Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] Le ministre n’a pas agi de manière judiciaire en rendant la décision découlant de la révision. Toutefois, le requérant n’a pas droit à une prolongation du délai pour la présentation de sa demande de révision. Il n’a pas répondu aux exigences du Régime de pensions du Canada pour une prolongation.

Aperçu

[2] Le ministre a accordé au requérant des prestations d’invalidité du RPC en mars 2011. Les versements rétroactifs ont commencé en décembre 2009. Le ministre a cependant appris par la suite que le requérant était retourné au travail. Après une enquête, le ministre a jugé que le requérant n’était pas admissible à des prestations d’invalidité du RPC à compter du 31 mai 2013. Le ministre a stipulé cela dans une lettre datée du 17 octobre 2017 (c’est la décision initiale). Le requérant a déposé sa demande de révision le 14 août 2019. Dans une décision découlant d’une révision datée du 4 octobre 2019, le ministre a maintenu la décision initiale au motif que la demande de révision était arrivée trop tard. Le requérant a interjeté appel de la décision découlant de la révision au Tribunal.

[3] Une personne doit habituellement déposer sa demande de révision dans les 90 jours suivant la date à laquelle elle a été avisée de la décision. Puisque le ministre a reçu la demande de révision du requérant plus de 90 jours après que ce dernier a reçu la décision initiale, le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de rejeter sa demande en ne prolongeant pas la période de 90 jours pour la présentation de la demande. Dans la présente affaire, le ministre a décidé de ne pas donner une prolongation. Une personne qui se croit lésée par une décision du ministre de ne pas accorder un délai supplémentaire peut interjeter appel de cette décision devant le TribunalFootnote 1. C’est ce que le requérant a fait en l’espèce.

Questions en litige

[4] À quel moment expirait le délai de 90 jours pour présenter la demande de révision?

[5] Le ministre a-t-il agi de manière judiciaire en refusant d’accorder au requérant une prolongation du délai pour demander une révision de la décision initiale?

[6] Si le ministre n’a pas agi de manière judiciaire, quelle décision aurait-il dû rendre en ce qui concerne la demande de prolongation?

Analyse

[7] Une personne peut, dans les 90 jours suivant le jour où elle est avisée d’une décision, demander au ministre de réviser la décision. Le ministre peut autoriser un délai plus long pour la présentation de la demande, mais n’est pas tenu de le faire. Le ministre doit être convaincu qu’il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai et que la personne a manifesté l’intention constante de demander une révision. Si la demande est présentée plus d’un an suivant la réception de la décision initiale, le ministre doit aussi être convaincu que la demande de révision a des chances raisonnables de succès et que l’autorisation du délai supplémentaire ne lui porte pas préjudice ni d’ailleurs à aucune autre partieFootnote 2.

[8] La décision du ministre d’accueillir ou de rejeter une demande de révision tardive est discrétionnaire. Le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire et judicieuseFootnote 3. Le Tribunal ne peut s’immiscer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre que dans certaines situations, notamment lorsque le ministre n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire ou lorsqu’il agit de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Le pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé de manière judiciaire si l’on parvient à établir que le ministre :

  • a agi de mauvaise foi;
  • a agi dans un but ou pour un motif irrégulier;
  • a pris en compte un facteur non pertinent;
  • a ignoré un facteur pertinent;
  • a agi de manière discriminatoireFootnote 4.

[9] Mon rôle à cette étape ne consiste pas à déterminer si le ministre a rendu la bonne décision. Je dois plutôt déterminer si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire et judicieuse. Je vais d’abord me prononcer sur la date à laquelle le requérant a été avisé de la décision initiale et la date à laquelle prenait fin le délai de 90 jours prévu pour présenter une demande de révision de la décision.

À quel moment expirait le délai de 90 jours pour présenter la demande de révision?

[10] Le ministre a rendu la décision initiale le 17 octobre 2017. À l’audience, le requérant a affirmé qu’il ne se rappelait pas l’avoir reçue. Il a aussi dit souffrir de perte de mémoireFootnote 5. Dans sa demande de révision, il n’a pas indiqué le moment où il a été avisé de la décision initiale. Il a toutefois admis ne pas avoir fait la demande de révision dans les 90 jours suivant la date à laquelle il a reçu la décision initialeFootnote 6.

[11] Le requérant a dit avoir une grande boîte d’enveloppes dans le garage d’une personne de ses amis. Il y jette un coup d’œil chaque fois que quelqu’un a besoin de quelque chose. Il a affirmé que la plupart des enveloppes n’étaient pas ouvertes. En raison de ses troubles de santé mentale, il a peur de rencontrer d’autres personnes, de recevoir des appels et d’ouvrir du courrier. S’il a reçu la décision initiale, il a dit [traduction] « ça devrait » être dans cette boîte d’enveloppes.

