Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant, A. M., a quitté l’école après la 10e année pour travailler comme camionneur dans l’industrie de la construction. En octobre 2000, il s’est luxé le bas du dos pendant qu’il attachait une goulotte à une bétonnière. Après six ou huit mois de tâches modifiées, il a repris son emploi habituel, bien que prétendant avoir continué à éprouver une douleur intense. En septembre 2005, il a cessé de travailler pour son employeur. Il a ensuite eu deux emplois de courte durée, d’abord comme commis de boucherie et ensuite comme voiturier. Il ne travaille plus depuis octobre 2009.

[3] Il a maintenant 41 ans. En avril 2016, il a demandé la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), alléguant ne plus pouvoir travailler à cause de sa lésion au dos qui restreignait sa liberté de mouvement et pour d’autres affections comme un trouble dépressif majeur et un syndrome de douleur chronique. L’intimé, c’est-à-dire le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre), a refusé cette demande. Il a jugé que son invalidité n’était pas « grave et prolongée » au sens du RPC pendant la période minimale d’admissibilité (PMA) qu’il déterminait comme ayant pris fin le 31 décembre 2007, ni pendant la période calculée au prorata du 1er janvier au 31 juillet 2008.

[4] L’appelant s’est pourvu contre la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a instruit l’appel par vidéoconférence et, dans une décision datée du 19 novembre 2018, a jugé que l’appelant n’avait pas suffisamment prouvé être régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice pendant la PMA ou la période au prorata. Elle a conclu que, dans ses tentatives de trouver un nouvel emploi, l’appelant n’avait pas visé une occupation sédentaire ne l’obligeant pas à se tenir assis ou debout pendant une longue période, ni à se pencher ou lever des charges d’une manière excessive.

[5] Le 19 février 2019, l’appelant a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal en alléguant que la division générale :

  • n’avait pas tenu compte de toute la preuve disponible;
  • avait retourné injustement l’âge de l’appelant contre lui;
  • avait mal caractérisé l’emploi de l’appelant dans une boucherie en 2008-2009 comme preuve de capacité plutôt que d’y voir un essai réel de reprendre le travail qui avait échoué en raison de ses déficiences;
  • avait négligé le fait que la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario (CSPAAT) lui avait versé une indemnité pour perte non économique tenant à une déficience permanente;
  • n’avait pas accordé suffisamment de poids au rapport de mars 2007 de la Dre Krystyna Prutis où cette psychiatre disait que l’intéressé ne pouvait travailler à quelque titre que ce soit.

[6] Dans ma décision du 5 mars 2019, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’estimais que l’appelant avait une chance raisonnable de succès avec au moins une des allégations qui précèdent. Ce faisant, j’ai clairement dit que je ne limiterais pas la possibilité pour l’appelant de défendre ses autres motifs d’en appeler lorsque j’ai considéré l’affaire sur le fond.

[7] Dans ses observations écrites du 18 avril 2019, le ministre a défendu la décision de la division générale en faisant valoir que le membre présidant avait soupesé la preuve disponible pour parvenir à la conclusion défendable que l’emploi de l’appelant en 2008-2009 faisait voir sa capacité de travailler pendant la PMA et la période au prorata et immédiatement après.

[8] Après avoir examiné les observations orales et écrites des parties, je conclus que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de droit et de fait. J’ai la conviction que le dossier est suffisamment complet pour que je puisse soumettre la preuve à ma propre évaluation et conclure que l’appelant était invalide dès la PMA.

Question(s) en litige

[9] Suivant l’art 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il n’existe que trois moyens d’appel auprès de la division d’appel : la division générale (i) n’a pas observé un principe de justice naturelle, (ii) a rendu une décision entachée d’une erreur de droit ou (iii) fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] À l’audience, il a été question de ce qui suit :

  1. Question 1: La division générale a-t-elle examiné tous les éléments de preuve disponibles?
  2. Question 2: La division générale a-t-elle retourné injustement l’âge de l’appelant contre lui?
  3. Question 3: La division générale a-t-elle mal caractérisé le travail de l’appelant en 2008‑2009?
  4. Question 4: La division générale a-t-elle négligé l’indemnité accordée à l’appelant par la CSPAAT?
  5. Question 5: La division générale a-t-elle attribué un poids insuffisant au rapport de mars 2007 de la Dre Prutis?

