Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] Le requérant a droit à sa pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) à compter de décembre 2012.

Aperçu

[2] En mai 2017, à l’âge de 64 ans, le requérant a présenté une demande de pension d’invalidité du RPCNote de bas de page 1. Le ministre a admis que le requérant était invalide depuis 1998 et a accueilli la demande. Le paiement devait commencer en juin 2016Note de bas de page 2.

[3] Le requérant a demandé une révision de la date de début du paiement. Il croyait qu’il devrait recevoir des versements rétroactivement à novembre 1997, alors qu’il a dû cesser de travailler en raison de la dépression, de la fatigue chronique et de la fibromyalgie. Toutefois, le ministre a rejeté la demande de révision parce que le requérant avait obtenu la période maximale de rétroactivité permise en vertu du RPC en fonction de la date de sa demandeNote de bas de page 3. Le requérant a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. Il affirmait qu’il était incapable de demander des prestations d’invalidité du RPC depuis novembre 1997.

Critère d’incapacité

[4] Pour satisfaire au critère d’incapacité, le requérant doit établir qu’il est plus probable que le contraire qu’il n’ait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander la prestationNote de bas de page 4.

[5] Si je conclus que le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations d’invalidité du RPC pour une période antérieure à la présentation de la demande en mai 2017, je peux considérer que la demande a été faite au cours du mois du début de sa période d’incapacitéNote de bas de page 5.

[6] Comme le ministre a reçu la demande de prestations d’invalidité du RPC du requérant en mai 2017, la période d’incapacité pertinente s’étend de novembre 1997 à mai 2017.

Questions en litige

[7] Le requérant était-il incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité du RPC avant mai 2017?

[8] Dans l’affirmative, quand son incapacité a-t-elle commencé?

Analyse

La situation du requérant

[9] Le requérant a témoigné qu’il souffrait de troubles du sommeil et de fatigue depuis son jeune âge. La Dre J. Crosby, psychiatre, a déclaré que le requérant avait commencé à se faire soigner pour une dépression en 1980. Elle lui a offert des services de psychothérapie de 1998 à 2014. Sa dépression ne s’est toutefois pas améliorée. Tout au long du traitement, il a souffert de dépression, de troubles du sommeil, d’une baisse d’énergie, d’un manque de motivation et d’idées suicidaires intermittentesNote de bas de page 6.

[10] Le requérant a témoigné qu’il a enseigné dans une école primaire pendant 20 ans. Il a dû arrêter à cause d’une grande fatigue. Depuis qu’il est âgé de 50 ans, il éprouve de la difficulté à lire. Il souffre d’un cancer des reins, mais les symptômes ne sont pas traités depuis des années. Il a commencé sa dialyse à la fin de 2013Note de bas de page 7. Depuis, les deux reins ont été retirés et il subit actuellement de la chimiothérapie et une dialyse trois fois par semaine. Dans son rapport médical d’avril 2017, la Dre Elizabeth Layne, psychiatre, a indiqué qu’une greffe de rein serait envisagée dans l’avenirNote de bas de page 8.

[11] Le requérant a témoigné qu’en 1998 ou 1999, il a déménagé d’un appartement à Mississauga à la maison de son père à Etobicoke (la maison familiale). Peu après, son père a commencé à recevoir des soins de longue durée. Le requérant s’est retrouvé seul dans la maison. Son père est décédé en janvier 2005. Jusqu’à récemment, le requérant a été très isolé. Il a eu peu de contacts sociaux, outre les livreurs de pizza et un voisin qui a tondu sa pelouse à l’avant. Il a été incapable de gérer ses activités quotidiennes. Il était trop fatigué pour nettoyer la maison et a développé un problème d’accumulation compulsive. La maison familiale est devenue inhabitable. Il avait tellement honte que, dans les rares cas où des membres de sa famille déposaient des provisions, il leur demandait de les laisser à la porte. Il lui faudrait une demi-journée pour se rendre à la porte afin de ramasser les provisions.

[12] En mars 2017, le requérant a commencé à recevoir de l’aide de Wendy Luciano, une infirmière auxiliaire autorisée qui était gestionnaire de cas chez X. Cette organisation aide les personnes atteintes d’une maladie mentale grave et continue à régler leurs problèmes financiers et autres. En novembre 2017, Mme Luciano a écrit que lorsqu’elle aidait le requérant à nettoyer sa maison, elle a découvert la carcasse de son chat dans un classeur. Elle a également trouvé dans sa chambre à coucher des preuves d’un incendie qu’il ignorait. Heureusement, il s’était éteint tout seul. Mme Luciano consacrait 6 heures par semaine à l’aider à organiser ses finances et à nettoyer la maison familiale. Elle a déclaré qu’il éprouvait même de la difficulté à effectuer des appels téléphoniquesNote de bas de page 9.

