Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] Le requérant est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), payable à partir d’octobre 2014.

Aperçu

[2] Le requérant est né en Inde en 1964. Il est arrivé au Canada en 2004. Il n’a pas travaillé depuis le 1er août 2002. Il a alors cessé de travailler comme manœuvre pour une entreprise appelée « X » après s’être blessé au genou au travail. Le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité du requérant le 28 septembre 2015. Le ministre a rejeté la demande initialement et après révision. Le requérant a fait appel de la décision découlant de la révision au Tribunal de la sécurité sociale. Une autre membre de la division générale du Tribunal a rendu une décision le 29 octobre 2018, mais le requérant a fait appel de cette décision à la division d’appel du Tribunal. Le 21 juin 2019, la division d’appel a renvoyé l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience après avoir conclu que la membre de la division générale avait commis une erreur de fait.

[3] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, le requérant doit satisfaire aux exigences énoncées dans le RPC. Plus précisément, il doit être déclaré invalide au sens du RPC au plus tard à la fin de la période minimale d’admissibilité (PMA). Le calcul de la PMA est fondé sur les cotisations du requérant au RPC. J’estime que la PMA du requérant a pris fin le 31 décembre 2004.

Questions préliminaires

[4] Le requérant a déposé un document en retard (pièce IS6) peu de temps avant l’audience. Il s’agissait d’une décision d’un autre tribunal. Bien qu’elle ne liait pas le Tribunal, elle contenait des renseignements qui pouvaient être utiles, notamment des citations directes de rapports qui ne figuraient pas au dossier. Le ministre a aussi déposé une réponse (pièce IS7) à la pièce IS6 avant l’audience. Par conséquent, tous les documents jusqu’à la pièce IS7 inclusivement font partie du dossier.

[5] Comme le requérant ne peut parler qu’un dialecte du panjabi, il y a eu plusieurs problèmes d’interprétation. Bien que je n’aie eu à ajourner l’audience qu’une seule fois, de multiples ajournements ont été nécessaires dans l’affaire précédente devant la division générale. Toutefois, il ne semble pas y avoir eu de problèmes d’interprétation lors de l’audience du 27 janvier 2020. Le représentant du ministre y a aussi pris part.

Questions en litige

[6] Le requérant était-il atteint d’une invalidité grave depuis au moins le 31 décembre 2004?

[7] Si tel est le cas, son invalidité était-elle aussi de nature prolongée en date du 31 décembre 2004?

Analyse

[8] L’invalidité est définie comme étant une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeFootnote 1. Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès. Il incombe au requérant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Ainsi, si le requérant ne satisfait qu’à un seul volet, il n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

Le requérant était-il atteint d’une invalidité depuis au moins le 31 décembre 2004?

[9] Le requérant est atteint d’une invalidité grave depuis juin 2004. Je vais maintenant expliquer pourquoi j’en suis arrivé à cette conclusion.

[10] Je dois évaluer l’état de santé du requérant dans son ensemble, ce qui signifie que je dois tenir compte de toutes les déficiences possibles, et non seulement des déficiences les plus importantes ou de la déficience principaleFootnote 2. Cela est important, parce que le requérant déclare être atteint de limitations physiques et mentales.

[11] Je dois également évaluer le volet du critère relatif à la gravité dans un contexte réalisteFootnote 3. Cela signifie que pour décider si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie. Cela est également très important, car la situation personnelle du requérant est exceptionnelle.

[12] Le requérant avait 40 ans à la fin de sa PMA. Il a maintenant 55 ans. Il n’a fait que sa quatrième année en Inde. Le panjabi était la langue d’enseignement. Il parle seulement le dialecte du panjabi Malwi, mais ne sait pas beaucoup lire ou écrire dans celui-ci. Son dialecte a déjà créé des problèmes au Tribunal à plusieurs reprises, car le requérant n’a pas été en mesure de communiquer efficacement avec les interprètes parlant le panjabi lors des audiences. Même s’il a essayé pendant plusieurs années d’apprendre l’anglais dans un cadre structuré, il ne peut toujours pas comprendre grand-chose. Il ne peut pas parler, lire ou écrire en anglais. En fait, sa capacité à apprendre l’anglais semble très limitéeFootnote 4. En Inde, il n’a travaillé qu’en agriculture. Lorsqu’il est arrivé au Canada, il a d’abord travaillé en agriculture puis comme planteurs d’arbre. Il a ensuite commencé à travailler comme manœuvre à l’usine X vers l’an 2000. Il a également suivi avec succès une formation d’environ deux semaines pour apprendre à utiliser un tour après la fin de sa PMA, bien qu’il semble que ce soit dans un milieu où l’on parlait le panjabi.

