Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – La division générale (DG) a d’abord rejeté sommairement l’appel de la requérante en mars 2019 lorsqu’elle a déterminé que l’appel avait déjà été tranché par la division d’appel (DA) en 2014. Celui-ci ne pouvait donc pas être entendu de nouveau selon le principe de la chose jugée (res judicata). Cependant, un appel de la requérante concernant cette décision de la DG a été accueilli devant la DA. La DA a déterminé que la DG avait commis une erreur en ne tenant pas compte de circonstances spéciales qui auraient pu causer une injustice si le principe de la chose jugée était appliqué. Pour cette raison, la DA a renvoyé l’affaire à la DG pour réexamen. Cette fois, la DG a examiné les conditions d’application du principe : la question en litige et les parties doivent être les mêmes et la décision donnant lieu au principe de la chose jugée doit être finale. Même lorsque toutes ces conditions sont satisfaites, il existe une certaine marge discrétionnaire. Les facteurs ne se veulent pas une liste de vérification d’une analyse mécanique. Les décideurs de la DG doivent aborder les facteurs en gardant l’équité à l’esprit lorsqu’ils exercent leur discrétion. Toutefois, la DG a déterminé que l’application du principe de la chose jugée dans les circonstances ne causerait pas d’injustice. Il est donc impossible de soulever à nouveau la question à savoir si la requérante était atteinte d’une invalidité durant la période pertinente étant donné que le principe de la chose jugée s’applique à la décision de 2014 de la DA. L’appel a été rejeté.

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Décision

[1] Je ne peux pas examiner la question à savoir si la requérante est atteinte d’une invalidité, car une membre du Tribunal a déjà déterminé qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences pour être admissible aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] La requérante est une femme âgée de 51 ans qui a présenté une demande de prestations d’invalidité au mois d’octobre 2017. Dans sa demande, elle a affirmé être incapable de travailler parce qu’elle est atteinte d’un trouble de stress post-traumatique, d’anxiété sociale, d’un trouble obsessif compulsif, d’un trouble de la thyroïde, de polymyalgie chronique accompagnée de lassitude du cerveau et de douleurs chroniques. Le ministre a rejeté cette demande initialement et après révision. Dans ses lettres de décision, le ministre a expliqué qu’il refusait la demande de la requérante parce que le Tribunal de la sécurité sociale (TSS) avait déjà déterminé que la requérante n’était pas atteinte d’une invalidité au moment où elle satisfaisait aux exigences du RPC en matière de cotisations.

[3] La requérante a interjeté appel de la décision découlant de la révision devant le TSS. En mars 2019, un membre du TSS a rejeté sommairement l’appel de la requérante. Ce membre a déterminé que l’appel de la requérante n’avait pas de chance raisonnable de succès, car la division d’appel (DA) du TSS avait déjà décidé en avril 2014 que la requérante n’était pas atteinte d’une invalidité au moment où elle satisfaisait aux exigences en matière de cotisations. Autrement dit, le membre a déterminé que le principe de la chose jugée s’appliquait à la décision de 2014 de la DA.

[4] La requérante a interjeté appel de la décision de rejet sommaire du membre de la DA. La DA a accueilli l’appel, car la division générale n’avait pas déterminé s’il existait des circonstances particulières qui causeraient une injustice si le principe de la chose jugée était appliqué. La DA a renvoyé l’affaire à la division générale aux fins de réexamen et ce faisant, a demandé à la division générale de donner à la requérante l’occasion de fournir des éléments de preuve et de présenter des arguments par rapport aux deux volets du critère pour l’application du principe de la chose jugée.

