Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] J’ai décidé de rejeter l’appel.

Aperçu

[2] La requérante, R. J., a occupé de nombreux emplois au fil des ans et a travaillé pour la dernière fois comme transcriptrice médicale à domicile en février 2017. Elle prétend avoir perdu son contrat de trois mois parce que le tremblement de ses mains et ses pertes de mémoire l’empêchaient d’exercer ses fonctions. Elle est maintenant âgée de 35 ans.

[3] En juin 2017, la requérante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), prétendant qu’elle ne pouvait plus travailler à cause des symptômes reliés à divers problèmes de santé, dont la maladie de Crohn, la polyarthrite rhumatoïde et l’hypothyroïdie. L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande après avoir déterminé que la requérante n’était pas atteinte d’une invalidité « grave et prolongée » au sens du RPC.

[4] La requérante a interjeté appel du rejet du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence, et dans une décision datée du 21 juillet 2019, elle a rejeté l’appel, après avoir conclu que la requérante n’avait pas démontré qu’elle était devenue régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice pendant sa période minimale d’admissibilité, qui a pris fin le 31 décembre 2012, ou au cours de sa période calculée au prorata, qui s’étendait du 1er janvier 2013 au 31 août 2013. La division générale a fondé sa décision, en partie, sur ce qu’elle a conclu être la réticence de la requérante de suivre le traitement recommandé. Elle a également conclu que les antécédents de la requérante, plus précisément son expérience de travail variée, la mettaient dans une bonne position pour un emploi futur.

[5] La requérante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel, prétendant que la division générale avait commis des erreurs. En novembre dernier, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’estimais que la requérante avait soulevé une cause défendable.

[6] J’ai maintenant tenu compte des observations des parties et j’ai examiné le dossier en profondeur. Dans l’ensemble, je suis d’accord avec la requérante que la division générale a commis une erreur importante en rendant sa décision. J’ai déterminé que la réparation appropriée en l’espèce est d’évaluer moi-même la capacité de travail de la requérante et de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Par conséquent, j’infirme la décision de la division générale, mais je la substitue à ma propre conclusion selon laquelle la requérante n’était pas atteinte d’une invalidité à l’échéance de la PMA ou au cours de la période calculée au prorata.

Questions en litige

[7] Il existe seulement trois moyens d’appel auprès de la division d’appel : toute partie requérante doit démontrer que la division générale a agi de manière inéquitable, n’a pas bien interprété le droit, ou a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[8] La requérante a soutenu que la division générale avait commis deux erreurs lorsqu’elle a conclu qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité :

  1. La requérante prétend que la division générale a considéré son parcours professionnel varié comme un atout sur le marché du travail, ignorant le fait que chacun de ses emplois de courte durée a pris fin en raison de ses détériorations. Ainsi, la division générale a-t-elle mal interprété les antécédents professionnels de la requérante?
  2. La requérante prétend que la division générale a tiré une conclusion négative concernant sa réticence à prendre du Remicade sans tenir compte de ses motifs – elle avait entre autres déjà eu des réactions graves aux stéroïdes. La division générale a-t-elle conclu que la requérante ne souhaitait pas suivre le traitement sans avoir tenu compte de sa situation?

Après avoir tenu compte de ces arguments, je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion erronée concernant les antécédents professionnels de la requérante et leur incidence sur son employabilité. Comme la décision de la division générale porte uniquement sur ce motif, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’aborder pleinement toutes les autres questions en l’espèce.

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle mal interprété les antécédents professionnels de la requérante?

[9] L’un des éléments les plus saisissants concernant les antécédents de la requérante est son parcours professionnel en dents de scie. En effet, elle a quitté de nombreux emplois qu’elle a occupés pendant de brèves périodes. Le représentant de la requérante soutient que la division générale n’a pas considéré les répercussions évidentes de ce parcours et a conclu à la capacité plutôt qu’à l’incapacité, ce qui, selon lui, a entraîné une [traduction] « inversion totale » de la preuve dont elle disposait.