[12] Je ne vois aucun élément de preuve convaincant au dossier du Tribunal selon lequel la décision initiale n’a pas été livrée au requérant. Un appel téléphonique a été fait entre le requérant et le ministre le 30 octobre 2017, pendant lequel le requérant a confirmé son adresse de résidence à North Bay et a dit qu’il déménagerait bientôt à Windsor.Footnote 7 À l’audience, le requérant ne se rappelait pas cet appel ou la personne qui l’avait initié, parce qu’il [traduction] « [déménageait] sans arrêt ».

[13] Le requérant a admis que la décision initiale devrait être dans une boîte d’enveloppes dans le garage de son amie ou ami. Il a également déclaré avoir des pertes de mémoire et a reconnu qu’il n’avait pas déposé la demande de révision dans les 90 jours suivant la réception de la décision initiale. Par conséquent, je trouve qu’il est probable qu’il a reçu la décision initiale peu de temps après qu’elle a été rendue le 17 octobre 2017.

[14] J’admets d’office le fait que la poste au Canada est habituellement reçue dans les 10 jours. Je conclus donc que la décision initiale a été communiquée au requérant le 27 octobre 2017. Cela signifie que le délai de 90 jours pour présenter une demande de révision aurait pris fin le 25 janvier 2018. Puisque cela s’est produit bien avant que le requérant dépose la demande de révision, je vais maintenant trancher la question de savoir si le ministre a agi de manière judiciaire lorsqu’il a rejeté sa demande.

Le ministre a-t-il agi de manière judiciaire en refusant d’accorder au requérant une prolongation du délai pour demander une révision de la décision initiale?

[15] Pour les raisons énumérées ci-dessous, j’estime que le ministre n’a pas agi de manière judiciaire en refusant d’accorder une prolongation.

[16] Je ne vois aucun élément de preuve selon lequel le ministre a agi de mauvaise foi, a agi de manière discriminatoire, a pris en compte un facteur non pertinent, ou a agi dans un but ou pour un motif irrégulier. Je vais maintenant examiner la question de savoir si le ministre a ignoré un facteur pertinent.

Le ministre a-t-il ignoré un facteur pertinent?

[17] Les lettres qui accompagnaient la demande de révision du requérant indiquent la possibilité que le requérant n’ait peut-être pas reçu la décision initiale. Il a déclaré que, par le passé, il n’avait pas ouvert ou répondu à des lettres à cause de la peurFootnote 8. Il peut également avoir tenté de régler des questions reliées au RPC aux alentours de 2018, parce qu’en août 2019, il a dit [traduction] « la dernière fois où je me suis occupé de l’invalidité du RPC était l’an dernierFootnote 9 ».

[18] Ces mentions sont importantes parce que le ministre a affirmé que le requérant n’avait manifesté aucune intention de faire appel entre le 30 octobre 2017 et le 17 juin 2019. Toutefois, le requérant a prétendu qu’il [traduction] « s’occupait » de l’invalidité du RPC à un moment donné de 2018, et a laissé entendre qu’il n’avait peut-être pas reçu la décision initiale. Le ministre aurait dû reconnaître ces mentions et, si elles n’étaient pas pertinentes, expliquer pourquoi elles ne changeaient pas la décision du ministre.

[19] Comme le ministre a ignoré un facteur pertinent, il n’a pas agi de manière judiciaire lorsqu’il a refusé une prolongation pour la demande de révision du requérant.

Si le ministre n’a pas agi de manière judiciaire, quelle décision aurait-il dû rendre en ce qui concerne la demande de prolongation?

[20] Je dois maintenant rendre la décision que le ministre aurait dû rendre en examinant la demande de révision. J’expliquerai pourquoi le requérant ne satisfait pas à chacun des quatre critères permettant une prolongation. Dans la présente analyse, je peux prendre en compte des éléments de preuve donnés à l’audience. Cela est important, parce que le requérant a donné des éléments de preuve orale au sujet des périodes et des événements en cause.

[21] Le ministre semble accepter que le requérant avait une chance raisonnable de succès : il a présenté un long témoignage manuscrit à propos de sa vie et des prestations d’invalidité du RPC. Le ministre n’a pas non plus fait allusion à un quelconque préjudice si une prolongation était accordéeFootnote 10. Le ministre n’a pas pris part à l’audience et n’a jamais contredit ces deux admissions. J’estime que le requérant a satisfait aux facteurs de « la chance raisonnable de succès » et de « l’absence de préjudice ». Cela signifie que je dois seulement décider s’il a établi que « le retard a été raisonnablement expliqué » et s’il a « manifesté l’intention constante de demander une révision ». J’examinerai d’abord « l’intention constante ».

Le requérant a-t-il manifesté l’intention constante de demander une révision?

[22] Pour satisfaire à ce critère, le requérant doit manifester l’intention constante de demander une révision. J’ai déjà établi qu’il avait reçu la décision initiale le 27 octobre 2017. Je ne vois la preuve d’aucune autre communication entre le requérant et le ministre, et ce entre le 30 octobre 2017 (peu de temps après la décision initiale) et le 17 juin 2019 (peu de temps avant que le ministre reçoive la demande de révision). Ceci est très important. Cependant, je dois aussi tenir compte d’autres mesures prises par le requérant pendant cette période.

