Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] S. D. (prestataire) a immigré au Canada après avoir terminé ses études. Elle a travaillé comme couturière pendant environ 13 ans, puis a quitté la population active pour élever ses enfants. Elle est plus tard retournée travailler comme technicienne en nettoyage pour une entreprise de nettoyage après sinistre.

[3] En 2013, la prestataire a subi un accident de voiture et a subi des blessures aux tissus mous. Elle n’a pas travaillé depuis. Elle a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada et a déclaré qu’elle était invalide en raison de divers problèmes de santé, notamment des douleurs au dos, au cou, à l’épaule et au pied gauche, de maux de tête, un engourdissement de la main droite, de l’anxiété, de la dépression et de l’hypertension artérielle.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. La requérante a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal. La division générale du Tribunal a rejeté l’appel. Elle a décidé que l’invalidité de la requérante n’était pas grave.

[5] La permission d’interjeter appel de cette décision devant la division d’appel du Tribunal a été accordée parce que l’appel avait une chance raisonnable de succès fondée sur le fait que la division générale n’avait pas fourni un processus équitable en raison de problèmes avec le service d’interprétation lors de l’audience. Toutefois, après avoir lu tous les documents déposés auprès de la division d’appel et après avoir écouté les parties pertinentes de l’enregistrement de l’audience de la division générale, puis examiné les observations des parties, l’appel est rejeté. La division générale n’a commis aucune erreur au titre de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

Questions en litige

[6] La division générale a-t-elle omis d’offrir un processus équitable lors de l’audience en raison de problèmes d’interprétation?

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle s’est demandé si la requérante avait une « incapacité de travailler » plutôt qu’une « incapacité à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice »?

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’ensemble des problèmes de santé de la requérante?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tirer une conclusion sur la crédibilité de la requérante?

[10] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une importante erreur de fait concernant l’opinion du Dr Khan sur la capacité de travailler de la requérante?

Analyse

[11] La Loi sur le MEDS régit le fonctionnement du Tribunal et prévoit des règles pour les appels interjetés devant la division d’appel. Un appel n’est pas une nouvelle audience sur la demande initiale. Je dois plutôt déterminer si la division générale :

  1. a omis d’offrir un processus équitable;
  2. a omis de trancher une question alors qu’elle aurait dû le faire ou a rendu une décision qui excédait ses compétences;
  3. a commis une erreur de droit;
  4. a fondé sa décision sur une importante erreur de faitNote de bas de page 1.

Les moyens d’appel de la requérante sont examinés dans ce contexte ci-dessous.

Problèmes d’interprétation

[12] L’un des moyens d’appel que la division d’appel peut accepter est l’omission par la division générale d’offrir un processus équitable. Un processus équitable signifie que chaque partie a eu l’occasion de saisir le Tribunal de leur cause, de connaître les arguments plaidés par les autres parties et d’y répondre, et d’obtenir d’un décideur impartial une décision rendue au regard des faits et du droit.

[13] La requérante soutient que la division générale a omis d’offrir un processus équitable parce que l’interprétation lors de l’audience était déficiente. Le Tribunal a déjà abordé un problème semblable et a fourni des éclaircissementsNote de bas de page 2. Il suit les orientations de la Cour fédérale, qui affirme qu’une personne doit soulever tout problème d’interprétation dès que possible et que ne pas le faire équivaut à une renonciation tacite à faire corriger le problèmeNote de bas de page 3.

[14] Le ministre affirme que la requérante aurait dû soulever toutes ses préoccupations liées à l’interprétation lors de l’audience et que, parce qu’elle ne l’a pas fait, elle a renoncé à ce droit. Toutefois, la requérante a effectivement soulevé une préoccupation pendant l’audience. Elle a été abordée par la membre à ce moment-là. Ainsi, la requérante n’a pas renoncé à son droit.