[10] Maintenant que j’ai examiné le dossier en profondeur, je suis d’accord avec la requérante que la division générale n’a pas tenu compte de ses antécédents professionnels dans leur ensemble.

[11] Dans sa décision, la division générale a passé beaucoup de temps à détailler les antécédents professionnels de la requéranteNote de bas de page 2 :

  • Ses premiers emplois étaient dans un établissement de restauration rapide, une garderie, une bijouterie et différents centres d’appels. Elle a perdu tous ces emplois parce qu’elle avait manqué trop d’heures de travail en raison de sa maladie de Crohn.
  • En 2009, elle a essayé de travailler dans un hôtel, mais elle n’a tenu que quelques mois, compte tenu de ses nombreux congés de maladie.
  • En 2011, elle a travaillé dans un autre centre d’appels jusqu’à ce qu’elle ait un épisode lié à la maladie de Crohn et qu’elle contracte une pneumonie. Comme elle avait manqué trop d’heures de travail, elle a été licenciée avant la fin de sa période de probation de trois mois.
  • Elle a ensuite trouvé un emploi en tant que réceptionniste et commis au classement au sein du service des archives médicales d’un hôpital. Elle a suivi moins d’une semaine de formation avant d’avoir un autre épisode lié à la maladie de Crohn. Elle s’est alors sentie extrêmement épuisée et elle a attrapé la grippe. Elle n’est pas retournée travailler.
  • En janvier 2012, elle sentait qu’elle ne pouvait plus travailler ailleurs que chez elle. Elle a essayé de travailler à domicile pour quelques centres d’appels, chacun de ses emplois ne durant qu’une ou deux semaines à cause de ses problèmes de santé.
  • Elle a ensuite accepté un contrat de trois mois pour travailler à domicile en tant que représentante du service à la clientèle d’un détaillant en ligne. Une fois de plus, elle avait du mal à se concentrer et avait manqué des heures de travail à cause de sa maladie de Crohn. Son contrat n’a pas été renouvelé.
  • Elle a alors suivi une formation pour devenir transcriptrice médicale. Elle a travaillé dans ce domaine pendant seulement quelques mois.

Je ne dis pas que la division générale a ignoré les détails des divers emplois que la requérante a occupés au fil des ans, mais j’estime qu’elle n’a pas tenu compte de ses antécédents professionnels dans leur ensemble.

[12] Lorsqu’elle a tenu compte de l’employabilité de la requérante, la division générale a fait référence au parcours professionnel plutôt irrégulier de la requérante de manière positive, énumérant ses emplois parmi un certain nombre d’autres attributs incontestablement positifs. La division générale a écrit ce qui suit : [traduction] « La requérante est très jeune et bien instruite. Elle parle couramment l’anglais. Elle a occupé divers emplois, dont des postes qui exigeaient l’utilisation d’un ordinateur [mis en évidence]Note de bas de page 3. » Selon ce passage, il ne fait aucun doute que la division générale ait considéré le parcours professionnel varié de la requérante comme un atout, soit quelque chose qui l’aiderait à se recycler, à trouver un autre emploi ou à s’adapter à de nouvelles situations. Toutefois, la division générale n’a pas essayé d’aborder l’un des principaux arguments de la requérante : tous ses emplois ont pris fin prématurément en raison de problèmes de rendement liés à son état de santé.

[13] Je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision sur la conclusion erronée selon laquelle la série d’emplois de courte durée de la requérante portait à croire à une capacité plutôt qu’à une invalidité.

Réparation

Trois moyens possibles de réparer l’erreur de la division générale

[14] La division d’appel a le pouvoir de corriger les erreurs que la division générale a pu commettreNote de bas de page 4. En vertu de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, je peux :

  • confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale;
  • renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen;
  • rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

J’ai également le pouvoir de trancher toute question de fait ou de droit nécessaire à l’exécution des réparations mentionnées ci-dessus.