Analyse

[11] Après avoir examiné toutes les questions qui précèdent, je suis persuadé que la division générale a mal caractérisé l’emploi de l’appelant dans une boucherie. Comme la décision laisse déjà à désirer pour cette raison, je ne vois pas la nécessité d’examiner les autres questions en litige.

Question 3 : La division générale a-t-elle mal caractérisé le travail de l’appelant en 2008‑2009?

[12] Mon examen du dossier me convainc que la division générale a fondé sa décision sur la conclusion erronée selon laquelle l’emploi de l’appelant après la PMA ne convenait pas à ses limitations physiques.

[13] Après avoir quitté l’industrie de la construction en 2005, l’appelant a eu deux emplois, d’abord comme commis de boucherie et ensuite comme voiturier chez un concessionnaire automobile. La division générale a estimé qu’aucun des deux emplois n’était sédentaire et que l’un et l’autre avaient des exigences physiques dépassant les capacités de l’intéressé. Le premier était un « court passage » non rémunérateur dans un service à la clientèle, mais la division générale n’a trouvé aucune preuve que l’appelant avait quitté cet emploi pour des raisons médicales. Le second emploi, que la division générale dit avoir duré seulement un mois, ne convenait pas à l’appelant, parce qu’il devait constamment entrer dans des voitures et en sortir, ce qui lui fatiguait le dos.

[14] L’emploi dans la boucherie a été un grand point de litige. Le ministre a fait valoir qu’il démontrait la capacité de travailler, ayant duré plus d’un an et ayant pris fin non à cause de l’état de santé de l’appelant, mais à la suite d’une mise à pied générale. L’appelant a répondu que l’emploi prouvait en fait son invalidité et qu’il avait duré aussi longtemps seulement parce qu’un lien familial était en cause. À l’audience devant la division générale, l’appelant a clairement prouvé qu’il avait des difficultés dans cet emploi même si celui‑ci lui imposait peu de contraintes physiques :

[traduction]
Ma mère a tiré des ficelles et elle a tu le fait que j’avais un problème au cou et au dos […] J’étais là, mais inévitablement, je ne pouvais tout simplement pas faire le travail […] J’allais à un ordinateur, et ils me montraient quelque chose un million de fois, comment faire, vous savez, donner aux gens leur argent et leur monnaie – rien à faire. Ils m’ont alors dit de me tenir debout dans le coin avec les sacs de plastique et de mettre les boîtes dans […] Je me sentais horriblement mal, dans un coma [après avoir travaillé de 15 à 20 heures par semaine]Note de bas de page 1.

[À la boucherie] j’étais inattentif, brisé. Ils m’ont mis là. Je ne pouvais rester assis, debout […] Quand vous avez ce genre de problème avec votre colonne vertébrale […] Je ne dors pas. Je prends des somnifères. J’étais assis près du congélateur. Je me penche pour ramasser une boîte et j’ai cette douleurNote de bas de page 2.

Mon emploi à la boucherie a pris fin avec le changement de propriétaire. La nouvelle administration s’est défaite de tous les employés. J’étais tout simplement incapable d’occuper cet emploiNote de bas de page 3.

[15] La division générale a ainsi résumé son témoignage :

[traduction]
Il [appelant] a déclaré que sa mère était gestionnaire de district dans une boucherie et l’a aidé à décrocher un emploi à temps partiel en service à la clientèle pour quelques mois. Il [appelant] a déposé qu’il ne pouvait se concentrer ni rester longtemps assis ou debout dans ce travail. Il a dit que son employeur se sentait mal pour lui. Il n’était pas réellement capable de faire ce travail. Il travaillait de 15 à 20 heures par semaine et se sentait horriblement mal pendant ce temps. Il a déclaré qu’un nouveau franchisé avait acheté la boucherie et qu’il avait été mis à pied avec tous les autres employésNote de bas de page 4.