[13] Indépendamment de ses problèmes de santé, les études et l’expérience de travail limitées du requérant ne le destinent en réalité qu’à un emploi physique peu spécialisé qui exige une connaissance limitée ou nulle de l’anglais ou du français. Je ne trouve pas que sa formation limitée sur le tour soit importante, compte tenu de sa très courte durée et du fait qu’elle s’est déroulée dans un milieu où l’on parlait le panjabi. Je ne peux pas présumer qu’on parlera le panjabi dans un milieu de travail canadien. Je me demande également s’il est possible d’utiliser des machines en toute sécurité au Canada sans avoir au moins une certaine maîtrise de l’anglais ou du français.

La blessure du requérant et les traitements qu’il a reçus avant la fin de sa PMA

[14] En août 2002, le requérant s’est déchiré le ménisque médial du genou gauche. Sa douleur au genou persiste encore aujourd’hui, même s’il a subi une chirurgie arthroscopique en décembre 2002. À l’époque, le Dr Thakkar, son médecin de famille, pensait que le requérant serait en congé pendant quatre autres semaines et que des tâches modifiées pourraient ensuite être envisagéesFootnote 5. Le requérant n’est jamais retourné au travail. Toutefois, il n’y a pas de documents médicaux de décembre 2002 à mars 2004. À ce moment-là, le requérant continuait à se plaindre de douleurs au genou gauche, particulièrement lorsqu’il devait marcher longtemps. Le Dr Thakkar a décrit cette « douleur chroniqueFootnote 6 ». Le requérant a continué à se plaindre de douleurs au genou tout au long de 2004, et la dépression a été mentionnée en juin 2004Footnote 7. Le Dr Thakkar a traité le requérant régulièrement.

L’état de santé actuel du requérant

[15] Le requérant vit dans une maison avec son épouse, sa mère et ses deux enfants adultes. Lorsqu’on lui a demandé comment il occupait son temps depuis 2002, le requérant a répondu qu’il était simplement assis, qu’il mangeait et qu’il ne faisait rien. Il n’a pas d’horaire quotidien. Il quitte rarement la maison, si ce n’est que pour aller parfois à l’épicerie avec ses enfants et aller au temps une fois par mois. Il avait l’habitude d’aller au temple tous les jours, mais il a arrêté parce que les gens lui posaient sans cesse des questions sur son état de santé. Comme sa mère reste à la maison toute la journée, il passe du temps avec elle. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait quelqu’un d’autre à qui parler, le requérant a répondu qu’il n’aimait pas parler aux gens. Il se sentait comme ça depuis l’accident. Il prend des antidépresseurs qui le rendent somnolent. Il n’a pas d’amis à l’extérieur de chez lui, car [traduction] « [s]es amis m’ont tous quitté ». Il ne semble pas avoir d’autres membres de sa famille élargie au Canada, mais il a des frères en Inde.

[16] Le requérant craint qu’il lui arrive quelque chose de mal. Il a des problèmes de sommeil, mais il arrive parfois à dormir des nuits complètes. Ses médicaments l’aident un peu à mieux dormir. Il fait une sieste pendant la journée. Il ne se rase pas, mais il est capable de prendre une douche et de se préparer à manger. Il ressent encore de la douleur au genou gauche : elle diminue parfois, mais elle est toujours présente. Ses analgésiques lui coupent l’appétit. Il a aussi des maux de dos s’il reste assis longtemps ou ne fait rien. Il est difficile de savoir depuis combien de temps il a ces maux de dos. Il a dit qu’il les avait depuis qu’il a commencé à marcher avec une canne après sa chirurgie en décembre 2002. Il utilise régulièrement sa canne depuis, mais il essaie parfois de marcher sans elle. Quand il ne l’utilise pas, il doit s’accrocher à des objets. Cependant, il a aussi laissé entendre que ses maux de dos n’avaient commencé [traduction] « qu’il y a deux ou trois années », lorsqu’il a subi une imagerie par résonnance magnétique. Mis à part ses maux de tête, il n’a signalé aucune autre douleur ou maladie.

