Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale pour une nouvelle audience.

Aperçu

[2] L’appelant, R. C., a terminé ses études secondaires et est menuisier de formation. Il a actuellement 29 ans. En mai 2016, alors qu’il prenait part à une partie de hockey récréative, un adversaire lui a infligé une coupure au visage, provoquant d’importantes blessures qui ont nécessité de nombreuses chirurgies réparatrices. Il n’a pas travaillé depuis.

[3] En novembre 2016, l’appelant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, affirmant qu’il ne pouvait plus travailler en raison d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), d’une dépression et d’anxiété résultant de ses blessures au visage. L’intimé, à savoir le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté sa demande après avoir déterminé que son invalidité n’était pas « grave et prolongée ».

[4] L’appelant a interjeté appel du refus du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par vidéoconférence le 8 novembre 2018. Dans une décision datée du 3 janvier 2019, la division générale a rejeté l’appel, après avoir conclu que l’appelant n’avait pas démontré qu’il était « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » au moment de l’audienceNote de bas de page 1. Plus précisément, la division générale n’a rien découvert dans les éléments de preuve psychiatrique qui aurait empêché l’appelant de reprendre son ancien emploi.

[5] Le 8 avril 2019, l’appelant a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, affirmant que la division générale avait commis les erreurs de fait suivantes pour en arriver à sa décision :

  • La division générale a conclu que la douleur au dos de l’appelant datait d’avant son agression et qu’elle ne l’empêchait pas de travailler. L’appelant affirme que, ce faisant, la division générale n’a pas reconnu que ses blessures au visage avaient aggravé son problème de dos.
  • La division générale a conclu que, même si l’appelant a subi des blessures graves au visage, la chirurgie a [traduction] « bien réussi et il n’a aucune difformité ». En fait, selon l’appelant, il a une déviation de la cloison du nez, qui rend sa respiration difficile, et une grave lésion nerveuse, qui lui cause de la douleur au visage. Ailleurs, la division générale s’est concentrée sur la conclusion du Dr Henry selon laquelle il avait [traduction] « d’excellentes voies respiratoires par le nez », ce qui ne tenait pas compte du fait que tous ses médecins ont conclu que ses voies respiratoires étaient étroites, ce qui rendait sa respiration difficile.
  • La division générale a conclu que les soins dentaires de l’appelant étaient terminés. En fait, selon l’appelant, il continue à ressentir de la douleur et un engourdissement dans la bouche et de nombreux rendez-vous sont encore prévus chez le dentiste.
  • La division générale s’est fiée au pronostic du Dr Henry, qui a prévu la guérison de l’appelant. Ce faisant, selon l’appelant, la division générale a ignoré le fait qu’il n’avait pas consulté le Dr Henry depuis deux ans et que ses fournisseurs de soins actuels, y compris le Dr Csanadi et le Dr Santher, ont décrit son état comme étant chronique, permanent, grave et d’une période indéfinie.
  • La division générale a affirmé que le Dr Santher avait encouragé l’appelant à [traduction] « visualiser une date de retour au travail le plus tôt possible ». Cependant, l’appelant fait remarquer qu’ailleurs dans le dossier, le Dr Santher avait conclu qu’il était atteint d’un TSPT grave et qu’il était indéfiniment incapable de travailler en raison de la gravité de son état.
  • La division générale a conclu que l’appelant n’avait pas suivi la recommandation de se rendre à une clinique antidouleur. L’appelant insiste sur le fait qu’il a dit à la division générale durant l’audience qu’il attendait d’obtenir un rendez-vous à une clinique. Il a depuis suivi une séance et en a prévu une autre.
  • La division générale a conclu que la médication calme la douleur de l’appelant. L’appelant nie que sa douleur soit soulagée et il affirme qu’il l’a dit dans son témoignage à l’audience.
  • La division générale a conclu que l’appelant n’avait déclaré aucune limitation pour s’asseoir, se tenir debout ou marcher, ou concernant sa mémoire. L’appelant insiste sur le fait qu’il a des limitations dans toutes ces fonctions.
  • La division générale a conclu que l’appelant ne s’était pas rendu régulièrement chez ses fournisseurs de soins médicaux. L’appelant insiste sur le fait qu’il respecte son plan de traitement médical et qu’il prend toujours un autre rendez-vous s’il en manque un et qu’il s’y rend.
  • La division générale a estimé qu’il n’y avait aucun signe de trouble cognitif. En fait, selon l’appelant, tous ses médecins ont reconnu qu’il présentait de tels symptômes tous les jours.
  • La division générale a conclu que l’appelant n’avait pas fait de suivi auprès du Dr Santher. L’appelant affirme que c’est faux et il soutient que la preuve démontre qu’il consulte régulièrement le psychiatre.

[6] Dans une décision datée du 16 mai 2019, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’ai constaté une cause défendable pour au moins trois des motifs d’appel de l’appelant.