Questions préliminaires

[5] Au début de l’audience, la requérante m’a dit qu’elle avait espéré avoir deux personnes avec elle durant l’audience. L’une d’entre elles était sa fille (K. G.) et l’autre était son amie (S. B.). La requérante a affirmé que sa fille participerait à titre de témoin et que son amie lui fournirait un soutien moral et qu’elle l’aiderait si jamais elle ne comprenait pas quelque chose. Toutefois, la requérante a expliqué que même si sa fille était avec elle, S. B. ne l’était pas. Elle croyait que S. B. était en chemin, mais elle a aussi expliqué qu’elle était en plein déménagement. J’ai demandé à la requérante si elle se sentait à l’aise que je commence l’audience malgré le fait que son amie n’était pas avec elle, et elle a répondu qu’elle l’était. Sa fille a ajouté qu’elle pouvait aider la requérante au besoin. Je suis donc allée de l’avant avec l’audience et ce faisant, je me suis assurée que la fille de la requérante n’était pas exclue (malgré le fait qu’elle avait l’intention d’être témoin) afin qu’elle soit disponible pour aider la requérante le cas échéant. Après avoir entamé l’audience et avoir expliqué les questions en litige, y compris une explication détaillée de la signification du principe de la chose jugée, j’ai demandé à la requérante si elle avait de la difficulté à comprendre les questions en litige. La requérante a répondu qu’elle avait bien compris mes explications.

La requérante a de nombreux antécédents d’appels

[6] La requérante a présenté quatre demandes de prestations d’invalidité du RPC. Elle a d’abord fait une demande en octobre 2010Footnote 1. Le ministre a rejeté cette demande tant au stade initial qu’à l’étape de la révision. La requérante a interjeté appel de la décision découlant de la révision du ministre devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR)Footnote 2. Un tribunal de révision a instruit l’appel de la requérante le 12 mai 2012. Dans la décision du tribunal de révision, la question en litige consistait à déterminer si la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 1990 ou avant, ou en 2009, mais pas plus tard que le 30 avril 2009. Après l’audience, le tribunal de révision a déterminé que l’invalidité de la requérante n’était pas grave en date du 30 avril 2009Footnote 3. La décision précise que la requérante a reconnu durant l’audience qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité en décembre 1990Footnote 4. La requérante a interjeté appel de la décision du tribunal de révision devant la Commission d’appel des pensions (CAP). Celle-ci lui a accordé la permission d’interjeter appel, mais c’est la DA du TSS, et non la CAP, qui a instruit l’appel de la requérante. Cela est dû au fait que la DA du TSS a remplacé la CAP en 2013. La DA a instruit l’appel de novoFootnote 5 de la requérante le 29 avril 2014, et après cette audience, elle a déterminé que l’invalidité de la requérante n’était pas grave en date du 30 avril 2009Footnote 6.

[7] La requérante a fait une autre demande de prestations d’invalidité en avril 2015Footnote 7 (deuxième demande) et en janvier 2016Footnote 8 (troisième demande). Le ministre a rejeté d’emblée les deux demandes, et la requérante n’a pas demandé au ministre de réviser ces décisions.

[8] La requérante a fait sa quatrième demande en octobre 2017Footnote 9, et c’est cette demande qui est devant moi.

Importance des antécédents d’appel de la requérante

[9] Les antécédents d’appel de la requérante sont importants en raison d’un principe juridique appelé « principe de la chose jugée ». De manière générale, le principe de la chose jugée signifie qu’une fois qu’un litige est tranché définitivement, il ne peut être instruit de nouveau. Cette doctrine s’inspire en partie de préoccupations d’ordre public et vise à promouvoir les intérêts de la justice en veillant à ce qu’une question qui a déjà été tranchée ne soit pas tranchée de nouveau. Dans l’arrêt Danyluk, la Cour suprême du Canada a expliqué les préoccupations d’ordre public de la façon suivanteFootnote 10 :

Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances. Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire. Autrement dit, un plaideur n’a droit qu’à une seule tentative. Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités.

Questions en litige

[10] Puisque la DA avait déjà évalué l’admissibilité de la requérante aux prestations d’invalidité du RPC en 2014, je dois déterminer si le principe de la chose jugée s’applique à cette décision.

[11] Si le principe de la chose jugée s’applique, je dois rejeter l’appel sans déterminer si la requérante est atteinte d’une invalidité.

[12] Si le principe de la chose jugée ne s’applique pas, je dois déterminer si l’invalidité de la requérante était grave et prolongée le 31 décembre 1990, ou si elle est devenue grave et prolongée entre le 1er janvier 2009 et le 30 avril 2009.