[13] En août 2018, Mme Luciano a déclaré que le requérant était incapable d’accomplir des tâches en raison de l’anxiété chronique et de la dépression. Ces problèmes de santé mentale ont nui à sa mémoire, à sa motivation et à sa capacité d’organiser sa vie. Il n’a pas ouvert son courrier pendant des années, arrivait systématiquement en retard à ses rendez-vous, a négligé de faire remplir ses ordonnances à temps et a manqué de nombreux rendez-vous chez le médecin. Il mangeait des sandwichs au beurre d’arachides et de la pizza et buvait de la boisson gazeuse. Sa santé en a grandement souffert. L’état de la résidence familiale était tel qu’il a dû déménager. Lorsqu’elle a vu la maison, celle-ci n’avait ni eau courante ni chauffage et le sous-sol était plein de moisissure. Des tas de déchets empêchaient de se rendre jusqu’à la porte avant. À ce moment-là, en raison de l’état de sa maison, le requérant vivait dans un motel depuis deux ans,  c’est-à-dire jusqu’à ce que Mme Luciano prenne des dispositions pour qu’il emménage dans un immeuble en copropriétéNote de bas de page 10.

[14] Dans son rapport médical du RPC de mai 2017, la Dre Elizabeth Layne, psychiatre, a appuyé ce compte rendu. Elle a déclaré que le requérant affichait [traduction] « un niveau de fonctionnement considérablement diminué. Ses mécanismes d’adaptation sont devenus dépassés et il s’est simplement retiré de la vie.» Il avait besoin d’une supervision étroite, étape par étape, pour la gestion de ses finances, ses travaux ménagers et l’entretien de sa maisonNote de bas de page 11.

[15] D’autres éléments de preuve indiquent qu’au moins depuis novembre 2013, lorsque la Dre Layne a commencé à le traiter, le requérant n’a pas été en mesure de demander de l’aide pour gérer ses finances, nettoyer la maison ou réparer l’appareil de chauffage et les tuyaux. Il ne s’est pas présenté à l’hôpital comme on le lui avait recommandé pour sa maladie rénale très graveNote de bas de page 12. Toute amélioration de son état est attribuable à l’intervention d’autres personnes. Par exemple, c’est un travailleur social de la clinique de dialyse qui a obtenu l’aide de Mme LucianoNote de bas de page 13.

Cas dans lesquels les tribunaux ont conclu à une preuve de capacité

[16] Il faut donner au mot capacité son sens ordinaireNote de bas de page 14. Le sens est précis et ciblé. Cela ne signifie pas que je devrais tenir compte de la capacité de faire, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité. Je dois seulement tenir compte de la capacité, tout simplement, de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demandeNote de bas de page 15.

[17] Les tribunaux nous révèlent que l’intention de demander des prestations ne diffère pas de la capacité de former une intention quant aux autres choixNote de bas de page 16. De plus, les activités d’un requérant au cours d’une période d’incapacité alléguée peuvent être pertinentes à son statut de capacité 

[18] Dans un arrêt de principe, la Cour a conclu que des activités comme la liquidation et la consolidation d’actifs, la demande de prestations d’invalidité privées, la lutte pendant plusieurs années avec les compagnies d’assurance, l’embauche et la formation d’un conseiller juridique, la recherche de rapports médicaux sans aide et la création d’une entreprise constituaient des preuves de capacitéNote de bas de page 17.

[19] Dans un autre cas, la requérante a pu prendre soin de sa mère, demander deux types de prestations du gouvernement fédéral et travailler à temps partiel pendant huit mois comme démonstratrice de produits alimentaires dans un entrepôt durant la période pertinente. La Cour fédérale a conclu que le dossier d’appel ne contenait aucun élément de preuve pour étayer une conclusion d’incapacitéNote de bas de page 18.

Le requérant était incapable de former ou d’exprimer une intention de demander des prestations d’invalidité du RPC au moins en novembre 2013.