[16] À mes yeux, c’est là un compte rendu juste et fidèle de ce qu’a dit l’appelant. Toutefois, la division générale a accordé plus de poids à une lettre du gestionnaire de la boucherie où celui‑ci donnait à entendre que, malgré ses déficiences, l’appelant était en mesure de répondre aux exigences de son emploi :

[traduction]
Le dossier du Tribunal indique aussi qu’il [appelant] a commencé à travailler dans une boucherie en mai 2008. Il travaillait à temps partiel en tant que préposé au service à la clientèle sans avoir à lever de charges, à se déplacer ni à se pencher. Son assiduité était excellente et son employeur était satisfait de son rendement. [mis en évidence par la soussignée/le soussigné]Note de bas de page 5

[17] Suivant l’arrêt Inclima c CanadaNote de bas de page 6, les requérants en pension d’invalidité ayant au moins une certaine capacité de travailler doivent démontrer que leurs efforts en vue de trouver et de garder un emploi ont été infructueux à cause de leur état de santé. Dans la présente affaire, la division générale a jugé que l’appelant n’avait pu répondre à ce critère. Elle a conclu que, malgré les exigences physiques légères de son emploi, l’intéressé ne s’était pas acquitté de son obligation de pallier sa déficience en tentant d’occuper un emploi approprié :

[traduction]
Ce qui me trouble, c’est qu’il [appelant] n’a jamais occupé un emploi sédentaire où il n’avait pas à rester longtemps assis ou debout ni à se pencher ou à lever des charges d’une manière excessive. […] Malgré un court passage de l’appelant au service à la clientèle d’une boucherie dans un emploi non rémunérateur, rien ne prouve qu’il [appelant] n’a pu conserver son emploi à cause d’un problème de santé. Je conclus qu’il [appelant] était capable de travailler pendant sa PMA et sa période au prorata. En fait, il travaillait à la boucherie pendant la PMA au prorata. [mis en évidence par la soussignée/le soussigné]Note de bas de page 7

J’ai conclu que la division générale n’avait pas dûment évalué la nature et l’étendue des fonctions de l’appelant dans cette boucherie. Ce défaut ressort des passages mis en évidence qui sont incompatibles avec la preuve et entre eux.

[18] Dans le cas du premier emploi, la division générale s’est appuyée sur des éléments de preuve selon lesquels l’appelant a pris un emploi de service à la clientèle où il n’avait pas à lever de charges, à se déplacer ni à se pencher. Cela implique que l’emploi n’imposait guère plus à l’intéressé que de rester assis ou debout pendant ses quarts de travail. Quelques paragraphes après cependant, la division générale a jugé que l’appelant n’avait jamais tenté d’occuper un poste purement sédentaire. Selon le témoignage même de l’appelant, son activité la plus ardue consistait à mettre les articles de vente dans des sacs. Rien dans la lettre de son ancien superviseur ne contredit cette preuve.

[19] Il est difficile d’imaginer un emploi moins exigeant physiquement que celui que l’appelant a décrit dans son témoignage non contredit et même corroboré. La division générale n’en a pas moins conclu qu’il n’avait jamais tenté d’occuper un emploi sédentaire. Il y a aussi le fait – non contredit non plus – qu’il a obtenu et vraisemblablement gardé cet emploi grâce à l’influence de sa mère. La division générale était manifestement au courant de ce fait, mais je ne vois rien qui indique qu’elle se soit sérieusement attachée aux conséquences logiques de ce fait, à savoir que la boucherie était un employeur bienveillant qui imposait à l’appelant moins que la norme commerciale de rendement.

Réparation

[20] La LMEDS énonce les pouvoirs de la division d’appel lorsqu’elle a à réparer les erreurs de la division générale. En vertu de l’art 59(1), elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale. Selon l’art 64, elle peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la présente loi.

Le dossier est-il complet?