Analyse

Quand appliquer le principe de la chose jugée

[13] Le principe de la chose jugée s’applique aux tribunaux administratifs, comme le TSSFootnote 11. Pour que le principe s’applique, trois conditions préalables doivent être satisfaites :

  1. la question en litige doit être la même dans les deux instances;
  2. la décision invoquée comme créant la chose jugée doit être finale;
  3. les parties doivent être les mêmes dans les deux instances.

En l’espèce, les trois conditions préalables sont satisfaites

[14] Le ministre soutient que les trois conditions préalables pour l’application du principe de la chose jugée ont été satisfaites. La requérante ne conteste pas l’affirmation du ministre et en fait, elle a dit qu’elle reconnaissait que les trois conditions préalables étaient satisfaites. Je suis d’accord avec les parties.

a) La question en litige est la même dans les deux instances.

[15] La question en litige est la même dans les deux instances. La question en litige dont était saisie la DA en avril 2014 était celle de savoir si l’invalidité de la requérante était grave et prolongée en date du 31 décembre 1990, ou si elle était devenue grave et prolongée entre le 1er janvier 2009 et le 30 avril 2009. La même question en litige a été soulevée dans le cadre du présent appel.

[16] J’ai constaté que la DA avait défini la question en litige de façon plus générale que la façon dont je l’ai énoncéeFootnote 12. Par exemple, la DA a affirmé que la seule question en litige était celle de savoir si la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 30 avril 2009 ou avantFootnote 13. La DA n’a pas précisément mentionné la période minimale d’admissibilité (PMA) du 31 décembre 1990, et elle n’a pas non plus expliqué que la PMA calculée au prorata du 30 avril 2009 pouvait seulement être utilisée si la requérante était devenue invalide en 2009 (mais avant la fin d’avril).

[17] Malgré la façon dont la DA a défini la question, je suis néanmoins convaincue que la question était la même dans les deux instances.

[18] Il est évident que la DA était consciente du fait que la date de fin de la PMA de la requérante n’était pas seulement le 30 avril 2009. Je dis cela parce que lorsque la DA a résumé les motifs d’appel de la requérante, elle a expliqué que celle-ci se fondait sur une évaluation qui avait permis de déterminer qu’elle avait des problèmes de santé mentale datant d’avant [traduction] « les deux PMAFootnote 14 ».

[19] En ce qui concerne le calcul au prorata et le fait que la DA n’a pas expliqué ce que cela signifie, je ne crois pas que l’on puisse se fonder sur cela pour déterminer que la question en litige n’était pas la même dans les deux instances. Premièrement, la DA avait les observations du ministre de décembre 2012, et celles-ci expliquaient clairement que la requérante pouvait seulement calculer ses revenus de 2009 au prorata si elle était devenue invalide entre le 1er janvier 2009 et le 30 avril 2009Footnote 15. Si la DA n’était pas d’accord avec la façon dont le ministre a expliqué le calcul au prorata, elle en aurait normalement fait mention dans sa décision. Toutefois, elle ne l’a pas fait. Le fait qu’elle n’a pas mentionné ce point me porte à croire que la DA était probablement d’accord avec les observations du ministre à cet effet. Deuxièmement, même si la DA s’est penchée sur la question à savoir si la requérante avait été atteinte d’une invalidité à quelque moment que ce soit avant le 30 avril 2009, je demeure tout de même sans nouvelle question à trancher. Si la requérante n’est pas devenue invalide à quelque moment que ce soit avant le 30 avril 2009, il s’ensuit qu’elle n’est pas devenue invalide entre le 1er janvier 2009 et le 30 avril 2009.

[20] La PMA de la requérante n’a pas changé après son audience devant la DA en 2014. Cela est malgré le fait qu’en 2016, la requérante a demandé et obtenu un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (PGNAP ou partage des créditsFootnote 16).

[21] Grâce au partage des crédits, la requérante a plus d’années de crédits de pension qu’elle en avait au moment de son audience de 2014 devant la DA. Si la requérante peut utiliser ses années de crédits de pension supplémentaires, la date de fin de sa nouvelle PMAFootnote 17 serait le 31 décembre 2013.