[17] Actuellement, les seuls fournisseurs de soins du requérant sont le Dr Thakkar et le Dr Panjwani, psychiatre. Il voit le Dr Panjwani toutes les deux à huit semaines. Le Dr Thakkar a orienté le requérant vers le Dr Panjwani parce qu’il [traduction] « restait chez lui à ne rien faire et se sentait triste ». Le Dr Thakkar a fait cette demande de consultation en décembre 2005Footnote 8. Le Dr Panjwani a vu le requérant pour la première fois en janvier 2006 et a noté que celui-ci se sentait déprimé depuis environ deux ansFootnote 9.

[18] Le document médical le plus récent est une lettre du Dr Thakkar datée d’octobre 2017. Le Dr Thakkar y a déclaré que le requérant ne pouvait pas travailler en raison de ses douleurs au genou et d’un syndrome de douleur chronique. Il a également diagnostiqué chez le requérant une chondromalacie rotulienne et un trouble dépressif majeur, et a déclaré que sa dépression contribuait également à son incapacité à travaillerFootnote 10.

[19] Le Dr Thakkar a déclaré que le requérant éprouvait constamment de la douleur au genou gauche et ne pouvait marcher que sur une distance d’un pâté de maisons. Il était aussi très anxieux et déprimé, et était incapable de faire des tâches ménagères. S’il essayait d’accomplir un travail quelconque, il devenait anxieux et avait des palpitations et un malaise à la poitrine. Il ne pouvait pas faire d’opérations bancaires ou de magasinage en raison de son anxiété. Le Dr Thakkar l’a vu toutes les quatre à huit semaines depuis l’accident de 2002 : il avait toujours éprouvé des douleurs au genou gauche et avait récemment commencé à ressentir des douleurs au bas du dos. Il marchait en boitant et semblait toujours déprimé. Il était triste parce qu’il ne pouvait pas travailler et que sa femme s’occupait entièrement du foyerFootnote 11.

Le requérant est-il maintenant atteint d’une invalidité grave?

[20] Je suis convaincu que le requérant est maintenant atteint d’une invalidité grave. En raison de ses caractéristiques personnelles, il ne peut occuper qu’un très petit nombre d’emplois physiques non spécialisés. Ses limitations physiques, en particulier lorsqu’elles sont combinées à sa dépression, le rendent incapable d’exercer de tels emplois. Cela signifie qu’il est actuellement atteint d’une invalidité grave. Il est plus difficile de décider si le requérant est atteint d’une invalidité grave depuis au moins la fin de sa PMA le 31 décembre 2004.

[21] Trois facteurs compliquent cette évaluation. Je vais examiner chacun de ces facteurs séparément avant de décider si le requérant avait une quelconque capacité de travail après sa PMA.

1. La nature des problèmes de santé du requérant à la fin de sa PMA

[22] La nature des problèmes de santé du requérant était différente en 2004. Alors qu’il éprouve des douleurs au genou depuis sa blessure en 2002, ses maux de dos ne semblent avoir commencé qu’il y a quelques annéesFootnote 12. Bien que la dépression ait été mentionnée à quelques reprises en 2004, aucune demande de consultation en psychiatrie n’a été faite jusqu’en décembre 2005. Par conséquent, même si je dois tenir compte de l’effet combiné de tous ses problèmes de santé, il se peut que ses problèmes de santé non liés à son genou n’étaient pas aussi importants avant 2005 que par la suite. En janvier 2006, il n’a obtenu une note que de 35 à son évaluation globale de fonctionnementFootnote 13, ce qui signifie généralement une incapacité totale de travailler d’un point de vue psychiatrique. Je conclus que jusqu’à la fin de sa PMA, le requérant avait comme principaux problèmes de santé de la douleur chronique au genou et des symptômes de dépression qui s’aggravaient.