[15] Le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent. De plus, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’un décideur devrait tenir compte du retard dans la conclusion d’une demande de pension d’invalidité. Cela fait maintenant quatre ans que la requérante a présenté une demande de pension d’invalidité. Si cette affaire était renvoyée à la division générale, cela ne ferait que retarder le règlement définitif.

[16] Dans leurs observations respectives, la requérante et le ministre ont convenu que si je relevais une erreur dans la décision de la décision générale, la réparation appropriée serait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre et que j’évalue moi-même l’invalidité de la requérante. Bien entendu, les parties avaient des opinions divergentes quant à l’issue de l’affaire. La requérante a soutenu que si la division générale avait bien apprécié la preuve, elle aurait conclu que la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à l’échéance de la PMA ou au cours de la période calculée au prorata. Le ministre a soutenu que, quelles que soient les erreurs de la division générale, la requérante n’a pas réussi à démontrer qu’elle était régulièrement incapable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur aux périodes visées.

Le dossier est suffisamment complet pour trancher cette affaire sur le fond

[17] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est suffisamment complet pour me permettre de rendre une décision éclairée concernant cette demande. La requérante a eu l’occasion de rassembler et de présenter des éléments de preuve sur ses détériorations. Elle a déposé des observations écrites selon lesquelles elle est incapable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur depuis au moins 2012 ou plus tôt.

[18] Malheureusement, il n’existe aucun enregistrement de l’audience devant la division générale à cause d’un problème technique. Bien que j’aurais aimé entendre le témoignage de la requérante, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de le faire pour évaluer sa demande de pension d’invalidité. Premièrement, il y a suffisamment de renseignements médicaux au dossier, y compris les notes de bureau d’au moins deux médecins traitants de la requérante. Deuxièmement, le représentant de la requérante a présenté un exposé détaillé des détériorations de sa cliente et de leur effet sur sa capacité à fonctionner.

[19] Par conséquent, je suis en mesure d’apprécier la preuve qui figurait dans le dossier dont disposait la division générale et de rendre la décision que cette dernière aurait dû rendre si elle n’avait pas commis d’erreur. À mon avis, même si la division générale n’avait pas mal interprété les antécédents professionnels de la requérante, l’issue aurait été la même. Ma propre évaluation du dossier m’amène à conclure que la requérante n’est pas devenue invalide avant le 31 décembre 2012, ou même entre le 1er janvier 2013 et le 31 août 2013.

La requérante n’était pas atteinte d’une invalidité durant ses périodes de couverture

[20] La période de couverture d’invalidité du RPC de la requérante a pris fin il y a quelque temps, et elle devait entre autres démontrer qu’elle était devenue invalide au cours de la PMA ou de la période calculée au prorata.

[21] Il incombe à toute partie requérante demandant des prestations d’invalidité de prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au cours de ses périodes de couverture. J’ai examiné le dossier et j’ai conclu que la requérante n’a pas réussi à satisfaire au critère énoncé dans le RPC. Il ne fait aucun doute que la requérante a la maladie de Crohn depuis de nombreuses années, mais je n’ai tout simplement pas constaté suffisamment d’éléments de preuve me laissant croire que ses symptômes l’empêchaient régulièrement d’occuper un emploi véritablement rémunérateur au cours des périodes visées. J’ai fondé cette conclusion sur les facteurs qui suivent.

Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que l’état de santé de la requérante était grave avant le 31 août 2013

[22] La plupart des éléments de preuve médicale disponibles ont été préparés après la fin de la PMA et de la période calculée au prorata. En soi, cela ne nuit pas au cas de la requérante, car les médecins peuvent parfois faire des évaluations rétrospectives. Toutefois, mon appréciation de la preuve laisse fortement penser que l’état de santé de la requérante était gérable avant le 31 août 2013, mais qu’il s’est détérioré par la suite.

