Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] S. I. est le requérant en l’espèce. En septembre 2017, il a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) a rejeté sa demande. Le requérant a interjeté appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

[2] Le 5 décembre 2019, j’ai instruit l’appel du requérant. Je fais droit à l’appel. Je juge que le requérant a droit à une pension d’invalidité au titre du RPC à verser à compter de février 2017. Voici mes motifs.

Aperçu

[3] En octobre 2016, le requérant a cessé de travailler comme mécanicien de machinerie lourde. Il avait de l’essoufflement, des difficultés respiratoires, des douleurs thoraciques, de l’épuisement et des étourdissements. Dans sa demande de prestations d’invalidité, il les a décrits comme des restrictions à divers égards. Il n’avait ni force ni endurance et était souvent étourdi. Il éprouvait des problèmes de mémoire et de la difficulté à parler, à se concentrer, à dormir et à faire certains mouvementsNote de bas de page 1.

[4] Le requérant a droit à une pension d’invalidité du RPC s’il remplit les conditions suivantes :

  • avoir cotisé au RPC pendant un certain temps appelé période minimale d’admissibilité ou PMA;
  • être atteint d’une invalidité grave et prolongée; 
  • être devenu invalide au plus tard à la fin de la PMANote de bas de page 2.

[5] La PMA du requérant se termine le 31 décembre 2020. Comme il s’agit d’une date future, il doit être invalide à la date où j’ai entendu son appelNote de bas de page 3.

Question en litige dans le présent appel

[6] Je dois décider si l’invalidité du requérant est grave et prolongée. Il incombe au requérant de le prouverNote de bas de page 4.

Le requérant a une invalidité grave

[7] Le requérant et son épouse, C. I., ont témoigné à l’audience. Leurs témoignages étaient spontanés et directs. Ils ne les ont pas enjolivés. Je crois à ce qu’ils m’ont dit au sujet de l’état de santé du requérant. Après avoir examiné leur témoignage et la preuve au dossier, je suis convaincu qu’une invalidité grave accable le requérant depuis octobre 2016.

Répercussions des symptômes sur le requérant

[8] Le requérant a 59 ans. Pendant de nombreuses années, il a travaillé chez un carrossier en faisant de la peinture et des réparations. Vers 2001, il a commencé à éprouver de la fatigue et des douleurs thoraciques. Son médecin lui a conseillé de changer de travail. Il est donc devenu mécanicien de machinerie lourde. Comme il n’y avait pas de peinture, ses symptômes ont considérablement diminué. La douleur à la poitrine est toutefois revenue lorsqu’il a commencé à travailler en tant que gestionnaire chez un carrossier où il était exposé à de la peinture. Ses symptômes ont disparu après qu’il a quitté ce posteNote de bas de page 5.

[9] Le requérant a repris le travail de mécanicien de machinerie lourde et de soudeur. Il allait bien jusqu’en septembre 2016, avant de partir à la chasse dans le nord de la Colombie-Britannique et de commencer à tousser et à manquer de souffle. On lui a posé un diagnostic de bronchite et administré des antibiotiques et des inhalateurs. Il est retourné au travail. Peu après, sa toux est revenue, son essoufflement s’est aggravé et il a commencé à ressentir des douleurs thoraciques et des étourdissements. Son patron lui a dit d’arrêter de travailler jusqu’à ce qu’il se sente mieux.

[10] Le requérant ne s’est jamais plus senti mieux. Son état de santé a empiré. Il ne travaille pas depuis octobre 2016. À l’audience, il m’a dit qu’il aimerait occuper un poste quelconque, mais qu’il ne peut pas le faire à cause de ses symptômes, qui sont débilitants et imprévisibles. Son essoufflement est causé par le froid, l’humidité, l’effort, et par des odeurs comme ceux des parfums, des bougies parfumées, des produits de nettoyage et des produits chimiques ou alimentaires. L’essoufflement peut également survenir de façon imprévisible. Il peut lui arriver de se sentir bien en se couchant le soir et d’avoir du mal à respirer en se réveillant le lendemain matin. Sa toux lui cause des douleurs au thorax et aux jambes. Ensuite, il commence à avoir de la nausée et à se sentir étourdi. Quand ses symptômes deviennent très graves, il va s’allonger. Parfois, ils disparaissent après 15, 20 minutes. Parfois, il les a pour le reste de la journée. Il ne peut pas le savoir à l’avance.

