Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] Le versement de la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) de la requérante commence en avril 2004.

Aperçu

[2] La requérante avait 48 ans lorsqu’elle a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC en mai 2016Note de bas de page 1. Elle a déclaré avoir travaillé pour la dernière fois en juin 1977 en tant que superviseure d’un programme d’aptitudes sociales pour les adolescents présentant un handicap. Elle a également mentionné qu’elle n’était plus capable de travailler en raison d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), d’un trouble cognitif, d’un trouble panique avec agoraphobie, de différentes phobies particulières et d’insomnieNote de bas de page 2.

[3] Le ministre a accueilli la demande, et le versement a commencé en juin 2015. Il s’agit de la rétroactivité maximale permise par le RPC en fonction de la date de la demande de la requéranteNote de bas de page 3. La requérante a demandé une révision de la date de début du versement de sa pension d’invalidité. Le ministre a rejeté la demande de révision, et la requérante a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[4] La requérante affirme que son TSPT l’a rendue incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC entre avril 2004 et avril 2016. Le ministre déclare que la preuve ne démontre pas que la requérante était incapable, de manière continue, de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC. Le ministre se fie aux activités décisionnaires de la requérante au cours de cette période pour établir qu’elle était capable de former et d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC.

[5] En novembre 2017, la division générale a rejeté l’appel. La requérante a interjeté appel devant la division d’appel. En mai 2018, la division d’appel a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire à la division générale pour une révision. La division d’appel a également ordonné que la nouvelle audience soit tenue par écrit.

[6] Compte tenu des directives de la division d’appel, j’ai tranché cet appel sur la foi des documents et des observations au dossier. J’ai également utilisé l’enregistrement de la preuve orale de la décision initiale de la division générale comme éléments de preuve portés à ma connaissance.

Question en litige

  1. La requérante était-elle capable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC avant mai 2016?
  2. Dans l’affirmative, à quel moment son incapacité a-t-elle commencé et à quel moment s’est-elle terminée?

Analyse

Critère relatif à l’incapacité

[7] Pour satisfaire au critère relatif à l’incapacité, la requérante doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de prestationsNote de bas de page 4.

[8] Si j’estime que la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC pendant une période avant qu’elle ait réellement fait sa demande en mai 2016, je peux juger que la demande a été présentée au cours du mois où sa période d’incapacité a commencé.

[9] Selon la requérante, elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC entre avril 2004 et avril 2016Note de bas de page 5. Étant donné que le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité en mai 2016, la période visée de l’incapacité potentielle s’étend d’avril 2004 à avril 2016.

Position de la requérante

[10] Mme Szczurko, représentante de la requérante, a soutenu que l’incapacité est contextuelle plutôt que binaire. La requérante est atteinte de TSPT depuis qu’elle est jeune. Sa [traduction] « terreur » est déclenchée par la peur que des membres de la communauté médicale la renvoient à nouveau dans un établissement psychiatrique contre son gré. Au cours de la période visée, son TSPT grave a notamment été déclenché par l’interaction avec des figures d’autorité et par la divulgation de son état de santé à ces figures. Par conséquent, elle ne pouvait pas envisager de révéler son TSPT sans que celui-ci refasse surface et ainsi compromettre son engagement.

[11] Mme Szczurko reconnaît que la requérante était capable de prendre des décisions concernant d’autres sphères de sa vie. Toutefois, elle soutient que la requérante était médicalement incapable de prendre la décision de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC. Elle n’a pas pu prendre cette décision avant d’avoir passé des années de thérapie avec la Dre BennNote de bas de page 6.

Position du ministre

[12] Les décisions, les choix et les activités de la requérante pendant la période visée ont démontré qu’elle était capable de former et d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC. Elle était capable de vivre toute seule, de gérer ses propres finances, d’élever sa fille, de chercher et de suivre un traitement médical, y compris des séances hebdomadaires avec la Dre Benn, et de prendre des décisions concernant la dissolution de son mariage et la garde de sa filleNote de bas de page 7.