[22] Le ministre soutient que la requérante, puisqu’elle a fait une demande tardiveFootnote 18, ne peut pas utiliser les années supplémentaires de crédits de pension pour prolonger sa PMA. L’argument du ministre n’est pas bien expliqué dans le dossier, mais la représentante du ministre a confirmé à l’audience que sa position s’appuyait sur les conclusions de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire WoodcockFootnote 19.

[23] Dans l’arrêt Woodcock, la cour a déclaré qu’une personne qui présente une demande tardive peut seulement utiliser les crédits de pension obtenus grâce à un partage des crédits pour prolonger ou établir sa PMA afin d’obtenir des prestations d’invalidité dans les circonstances suivantes :

  • la disposition relative aux demandes tardives s’applique;
  • les faits de l’affaire font qu’il est raisonnable de présumer que la demande de prestations d’invalidité et la demande de partage de crédits auraient été présentées environ au même moment;
  • s’il est raisonnable de conclure que le partage des crédits aurait été accepté s’il avait été demandé à ce moment.

[24] Le ministre soutient que, même si la requérante a présenté une demande tardive, elle est incapable de satisfaire aux trois conditions prévues dans l’affaire Woodcock. Plus précisément, il ne serait pas raisonnable de présumer que la requérante aurait fait une demande de prestations d’invalidité et de partage des crédits en décembre 2013 (la date de fin de sa PMA avec les crédits de pension) parce que la requérante était encore avec son époux. Elle et son époux se sont seulement séparés un an plus tard, en décembre 2014. Il ne serait pas non plus raisonnable de conclure que la demande de partage des crédits aurait été acceptée si elle avait été présentée en 2013 parce qu’une fois de plus, la requérante et son époux n’étaient pas encore séparésFootnote 20.

[25] J’ai demandé à la requérante s’il y avait quelque chose qu’elle voulait dire en réponse à l’argument du ministre selon lequel les crédits de pension ne lui seraient pas utiles dans le cadre du présent appel, et la requérante a affirmé qu’elle n’avait rien à dire sur ce point.

[26] J’estime que l’argument du ministre est conforme à la décision dans l’affaire Woodcock. Je suis consciente qu’il existe une autre décision de la Cour d’appel fédérale sur cette question (la décision dans l’affaire AshFootnote 21). Dans cette décision, la cour semble être arrivée à une conclusion différente que dans l’affaire Woodcock. Toutefois, j’ai choisi de suivre la décision de l’affaire Woodcock plutôt que celle de l’affaire Ash. J’ai pris cette décision parce que je ne comprends pas comment la cour est arrivée à sa décision dans l’affaire Ash. D’un côté, dans l’affaire Ash, la cour a dit que Woodcock avait tranché la question concernant l’interprétation de la disposition sur les demandes tardives et malgré cela, la cour a tiré une conclusion qui semble ne pas être conforme à ce qui est prévu dans l’affaire Woodcock.

b) La décision de la DA est finale.

[27] La décision de 2014 de la DA est finale. L’irrévocabilité de cette décision est confirmée par la loi qui a établi le TSSFootnote 22 et par le fait que la requérante n’a pas fait de demande pour que la décision de 2014 de la DA fasse l’objet d’un contrôle judiciaire.

c) Les parties sont les mêmes dans les deux instances.

[28] Les parties sont les mêmes dans les deux instances. Les parties de l’instance de 2014 devant la DA étaient la requérante et le ministre. Il s’agit des mêmes deux parties que dans l’instance actuelle.

L’application du principe de la chose jugée exige une certaine discrétion

[29] Même si les trois conditions préalables du principe de la chose jugée sont satisfaites, je peux tout de même décider de ne pas appliquer ce principe. Cela est dû au fait que le principe de la chose jugée comporte un élément de discrétion. Même si je possède un pouvoir discrétionnaire, je ne peux pas l’exercer de façon aléatoire. En d’autres mots, je ne peux pas décider pour une raison quelconque que le principe de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer. Mon objectif est de m’assurer que l’application de la chose jugée favorise l’administration ordonnée de la justice, mais pas au prix d’une injustice concrèteFootnote 23.