[7] Dans les observations écrites datées du 28 juin 2019Note de bas de page 2, le ministre a défendu la décision de la division générale, soutenant que le membre qui avait présidé l’audience avait soupesé la preuve présentée et avait tiré la conclusion défendable selon laquelle les blessures au visage de l’appelant et le traumatisme psychologique qui en a résulté ne l’empêchaient pas d’essayer d’occuper un emploi à l’extérieur de son domaine.

[8] Après avoir examiné les observations orales et écrites des parties, je suis d’avis que la division générale a fondé sa décision sur deux conclusions de fait erronées. Étant donné que le présent dossier ne contient pas tous les éléments de preuve qui sont, à mon avis, essentiels pour rendre une décision motivée, j’ai conclu que la réparation convenable était de renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience.

Question préliminaire

[9] Durant l’audience par téléconférence, il était évident que l’avocat de l’appelant se reportait à un ensemble de documents qui ne correspondait pas au dossier officiel. Comme nos dossiers respectifs étaient différents et ne semblaient partager aucun numéro de page, je n’ai pas toujours été capable de trouver les documents précis auxquels l’avocat faisait référence dans ses observations. Je l’ai prévenu que je ne tiendrais pas compte d’éléments qui n’avaient pas aussi été présentés à la division générale.

[10] Toutefois, j’ai noté les dates et les mots-clés liés aux notes cliniques et aux rapports médicaux sur lesquels l’avocat s’appuyait. Après l’audience, j’ai pu faire correspondre les renseignements de l’avocat aux éléments qui se trouvaient dans le dossier. Par conséquent, je suis convaincu que l’avocat a seulement fait référence à des éléments de preuve qui se trouvaient déjà dans le dossier.

Questions en litige

[11] Selon l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il existe seulement trois moyens d’appel devant la division d’appel : la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle; elle a commis une erreur de droit; ou elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] Au cours de l’audience par téléconférence plus tôt ce mois-ci, les parties et moi avons discuté des questions suivantes :

  1. Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la douleur au dos de l’appelant datait d’avant son agression et ne l’empêchait pas de travailler?
  2. Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la chirurgie de l’appelant avait [traduction] « bien réussi et il n’a aucune difformité »?
  3. Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle erré lorsqu’elle a conclu que les soins dentaires de l’appelant étaient terminés?
  4. Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle commis une erreur en se fiant au pronostic du Dr Henry, qui prévoyait la guérison de l’appelant?
  5. Question en litige no 5 : La division générale a-t-elle commis une erreur en se fiant de façon sélective aux conclusions du Dr Santher à propos de la capacité de travailler de l’appelant?
  6. Question en litige no 6 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’avait pas suivi la recommandation de se rendre à une clinique antidouleur?
  7. Question en litige no 7 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la douleur de l’appelant s’était calmée grâce à la médication?
  8. Question en litige no 8 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’avait mentionné aucune limitation à s’asseoir, se tenir debout, marcher ou relative à sa mémoire?
  9. Question en litige no 9 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’avait pas consulté régulièrement ses fournisseurs de soins médicaux?
  10. Question en litige no 10 : La division générale a-t-elle erré lorsqu’elle a estimé qu’il n’y avait aucun signe de trouble cognitif?
  11. Question en litige no 11 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’avait pas fait de suivi auprès du Dr Santher?

[13] Après avoir examiné les observations de l’appelant, j’estime que les questions no 5 et no 11 sont fondées. Comme la décision de la division générale est défectueuse en raison de ces questions, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’aborder les autres questions.

Analyse

Question en litige no 5 : La division générale a-t-elle commis une erreur en se fiant de façon sélective aux conclusions du Dr Santher à propos de la capacité de travailler de l’appelant?

[14] Dans les motifs écrits de sa décision de rejeter la demande de pension d’invalidité de l’appelant, la division générale s’est appuyée largement sur le rapport psychiatrique d’octobre 2016 que le Dr Santher a produit. Au paragraphe 17, la division générale affirme ce qui suit :

  1. [traduction]
    Le Dr Santher, psychiatre, a fait remarquer en octobre 2016 que [l’appelant] n’était pas en état de retourner travailler à ce moment-là. Il était d’avis que plus [l’appelant] attendrait, plus cela serait difficile. Il l’a encouragé fortement à envisager un retour au travail le plus rapidement possible. [L’appelant] a manqué de nombreux rendez-vous avec ses fournisseurs de soins et n’a pas fait de suivis assidus avec le Dr Santher.