Preuve écrite de la requérante

[13] Dans son avis d’appel à la division généraleNote de bas de page 8, la requérante :

  • a convenu qu’elle était capable de prendre certaines décisions la concernant au cours de la période visée, bien que ces décisions ne constituaient pas un [traduction] « élément déclencheur »;
  • a fermement maintenu qu’elle était incapable de prendre la décision de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC en raison de la nature et de la gravité de son TSPT;
  • a affirmé qu’elle vivait dans [traduction] « une terreur abjecte d’être à nouveau emprisonnée et maltraitée dans un hôpital psychiatrique »;
  • a affirmé qu’elle associait la reconnaissance et la divulgation de sa maladie au traumatisme d’être attrapée et enfermée;
  • a affirmé qu’elle avait été [traduction] « totalement incapable de prendre la décision de présenter une demande de pension d’invalidité »;
  • a affirmé qu’elle a récemment appris à maîtriser sa peur afin d’être capable de prendre la décision de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC.

[14] Dans sa réponse écrite aux questions du ministre, datée de septembre 2018Note de bas de page 9, la requérante a notamment précisé ce qui suit :

  • En 2003, son époux a pris la responsabilité d’emmener leur fille à des rendez‑vous médicaux après que le TSPT de la requérante a refait surface. Depuis, elle n’a pas accompagné leur fille à des rendez-vous médicaux.
  • Elle ne pouvait plus conduire ni voyager à l’extérieur d’une zone extrêmement restreinte après que son TSPT a refait surface. Son époux a commencé à accompagner leur fille à la plupart de ses activités.
  • Elle n’avait pas de mandataire spécial au cours de la période visée.
  • Grâce à son travail en tant qu’intervenante en soutien familial, elle était familière avec les prestations d’invalidité. Elle n’a parlé à la Dre Benn de sa demande de prestations d’invalidité que peu de temps avant de présenter sa demande. Il était [traduction] « impossible pour [elle] de discuter de cela avant ».
  • En 2004, sa famille et elle ont déménagé de Vancouver à London. Elle s’est alors rendu compte que son TSPT avait refait surface, car elle savait qu’elle aurait besoin du soutien de sa famille. La requérante et sa famille ont vécu dans un appartement jusqu’en juillet 2007, avant d’emménager dans une maison. La requérante vit depuis dans cette maison.
  • Elle a fait des paiements d’hypothèque, de services publics et de thérapie.
  • Elle a commencé à vivre seule avec sa fille en avril 2008, lorsque son époux a déménagé. Ils ont ensuite partagé la garde de leur fille.
  • Elle prenait soin de sa fille et d’elle-même grâce à la pension alimentaire pour enfants et à l’aide financière des membres de la famille.

Preuve de la Dre Benn

[15] La requérante s’appuie sur la preuve orale que la Dre Benn a présentée lors de l’audience initiale et sur ses rapports du 2 mai 2016, du 17 janvier 2017, du 10 mars 2017 et du 23 novembre 2018Note de bas de page 10.

[16] Dans son rapport de mai 2016, la Dre Benn a attesté que la requérante avait été continuellement incapable jusqu’à tout récemment de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC en raison de la nature de son invalidité psychologique. Lorsqu’elle était dans la vingtaine, la requérante avait été internée et médicamentée de force, en plus de faire l’objet d’autres abus. Sa peur intense d’être hospitalisée à nouveau contre son gré l’empêchait même d’envisager de présenter une demande. La terreur automatique et la dissociation (détachement de la réalité) qui en ont découlé l’ont constamment empêché de présenter une demandeNote de bas de page 11.

[17] Les diagnostics de la requérante comprenaient ce qui suitNote de bas de page 12 :

  1. TSPT;
  2. trouble de douleur avec agoraphobie (peur et évitement de toute situation susceptible de provoquer une crise de panique);
  3. plusieurs phobies particulières, dont la nosocomephobie (peur intense et persistante des hôpitaux), l’iatrophobie (peur intense et persistante des médecins), la téléphonophobie (peur intense et persistante d’utiliser un téléphone), la xénophobie (peur des étrangers), la cléithrophobie (peur d’être enfermée ou prise au piège), l’héliophobie (peur du soleil et de la lumière vive) et l’ophthalmophobie (peur d’être fixée du regard);
  4. insomnie;
  5. trouble cognitif non spécifié.