[11] C. I m’a dit que le requérant était un homme d’âge moyen normal et dynamique. Il a toujours travaillé fort au travail et faisait « tout ce qui devait être fait » à la maison, comme l’entretien de la cour-arrière et le déneigement. Maintenant, c'est C. I. qui s’occupe des tâches ménagères pendant ses jours de congé de son emploi à temps plein au gouvernement de la Colombie-Britannique. Auparavant, elle vivait avec le requérant dans une maison de 2 400 pieds carrés, sur un terrain de dix acres. Ils ont déménagé dans une maison et un terrain plus petits parce que C. I. n’arrivait pas à s’en occuper. Le requérant aide lorsqu’il le peut. Normalement, il fait une petite tâche et ensuite il va s’allonger. Il passe la plupart de son temps assis ou couché. C. I. a transféré son poste à un bureau local pour pouvoir amener le requérant à l’hôpital et à des rendez-vous médicaux. Comme son état est tellement imprévisible, il ne prend pas le volant tout seul. En effet, ses symptômes pourraient apparaître et l’empêcher de conduire jusque chez lui. 

[12] Le requérant aimait pratiquer des activités comme la randonnée, la pêche, le camping et le hockey. Il a dû y renoncer. Sa vie sociale est aussi affectée. En effet, il évite des endroits où il pourrait être exposé à des odeurs et à d’autres facteurs inconnus qui pourraient déclencher une réaction. Il évite les mariages, les fêtes et les salles de cinéma. Pour aller au restaurant avec son épouse, il choisit des périodes moins achalandées pour réduire au minimum son exposition. Malgré ces précautions, si quelqu’un à proximité porte du parfum, ils doivent partir.

[13] Le requérant a estimé que sur 14 journées, plus de la moitié sont « mauvaise ». Ces jours-là, il a des douleurs à la poitrine et une toux sèche pendant des heures et ne peut rien faire. Durant les « bonnes » journées, en revanche, il se réveille sans douleur à la poitrine et sans essoufflement. Il dispose alors d’un peu de temps pour effectuer des tâches légères, comme assaisonner de la viande et la placer dans une poêle pour la mettre dans le four plus tard. À mesure que la journée avance, il se sent de plus en plus faible et essoufflé. Il a décrit une « bonne » journée typique comme une journée au cours de laquelle il s’acquitte de quelques tâches mineures en restant longtemps assis ou couché.

État de santé du requérant selon la preuve médicale

[14] Le requérant a consulté de nombreux spécialistes qui ont effectué des examens approfondis. Cependant, personne n’a trouvé la cause de ses symptômes. En août 2018, il a consulté un spécialiste de troubles respiratoires, le Dr Carlsten, qui a fait un résumé des examens effectués. La seule chose que le Dr Carlsten a pu suggérer était d’augmenter la dose de Tecta du requérant, pour voir si c’était sa grave maladie du reflux gastro-œsophagien aggravait ses symptômes. En absence d’amélioration, il a suggéré d’effectuer le test de provocation à la méthacholine pour exclure l’asthme professionnel, mais d’après lui, il était peu probable qu’il agisse de l’asthmeNote de bas de page 6.

[15] Le requérant m’a dit qu’il avait augmenté la dose de Tecta, mais qu’il n’y avait pas eu de changement. Les notes de son médecin le confirment.Note de bas de page 7 Ses dossiers confirment également qu’il n’a pas pu faire un test de provocation à la méthacholine, parce qu’il avait trop de toux.Note de bas de page 8 À l’audience, il m’a dit qu’il avait essayé de nouveau en septembre 2019 et qu’il n’avait toujours pas pu effectuer ce test.

[16] En mai et août 2019, le requérant a été chez le Dr Rolf, un autre spécialiste de troubles respiratoires. Le rapport du Dr Rolf décrivait des examens approfondis qui n’ont pas abouti à un diagnostic. Le dossier fait état de fonctions cardiaque et pulmonaire normales, et de l’absence d’apnée du sommeil importante. Il a ordonné d’effectuer d’autres examens et de répéter les examens déjà effectués. Il explore d’autres causes possibles comme le syndrome d’hyperventilation et la dyspnée musculosquelettique. Il a dit : « Je pense que le dernier chapitre de cette histoire n’a pas encore été écrit. Il reste encore beaucoup de choses à faireNote de bas de page 9 ».

[17] Le requérant m’a dit que, en suivant l’indication de Dr Rolf, il a pris du magnésium, mais qu’il n’a pas vu de changement. Il effectue encore d’autres examens, entre autres, un tomodensitogramme. Il va aller encore chez le Dr Rolf, qui lui a dit qu’il considérait d’autres explications comme des lésions au tronc cérébral ou de l’arthrite des côtes qui empêcherait sa poitrine de se gonfler. Le requérant n’a toujours pas de diagnostic.

[18] Le ministre affirme que le requérant n’est pas invalide, parce que les examens effectués à ce jour n’ont pas permis de découvrir un problème de santé qui l’empêcherait d’accomplir un certain type de travail.Note de bas de page 10 Il est vrai que le requérant n’a pas de diagnostic. Par contre, il a certainement essayé d’en obtenir. Aussi, l’absence de diagnostic ne signifie pas qu’il n’a aucun problème de santé. Les médecins qu’il consulte depuis octobre 2016 n’ont jamais laissé entendre qu’ils ne croyaient pas qu’il avait les symptômes qu’il décrit. Dans une autre instance, le ministre a à juste titre souligné que c’est la capacité de travailler du requérant, et non le diagnostic, qui détermine si une invalidité est graveNote de bas de page 11.