[15] La division générale n’a pas mentionné que le rapport du Dr Santher a été préparé tout de suite après une première consultation, alors que le psychiatre venait de faire la connaissance de l’appelant. Ce fait est important, parce que le dossier démontre clairement que la position du Dr Santher a évolué à mesure qu’il a appris à connaître son patient. La division générale a estimé que l’appelant n’avait pas fait de suivi avec le Dr Santher, mais le dossier démontre qu’il a consulté le psychiatre au moins huit autres fois dans l’année qui a suivi, n’annulant qu’un seul rendez-vousNote de bas de page 3. Le Dr Santher a pris des notes détaillées durant ces séances, mais la division générale les a largement ignorées dans sa décision, malgré le fait qu’elles contenaient des affirmations répétées à propos de l’invalidité de l’appelant qui découlait de l’anxiété et d’une douleur chronique. Le 5 septembre 2017, par exemple, le Dr Santher a écrit que l’appelant était [traduction] « indéfiniment inapte à travailler » parce qu’il avait [traduction] « peur de s’engager à occuper un emploi ». Dans son dernier rapport, préparé dans le cadre d’une demande présentée à la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels de l’Ontario en mai 2018Note de bas de page 4, le Dr Santher a conclu avec certitude que l’appelant était inapte à travailler et il a qualifié son pronostic de « mauvais ». Malgré sa pertinence évidente, ce rapport n’a pas été abordé dans la décision de la division générale.

[16] J’estime que la division générale a erré en se fiant à l’opinion compétente relative à l’invalidité que le Dr Santher a exprimée dans le rapport de la première consultation, sans tenir compte des opinions que le psychiatre a exprimées par la suite selon lesquelles l’appelant était inapte à occuper tout emploi.

Question en litige n11 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’avait pas fait de suivi auprès du Dr Santher?

[17] Une autre raison principale pour laquelle la décision de la division générale doit être rejetée est la conclusion selon laquelle l’appelant n’avait pas suivi des conseils médicauxNote de bas de page 5. La division générale semble avoir tiré une conclusion défavorable de son impression que l’appelant ne s’était pas rendu à une clinique de traitement de la douleur. Au paragraphe 14, la division générale a écrit ce qui suit : [traduction] « Il [l’appelant] n’a pas fait de suivi auprès du Dr Santher. Le médecin a noté que [l’appelant] devait suivre une thérapie cognitive du comportement. Il ne l’a pas fait. »

[18] L’appelant insiste sur le fait qu’il a fait de son mieux pour suivre les recommandations de ses médecins. Il prétend que la division générale a ignoré qu’il a affirmé avoir participé à 12 séances de thérapie de groupe et qu’il était dans l’attente d’un rendez-vous à une clinique de traitement de la douleur au moment de l’audience, rendez-vous auquel il s’est rendu par la suite.

[19] J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale, mais il prend fin soudainement au milieu du témoignage, après 20 minutes seulement. Il est évident qu’une grande partie ou même la plupart de l’instance n’a pas été enregistrée. Par conséquent, je n’ai pas la possibilité de confirmer le récit de l’appelant de façon indépendante. Cependant, l’appelant a témoigné sous serment que, durant l’audience du 8 novembre 2018, il a dit à la division générale qu’il a suivi une thérapie semblable à une thérapie de traitement de la douleur. Je suis porté à le croire et je suis convaincu que la division générale a ignoré une preuve substantielle. Je fais aussi remarquer qu’entre octobre 2016 et octobre 2017, l’appelant a participé à neuf séances avec le Dr SantherNote de bas de page 6, psychiatre, qui, en plus de lui fournir une psychothérapie et de lui prescrire des antidépresseurs, lui a vraisemblablement offert au moins des conseils sur la façon de gérer une douleur chronique.

Réparation

[20] La LMEDS énonce les pouvoirs de la division d’appel qui lui permettent de corriger les erreurs de la division générale. En vertu de l’article 59(1), je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre; renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives indiquées; ou confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale. De plus, selon l’article 64 de la LMEDS, la division d’appel peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de cette loi.

[21] Aux termes de l’article 3 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus expéditive que les circonstances et l’équité le permettent. Habituellement, je serais porté à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre et à trancher l’affaire sur le fond, mais je ne crois pas que le dossier est assez complet pour le faire. Comme je l’ai fait remarquer, une grande partie de l’audience de la division générale n’a pas été enregistrée et, par conséquent, je ne peux pas examiner tout le témoignage de l’appelant. Contrairement à la division d’appel, le mandat principal de la division générale est d’évaluer la preuve et de tirer des conclusions de fait. Ainsi, elle est dans une bien meilleure position que moi pour recueillir le témoignage de l’appelant et pour explorer les questions qui pourraient en découler. En l’espèce, je crois que je n’ai d’autre choix que de renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience.

Conclusion

[22] Pour les motifs ci-dessus, je conclus que la division générale a fondé sa décision sur deux conclusions de fait erronées tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Comme le dossier n’est pas suffisamment complet pour me permettre de trancher la question sur le fond, je renvoie l’affaire à la division générale pour qu’elle tienne une nouvelle audience.

[23] Afin d’éviter toute partialité, je donne la directive que la division générale doit attribuer cette affaire à un membre différent de celui qui a instruit l’appel en novembre 2018. Je donne également la directive au membre d’accepter la preuve orale et de tenir la nouvelle audience par téléconférence, par vidéoconférence ou en personne.

Date de d’audience :

Le 13 septembre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

R. C., l’appelant
Roelf Swart, représentant de l’appelant
Sandra Doucette, représentante de l’intimé

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