[23] La requérante n’a pas été orientée vers un spécialiste avant juin 2015, lorsqu’elle a consulté un gastroentérologue. À l’époqueNote de bas de page 5, le Dr Williams a relayé la plainte de la requérante concernant sa diarrhée chronique (elle allait à la selle une à cinq fois par jour). Une colonoscopie a par la suite révélé une possible maladie intestinale inflammatoire [traduction] « légèreNote de bas de page 6 », et le Dr Williams a déterminé qu’il était probable que la requérante soit [traduction] « légèrement » atteinte de la maladie de CrohnNote de bas de page 7. En avril 2016, le Dr Williams a rapporté que la requérante se plaignait de symptômes accrus : crampes abdominales, [traduction] « faibles » saignements rectaux périodiques et selles pouvant aller de 10 à 15 fois par jourNote de bas de page 8. Toutefois, l’état de santé de la requérante a commencé à se détériorer presque trois ans après la fin de sa période de couverture.

[24] Aucun autre problème de santé de la requérante, pris individuellement ou ensemble, ne m’a semblé invalidant. La requérante consulte un endocrinologue depuis 2008, après avoir commencé à ressentir de la fatigue, à prendre du poids et à perdre ses cheveux. En juin 2010, le Dr Dornan a rapporté qu’elle avait reçu un diagnostic d’hypothyroïdie, et qu’elle s’est sentie généralement mieux dès qu’elle a commencé à prendre du SynthroidNote de bas de page 9. Le Dr Dornan l’a vue une fois de plus en décembre 2015 concernant sa prise de poids et sa baisse d’énergieNote de bas de page 10. Il rapportait toutefois une amélioration en novembre 2017Note de bas de page 11.

[25] En septembre 2017, la requérante a consulté un neurologue pour ses symptômes cognitifs, ses tremblements, ses maux de tête, son insomnie et sa fatigue chroniqueNote de bas de page 12. Le Dr Kuriakose a dit que la requérante avait éprouvé ces symptômes [traduction] « au cours des dernières années », mais de toute évidence, ils sont seulement devenus assez graves pour consulter un spécialiste bien après la fin de la PMA et de la période calculée au prorata. Dans le cadre de son examen, le Dr Kuriakose n’a constaté aucun signe de tremblements et a estimé que cela pourrait être lié à l’anxiété. Le 22 novembre 2017, le Dr Kuriakose a relayé les améliorations concernant les tremblements et les maux de tête de la requérante, bien que celle-ci se plaignait toujours d’un brouillard mental, d’un manque de concentration et de fatigueNote de bas de page 13.

[26] La requérante a également consulté une rhumatologue en septembre 2017 concernant une possibilité d’arthrite inflammatoire. La Dre Smith a noté les antécédents de maladie de Crohn de la requérante, ainsi que ses douleurs diffuses aux genoux, au bas du dos, aux chevilles, aux poignets et aux mains depuis l’adolescenceNote de bas de page 14. La requérante a de nouveau signalé des symptômes de longue date qui ne l’avaient pas empêchée de travailler auparavant. Si ces symptômes se sont aggravés, il semble que cela ait été le cas après la fin de la PMA et de la période calculée au prorata.

[27] La meilleure preuve de la requérante provenait de son médecin de famille, qui était probablement le mieux placé pour évaluer son état de santé dans son ensemble. Dans son rapport médical du RPC de juillet 2017Note de bas de page 15, le Dr McLaughlin a précisé que même s’il était le médecin de famille de la requérante depuis plus de 17 ans, il n’avait pas commencé à traiter son problème de santé principal avant avril 2015. Il a énuméré les diagnostics suivants : maladie de Crohn, arthrite inflammatoire et hypothyroïdie. Il a dit qu’elle avait [traduction] « de plus en plus » de difficulté à contrôler ses selles et que celles-ci contenaient du sang depuis plusieurs années. Cette déclaration a confirmé que l’état de santé de la requérante se détériorait au fil du temps, sans toutefois indiquer s’il était grave au cours de la PMA ou de la période calculée au prorata. Le Dr McLaughlin a également dit que la requérante avait été incapable de conserver un emploi en raison de ses problèmes d’urgence et de fréquence intestinales, et d’incontinence. Il a noté qu’elle avait essayé de travailler à domicile, mais qu’elle avait des problèmes de concentration et de mémoire. Une fois de plus, cette déclaration a été faite plus de quatre ans après la fin de la dernière couverture de la requérante, et je ne peux que lui accorder un poids limité étant donné les éléments de preuve concurrents selon lesquels l’état de santé de la requérante s’est détérioré depuis 2013.