[21] Dans leurs observations orales, les parties n’étaient pas d’accord au sujet de la réparation à prévoir si je constatais des erreurs dans la décision de la division générale. Tout en soutenant que celle‑ci n’avait pas commis d’erreurs, le ministre a dit que le dossier était suffisamment complet pour que je puisse soumettre l’invalidité de l’appelant à ma propre évaluation et rendre la décision qu’aurait dû rendre la division générale. En revanche, l’appelant soutenait que le dossier était incomplet, parce que la division générale avait changé le mode d’instruction tôt dans le déroulement de l’audience. Il a fait remarquer que celle-ci avait initialement prévu une instruction par vidéoconférence, mais que des problèmes techniques avaient amené le membre présidant à interrompre l’audience et à rapidement la reprendre par téléconférence.

[22] Je ne suis pas d’accord avec l’appelant pour dire que le dossier est incomplet. L’intéressé semble donner à entendre qu’il aurait reçu quelque chose de moins qu’une audience complète avec le changement de mode d’instruction, mais il n’avait jamais fait cette allégation auparavant. Quoi qu’il en soit, l’enregistrement de l’audience indique que ni lui ni son avocat ne se sont opposés à ce changement. De plus, un magnétophone servant à l’enregistrement des audiences constitue la règle, quel que soit le mode d’instruction. Même si l’audience de l’appelant s’était poursuivie par vidéoconférence, je n’aurais eu accès à rien d’autre qu’un enregistrement audio des délibérations.

[23] Aucune des erreurs que la division générale aurait commises n’a entravé ni empêché la réception des éléments de preuve utiles. L’appelant a eu suffisamment la possibilité de présenter des documents médicaux et l’information est considérable au dossier sur ses antécédents professionnels et ses efforts en vue de se recycler et de trouver un autre travail. Il existe un enregistrement audio de l’audience, et je l’ai écouté en entier. Il révèle que la division générale a tenu une audience orale complète et entendu le témoignage de l’appelant sur ses déficiences et leur effet sur sa capacité de fonctionner.

[24] La Cour d’appel fédérale a dit qu’un décideur devrait tenir compte du retard à porter l’examen d’une demande de pension d’invalidité à sa conclusion. L’appelant a demandé la pension il y a plus de trois ans. Si je renvoyais la question à la division générale, je ne ferais qu’ajouter à un processus déjà très long. Le Tribunal a l’obligation de mener ses affaires aussi rapidement que le permettent les considérations d’équité et de justice naturelle, et je doute que la preuve serait largement différente si la division générale devait instruire l’affaire à nouveau.

[25] Par conséquent, je suis en mesure d’évaluer les éléments de preuve qui figuraient au dossier de la division générale et de rendre la décision que celle‑ci aurait dû rendre si elle n’avait pas commis d’erreurs. À mon avis, si elle avait bien évalué la preuve, elle aurait caractérisé plus justement le travail de l’appelant dans une boucherie comme un essai infructueux de retour au travail et serait parvenue à un résultat différent du sien. Ma propre évaluation du dossier me convainc que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée pendant sa PMA et de façon continue par la suite.

L’appelant a-t-il une invalidité grave?

[26] Pour être déclaré invalide, l’appelant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait une invalidité grave et prolongée à la fin de la PMA ou avant. Une invalidité n’est grave qui si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 8.

[27] Je ne doute pas que l’appelant soit désormais incapable d’exécuter le genre de travail physique qui était le sien comme conducteur de bétonnière. La preuve indique qu’il a subi en milieu de travail une lésion au dos en 2000. Après six à huit mois de tâches modifiées, il a repris son travail habituel pour seulement constater que la conduite sur un terrain accidenté aggravait ses douleurs au cou et au dos. Il a demandé un poste de répartiteur, mais son employeur n’a pu le satisfaire. Il a manifesté de l’intérêt pour un travail de mise en lots de données d’entrée, mais il s’est ravisé lorsqu’il a constaté qu’il lui faudrait renoncer à ses prestations syndicales. Il a quitté son emploi en septembre 2005.

