriel.

[32] La vraie question est de savoir si l’audition de l’appelante s’est effectivement détériorée depuis 1999. Il y a 20 ans, elle a réussi à convaincre un employeur de lui donner une chance de prouver sa valeur malgré sa déficience. Si cette déficience s’est aggravée, peut-elle maintenant s’attendre à trouver un autre emploi véritablement rémunérateur, même avec ses excellentes qualifications?

[33] Je suis convaincu que l’audition de l’appelante s’est détériorée depuis les deux dernières décennies. De plus, il y a surtout le témoignage de l’appelante. Tout comme la division générale, j’estime que l’appelante est crédible quant à son état de santé et je l’ai crue lorsqu’elle a dit qu’elle ne pouvait plus fonctionner dans un milieu de travail comme elle le faisait autrefois. Le récit de l’appelante est encore plus plausible à la lumière du fait largement reconnu que l’audition se détériore généralement avec l’âge. La preuve médicale disponible appuie également la situation de l’appelante. En comparant le premier audiogramme au dossier avec le dernier, je vois des signes de détérioration. En 2000, les oreilles droite et gauche de l’appelante étaient toutes les deux capables de détecter le son à 500 hertz dans une étendue de 40 à 50 décibels. En 2018, leur acuité avait diminué au point où elles étaient seulement capables de détecter la même fréquence à un volume plus élevé, soit à 100 décibels.

[34] Tout comme son audition, l’employabilité de l’appelante a considérablement diminué au cours des 20 dernières années. Son âge n’aide pas les choses. Bien que l’appelante possède des années d’expérience professionnelle à titre de technologue en essais électroniques, elle a maintenant plus de 50 ans. C’est la triste réalité du marché du travail : toutes choses étant égales par ailleurs, les employeurs ont tendance à favoriser les personnes plus jeunes plutôt que les personnes plus âgées.

[35] J’ai abordé les démarches de l’appelante pour trouver un autre emploi ailleurs dans la présente décision, alors je n’ai nul besoin de me répéter. L’appelante a dit à la division générale qu’après avoir été licenciée, elle a posé sa candidature pour 50 à 100 postes dans le domaine de la fabrication et de la saisie de données. Elle a affirmé que lorsqu’elle précisait sa déficience auditive dans sa candidature, elle ne recevait aucune nouvelle des employeurs. Lorsqu’elle ne précisait pas sa déficience, beaucoup d’employeurs manifestaient leur intérêt, mais elle était incapable de gérer les entrevues téléphoniques ou en personne, car les services d’un interprète gestuel n’étaient pas offerts.Je suis convaincu que l’appelante s’est acquittée de son obligation, imposée par l’arrêt Inclima, de faire un effort raisonnable pour se recycler ou trouver un emploi mieux adapté à ses limitations. Je ne doute pas du fait que l’appelante détient au moins une certaine capacité résiduelle, mais sa recherche d’emploi était assez approfondie pour me convaincre que ses tentatives pour trouver un autre emploi ont échoué à cause de sa perte auditive. Elle ferait face à des défis insurmontables en réintégrant le marché du travail, quel que soit le secteur.

[36] Le témoignage de l’appelante devant la division générale, la franchise qui s’en dégageait et sa description de sa perte auditive et de son incidence sur sa capacité à fonctionner dans un milieu professionnel étaient crédibles. J’ai également accordé du poids aux antécédents professionnels considérables de l’appelante, qui comprenaient 29 années consécutives d’emploi rémunéré. On peut raisonnablement présumer qu’une personne possédant un tel sens démontré de l’éthique de travail n’aurait pas quitté le marché du travail à moins d’une raison valable.

L’appelante est atteinte d’une invalidité prolongée

[37] Selon la preuve médicale, l’appelante a une déficience auditive depuis l’enfance et a une perte auditive grave depuis le début des années 2000. Les appareils auditifs n’ont produit qu’un effet positif limité, et l’appelante est devenue effectivement inemployable. Il est difficile de voir dans quelle mesure l’état de l’appelante s’améliorera de manière considérable, même avec un traitement supplémentaire. À mon avis, ces facteurs font de l’invalidité de l’appelante une invalidité prolongée.

Conclusion

[38] J’accueille l’appel. La division générale a écarté, sans raison, la preuve selon laquelle l’appelante avait déployé suffisamment d’efforts pour réintégrer le marché du travail. La division générale a plutôt fondé sa décision sur des renseignements non pertinents selon lesquels la fille de l’appelante avait aidé sa mère dans sa recherche d’emploi. La division générale a surtout commis une erreur de droit en omettant d’examiner la situation personnelle de l’appelante lors de l’évaluation de son employabilité.

[39] Après avoir décidé qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour me permettre de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, je conclus que l’appelante est atteinte d’une invalidité qui est devenue grave et prolongée en juillet 2017, la date où elle a présenté sa demande et le mois qu’elle a cité comme date d’invalidité. Aux termes de l’article 69 du RPC, les versements commencent quatre mois après la date de l’invalidité. Les versements de la pension de l’appelante commencent en novembre 2017.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 8 juillet 2019

En personne

D. T., appelante
Viola Herbert, représentante de l’intimé
Anne Crowe, interprète gestuelle

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.