[18] Voici quelques extraits importants des rapports de la Dre Benn :

  • Le TSPT de la requérante a refait surface en 2003, et la requérante est incapable de travailler depuisNote de bas de page 13.
  • La Dre Benn a traité la requérante (principalement) grâce à des séances de traitement psychologique hebdomadaires depuis avril 2004Note de bas de page 14.
  • Les antécédents de traumatisme de la requérante sont les plus complexes et prolongés que la Dre Benn a vus en plus de 20 ans de pratique. La requérante a une [traduction] « phobie extrême » du domaine médical (ainsi que du domaine psychiatrique et de la santé mentale). Par conséquent, elle est même incapable d’envisager une intervention médicale de quelque nature que ce soit, sauf dans des circonstances imminentes et mettant presque certainement la vie en dangerNote de bas de page 15.
  • Lorsqu’elle a commencé son traitement, la requérante était en détresse extrême et était à peine fonctionnelle. Elle était souvent incapable de prononcer plus de quelques mots ou phrases à la fois, et elle tombait souvent dans un état de dissociationNote de bas de page 16.
  • La requérante a fait l’objet de nombreuses hospitalisations, chirurgies et procédures médicales dans sa jeunesse et au début de son adolescence. Ces interventions se déroulaient dans une atmosphère de confusion, de peur, d’impuissance et de soutien émotionnel et pratique limités. Elle avait des souvenirs très vifs et traumatisants de divers événements extrêmement bouleversants liés à son traitement médical (y compris d’abus sexuels) ainsi que d’expériences familialesNote de bas de page 17.
  • La requérante avait extrêmement peur des étrangers, des figures d’autorité, des personnes en position de pouvoir ou d’autorité, des hommes en général et de toute personne faisant directement ou indirectement partie du domaine médical, psychiatrique ou de la santé mentaleNote de bas de page 18.
  • La requérante a toujours été terrifiée à l’idée que quiconque (en particulier des organisations ou des systèmes d’autorité) détienne des renseignements détaillés sur ses difficultés psychologiquesNote de bas de page 19.
  • Même si elle était finalement capable de gérer les décisions et les responsabilités nécessaires au quotidien, elle est demeurée incapable de prendre des mesures la plaçant dans un état de vulnérabilité ou de danger avec des contextes ou du personnel médical ou psychiatrique, ou à la jonction de ceux-ciNote de bas de page 20.
  • Elle était incapable de présenter une demande de prestations parce qu’elle pensait que cela pourrait l’emmener à être internéeNote de bas de page 21.
  • Il y a une [traduction] « distinction pertinente » entre les activités et les décisions non traumatisantes (gérer les finances, payer les factures, cuisiner, écrire, entretenir la maison, donner des conseils à sa fille, etc.) et les activités et les décisions traumatisantes (recevoir des soins médicaux, s’approcher du personnel ou des établissements psychiatriques, reconnaître ses problèmes de santé mentale devant des inconnus, etc.)Note de bas de page 22.

Mes conclusions

[19] On doit donner au terme capacité son sens ordinaireNote de bas de page 23. Le sens est précis et ciblé. Il ne signifie pas que je devrais tenir compte de la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité. Je dois seulement tenir compte de la capacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demandeNote de bas de page 24.

[20] Je dois tenir compte de la preuve médicale et des activités de la requérante au cours de la période viséeNote de bas de page 25.

[21] La Commission d’appel des pensions (CAP)Note de bas de page 26 a traité de la notion d’incapacité limitée dans certaines sphères; autrement dit, une partie requérante peut être incompétente dans une ou plusieurs sphères de la vie, mais être compétente dans d’autres. La CAP a déclaré que la communauté médicale croit qu’il existe différents types d’incapacité. La CAP a cité les directives médicales comme suit :

[traduction]

La compétence n’est plus considérée comme une condition ou un état global (c’est-à-dire l’absence ou la présence de capacité pour toutes les tâches). La notion d’incapacité limitée dans certaines sphères est plutôt devenue généralement acceptée. Autrement dit, une personne peut être incompétente dans une ou plusieurs sphères de la vie, mais être compétente dans d’autres [...].