[28] Si l’appelant n’est plus capable de travailler manuellement, la question demeure de savoir s’il était capable d’occuper un emploi sédentaire ou à faible incidence à la fin de la PMA ou de la période au prorata. Pour les motifs qui suivent, je ne le crois pas.

(i) L’état du cou et du dos de l’appelant est important et bien décrit

[29] Lorsque l’appelant a demandé des prestations d’invalidité du RPC en avril 2016, sa période de référence était de près de huit ans. Dans sa demande, il a déclaré de nombreuses limitations fonctionnelles, dont la plus importante était le peu de liberté et la douleur des mouvements du dos. Il a dit que cette limitation l’empêchait de lever et de porter des charges, de se pencher et ramasser des objets ou de se tenir assis ou debout plus de 10 minutes à la fois. Il a dit que sa douleur avait nui à sa mémoire et à sa concentration. Il a ajouté qu’il vivait avec sa mère et qu’elle se chargeait pour lui de toutes les tâches d’entretien ménager.

[30] Les doléances de l’appelant sur ses douleurs au cou et au dos coïncident avec des changements organiques à sa colonne vertébrale qu’indique une IRM de celle‑ci montrant une discopathie dégénérative avec dessèchement des disques et bombement diffus de l’annulus avec une déchirure annulaire dans la région L5-S1Note de bas de page 9. Une IRM d’août 2007 de la colonne vertébrale a fait voir un bombement léger à C4-5 causant un léger rétrécissement du canal central de la moelle épinière avec des signes de spondylose cervicale précoce et persistance d’une hernie discale à C7‑T1Note de bas de page 10.

[31] Dans le rapport médical accompagnant la demande de l’appelant, le Dr Lorne Sokol a énuméré ses éléments de diagnostic que sont la contrainte mécanique au bas du dos, le syndrome de douleur chronique et le trouble dépressif majeur. Ce médecin de famille de vieille date de l’appelant a fait sien ce que son patient disait être une grave invaliditéNote de bas de page 11. Au fil des ans, la Dre Krystyna Prutis, psychiatre, a produit plusieurs rapports indiquant que l’appelant était incapable de lever, pousser et tirer des objets lourds, de se pencher à répétition et d’étirer le cou et le dos. Elle constatait également qu’il ne pouvait rester longtemps assis ou deboutNote de bas de page 12.

[32] La Dre Prutis a exprimé diverses opinions au sujet des capacités de travail de l’appelant. En mars 2007, elle a dit qu’il ne pouvait travailler à quelque titre que ce soitNote de bas de page 13. En août de la même année, elle a déclaré que l’appelant était incapable de reprendre le travail en construction. En juin 2011, elle a écrit qu’il était incapable d’occuper un emploi contre rémunération. En octobre 2013, elle a affirmé qu’il était [traduction] « incapable de retourner à un emploi rémunérateur à plein temps » et [traduction] « incapable de tolérer plus de trois à quatre heures de travail quotidien en raison de ses douleurs intenses et de ses grandes limitations de liberté de mouvement à la colonne cervicale et lombaire »Note de bas de page 14.

[33] Toutefois, elle s’est toujours dite d’avis que l’appelant était incapable d’exécuter un travail ayant une importante dimension physique. Dans son dernier rapport, elle a laissé ouverte la possibilité qu’il puisse travailler à temps partiel dans un emploi vraisemblablement sédentaire, mais sans préciser s’il pouvait s’agir d’un travail [traduction] « véritablement rémunérateur » selon les critères du Régime de pensions du Canada.

[34] À mon avis, l’appelant est peut-être encore capable d’occuper des emplois marginaux qui offrent, au mieux, un salaire symbolique. Il reste que, à la lumière de ce qui s’est passé après la PMA, je l’estime incapable de faire quoi que ce soit de plus appréciable et je ne le vois pas non plus occuper un emploi de bureau.