[15] Les décisions du Tribunal et de la Cour nous indiquent aussi que la qualité du service d’interprétation est présumée répondre aux normes exigéesNote de bas de page 4. Ainsi, la requérante doit prouver que la qualité de l’interprétation ne répondait pas aux normes. L’interprétation n’a pas à être parfaite. La Cour suprême du Canada affirme que l’interprétation doit être continue, précise, impartiale, compétente et contemporaine. Par « précise », on entend que l’interprétation doit refléter la preuve présentée sans amélioration de sa forme ou de sa grammaire et sans quelconque forme d’embellissement. Par « compétente », on entend que la qualité de l’interprétation est suffisamment élevée pour que justice soit non seulement rendue, mais qu’elle le soit de façon manifesteNote de bas de page 5.

[16] La requérante affirme que la division générale a omis de lui offrir un processus équitable parce que l’interprète n’a pas adéquatement traduit ses réponses aux questions pendant l’audience. Elle en donne cinq exemples à partir de l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. Dans l’une de celles-ci, la représentante de la requérante a indiqué à la membre de la division générale qu’il semblait y avoir un problème d’interprétation dans la réponse à une question. La membre de la division générale a permis au représentant de la requérante de poser la question à nouveau et la réponse a été traduite intégralement. Après cela, la membre de la division générale a demandé au représentant s’il y avait d’autres questions. Le représentant a répondu que non. Ainsi, tout problème d’interprétation avait été réglé à ce stade de l’audience.

[17] La requérante affirme également que l’interprète n’a seulement fait que résumer son témoignage et qu’il n’en a pas traduit chaque mot. Par exemple :

  1. La traduction anglaise du témoignage de la requérante était en une occasion beaucoup plus courte que ce qui avait été dit en pendjabiNote de bas de page 6. Toutefois, le fait que la réponse était plus courte en anglais ne constitue pas une preuve que l’affirmation n’a pas été adéquatement traduite. Une réponse pourrait être plus courte simplement parce que moins de mots étaient requis en anglais qu’en pendjabi pour exprimer la même chose.
  2. En une autre occasion, il semble que l’interprète a eu une courte conversation en pendjabi avec la requérante avant de traduire en anglais la réponse de celle-ci à une questionNote de bas de page 7. La requérante affirme que cela montre que l’interprète ne comprenait pas tout à fait ce qu’elle lui avait dit, ou qu’il lui avait dit qu’elle n’avait pas répondu à la question. Toutefois, il est impossible de savoir ce qui s’est réellement produit. Il est également possible que l’interprète a demandé une clarification à la requérante pour s’assurer que sa traduction était juste. La requérante ne fait que spéculer sur ce point.
  3. À une autre occasion, la requérante affirme que l’interprète a répondu à la question sur la fréquence des visites au temple de la requérante avant même d’avoir traduit la question pour elleNote de bas de page 8. Cela est effectivement inhabituel. Toutefois, la requérante ne conteste pas la véracité de la réponse fournie.
  4. La requérante affirme aussi que l’interprète a utilisé le mot anglais « question » lorsqu’il s’est adressé à elle après avoir répondu à la question en pendjabiNote de bas de page 9. La requérante demande à la division d’appel d’en déduire que l’interprète disait à la requérante qu’elle n’avait pas répondu à la question. Encore une fois, il s’agit d’une spéculation de la part de la requérante. Elle n’a rien pour prouver son hypothèse à cet égard.

[18] La requérante a fait des spéculations sur certaines choses que l’interprète a dit pendant l’audience. Elle n’a pas établi que l’interprétation fournie n’était pas précise et compétente. L’appel est rejeté sur ce fondement.