[28] Le Dr McLaughlin a plus tard rapporté que la requérante lui avait dit en avril 2012 et février 2013 que ses [traduction] « symptômes intestinaux gênants » l’empêchaient de travailler. Il a précisé qu’il avait alors demandé à ce qu’elle passe des radiographies du tube digestif et de l’intestin grêle, mais il n’y a jamais eu de suivi. Il l’a plus tard orientée vers le Dr Williams. Le Dr McLaughlin a conclu que la requérante était régulièrement incapable de détenir une occupation rémunératrice depuis quelque temps avant avril 2012, principalement à cause de ses douleurs abdominales et de ses difficultés à contrôler ses selles, un problème fréquent et imprévisibleNote de bas de page 16.

[29] Toutefois, deux ans après la fin de la PMA et de la période calculée au prorata, le Dr McLaughlin a écrit que la requérante était capable de travailler à domicileNote de bas de page 17. De plus, selon les notes de bureau du Dr McLaughlinNote de bas de page 18, la requérante a vu son médecin de famille seulement quatre fois entre avril 2012 et avril 2015 (apparemment sans aucun rendez-vous pendant deux ans au cours de cette période), puis elle a augmenté son nombre de consultations avec lui après cette période. Il ne fait aucun doute que la requérante éprouvait des symptômes de la maladie de Crohn et d’autres problèmes de santé au cours de la période visée, mais la preuve démontre clairement qu’ils sont seulement devenus invalidants après août 2013.

Les antécédents et les caractéristiques personnelles de la requérante ne l’empêchaient pas de travailler

[30] Villani c CanadaNote de bas de page 19 est un arrêt faisant jurisprudence selon lequel toute invalidité doit être évaluée dans un contexte réaliste. Le 31 août 2003, l’appelante n’avait que 28 ans, soit à des années de l’âge habituel de la retraite et assez jeune pour s’adapter aux nouvelles réalités. Sa langue maternelle est l’anglais et elle a fait des études secondaires. Elle a été en mesure de suivre avec succès une formation postsecondaire. Il est évident que la requérante a des problèmes de santé, mais je ne vois pas comment, du point de vue de ses antécédents personnels, ils l’empêcheraient de travailler ou de se recycler. Le fait que la requérante n’a pas fait tout ce qui était raisonnablement possible pour gérer ses symptômes renforce mon avis sur le sujet.

La requérante n’a pas pris des mesures raisonnables pour traiter sa maladie de Crohn

[31] Le Remicade est reconnu comme étant un traitement contre la maladie de Crohn. Selon le dossier d’audience, la requérante a été avisée à maintes reprises qu’elle devrait essayer ce médicament. Il semble qu’elle ait refusé de le faire plus d’une fois pour des raisons que je juge peu convaincantes.

[32] En octobre 2015, le Dr Williams a écrit ce qui suit :

[traduction]
J’ai offert des conseils concernant le traitement. Cette jeune femme a des antécédents de mélanome, et pour cette raison, je ne me sens pas très à l’aide de lui prescrire de l’azathioprine, qui est connue pour être associée aux cancers de la peau. Nous avons donc parlé d’une courte cure de corticothérapie et de produits biologiques. Nous avons évalué les risques de la thérapie biologique, plus précisément les thérapies anti‑TNF, l’Humira et le Remicade. Elle connaît les risques liés à la réactivation de la tuberculose latente, du syndrome de type lupus avec éruption cutanée et douleurs articulaires, et du syndrome de démyélinisationNote de bas de page 20.