[23] À l’audience, le requérant ne pouvait pas se rappeler les mesures qu’il a prises pour en appeler de la décision initiale. Il a affirmé ne pas être doué pour gérer les choses. Il a également décrit un esprit embrouillé, et a dit que sa perte de mémoire était causée par ses nombreux médicaments. Il a déclaré qu’il [traduction] « n’[a] personne pour me soutenir » pour le moment.

[24] Comme il est indiqué, le requérant affirme qu’il [traduction] « [s’occupait] de l’invalidité du RPC » en 2018. Il n’a toutefois fourni aucun détail à ce sujet. Selon sa longue lettre d’août 2019, cela semble avoir été limité à fournir des documents reliés au RPC à la Learning Disabilities Association of Windsor [association des troubles d’apprentissage de Windsor] pour sa demande auprès du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH)Footnote 11. À l’audience, il a déclaré que la Learning Disabilities Association of Windsor et son spécialiste en santé mentale a été indispensable pour l’approbation en juin 2019 de ses prestations du POSPH.

[25] Le requérant a activement fait le suivi de sa demande du POSPH durant la période en question. En mars 2018, la Dre Renaud (psychologue) l’a évalué à la demande de la Learning Disabilities Association of Windsor. L’objectif était d’évaluer son niveau de fonctionnement actuel et d’établir s’il était un bon candidat pour le POSPH. Même si la Dre Renaud a souligné qu’il recevait des prestations d’invalidité du RPC jusqu’en 2013, elle n’a pas fait référence à la poursuite des prestations d’invalidité du RPC au-delà de cette date ou au fait d’éviter tout remboursementFootnote 12. En février 2019, le requérant a rempli un formulaire d’auto-évaluation pour le POSPHFootnote 13. En mai 2019, la Dre Renaud a rempli d’autres rapports du POSPHFootnote 14. Bien que le requérant ait dit avoir du mal à trouver du soutien médical, il a reçu un soutien aux personnes handicapées important de la part de la Dre Renaud à la fois en 2018 et en 2019.

[26] Le requérant a aussi été très actif sur le marché du travail à la fin 2018 et au début de 2019. En février 2019, il a décrit quatre emplois distincts en 2018 et 2019Footnote 15. À l’audience, il a déclaré avoir occupé ces emplois entre septembre 2018 et mars 2019. Il a dit plus tard qu’il a eu cinq emplois sur une période de six moisFootnote 16. Cela semblait faire référence à la même période commençant en septembre 2018.

[27] Enfin, le requérant a suivi un cours de mécanique au Canadore College [collège Canadore].Footnote 17 À l’audience, il a affirmé avoir fréquenté le collège entre septembre 2017 et janvier 2018, lorsqu’il a abandonné en raison de préoccupations liées à l’anxiété. Le cours devait se terminer en mai 2018.

[28] Entre le 31 octobre 2017 et le 17 juin 2019, le requérant a essayé de se recycler, il a fait plusieurs tentatives pour garder un emploi, et a poursuivi les prestations du POSPH. Cependant, je ne vois aucune preuve convaincante à propos de la poursuite d’une demande de révision de la décision initiale. J’estime qu’il n’a pas manifesté l’intention constante de présenter une demande de révision pendant au moins cette période. Comme il s’agit d’un critère obligatoire, il n’est pas nécessaire que j’examine la question de savoir s’il avait également une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai pour la présentation de sa demande de révision. Son appel n’a pas de chances de succès.

[29] En tirant cette conclusion, je reconnais que le requérant a vécu certaines expériences éprouvantes. À l’audience, il a déclaré ne pas avoir lu la longue lettre manuscrite qu’il a présentée avec sa demande de révisionFootnote 18. Cela est compréhensible : il était troublant de la lire. Ma décision ne devrait pas être interprétée comme un rejet de ce qu’a écrit le requérant.

[30] Il n’est pas difficile de constater comment les expériences traumatisantes vécues par le requérant continuent de l’affecter aujourd’hui. Peut-être a-t-il une explication raisonnable pour avoir tardé à présenter sa demande de révision. La plupart de ses éléments de preuve portaient sur cet aspect. Toutefois, je ne peux pas ignorer le libellé clair du Régime de pensions du Canada. Je dois appliquer la loi comme elle est écrite. La loi prévoit qu’il doit manifester l’intention constante de présenter une demande de révision. Sans cela, je ne peux pas accorder une prolongation.

Conclusion

[31] Le ministre n’a pas agi de manière judiciaire lorsqu’il a refusé d’accorder une prolongation pour la présentation de la demande de révision. Cela signifie que j’ai eu à rendre la décision que le ministre aurait dû rendre. Cependant, l’issue est la même. Comme le requérant n’a pas satisfait aux quatre exigences pour la prolongation du délai de présentation de sa demande de révision, son appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.