Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – Un prestataire qui présente une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada doit fournir au ministre un rapport sur toute invalidité physique ou mentale en incluant la nature, l’étendue et le pronostic de l’invalidité, toute incapacité résultant de l’invalidité, ainsi que tout autre renseignement pertinent – Un prestataire est tenue de fournir une déclaration de son occupation et de son revenu – La division générale (DG) a convenu que la prestataire devait divulguer les actes notariés et les hypothèques qu’elle a signés et liés aux résidences – La DG a également convenu qu’elle devait produire ses dossiers fiscaux dans la mesure où ils sont raisonnablement disponibles – La DG n’était pas disposée à ordonner que la prestataire fournisse des copies de tout affidavit ou plaidoyer relatif aux procédures de garde de sa fille et aux procédures de son divorce – Ces documents sont peu pertinents – Ils contiendraient vraisemblablement des renseignements confidentiels concernant des tierces parties, notamment sa fille, ainsi que des renseignements très personnels.

Contenu de la décision

 Sur cette page

Décision

[1] Je ne demande pas à la requérante de consentir à la divulgation du dossier de la Dre Benn. Je ne lui demande pas non plus de divulguer un affidavit ou un plaidoyer concernant ses procédures de divorce et de garde de sa fille. Toutefois, je lui demande de divulguer tout acte de vente ou document d’hypothèque connexe concernant une résidence qu’elle a signé entre avril 2004 et avril 2016, et selon leur disponibilité, ses déclarations de revenus pour cette période.

[2] Le but de la présente décision n’est pas de statuer sur le fond de l’appel. Elle concerne seulement les documents que la requérante est tenue de divulguer. Je statuerai sur le fond de l’appel par la suite.

Aperçu

[3] Le ministre demande que je dise à la requérante de consentir à la divulgation du dossier complet de la Dre Benn, sa psychologue traitante.  Le ministre demande aussi que je lui indique de divulguer les documents non médicaux suivants datant d’avril 2004 à avril 2016 :

  • tout acte de vente d’une résidence et tout document hypothécaire connexe qu’elle a signé;
  • ses déclarations de revenus;
  • tout affidavit ou plaidoyer concernant son divorce ou la garde de sa fille.

Questions en litige

  1. Est-ce que je possède la compétence pour demander à la requérante d’effectuer les divulgations demandées?
  2. Dans l’affirmative, est-ce que je devrais demander à la requérante de le faire?

Questions relatives à l’appel

[4] L’appel concerne une demande présentée par la requérante pour une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), que le ministre a reçue en mai 2016Note de bas de page 1. Le ministre a accueilli la demande, et les versements ont commencé en juin 2015Note de bas de page 2. Il s’agit de la période de rétroactivité maximale permise par le RPC selon la date de la demandeNote de bas de page 3. La requérante a demandé une révision de la date de prise d’effet des versements étant donné qu’elle n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC avant mai 2016. Le ministre a rejeté la demande de révision, et la requérante a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[5] Puisque le ministre a accordé les prestations d’invalidité à la requérante, la question principale relative à l’appel est de savoir si la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de prestations d’invalidité du RPC avant mai 2016. Si je détermine qu’elle n’en était pas capable, je devrai aussi déterminer quand son incapacité est survenue et a pris fin. Les documents liés à sa capacité durant la période pertinente m’aideront à trancher ces questions.

[6] Si je détermine que la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande pendant une certaine période avant de présenter sa demande en mai 2016, je peux supposer qu’elle a présenté sa demande durant le mois où son incapacité est survenue.

[7] Dans sa demande de pension d’invalidité, la requérante a précisé qu’elle avait été incapable de travailler à cause de plusieurs problèmes de santé dont un trouble de stress post‑traumatique (TSPT), un trouble cognitif (sans autre précision), un trouble panique avec agoraphobie, de multiples phobies spécifiques, et de l’insomnieNote de bas de page 4. Dans un rapport de mai 2016 qui accompagnait la demande, la Dre Benn, psychologue clinicienne, a précisé qu’elle traitait la requérante à une fréquence quasi hebdomadaire depuis avril 2004. En 2003, la requérante a recommencé à avoir des symptômes graves de TSPT, et elle a été incapable de travailler depuisNote de bas de page 5. Dans ses observations, la requérante a affirmé que le versement de ses prestations d’invalidité du RPC devrait être antidaté à avril 2004Note de bas de page 6.

[8] Puisque la requérante a présenté sa demande de pension d’invalidité du RPC en mai 2016, la période d’incapacité potentielle pertinente est d’avril 2004 à mai 2016Note de bas de page 7.

Position de la requérante relative à l’appel

[9] La requérante est atteinte d’un TSPT grave depuis sa jeunesse. Sa [traduction] « terreur » est déclenchée par sa crainte que les membres de la communauté médicale la placent de nouveau dans un établissement psychiatrique contre son gré. Par conséquent, elle ne pouvait pas penser à exposer son TSPT et risquer qu’on la place sans se refermer sur elle-même. Elle n’était pas capable de prendre la décision de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC avant d’avoir fait des années de thérapie avec la Dre BennNote de bas de page 8. La requérante se fonde sur les rapports de la Dre Benn du 2 mai 2016, du 17 janvier 2017 et du 10 mars 2017Note de bas de page 9.