La requérante a manifesté de l’intérêt pour le traitement, mais y a renoncé parce qu’elle voulait tomber enceinte. En avril 2016, après que la requérante a signalé que ses symptômes s’étaient aggravés, le Dr Williams lui a recommandé une fois de plus la [traduction] « thérapie médicale ». Le gastroentérologue a écrit que la requérante avait accepté initialement de commencer le traitement, mais qu’elle avait changé d’idée parce que sa mère avait eu une réaction après avoir pris du Remicade. La requérante craignait qu’une réaction semblable nuise à ses études. Le Dr Williams lui a dit qu’il était peu probable de diminuer l’inflammation causée par la maladie de Crohn en gérant sa maladie seulement en faisant de l’exercice et en suivant un régime. Il lui a dit qu’elle risquait d’empirer son état si elle ne suivait pas la thérapie médicale. En juin 2017, le Dr Williams a rapporté que la requérante avait manqué six rendez-vous de suivi et n’avait pas fait vérifier ses niveaux de calprotectine fécale. Il a noté qu’elle s’opposait toujours à la thérapie médicaleNote de bas de page 21.

[33] D’autres fournisseurs de traitement ont pris note de la réticence de la requérante d’essayer le Remicade. Le Dr Dornan, endocrinologue, a noté qu’on avait conseillé à la requérante de prendre du Remicade, mais qu’elle consommait plutôt de l’huile de cannabis pour traiter son problème de santéNote de bas de page 22. Le Dr D. D. Smith, spécialiste en médecine physique et réadaptation, a rapporté qu’elle était réticente à l’idée de prendre du Remicade en raison de sa sensibilité aux médicamentsNote de bas de page 23. Le Dr Kuriakose, neurologue, s’est dit préoccupé par le fait que la maladie de Crohn de la requérante ne soit pas traitéeNote de bas de page 24. La Dre Alexa Smith, rhumatologue, a prié la requérante d’optimiser le traitement de sa maladie de CrohnNote de bas de page 25.

[34] Selon Lalonde c CanadaNote de bas de page 26, toute partie requérante demandant des prestations d’invalidité doit atténuer ses détériorations en suivant les recommandations des fournisseurs de traitement. Selon Lalonde, le décideur doit déterminer si le refus de la partie requérante de suivre le traitement recommandé est déraisonnable et, le cas échéant, déterminer l’incidence que ce refus pourrait avoir sur le statut d’invalidité de la partie requérante. Même s’il a été établi qu’une partie requérante ne s’est pas soumise au traitement recommandé, le décideur doit tout de même mener une enquête pour savoir si la partie requérante avait un bon motif justifiant ce refus et doit dûment tenir compte de l’effet de ce refus sur la capacité de la partie requérante.

[35] La requérante a fourni différentes explications pour justifier sa réticence à prendre du Remicade, mais selon moi, aucune d’entre elles n’est raisonnable. Elle a déclaré qu’elle avait eu des effets secondaires après avoir pris des stéroïdes par le passé, mais le Remicade n’est pas un stéroïde. Elle a souligné le risque accru de cancer, mais le passage cité précédemment montre que le Dr Williams a précisément tenu compte de ce risque lorsqu’il a recommandé son plan de traitement. La mère de la requérante a peut-être eu une réaction indésirable au Remicade, mais la requérante n’aura pas nécessairement la même réaction. Il est difficile de comprendre pourquoi la requérante n’aurait pas voulu au moins essayer le Remicade pendant une période pour voir quel genre d’effet il produisait.

[36] Il est raisonnable de supposer que le Dr Williams, spécialiste dans le traitement de la maladie de Crohn, n’aurait pas aussi fortement recommandé le Remicade à moins d’être convaincu que les avantages potentiels l’emportaient largement sur les risques possibles. Selon les observations du Dr Williams, je suis convaincu que le Remicade était susceptible de procurer des bénéfices cliniques. La mesure de ces bénéfices est inconnue puisque la requérante n’a pas choisi de suivre les conseils médicaux qui auraient peut-être pu améliorer son état de santé.