[30] La Cour suprême du Canada a établi une liste de facteurs à prendre en considération au moment d’exercer un pouvoir discrétionnaire. Ces facteurs comprennent les suivants : a) le libellé du texte de loi (d’où vient le pouvoir de rendre la décision); b) l’objet du texte de loi; c) l’existence d’un droit d’appel; d) les garanties offertes aux parties dans le cadre de l’instance administrative; e) l’expertise du décideur administratif; f) les circonstances ayant donné naissance à l’instance administrative initiale; g) le risque d’injusticeFootnote 24.

[31] Il y a trois commentaires importants à faire au sujet de ces facteurs.

[32] Premièrement, cette liste de facteurs est ouverte. Cela signifie qu’il est possible que certains facteurs ne soient pas pertinents dans chaque cas. Cela signifie également qu’il est possible qu’il ne s’agisse pas des seuls facteurs à prendre en considération. En effet, la cour a reconnu qu’il est possible qu’il y ait d’autres facteurs à prendre en considération, comme lorsque des dispositions législatives sont modifiées après la première instance, ou que de nouveaux documents pertinents deviennent disponibles après qu’une décision a été rendueFootnote 25.

[33] Deuxièmement, ces facteurs ne constituent pas une liste de contrôle ni un appel à une analyse mécaniqueFootnote 26. Toutefois, les décideurs doivent aussi aborder les facteurs favorables et défavorables à l’exercice du pouvoir discrétionnaireFootnote 27.

[34] Troisièmement, de tous les facteurs à prendre en considération, celui qui est considéré comme étant le plus important est le facteur du risque d’injusticeFootnote 28. Ce facteur exige que je prenne un recul et que je me demande si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’application du principe de la chose jugée dans ce cas en particulier entraînerait une injusticeFootnote 29.

[35] Afin d’arriver à comprendre les types de circonstances qui pourraient entraîner une injustice, j’ai examiné des cas tranchés par d’autres décideurs. Certaines des circonstances dans lesquelles d’autres décideurs ont utilisé leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer que le principe de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer comprennent des situations où :

  • La décision précédente découle d’un processus où la partie requérante n’avait pas reçu un avis des allégations de l’autre partie ou obtenu la chance de répondre à celles-ciFootnote 30.
  • La décision précédente était [traduction] « inintelligible » (il était impossible de la comprendre), et la partie requérante n’a pas fait valoir ses droits d’appel de cette décision parce qu’elle a décidé de donner suite à la recommandation du décideur et de suivre un traitement pour la dépressionFootnote 31.
  • La décision précédente a été rendue sans compétence. (La requérante avait retiré son appel avant son audience devant le Tribunal, mais celui-ci a tout de même tenu une audience en l’absence de la requérante et a rejeté l’appel.)Footnote 32
  • La requérante a invoqué la procédure à un moment de vulnérabilité personnelle (elle était en congé de maternité), se représentait elle-même dans le contexte d’une cause avec un historique procédural complexe, et se trouvait dans la situation inusitée d’avoir deux instances de réglementation qui refusaient d’assumer la compétence de sa demandeFootnote 33.
  • Il y avait une différence importante entre l’objectif, le processus et les enjeux des deux instancesFootnote 34.

Il ne s’agit pas d’une cause où je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire pour ne pas appliquer le principe de la chose jugée

[36] En gardant à l’esprit que les facteurs mentionnés dans Danyluk ne se veulent pas une liste de contrôle ou un appel à une analyse mécanique, et sachant que la DA n’a pas (dans d’autres appels impliquant le principe de la chose jugée) exigé qu’une approche comprenant une liste de contrôle pour les facteurs dans DanylukFootnote 35, il ne serait pas utile que j’analyse chacun des facteurs mentionnés dans Danyluk. Je vais plutôt me concentrer sur les facteurs qui se rapportent à ce que la requérante m’a dit et à ce qui ressort du dossier.

[37] La requérante n’avait pas beaucoup de choses à dire concernant la raison pour laquelle le principe de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer à la décision de 2014 de la DA. Toutefois, lorsque je lui ai demandé s’il s’était produit quelque chose qui semblait inhabituel ou injuste à son audience devant la DA, elle a affirmé que la DA s’était principalement concentrée sur son problème d’obésité et que cela l’avait [traduction] « mortifiée » parce que le terme avait été utilisé tellement de fois. Elle se souvenait d’avoir pleuré jusqu’à la maison après l’audience.