Position du ministre relative à l’appel

[10] La preuve n’appuie pas le fait que la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC d’avril 2004 à avril 2016. Elle était capable de vivre seule, de gérer ses propres finances, d’élever sa fille, d’aller chercher et d’obtenir des traitements médicaux comprenant ses séances hebdomadaires avec la Dre Benn, ainsi que de prendre des décisions concernant la dissolution de son mariage et la garde de sa fille.

Analyse

[11] Le ministre souhaite que je demande la divulgation des documents énumérés au paragraphe 3 ci-dessus.

[12] Je dois d’abord déterminer si je possède la compétence pour donner la directive demandée. Dans l’affirmative, je dois également déterminer si je devrais le faire.

Je possède la compétence pour donner les directives demandées

[13] Je peux trancher toute question nécessaire de droit ou de fait concernant l’admissibilité d’une personne aux prestations du RPCNote de bas de page 10. Les personnes qui demandent une pension d’invalidité du RPC doivent fournir au ministre des rapports sur toute invalidité physique ou mentale, indiquant la nature, l’étendue et le pronostic de l’invalidité, toute incapacité résultant de l’invalidité; ainsi que tout autre renseignement qui pourrait être approprié. Elles doivent aussi fournir une déclaration indiquant leur emploi et leurs gains pour toute période demandéeNote de bas de page 11. À la demande déposée par une partie auprès du Tribunal, celui-ci peut déterminer la règle applicable à toute question relative à l’instanceNote de bas de page 12.

[14] Je suis d’accord avec M. Malciw que la jurisprudence établit que je possède la compétence pour déterminer le droit d’accès du ministre à l’information pertinente conformément à l’article 68 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Règlement sur le RPC)Note de bas de page 13. Selon une interprétation raisonnable de cet article, les notes de la Dre Benn figurant au dossier correspondent aux deux types de renseignements suivants : « rapport[s] sur [une] invalidité physique ou mentale » et « tout autre renseignement qui pourrait être approprié ». Les documents non médicaux correspondent à « tout autre renseignement qui pourrait être approprié » et les déclarations de revenus correspondent à « [son] emploi et [ses] gains ».

[15] J’estime que je possède la compétence pour donner les directives demandées.

Est-ce que je devrais donner les directives demandées?

[16] Après avoir déterminé que je possède la compétence pour donner les directives demandées, je dois maintenant déterminer si je devrais le faire. Différentes considérations surviennent en ce qui a trait à la directive de consentir à la production du dossier de la Dre Benn comparativement à la production des documents non médicaux.

Dossier de la Dre Benn

[17] M. Malciw soutient que le ministre a droit à tous les renseignements pertinents et que la requérante ne peut pas choisir les renseignements à fournir au ministre pour l’appréciation de la demande de pension d’invalidité. En vertu de l’article 68 du Règlement sur le RPC et du droit en common law, le ministre a le droit d’obtenir les renseignements pertinents afin d’apprécier adéquatement la demande de pension d’invalidité de la requérante. L’omission de fournir ces renseignements peut entraîner le rejet de l’appel ou une conclusion défavorable à l’égard de la requérante pour avoir refusé de fournir les renseignements demandésNote de bas de page 14.

[18] La position principale de Mme Szczurko est que fournir les notes cliniques de la Dre Benn minerait l’alliance thérapeutique entre la requérante et la Dre Benn, et que cela pourrait nuire à la capacité de la Dre Benn de la traiterNote de bas de page 15. Elle soutient ce qui suitNote de bas de page 16 :

  1. L’article 68 du Règlement est limité aux rapports et n’exige pas la divulgation des notes cliniques.
  2. Il n’est pas nécessaire que le ministre demande les notes cliniques lorsqu’il a déjà reçu des rapports de la Dre Benn, dans lesquels tous les renseignements pertinents étaient fournis.
  3. Imposer la production de ces notes compromettrait l’intégrité mentale de la requérante et lui causerait une détresse psychologique importante. Cela causerait des dommages irréparables à la relation thérapeutique entre la requérante et la Dre Benn, et pourrait aussi en entraîner la dégradation.
  4. La divulgation des notes violerait le droit de la requérante à la sécurité de sa personne au titre de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
  5. La divulgation des notes n’est pas pratique. Il y a eu environ 540 séances, et les notes rempliraient cinq ou six boîtes d’entreposage. Elles comprennent beaucoup de renseignements non pertinents impliquant des tierces parties ainsi que des renseignements personnels hautement confidentiels. Il faudrait que la Dre Benn lise chaque page, qu’elle supprime ces renseignements et qu’elle photocopie chaque page. Cela demanderait des semaines de travail et empêcherait la Dre Benn de passer du temps avec sa famille ou de traiter d’autres patients.
  6. Les notes n’offriraient aucune valeur ajoutée puisque la Dre Benn a déjà fourni tous les renseignements pertinents dans ses rapports.