(ii) Les antécédents et les caractéristiques personnelles de l’appelant ont limité son employabilité

[35] Suivant l’arrêt Villani c CanadaNote de bas de page 15, le critère de gravité doit s’évaluer dans un contexte « réaliste » compte tenu des circonstances particulières de l’appelant, dont son âge, son instruction, ses aptitudes linguistiques et son expérience de travail et de vie.

[36] L’appelant a quitté l’école après la 9e année et passé toute sa vie à travailler en usine ou en construction dans des emplois peu spécialisés. Bien que n’ayant que 30 ans à la fin de sa PMA et parlant couramment l’anglais, il n’a guère démontré de capacité d’adaptation ni d’apprentissage. En octobre 2010, il a subi des tests psychoprofessionnels qui ont donné de piètres résultats. On a jugé qu’il avait une compréhension des phrases et une aptitude à lire et à orthographier [traduction] « exceptionnellement faibles ». Vu sa [traduction] « réactivité émotive très forte et son agréabilité très faible », il serait incapable de réussir au travail dans un milieu exigeant une interaction quotidienne poussée avec les gens, dans le service après-vente ou à la clientèle par exemple. Considérant ses résultats [traduction] « très faibles » aux tests [traduction] « dans la fourchette la plus basse », on a jugé qu’il avait besoin d’une formation en littératie et en numératie pour améliorer ses compétences fonctionnelles en langue et en mathématiques jusqu’au niveau de la 6e annéeNote de bas de page 16.

[37] Malgré ces résultats, l’appelant a été admis dans un programme de réinsertion sur le marché du travail parrainé par la CSPAAT, lequel prévoyait 8 semaines de formation en informatique, 12 en compétences essentielles, 4 en recherche d’emploi et 10 enfin en préparation à l’emploi. Tout au long de ce programme, l’intéressé s’est absenté à plusieurs reprises, ce qu’il a mis au compte d’une douleur persistante.

[38] Ces évaluations me portent à croire que, même en bonne santé, il était toujours limité par son intelligence, son tempérament et son aptitude à occuper seulement un sous-ensemble relativement restreint d’emplois éventuels. Ses caractéristiques personnelles innées, jointes à ses problèmes physiques décrits, le rendaient effectivement inapte au travail dès la PMA et la période au prorata. Les événements qui ont suivi n’ont fait que confirmer cette conclusion, comme en témoignent les difficultés qu’il a connues dans un milieu de travail bienveillant et son incapacité à occuper un emploi de conducteur relativement peu exigeant.

(iii) Le témoignage de l’appelant était crédible

[39] Devant la division générale, le témoignage de l’appelant a été franc et la description de ses symptômes et de leur effet sur sa capacité de fonctionner dans un milieu professionnel était crédible. Il a exposé avec des détails convaincants les circonstances l’ayant amené à travailler à la boucherie et les difficultés qu’il avait éprouvées à s’acquitter de ses fonctions de [traduction] « conseiller en produits ». Il ajoutait : [traduction] « La seule raison pour laquelle ils m’ont gardé, c’est ma mère – ils se sentaient mal pour moi. Si ça avait été quelqu’un d’autre, dans quelque autre emploi, ils m’auraient laissé partir comme les autresNote de bas de page 17. » Il a nié avec véhémence tout ce qu’évoquaient les rapports psychoprofessionnels de la CSPAAT comme intérêt qu’il aurait manifesté pour un emploi d’agent de sécurité : [traduction] « C’est ce que j’aurais suggéré? Non, non, non. Ils essayaient de me mettre là. Comment diable aurais-je pu faire cela? Si quelqu’un s’amène […] Je suis handicapé! […] un agent de sécurité? Mais il vous faut être alerte, conscient, il faut être fort. »Note de bas de page 18

(iv) Les tentatives de l’appelant de reprendre le travail ont été infructueuses en raison de son invalidité

[40] À la différence de la division générale, je juge que l’appelant a pris des mesures raisonnables pour demeurer sur le marché du travail. Je conclus également, selon ce qui est exigé dans l’arrêt Inclima, que son défaut de rester sur le marché du travail était lié à ses déficiences.