[38] Je comprends que l’obésité peut être un sujet sensible. Je comprends aussi qu’il doit être très difficile pour une partie requérante de parler ouvertement dans un contexte judiciaire de quelque chose d’aussi personnel que ses problèmes de santé. Toutefois, je ne peux pas me fonder sur cela pour conclure que l’instance était inéquitable. Cela ne me permet pas non plus de déterminer que l’application du principe de la chose jugée entraînerait une injustice.

[39] Premièrement, j’ai demandé à la requérante si on lui avait donné l’occasion de parler à l’audience et de fournir des éléments de preuve. Elle a répondu qu’elle en avait eu l’occasion. Elle n’a pas dit que les références de la membre de la DA à son problème d’obésité avaient fait en sorte qu’elle s’était refermée sur elle-même ou que cela l’avait autrement empêchée de fournir des éléments de preuve ou de plaider sa cause.

[40] Deuxièmement, la décision de la DA montre que la requérante a participé à l’audience. La requérante a participé à l’audience devant la DA en personne. Elle a fait une déclaration préliminaire, fourni un témoignage oral et amené une personne (son époux à l’époque) pour témoigner en son nom.

[41] Troisièmement, si la requérante se sentait désavantagée d’une façon quelconque par quelque chose qui s’est produit à l’audience devant la DA en 2014, ou si elle n’était pas d’accord avec la décision de la DA, elle aurait pu faire une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédéraleFootnote 36. J’ai demandé à la requérante si c’est ce qu’elle avait fait, mais elle a répondu par la négative. Lorsque je lui ai demandé d’expliquer pourquoi elle ne l’avait pas fait, elle a dit qu’elle ne s’en souvenait pas. Le fait que la requérante a décidé de ne pas demander un contrôle judiciaire et qu’elle n’a pas fourni d’explication convaincante pour cette décision est défavorable à la prise de la décision discrétionnaire de ne pas appliquer le principe de la chose jugée.

[42] J’ai demandé à la requérante s’il y avait autre chose au sujet de l’audience ou des circonstances spéciales qu’elle voulait porter à mon attention, mais elle a dit qu’elle n’avait rien d’autre à ajouter.

[43] J’ai examiné le dossier dans son ensemble, et il n’y a rien qui me porte à croire que je devrais déterminer que le principe de la chose jugée ne s’applique pas. Il n’y a rien, par exemple, qui semble indiquer qu’il y aurait eu des lacunes dans la procédure qui a mené à la décision de la DA. Je ne crains pas non plus que la décision de la DA soit fondée sur des considérations avec lesquelles la membre n’était pas familière ou qui dépassaient son domaine d’expertise. La décision de la DA concernait la loi constitutive de la membre (c’est-à-dire la loi dont la membre est considérée comme ayant une connaissance approfondie).

[44] Ce que la requérante me demande réellement de faire est d’instruire de nouveau sa cause, car elle n’est pas d’accord avec la décision de la DA. Elle veut une autre chance de prouver le bien-fondé de sa cause. Bien que je sois sensible à la position de la requérante, je ne peux pas faire ce qu’elle me demande.

[45] Le RPC n’est pas un régime d’aide sociale. Il s’agit d’un programme destiné à fournir une assurance sociale aux membres de la population canadienne admissibles qui sont privés de gains en raison, notamment, d’une invaliditéFootnote 37. La DA a soutenu en 2014 que la requérante n’était pas admissible à une pension d’invalidité.

[46] Compte tenu des circonstances du présent appel, tirer une conclusion selon laquelle le principe de la chose jugée s’applique à la décision de 2014 de la DA n’entraînerait aucune injustice.

[47] Puisque le principe de la chose jugée s’applique à la décision de 2014 de la DA, je ne peux pas évaluer si la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au moment où elle satisfaisait aux exigences en matière de cotisations.

Conclusion

[48] L’appel est rejeté.

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