[19] La requérante est atteinte de problèmes de santé mentale graves depuis de nombreuses années. Les diagnostics psychologiques et psychiatriques de la Dre Benn comprennent ce qui suit : TSPT chronique grave; trouble panique avec agoraphobie; multiples phobies spécifiques comprenant la nosocomephobie (peur intense et persistante des hôpitaux ou des hôpitaux psychiatriques) et l’iatrophobie (peur intense et persistante des médecins et des médecins psychiatres); trouble cognitif modéré à grave, sans autre indicationNote de bas de page 17.

[20] En mars 2017, la Dre Benn a affirmé que dans les situations où les autres risquent d’être informés de ses antécédents de problèmes de santé mentale, la requérante développe [traduction] « des symptômes inévitables de dissociation, de paranoïa, de retrait et d’évitement immuable ». Cela découle de l’angoisse et de l’inquiétude qu’elle ressent à l’idée d’être [traduction] « de nouveau placée dans un établissement psychiatrique comme [elle l’a été] au début de l’âge adulteNote de bas de page 18 ».

[21] Le rapport de novembre 2018 de la Dre Benn constitue un élément de preuve convaincant comme quoi je ne devrais pas demander la divulgation du dossier de la Dre BennNote de bas de page 19. La Dre Benn a affirmé qu’il y a quatre raisons principales pour lesquelles elle ne peut accepter de fournir des copies de ses notes liées à ses séances de traitement de la requérante si on lui demande. Premièrement, les dossiers sont très nombreux et contiennent beaucoup de renseignements personnels concernant d’autres personnes qu’il faudrait supprimer. Deuxièmement, leur divulgation minerait la relation thérapeutique et l’intégrité du traitement en cours de la requérante. Troisièmement, tout renseignement pertinent peut être obtenu par le biais de réponses fournies en temps opportun aux questions posées par le Tribunal ou le ministre.  La Dre Benn a affirmé qu’elle est prête à répondre à des questions. Quatrièmement, il lui est professionnellement interdit de divulguer ces notes.

[22] Il serait foncièrement injuste de demander que ces renseignements soient divulgués si cela créait un risque important de dommage psychologique et de détérioration potentielle de la relation thérapeutique de longue date entre la requérante et sa psychologue. De plus, il n’est pas logique de demander à la requérante de consentir à ce que la Dre Benn procède à une divulgation qui est peu pratique et qui pourrait constituer une violation des obligations professionnelles de la Dre Benn. Il est important de souligner que la Dre Benn avait déjà fourni plusieurs rapports ainsi que des éléments de preuve sous serment à l’audience initiale devant la division générale, et qu’elle est prête à répondre à toute autre question.

Documents non médicaux

[23] Mme Szczurko reconnait que les préoccupations soulevées par la Dre Benn ne s’appliquent pas à la demande du ministre concernant la divulgation des documents non médicaux. Toutefois, elle soutient que ces documents ne contiennent pas d’information utile. Le ministre a le droit de poser des questions, et les documents pertinents devraient lui être fournis seulement dans le contexte des réponses aux questions. Le ministre n’a pas de licence pour sonder les aspects privés de la vie de la requérante qui ne sont pas liés à sa demande et qui sont vraisemblablement non pertinents pour rendre une décision relativement à sa demandeNote de bas de page 20. M. Malciw soutient que les documents sont pertinents à la demande de pension d’invalidité étant donné qu’ils fournissent de l’information sur les activités de la requérante ainsi que sur sa capacité à prendre des décisions durant la période pertinente.

[24] Je suis d’accord avec M. Malciw que la requérante devrait fournir tout acte de vente et document hypothécaire qu’elle a signé concernant une résidence. Ces documents sont pertinents quant à sa capacité à gérer ses finances et à prendre des décisions. Je suis aussi d’accord qu’elle devrait produire ses déclarations de revenus dans la mesure du possible puisqu’elles seraient pertinentes quant à sa capacité de gérer ses finances.

[25] Je ne suis pas prêt à demander qu’elle fournisse des copies de tout affidavit ou plaidoyer concernant les procédures liées à son divorce ou à la garde de sa fille. La pertinence de ces documents est limitée. Ils contiennent probablement de l’information confidentielle concernant des tierces parties, en particulier sa fille, de même que des renseignements très personnels. Le ministre a le droit de poser des questions concernant les démarches entreprises par la requérante dans le cadre des procédures de divorce et de garde.

Conclusion

[26] Voici mes directives :

  1. La requérante devra fournir au Tribunal des copies de tout acte de vente ou document hypothécaire qu’elle a signé concernant une résidence entre avril 2004 et mai 2016 d’ici le 11 septembre 2019.
  2. La requérante n’est pas tenue de consentir à la divulgation du dossier de la Dre Benn et n’est pas tenue de fournir des copies de tout affidavit ou plaidoyer concernant ses procédures de divorce et de garde de sa fille.
  3. Le ministre devra fournir toute question écrite qu’il souhaite poser à la requérante ou à la Dre Benn d’ici le 11 octobre 2019.
  4. La requérante devra répondre à ces questions d’ici le 11 novembre 2019.
  5. Les deux parties devront fournir leurs observations d’ici le 11 décembre 2019.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.