[19] Le requérant doit fournir des éléments de preuve médicaux objectifs pour démontrer son invalidité.Note de bas de page 12 Mais ces éléments de preuve ne doivent pas forcément comporter un diagnostic précis. Le Règlement sur le Régime de pensions du Canada prévoit qu’un requérant présente au ministre un rapport sur son invalidité physique ou mentale qui porte sur la nature, l’étendue et le pronostic de l’invalidité, les résultats en fonction desquels le diagnostic et le pronostic ont été posés et toute restriction résultant de l’invalidité.Note de bas de page 13 Selon ma compréhension, le rapport doit comprendre tous les résultats, mais pas forcément un diagnostic. Si l’on exigeait que ce soit autrement, toute personne qui aurait des problèmes légitimes, mais de nature inconnue, ne serait pas admissible à une pension d’invalidité du RPC. Au sujet de l’objectivité du témoignage du requérant, ses médecins sont d’avis que ce qu’il leur dit est vrai. De plus, au cours des examens sur capacités physiques, ils ont observé certaines restrictions. Les considérations qui précèdent comportent une preuve objective de l’état de santé du requérant, d’autant plus qu’ils cherchent toujours à poser un diagnostic.

Le requérant n’est pas en mesure de travailler

[20] Une invalidité est grave si elle rend la personne « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 14 ». Donc, l’invalidité doit l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, et pas seulement dans son poste habituelNote de bas de page 15. Le ministre a fait valoir que la preuve médicale ne montre aucune pathologie grave qui empêcherait le requérant de faire un travail convenable dans les limites de ses capacités. De plus, il a fait remarquer qu’il n’a pas essayé d’alterner avec un travail plus légerNote de bas de page 16. S’il y a des éléments de preuve selon lesquels le requérant est en mesure de travailler d’une certaine manière, il doit démontrer qu’il a essayé de travailler, mais qu’il n’a pas pu le faire en raison de son état de santéNote de bas de page 17.

[21] Cela dit, le requérant n’est pas en mesure de travailler. Son essoufflement lui cause de la toux, des douleurs thoraciques, des étourdissements et de la fatigue. Ces symptômes surviennent même en l'absence d’effort physique. Donc, le fait de se trouver seulement des emplois sédentaires ne changerait pas la donne. Il est très sensible aux parfums et aux produits chimiques qu’il risque de rencontrer dans n’importe quel milieu de travail. Ses symptômes limitent considérablement ses activités quotidiennes. Ils sont imprévisibles et peuvent durer longtemps. Compte tenu de la gravité, de la fréquence et de l’imprévisibilité des symptômes, je ne vois pas comment le requérant pourrait travailler dans un milieu de travail concurrentiel dans un contexte réaliste.

[22] De plus, pour décider si le requérant est en mesure de travailler, je dois aussi tenir compte d’autres facteurs comme l’âge, le niveau de scolarité, les compétences linguistiques, ainsi que les expériences personnelle et professionnelle antérieuresNote de bas de page 18. Ces facteurs ne jouent pas en sa faveur non plus. Il a arrêté de travailler à 56 ans. Possédant neuf années de scolarité, il a occupé uniquement des emplois exigeant du travail physique. Ce facteur exclut la possibilité de trouver un poste en télétravail ou de suivre des formations pour arriver à travailler depuis chez lui selon un horaire flexible.

[23] Le requérant a présenté des éléments de preuve crédibles sur ses restrictions, lesquels sont appuyés par des rapports médicaux rédigés par des médecins objectifs. Je suis convaincu qu’il a été régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice depuis son dernier emploi en octobre 2016.

Le requérant a une invalidité prolongée

[24] Une invalidité est prolongée si elle dure vraisemblablement pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 19. C’est le cas en l’espèce. Le requérant a effectué des examens approfondis. Il a suivi tous les conseils des médecins. Malgré cela, rien n’a aidé. À plus de trois ans de l’apparition des symptômes, ses médecins ne savent pas pour quelle raison il ne va pas bien. Même s’ils cherchent encore le bon diagnostic, rien ne laisse entendre qu’ils le trouveront et à quel moment. Par conséquent, l’invalidité du requérant est prolongée.

Conclusion

[25] Le requérant souffrait d’une invalidité grave et prolongée en octobre 2016, lorsqu’il a cessé de travailler. Les prestations sont versées à compter du quatrième mois qui suit la date d’invalidité, soit à partir de février 2017Note de bas de page 20.

[26] L’appel est accueilli.

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