Les antécédents professionnels de la requérante ne constituent pas en soi une preuve d’invalidité

[37] La requérante soutient que son parcours professionnel irrégulier appuie son affirmation selon laquelle ses problèmes de santé l’empêchent de travailler. Je conviens qu’une telle tendance est parfois un signe d’invalidité, en particulier lorsqu’elle survient en fin de carrière. Toutefois, cela n’est pas concluant. Les personnes qui ont un problème de santé et de la difficulté à trouver et à conserver un emploi ne sont pas toutes admissibles à une pension d’invalidité.

[38] En l’espèce, la preuve indique que la requérante n’a jamais occupé un emploi de longue durée. Selon son registre des gains, son revenu annuel a dépassé le seuil de rémunération substantielle en seulement cinq ansNote de bas de page 27, sans jamais dépasser 8 000 $. Au cours de la dernière décennie, la requérante a occupé les emplois suivants :

  • Hôtel X – quelques mois en 2009;
  • Centre d’appels X – trois mois en 2011;
  • Service des archives X – une semaine en janvier 2012;
  • Télécommunications X – 35 heures en mars et avril 2012;
  • X – trois mois entre octobre 2012 et janvier 2013;
  • X – quelques semaines à compter de novembre 2013;
  • X – un mois en juillet et août 2014;
  • X – deux semaines en mars 2015;
  • Transcription médicale X – trois mois à compter de novembre 2016Note de bas de page 28.

[39] Les efforts de la requérante pour rester sur le marché du travail sont admirables, mais une série d’emplois de courte durée ne constitue pas en soi une preuve d’invalidité. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles une personne quitte son emploi, mis à part la maladie ou une détérioration. La requérante insiste sur le fait que son état de santé précaire l’a constamment poussée à quitter son emploi. Elle soutient qu’à chaque fois, soit elle démissionnait, soit elle était licenciée parce qu’elle n’arrivait pas à réaliser les tâches essentielles liées à son emploi. La preuve disponible montre que la requérante a quitté des emplois à maintes reprises, bien que la cause précise n’est jamais claire. Les relevés révèlent que la maladie a souvent été citée comme motif de départ, bien qu’il y ait eu au moins deux employeurs qui l’aient licenciée en raison d’une pénurie de travailNote de bas de page 29.

[40] Quelle que soit la cause de l’incapacité de la requérante de conserver un emploi, cette dernière est éclipsée par deux facteurs que j’ai déjà examinés. Premièrement, il n’y a pas d’éléments de preuve médicale convaincants selon lesquels les détériorations de la requérante étaient graves en 2012 et par après. Deuxièmement, et plus important encore, la requérante a refusé d’essayer un traitement efficace contre son problème de santé principal, alors que celui‑ci a empiré en 2015. Il est raisonnable de supposer que la requérante aurait pu être capable de travailler plus longtemps et plus efficacement si elle en avait fait davantage pour enrayer ses symptômes liés à la maladie de Crohn.

Preuve insuffisante d’une invalidité prolongée

[41] Étant donné que j’ai conclu que les détériorations de la requérante ne sont pas devenues graves avant le 31 décembre 2012 ou entre le 1er janvier 2013 et le 31 août 2013, je n’ai pas besoin de déterminer si l’invalidité était également prolongée. Toutefois, même si j’avais conclu que la requérante était atteinte d’une invalidité grave, je douterais toujours du fait que celle-ci ait duré « pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 30 ». Une fois de plus, la difficulté réside dans le non-respect de la requérante de suivre un traitement recommandé. Comme la requérante n’a jamais essayé le Remicade, je ne peux pas conclure avec certitude qu’il n’y avait aucune possibilité d’améliorer son état de santé.

Conclusion

[42] Je rejette l’appel. Bien que la division générale ait commis une erreur en mal interprétant les antécédents professionnels de la requérante, mon propre examen de la preuve ne me convainc pas que la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à l’échéance de la PMA ou au cours de la période calculée au prorata.

 

Date de l’audience :

Le 23 janvier 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

R. J., appelante

Duncan Allison, représentant de l’appelante

Viola Herbert, représentante de l’intimé

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