Capacité de travailler

[19] Un autre moyen d’appel que la division d’appel peut accepter est une erreur de droit qu’aurait commise la division générale. La requérante affirme que c’est le cas, puisque la division générale a utilisé le mauvais critère juridique pour déterminer que l’invalidité de la requérante n’était pas grave. Une invalidité est grave au sens du Régime de pensions du Canada (RPC) si une personne est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Cela a été établi correctement dans la décisionNote de bas de page 10. La décision indique également que cela signifie que l’invalidité doit empêcher la requérante de gagner sa vie, peu importe le type d’emploiNote de bas de page 11, ce qui est également correct. Cela montre que la division générale a analysé si la requérante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[20] La décision de la division générale ne fait pas référence à la capacité de travailler de la requérante. Ainsi, elle a suivi les directives de la Cour fédérale, selon lesquelles s’il y a une preuve de la capacité de travailler, une partie requérante doit prouver qu’elle n’est pas parvenue à se trouver ou à garder un emploi en raison de son état de santéNote de bas de page 12. On peut lire dans la décision : « Si [la prestataire] avait essayé de faire un travail plus léger ou sédentaire et avait échoué, j’aurais pu être persuadée que son invalidité était grave malgré ce que la preuve médicale démontraitNote de bas de page 13. »

[21] Avoir la capacité de travailler et être incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice n’est pas la même choseNote de bas de page 14 [sic]. L’argument du ministre selon lequel ces concepts sont analogues ne tient pas.

[22] Ainsi, l’appel est rejeté sur ce fondement.

L’ensemble de l’état de santé de la requérante

[23] La Cour d’appel fédérale affirme aussi que la division générale doit tenir compte de l’ensemble de l’état de santé d’une partie requérante et pas seulement ses principales déficiencesNote de bas de page 15. La division générale a suivi cette directive. Elle a établi la liste de tous les problèmes de santé de la requéranteNote de bas de page 16 et a décrit leurs répercussions sur son quotidienNote de bas de page 17. Elle a également examiné la preuve médicale, qui a montré que la requérante avait une certaine capacité de travailler malgré ses nombreux problèmes de santéNote de bas de page 18. La division générale a soupesé l’ensemble de la preuve pour rendre sa décision, comme elle se devait de le faire. L’appel est rejeté sur ce fondement.

Conclusion sur la crédibilité

[24] La requérante affirme que la division générale a commis une autre erreur de droit. Elle affirme que la Cour fédérale indique que lorsqu’une demande de pension d’invalidité est fondée sur des douleurs chroniques, la division générale doit tirer une conclusion sur la crédibilité de la partie requérante. Elle s’appuie sur la décision Garvey pour étayer sa positionNote de bas de page 19. Toutefois, ce n’est pas ce qu’on peut lire dans cette décision. Au sujet de la douleur chronique, la décision affirme plutôt ce qui suit :

  1. La preuve qu’un demandeur souffre du syndrome de douleur chronique ne signifie pas automatiquement qu’il est admissible au bénéfice des prestations d’invalidité prévues par le Régime de pensions du Canada ou qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de l’absence de preuve médicale étayant une présumée invalidité. L’admissibilité aux prestations d’invalidité dépend plutôt de la question de savoir si le demandeur est « déclaré invalide » en application de l’article 42 du Régime de pensions du Canada, selon lequel l’invalidité doit être grave et prolongéeNote de bas de page 20.

[25] Bien que la crédibilité constitue un facteur à prendre en considération dans les cas de douleurs chroniques, tirer une conclusion sur la crédibilité d’une partie requérante n’est pas nécessaire pour déterminer si une personne atteinte de douleurs chroniques est invalide au sens du RPC.

[26] La division générale n’a commis aucune erreur à cet égard. L’appel est donc également rejeté sur le fondement de ce moyen d’appel.

Importantes erreurs de fait

[27] Enfin, la requérante soutient que la division générale a fondé sa décision sur une importante erreur de fait. Pour avoir gain de cause sur ce fondement, la requérante doit prouver trois choses :

  1. la conclusion de fait était erronée;
  2. la conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale;
  3. la décision était fondée sur cette conclusion de fait erronéeNote de bas de page 21.

[28] La requérante affirme que la division générale a fondé sa décision sur quatre erreurs de cette nature.