[20] En l’espèce, la preuve révèle qu’à partir du mois de novembre 2013 au moins, le requérant était incapable d’exercer des activités qui démontreraient sa capacité, comme celles qui sont énumérées dans la section précédente. Il a témoigné qu’il avait été incapable d’accomplir ce qui suit :

  1. retourner au travail;
  2. accomplir ses activités quotidiennes, y compris la cuisine et le nettoyage;
  3. s’occuper de sa santé;
  4. s’occuper de la maison familiale;
  5. payer ses impôts;
  6. obtenir ses médicaments en temps opportun;
  7. liquider la succession de son père;
  8. vendre la maison familiale;
  9. renouveler son permis de conduire pendant 10 ans.

[21] Le requérant a également témoigné qu’il n’avait jamais signé d’entente concernant des biens, comme un bail. De plus, il n’existe aucune preuve qu’il a demandé des prestations avant mai 2017. En outre, il n’a pas lancé d’entreprise, ne s’est pas occupé d’un parent vieillissant, ni n’a repris un emploi.

[22] En avril 2017, la Dre Layne a rempli une déclaration d’incapacité. Elle traite le requérant depuis novembre 2013. Elle a déclaré que les problèmes médicaux à l’origine de son incapacité étaient la dépression réfractaire au traitement, la fibromyalgie et le cancer du rein, qui n’ont pas été traités depuis des années. Fait important, son incapacité était continueNote de bas de page 19. Le ministre a fait valoir que, puisque la Dre Layne n’a commencé à traiter le requérant qu’en novembre 2013, le document ne peut être utilisé pour étayer une conclusion d’incapacité avant cette date. Toutefois, je conclus qu’elle appuie une conclusion d’incapacité en date de novembre 2013.

[23] Le ministre a soutenu qu’il n’existe aucune indication que le requérant avait un mandataire spécial entre 1997 et 2016. Étant donné son isolement social et son incapacité à demander de l’aide, cela n’a rien de surprenant. Mme Luciano a déclaré que si elle avait eu affaire au requérant avant le début de sa dialyse, elle aurait [traduction] « fait en sorte qu’il reçoive une formation [engagement involontairement à recevoir des soins psychiatriques] en vertu de la Loi sur la santé mentale en raison de son incapacité à prendre soin de lui-même »Note de bas de page 20. Dans les circonstances, l’absence de mandataire spécial ne constitue pas une preuve de capacité.

[24] Le ministre a fait valoir que le requérant a signé la demande de prestations d’invalidité du RPC. Toutefois, Mme Luciano a déclaré qu’elle avait insisté pour qu’il demande une pension d’invalidité du RPC. Elle a obtenu une copie du formulaire de demande et l’a aidé à le remplirNote de bas de page 21. Bien qu’il ait été capable de signer le formulaire, le compte rendu de Mme Luciano ne permet pas de conclure qu’il l’a fait après avoir formé ou exprimé une intention de présenter une demande. De plus, je conclus que la capacité du requérant de signer la demande ne prouve pas sa capacité. Bien que le critère relatif à l’incapacité soit rigoureux, il n’exige pas qu’un requérant n’ait aucune capacité cognitive.

[25] Le ministre a fait référence à la déclaration de Mme Luciano selon laquelle, en mars 2017, le requérant n’était pas au courant des prestations d’invalidité du RPC. L’ignorance de l’admissibilité possible à des prestations d’invalidité du RPC ne suffit pas pour établir l’incapacité de former l’intention de présenter une demandeNote de bas de page 22. Le requérant a toutefois témoigné qu’au fil des ans, différentes personnes lui avaient mentionné cette possibilité, mais qu’il était incapable de s’occuper de la paperasse. Bien que la disponibilité de ces prestations ait été périodiquement portée à son attention, rien n’indique qu’il a formé ou exprimé l’intention de les demander après novembre 2013.

[26] Depuis le mois de novembre 2013 au moins, le requérant vivait en isolement social et était incapable d’exercer ses activités quotidiennes, de recevoir des soins médicaux ou de gérer ses affaires financières. Compte tenu de la preuve médicale et des rapports sur ses activités, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable qu’il n’avait pas la capacité, au sens du RPC, de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité du RPC d’ici novembre 2013.

Conclusion

[27] Le ministre a admis que le requérant était invalide à compter de 1998. Cependant, pour les fins du calcul de la date de versement de la pension, une personne ne peut être réputée devenue invalide à une date antérieure de plus de 15 mois à la date à laquelle le ministre a reçu la demande de pensionNote de bas de page 23. La demande du requérant est réputée reçue en novembre 2013, et la période de rétroactivité maximale est de 15 mois avant la date de la demande, soit en août 2012. Les versements commencent quatre mois plus tard, soit en décembre 2012Note de bas de page 24.

[28] L’appel est accueilli en partie.

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