2. Le manque de documents médicaux de la fin de 2006 à la fin de 2015

[23] Il n’y a presque pas de documents médicaux de la fin de 2006 à la fin de 2015. Pendant cette période, je vois les rapports de 2008 de Dr Thakkar et de Dr Panjwani, mais pas grand chose d’autreFootnote 14. Toutefois, comme je l’expliquerai, ce manque de documents ne porte pas un coup fatal à l’appel du requérant.

[24] En mai 2016, le Dr Thakkar a déclaré qu’il n’y avait pas eu de changement dans l’état de santé du requérant (douleur au genou gauche et dépression) depuis sa lettre du 27 mai 2008. Dans cette lettre, le Dr Thakkar a dit que le requérant était incapable de retourner au travailFootnote 15. À l’audience, le requérant a déclaré avoir vu le Dr Thakkar tous les mois ou tous les deux mois entre juin 2008 et septembre 2015. En 2017, le Dr Thakkar a affirmé qu’il avait vu le requérant toutes les quatre à huit semaines depuis l’accident de 2002Footnote 16. Même s’il aurait été préférable d’avoir les notes du Dr Thakkar à partir de 2008, je reconnais que le traitement s’est poursuivi pendant cette période. Cela donne de la crédibilité au « résumé » de mai 2016 du Dr Thakkar.

[25] L’absence de documents du Dr Panjwani de juin 2008 à septembre 2015 est également regrettable, mais ne m’empêche pas de conclure que l’invalidité était grave. En juin 2008, le Dr Panjwani a jugé que le trouble dépressif majeur et le trouble de douleur chronique du requérant étaient graves et prolongés, et a signalé que le requérant avait obtenu une note de 40 à son évaluation globale de fonctionnement. En octobre 2015, le Dr Panjwani a dit qu’il avait traité le requérant toutes les quatre à six semaines depuis juin 2008Footnote 17. Il a également déclaré que les troubles mentaux et physiques du requérant demeuraient graves et prolongés, malgré les nombreux types de traitements qu’il avait suivisFootnote 18. Ces déclarations me convainquent que le requérant a été traité, mais que son état de santé ne s’est pas amélioré de façon notable.

3. La nature du recyclage et des études du requérant après la fin de sa PMA

[26] La Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail a offert un programme de recyclage complet au requérant après la fin de sa PMA. Ce programme semble avoir duré plusieurs années. Encore une fois, il y a peu d’éléments de preuve documentaires pertinents, bien que le Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (TASPAAT) semble avoir eu accès à de nombreux autres documentsFootnote 19. Les notes cliniques du Dr Thakkar font référence à des cours d’anglais langue seconde en 2006 ainsi qu’à un « perfectionnement à l’école » en mai 2008Footnote 20. Le Dr Panjwani n’a mentionné aucun recyclage dans son rapport de juin 2008Footnote 21.

[27] Selon la décision du TASPAAT de janvier 2018, le requérant a commencé à se recycler pour un emploi de préposé au stationnement en août 2006 et a poursuivi ses démarches de recyclage jusqu’en 2009 en suivant une formation supplémentaire en anglais. Cependant, cet emploi a par la suite été jugé inapproprié. Le requérant a fait peu de progrès dans son apprentissage de l’anglais, qui était un élément important du programme de recyclage. Il a commencé une formation en assemblage de composants électroniques légers en janvier 2010. Cette formation a pris fin en février 2010. Le requérant a ensuite suivi une formation supplémentaire (sur l’assemblage de composants électroniques légers) de novembre 2013 à août 2014. Encore une fois, il a fait peu de progrès en anglaisFootnote 22. Le Dr Luther, psychologue, avait prédit cela en 2006. Il avait déclaré que le requérant n’avait [traduction] « aucun point fort » et qu’il avait obtenu des résultats de tests [traduction] « très faibles » en ce qui avait trait au fonctionnement intellectuel, à la mémoire, à la capacité d’attention et à d’autres indicateurs. Le Dr Luther a estimé que le requérant aurait besoin de [traduction] « plusieurs années de formation en anglais langue seconde avant de pouvoir atteindre le niveau correspondant à la cinquième année ». Le Dr Luther ne pensait pas qu’il lui était possible de terminer son perfectionnement jusqu’au niveau secondaire en raison de ses limites intellectuellesFootnote 23.