L’avis du Dr Khan

[29] D’abord, la requérante affirme que la division générale a fondé sa décision sur une importante erreur de fait lorsqu’elle a affirmé que le Dr Khan voulait signifier qu’il n’y avait aucun obstacle psychologique empêchant la requérante de travaillerNote de bas de page 22. La division générale a résumé le rapport du Dr KhanNote de bas de page 23 dans le paragraphe précédent de sa décision. Elle affirme à juste titre que le Dr Khan avait dit à la prestataire que plutôt que de se laisser abattre par ces préoccupations, elle devrait faire de l’activité physique, du yoga et de la méditation, et que « si elle veut considérer de faire un autre travail si elle en est capable physiquementNote de bas de page 24 [sic] ».

[30] Il est raisonnable de conclure à partir de cela que la requérante n’avait aucun obstacle psychologie l’empêchant de travailler, comme l’a fait la division générale. Cette conclusion de la division générale était fondée sur la preuve et celle-ci n’a donc pas commis d’erreur. L’appel est donc rejeté sur ce fondement.

[31] Deuxièmement, la requérante soutient aussi que la division générale aurait dû tenir compte du rapport ultérieur du Dr Khan, dans lequel il écrivait que la requérante était atteinte d’anxiété grave et d’épisodes dépressifs intermittents depuis des annéesNote de bas de page 25. La décision de la division générale n’a pas fait référence à ce rapport. Toutefois, la division générale est présumée avoir pris en considération l’ensemble de la preuve qui lui avait été présenté. Elle n’a pas à faire référence à chacun des éléments de preuve au dossierNote de bas de page 26.

[32] De plus, ce rapport a été produit environ deux ans après la période minimale d’admissibilité (date à laquelle une partie requérante doit prouver qu’elle était invalide afin d’être admissible à la pension d’invalidité) et à ce titre, sa pertinence est limitée. Ainsi, le fait que la division générale n’a pas fait référence à cet élément de preuve ne vient pas changer le fait qu’elle est réputée l’avoir examinée.

[33] L’appel est donc rejeté sur le fondement de ce moyen d’appel.

La preuve de Mme Tong

[34] La requérante soutient également que la division générale a fondé sa décision sur une importante erreur de fait parce qu’elle a omis de concilier la preuve de Mme Tong (ergothérapeute), selon laquelle la requérante avait des limitations psychologiques qui nuisaient à son fonctionnement, avec sa conclusion selon laquelle elle n’avait aucun obstacle psychologique l’empêchant de travailler. Toutefois, la décision de la division générale résume à la fois la preuve du Dr Khan et celle de Mme TongNote de bas de page 27. Mme Tong n’a ni fait passer des tests psychologiques ni offert un traitement de santé mentale à la requérante. Le rapport en question fait référence au fait que la requérante consultait un psychiatre (le Dr Khan) tous les mois. La division générale a soupesé tous les éléments de preuve qui ont été portés à sa connaissance. Elle a accordé plus de poids à la preuve du Dr Khan en ce qui a trait à la santé mentale de la requérante. La division générale a le mandat d’examiner la preuve pour rendre sa décision. Elle n’a commis aucune erreur à cet égard.

Expérience de travail comme couturière

[35] Enfin, la requérante soutient que la division générale a fondé sa décision sur une importante erreur de fait lorsqu’elle a affirmé que la requérante n’avait fourni aucune preuve démontrant qu’elle n’était pas en mesure de détenir un emploi de couturière ou un emploi semblable en décembre 2015Note de bas de page 28, car la division générale ne lui a posé aucune question à ce sujet. La division générale n’est pas tenue de faire ressortir un élément de preuve en particulier des parties. Ainsi, l’appel est rejeté sur ce fondement.

Conclusion

[36] L’appel est rejeté pour tous ces motifs.

Date de l’audience :

24 février 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

S. D., appelante

Abisola Omotayo, avocate de l’appelante

Viola Herbert, représentante pour l’intimée

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