[22] La requérante ne conteste pas le fait qu’elle était capable de prendre des décisions et de faire des choix relativement à différentes sphères de sa vie au cours de la période visée. Toutefois, en raison de son incapacité unique, sa capacité à prendre des décisions concernant d’autres sphères de sa vie ne témoigne pas d’une capacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC.

[23] Dans son rapport de mars 2017, la Dre Benn a expliqué les réflexes de déclenchement du TSPT de la requérante comme suitNote de bas de page 27 :

[traduction]

[...] Toute activité, situation ou rencontre qui [...] n’est pas liée à des problèmes de vulnérabilité traumatique ne la rend généralement pas incapable. Toutefois, en raison de [ses] antécédents de traumatisme plutôt complexes et variés, bon nombre de situations déclenchent une dissociation inévitable, de la paranoïa, un retrait et un évitement immuable. Parmi ces situations figurent celles qui impliquent un risque que ses antécédents de santé mentale soient connus ou évidents pour les autres [...] De plus, elle a été constamment et absolument incapable d’interagir avec le système de santé en général [...] [elle] était incapable (instinctivement, psychologiquement, cognitivement, etc.) de former toute intention de divulguer son état de santé mentale [...] ce n’est que tout récemment, grâce au travail intensif que nous avons accompli ensemble, qu’[elle] a été capable de former [l’]intention de présenter une demande de prestations du RPC [...].

[24] Lors de l’audience d’octobre 2017, la Dre Benn a déclaré que la requérante n’aurait pas pu présenter une demande de pension d’invalidité du RPC plus tôt, car l’idée d’exposer ses problèmes de santé mentale aurait donné lieu à une dissociation. Cela a empêché toute réflexion ou expression d’intérêt de faire une telle demande. La Dre Benn a déclaré que les symptômes de TSPT sont des réflexes. Ils ne sont pas contrôlés par des séquences de décision cognitives ou neurologiques. Ils sont comparables au réflexe de retirer automatiquement sa main d’une cuisinière brûlante. Les réactions sont [traduction] « instantanées [...] sans pensée consciente ».

[25] La requérante était au courant de l’existence des prestations d’invalidité du RPC, mais n’a pas été capable de présenter une demande de prestations jusqu’à ce qu’il y ait des progrès significatifs dans son traitementNote de bas de page 28. La Dre Benn a fait la déclaration suivante : [traduction] « [...] pourquoi la requérante aurait-elle supporté la pauvreté [...] si elle avait été capable de présenter une demande, elle l’aurait fait ».

[26] En tenant compte de la preuve orale et médicale de la Dre Benn, je suis convaincu que la requérante était atteinte d’une incapacité limitée. Même si elle était fonctionnelle et qu’elle pouvait prendre des décisions relativement à d’autres sphères de sa vie, la requérante a été incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité du RPC. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle une partie requérante a décidé de ne pas présenter une demande de pension d’invalidité du RPC. La requérante en l’espèce n’a pas présenté de demande, car elle n’était pas capable de former ou d’exprimer l’intention de le faire en raison de sa détérioration psychologique.

[27] La requérante a démontré qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle a été incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de prestations d’invalidité du RPC pendant la période d’avril 2004 à avril 2016.

Conclusion

[28] La demande de la requérante est réputée avoir été présentée en avril 2004. J’accepte la déclaration de la Dre Benn selon laquelle le TSPT de la requérante a gravement refait surface en 2003 et selon laquelle la requérante a été incapable de travailler depuisNote de bas de page 29. Je conclus que la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en décembre 2003. Le versement de la pension commence quatre mois après la date de l’invaliditéNote de bas de page 30, c’est-à-dire en avril 2004.

[29] L’appel est accueilli.

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