[28] Je ne suis pas lié par la décision du TASPAAT et ses conclusions de fait. Je ne suis pas non plus lié par le résumé que le TASPAAT a fait de la formation du requérant, et j’hésiterais normalement à y accorder beaucoup d’importance. Toutefois, j’estime qu’il concorde avec la preuve orale et la documentation limitée qui figure au dossier du Tribunal. Le TASPAAT a également cité directement les rapports du Dr Luther, ce qui atténue les préoccupations que j’aurais normalement quant au fait de m’appuyer sur ces éléments de preuve.

La capacité de travail du requérant après la fin de sa PMA

[29] La preuve médicale descriptive montre que le requérant n’a aucune capacité de travail depuis au moins janvier 2016. En janvier 2006, le Dr Panjwani a posé un diagnostic de trouble dépressif majeur (grave) avec agitation et de trouble de douleur chronique associé à des facteurs psychologiques et à un problème de santé général (chondromalacie). La douleur continue au genou du requérant l’a empêché de travailler et il se sentait déprimé depuis environ deux ans. Il avait de graves maux de tête récurrents, un sommeil fragmenté et non réparateur, une perte d’intérêt pour toute activité, une humeur dépressive et de la difficulté à se concentrer. Il se sentait désespéré, impuissant et inutile. Il était incapable de profiter de la vie, il évitait de sortir et il était distrait. Il avait un mauvais fonctionnement exécutif et manquait d’intuition. Il n’avait obtenu qu’une note de 35 à son évaluation globale de fonctionnementFootnote 24.

[30] En mai 2008, le Dr Thakkar a affirmé que les principales causes de l’incapacité du requérant à travailler étaient sa dépression et ses douleurs au genouFootnote 25. En juin 2008, le Dr Panjwani a déclaré que le requérant avait de la difficulté à rester assis ou debout pendant une période prolongée. Ses symptômes de 2006 étaient pour l’essentiel toujours présents. De plus, le requérant évitait les activités sociales, était relativement confiné à la maison, avait du mal à prendre des décisions, pleurait facilement, était très émotif, avait une faible tolérance à la frustration et manquait de motivation pour faire quoi que ce soit. Ses fonctions cognitives étaient perturbées. Le Dr Panjwani a confirmé les diagnostics précédents et a noté que le trouble dépressif majeur du requérant était un seul épisode continu. Il a aussi signalé que le requérant avait obtenu une note de seulement 40 à son évaluation globale de fonctionnement. Il n’y avait pas eu d’amélioration dans son état de santé et ses symptômes avaient persisté malgré les médicaments. Sa douleur était persistante, il était toujours anxieux et dépressif et il était totalement invalide et incapable d’occuper un quelconque emploiFootnote 26.

[31] En octobre 2015, le Dr Panjwani a posé des diagnostics similaires de trouble dépressif majeur (grave et récurrent) avec anxiété généralisée et de trouble de douleur chronique associé à des facteurs psychologiques et à des problèmes de santé généraux. Le requérant demeurait totalement invalide et incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceFootnote 27. En mai 2016, le Dr Thakkar a affirmé que le requérant était en arrêt de travail depuis 2002 en raison de douleurs au genou gauche et d’une dépression. Son état n’avait pas changé et il demeurait invalideFootnote 28.

[32] En octobre 2017, le Dr Thakkar a déclaré que le requérant était incapable de travailler depuis qu’il s’était blessé au genou au travail, en raison de douleurs chroniques, d’un trouble dépressif majeur et d’une chondromalacie rotulienne. Son genou gauche lui faisait constamment mal et il ne pouvait marcher que sur une distance d’un pâté de maisons. Il était toujours très anxieux et déprimé et ne pouvait pas faire de tâches ménagères. Chaque fois qu’il tentait de travailler, il devenait anxieux et avait des palpitations et un malaise à la poitrine. Il dépendait de sa femme et de ses enfants pour ses opérations bancaires et ses achats. Il semblait toujours déprimé et se disait triste en raison de son incapacité à travailler et à contribuer aux tâches ménagères. Le Dr Thakkar a déclaré qu’il n’était pas employable en raison de sa dépression et de son syndrome de douleur chroniqueFootnote 29.