[41] La preuve montre que, après que l’appelant a subi une lésion au dos en 2000, il a accompli des tâches modifiées et ensuite repris ses tâches habituelles pour encore cinq ans. Devant une intensification de la douleur, il a demandé à son employeur de le recycler dans quelque chose de moins ardu, mais celui‑ci a refusé. En 2006, il a postulé auprès du même employeur un emploi à traitement dans la mise en lots de données informatiques en espérant que, s’il était embauché, il n’aurait pas à quitter son syndicatNote de bas de page 19. Cet espoir était peut-être naïf et, de toute manière, rien ne dit qu’il aurait pu occuper un tel emploi; même là, cela témoigne de sa bonne foi dans son désir de travailler.

[42] Après plusieurs années de chômage, il a trouvé, avec l’aide de sa mère, un emploi à temps partiel dans une boucherie. Toutefois, ce travail s’est révélé trop lourd pour ses capacités, même (i) s’il ne travaillait que de 15 à 20 heures par semaine, (ii) qu’il avait droit à diverses allocations et mesures d’adaptation à cause de la fonction de sa mère dans l’entreprise et (iii) qu’il était préposé au service à la clientèle avec un minimum d’exigences physiques, ayant seulement à rester longtemps assis ou debout. Il a occupé ce poste de mai 2008 à octobre 2009, gagnant peu en salaire pendant cette périodeNote de bas de page 20. En somme, je ne crois pas que le rendement de l’appelant dans ce poste montre quelque chose qui ressemble à une capacité de travailler; je pense en fait le contraire.

[43] Plus tard, l’appelant a demandé à la CSPAAT de le recycler pour un travail plus léger. Cela ne s’est pas bien passé non plus, puisqu’il n’avait guère d’aptitude pour autre chose que des emplois de débutant au salaire minimum. Il n’a persévéré qu’un mois comme voiturier pour un concessionnaire automobile. C’était là une fonction relativement peu exigeante qui n’en a pas moins aggravé ses douleurs au cou et au dos. Je suis persuadé que l’appelant a rempli son obligation de faire des efforts raisonnables pour se recycler ou trouver un travail mieux adapté à ses limites. Ses efforts voués à l’échec pour continuer à travailler ont suffi à me convaincre qu’il ne pouvait ni physiquement ni mentalement trouver sa place dans quelque secteur que ce soit du marché du travail.

L’appelant est-il atteint d’une invalidité prolongée?

[44] La preuve médicale indique qu’il a depuis 2000 de douleurs invalidantes au dos et au cou. Le traitement n’a produit qu’un effet restreint et l’appelant a en réalité été inapte au travail de nombreuses années. Il est difficile de voir comment sa santé s’améliorera nettement même s’il se soumet à d’autres formes de thérapie. À mon avis, ces facteurs font de l’incapacité de l’appelant une invalidité prolongée.

Conclusion

[45] L’appel est accueilli.

[46] La division générale a caractérisé à tort l’emploi de l’appelant dans une boucherie en 2008‑2009 comme démontrant une capacité de travailler plutôt que d’y voir un essai au travail qui a échoué. Ayant jugé que les éléments de preuve au dossier suffisaient à me faire rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, je conclus que l’appelant a une invalidité qui est devenue grave et prolongée en septembre 2005, mois où il a quitté son emploi à titre de conducteur de bétonnière. Suivant l’art 42(2)(b) du RPC, quelqu’un ne peut être réputé invalide plus de 15 mois avant que le ministre ne reçoive la demande de pension d’invalidité. En l’occurrence, le ministre a reçu la demande en avril 2016 et, par conséquent, l’appelant est réputé être invalide depuis mai janvier 2015. Comme le prévoit l’art 69 du RPC, les prestations débutent quatre mois après la date présumée d’invalidité. La pension de l’appelant commence donc en septembre mai 2015.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 10 juillet 2019

Téléconférence

A. M., appelant

Franco DiLena, représentant de l’appelant

Tiffany Glover, représentante de l’intimé

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