[33] Pour ce qui est de la période allant jusqu’à janvier 2006, je dois me fier aux dossiers cliniques du Dr Thakkar. Ceux-ci sont souvent difficiles à lire. Le 28 mai 2004, le requérant a signalé qu’il éprouvait de la douleur lorsqu’il marchait ou restait assis dans une voiture pendant plus de 30 minutes. Il ne pouvait pas rester assis plus de deux heures. En juin 2004, il a affirmé qu’il éprouvait de la douleur lorsqu’il marchait sur une distance de plus de deux pâtés de maisons ou pendant un trajet en voiture cahoteux. Il n’a pas pu reprendre son travail. Il se sentait aussi dépriméFootnote 30. Ses douleurs au genou ont persisté pendant le reste de l’année, et il était toujours déprimé en décembre 2004. Il prenait déjà du Paxil à ce moment-làFootnote 31.

[34] Au début du mois de janvier 2015, le requérant a signalé au Dr Thakkar qu’il éprouvait des maux de tête et du stress. Il a continué à se plaindre de douleurs tout au long de 2005. Il s’est aussi fréquemment plaint de maux de tête et de dépression. Le requérant s’est notamment plaint en 2005 d’un manque de sommeil, de son incapacité de monter les escaliers, de fatigue et d’être malheureux, de confusion, de stress et de manque de motivationFootnote 32.

[35] Il y avait peu d’éléments de preuve détaillés sur le nombre d’heures que le requérant a consacrées à ses divers programmes de recyclage. Cependant, comme l’a fait remarquer le Dr Luther, il semble avoir fait peu de progrès, en particulier en ce qui concerne l’anglais, qui était au cœur de ces programmes. Un élément essentiel de la capacité de travail est la capacité d’accomplir quelque chose. Le requérant n’a pas démontré grand-chose à cet égard, quel que soit le temps qu’il a consacré à ses programmes de recyclage.

[36] La preuve ci-dessus me convainc que le requérant est incapable de travailler depuis au moins juin 2004. En particulier, il est incapable d’accomplir du travail physique peu spécialisé qui exige une connaissance limitée ou nulle de l’anglais ou du français. Cependant, je dois également prendre en considération le témoignage oral du requérant, ainsi qu’une note de 2005 du Dr Thakkar, qui donnent à penser que le requérant pourrait avoir eu une certaine capacité de travail après la PMA.

[37] En général, le requérant a nié être capable de travailler. Cependant, il a également admis avoir suivi un programme de recyclage pendant deux à trois ans et des cours d’anglais langue seconde deux ou trois jours par semaine après que le Dr Thakkar les lui ait recommandés en 2005. Il a également déclaré avoir suivi une formation de deux semaines sur l’utilisation d’un tour; la présence de personnes parlant le panjabi lui a facilité la tâche. Il alternait entre les positions assise et debout. Cependant, le requérant a affirmé que personne ne l’avait appelé pour lui offrir un emploi après qu’il ait terminé sa formation. Il croit qu’il aurait pu faire ce travail à l’époque, mais qu’il ne pourrait plus le faire maintenant parce qu’il ne peut pas rester assis ou debout longtemps et a toujours des maux de tête. Je lui ai demandé s’il aurait pu faire ce genre de travail à n’importe quel moment depuis 2002. Il m’a répondu qu’il aurait pu faire du travail léger à l’époque, mais qu’il ne pourrait plus le faire maintenant. Il est difficile d’établir quand il a peut-être eu une telle capacité.

[38] En juillet 2005, le Dr Thakkar a dit que le requérant pouvait détenir un emploi où il était assis, même s’il était stressé et malheureux et qu’il avait des douleurs au genouFootnote 33. Conjugué au témoignage oral du requérant concernant le tour, cela suggère une certaine capacité de travail après la PMA.

[39] Je dois évaluer cette capacité apparente en tenant compte de la situation personnelle du requérant, comme l’exige la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt VillaniFootnote 34. J’ai déjà constaté que les études et l’expérience professionnelle limitées du requérant ne le destinent en réalité qu’à un travail physique peu spécialisé qui exige une connaissance limitée ou nulle de l’une des deux langues officielles du Canada.

[40] Indépendamment de ses problèmes linguistiques, il se peut que le requérant ait déjà eu après la PMA une certaine capacité d’accomplir du travail d’assemblage léger en alternant entre les positions assise et debout. Cependant, j’estime que cela était conditionnel au fait de se trouver dans un milieu où l’on parlait le panjabi (et idéalement son propre dialecte). Il est peu probable que le Dr Thakkar ait considéré que le requérant était employable dans un milieu anglophone, car il l’avait précédemment encouragé à suivre un cours d’anglais langue secondeFootnote 35. Je ne peux pas appliquer le critère établi dans l’arrêt Villani et ne pas tenir compte de l’incapacité du requérant de communiquer en anglais ou en français. Je conclus qu’il n’a aucune capacité de travail depuis juin 2004. Cela signifie qu’il est atteint d’une invalidité grave depuis juin 2004.

[41] Cette situation est très inhabituelle. Une personne ayant des problèmes médicaux similaires, mais de meilleures aptitudes linguistiques et intellectuelles aurait probablement eu une certaine capacité de travail après la PMA. Cependant, je ne dois pas évaluer un demandeur [traduction] « typique ». L’arrêt Villani a force exécutoire et m’oblige à considérer la situation personnelle du requérant, sans quoi je commettrais une erreur de droit.

Si tel est le cas, son invalidité était-elle aussi de nature prolongée en date du 31 décembre 2004?

[42] Personne n’a laissé entendre que l’invalidité du requérant allait provoquer sa mort. Cela signifie que son invalidité n’est prolongée que si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie.

[43] Le requérant s’est constamment plaint de douleurs avant et après sa PMA. Le Dr Thakkar lui a prescrit du Paxil pour sa dépression avant sa PMA et a fait une demande de consultation psychiatrique en 2005Footnote 36. Le requérant ne pensait pas être en mesure de travailler. Il prend toujours des antidépresseurs, mais ils le rendent fatigué et somnolent. Il a récemment commencé à avoir des maux de dos, ce qui suggère que son syndrome de douleur chronique s’aggrave au lieu de s’améliorer. Il continue d’avoir des maux de tête. Il a nié avoir refusé des traitements recommandés, ajoutant : [traduction] « je veux aller mieux ».

[44] Le Dr Thakkar a traité le requérant depuis 2001. Le Dr Panjwani le traite depuis janvier 2006. Même si le Dr Thakkar espérait initialement que le requérant retournerait au travail, il a par la suite donné peu d’indications sur cette possibilité. La seule exception notable est son commentaire de juillet 2005 sur le travail en position assise, mais j’ai déjà abordé ce point dans mon évaluation de la gravité de l’invalidité du requérant. Sinon, ces médecins ont constamment décrit l’invalidité du requérant comme étant prolongée.

[45] En juin 2008, le Dr Panjwani a déclaré que l’état du requérant ne s’était pas amélioré après deux ans de traitement. Ses symptômes persistaient et son pronostic à long terme était mauvais. En octobre 2015, le Dr Panjwani a affirmé que le pronostic à long terme du requérant était mauvais, tant pour ce qui était de ses troubles mentaux que physiquesFootnote 37. En mai 2016, le Dr Thakkar a déclaré que le requérant demeurait invalide et son état de santé n’avait pas évolué depuis sa lettre de mai 2008Footnote 38. En octobre 2017, le Dr Thakkar a affirmé que le requérant était invalide depuis son accident de travail, malgré le fait qu’il avait été examiné et traité par des spécialistesFootnote 39.

[46] Près de 18 ans se sont écoulés depuis l’accident de travail du requérant. Il n’a pas occupé d’emploi significatif depuis. Je reconnais également que sa dépression est apparue en raison de son incapacité à continuer à travailler. Selon la prépondérance des probabilités, j’estime que son invalidité sera probablement d’une durée longue, continue et indéfinie, comme c’est le cas depuis au moins juin 2004 (date à laquelle sa dépression s’est manifestée pour la première fois). Son invalidité est donc prolongée depuis juin 2004.

Conclusion

[47] Le requérant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis juin 2004. Cependant, pour calculer la date du versement de la pension, une personne ne peut être réputée invalide plus de quinze mois avant la réception par le ministre de la demande de pensionFootnote 40. Le ministre a reçu la demande en septembre 2015, de sorte que la date réputée d’invalidité est juin 2014. Les paiements commencent quatre mois après la date présumée d’invalidité, soit à compter d’octobre 2014Footnote 41.

[48] L’appel est accueilli.

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