Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] L’appel est rejeté. J’estime que la doctrine du principe de la chose jugée s’applique, et je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire pour refuser d’appliquer le principe de la chose jugée dans les circonstances de cette affaire. Cela signifie que la décision du tribunal de révision de 1997 selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) est définitive et exécutoire. Par conséquent, le requérant ne peut porter à nouveau la question de l’invalidité en vertu du RPC devant le Tribunal de la sécurité sociale. 

Aperçu

[2] Le requérant a demandé à plusieurs reprises une pension d’invalidité du RPC. Le ministre a reçu sa dernière demande le 20 septembre 2017. Le ministre a rejeté la demande au stade initial ainsi qu’après révision. Le ministre affirme que le principe de la chose jugée empêche le Tribunal d’examiner la dernière demande du requérant. Le ministre explique que le tribunal de révision a examiné la même question en 1997 et que la période minimale d’admissibilité (PMA) du requérant était la même qu’aujourd’hui. Le requérant a interjeté appel de la décision relative à la révision devant le Tribunal de la sécurité sociale. Le requérant soutient que le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le principe de la chose jugée à cet appel, selon un arrêt de la Cour suprême du Canada. À titre subsidiaire, s’appuyant sur une autre décision de la Cour suprême, le requérant fait valoir que la décision du tribunal de révision de 1997 devrait être considérée comme nulle. Cela empêcherait aussi l’application du principe de la chose jugée.

[3] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, le requérant doit satisfaire aux exigences énoncées dans le RPC. En particulier, il doit avoir été déclaré invalide au sens du RPC à la fin de la PMA ou avant la fin de cette période. Le calcul de la PMA est fondé sur ses cotisations au RPC. Je conclus que sa PMA a pris fin le 31 décembre 1993. Toutefois, je ne peux examiner la question de l’invalidité que si le principe de la chose jugée ne m’empêche pas de le faire.

Question préliminaire

[4] Lors de la conférence préparatoire à l’audience, les parties ont convenu d’un processus en deux étapes pour le présent appel. Premièrement, j’aimerais tenir une audience pour déterminer si le principe de la chose jugée empêche de tenir une audience d’appel sur le fond. Si je conclus que le principe de la chose jugée s’applique, ce sera la décision finale dans cette affaire et aucune autre audience ou décision ne sera nécessaire. Toutefois, si je conclus que le principe de la chose jugée ne s’applique pas, j’inscrirai cette conclusion dans une décision intérimaire. Je tiendrai alors une deuxième audience sur le fond de l’appel du requérant, et je rendrai une décision finale sur le fond.

Question en litige

[5] L’appel du requérant est-il irrecevable en raison de l’application du principe de la chose jugée?

Analyse

[6] Cette affaire comporte un historique long et complexe, avec de nombreuses procédures tant devant le Tribunal que devant ses prédécesseurs. Cependant, la question en litige est en fait plutôt simple. Le principe de la chose jugée s’applique-t-il?

Sommaire des événements

[7] Le requérant a d’abord présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC en 1993. Cependant, cette demande n’est pas pertinente pour ma décision. Je m’intéresse à sa deuxième demande de prestations d’invalidité du RPC qu’il a présentée le 31 janvier 1996. Le ministre l’a rejetée au stade initial en juin 1996. Le requérant a demandé une révision. Le 6 janvier 1997, à la suite de cette révision, le ministre a rendu une décision qui a confirmé le rejet initial de la demande. Le requérant a alors porté en appel la décision découlant de la révision devant le tribunal de révision (le prédécesseur de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale).

[8] Le tribunal de révision (que j’appellerai le « tribunal de révision de 1997 ») a instruit l’appel en juin 1997. Le 9 septembre 1997, le tribunal de révision a rejeté l’appel du requérant dans sa décision (la « décision du tribunal de révision de 1997 »)Note de bas de page 1. Le tribunal de révision de 1997 a conclu que le requérant n’était pas atteint d’une invalidité grave et prolongée à la date à laquelle sa PMA a pris fin, soit le 31 décembre 1993.

[9] Le requérant n’a pas interjeté appel de la décision du tribunal de révision de 1997 à ce moment. Cependant, il a présenté une autre demande de prestations d’invalidité du RPC le 6 janvier 1998, et a depuis cherché à obtenir des prestations d’invalidité de temps en temps. La date où sa PMA a pris fin est toujours le 31 décembre 1993, donc le principe de la chose jugée semble s’appliquer.

[10] Le ministre a rejeté la dernière demande du requérant le 15 juin 2018. Le 5 octobre 2018, se fondant sur le principe de la chose jugée, après révision, le ministre a rendu une décision qui a confirmé le rejet initial de la demande. Le requérant a interjeté appel de cette décision auprès de la division générale du Tribunal (l’appel dont je suis actuellement saisi). Toutefois, cet appel a été mis en suspens pendant un certain temps parce que le requérant avait aussi un appel devant la division d’appel du Tribunal.

[11] L’appel de 2018 du requérant à la division d’appel du Tribunal visait à obtenir une prolongation du délai d’appel de la décision du tribunal de révision de 1997. Le 14 décembre 2018, la division d’appel du Tribunal a jugé que le requérant avait trop tardé pour porter en appel la décision du tribunal de révision de 1997. En conséquence, le présent appel peut finalement être instruit.

Les arguments du requérant

[12] Bien que le requérant reconnaisse que la décision du tribunal de révision de 1997 existe, il soutient que le principe de la chose jugée ne s’applique pas à son appel. Il fonde son argument sur deux décisions de la Cour suprême du Canada : DanylukNote de bas de page 2 et ChandlerNote de bas de page 3.

[13] La décision Danyluk établit un critère en deux volets pour déterminer si le principe de la chose jugée devrait s’appliquer. Le requérant admet que la décision Danyluk est la référence en matière de principe de la chose jugée.

[14] En ce qui concerne le premier volet du critère établi dans Danyluk, le requérant affirme que la question tranchée dans la décision du tribunal de révision de 1997 est différente de la question à trancher dans la présente demande. En ce qui a trait au second volet du critère Danyluk, le requérant soutient que le tribunal de révision dans sa décision de 1997 a appliqué le mauvais critère pour les prestations d’invalidité du RPC, en insistant sur la preuve médicale objective d’incapacité physique. Par conséquent, le requérant fait valoir que les principes de justice naturelle empêchent l’application du principe de la chose jugée.

[15] L’arrêt Chandler énonce que dans certaines circonstances, une décision précédente d’un tribunal peut être considérée comme nulle. Le requérant affirme que la décision du tribunal de révision de 1997 est nulle parce que le tribunal a fait preuve de partialité et n’a pas examiné tous les éléments de preuve médicale et n’en a pas tenu compte. Si la décision du tribunal de révision de 1997 est nulle, alors le principe de la chose jugée ne s’appliquerait pas. Je vais examiner les arguments du requérant à la lumière des décisions Danyluk et Chandler.

L’appel du requérant est-il irrecevable en raison de l’application du principe de la chose jugée?

[16] Pour les motifs suivants, je conclus que le principe de la chose jugée s’applique au présent appel du requérant. Cela signifie que son appel ne peut être instruit sur le fond et qu’une décision sur le fond ne peut être rendue.

[17] Dans l’arrêt Danyluk, la Cour suprême du Canada a affirmé que le principe de la chose jugée s’applique lorsque l’on examine des questions qui ont déjà fait l’objet d’une décision par les tribunaux. Lorsque le principe de la chose jugée s’applique, la décision rendue dans le cadre de la procédure précédente empêche de remettre en cause une question déjà tranchée. Si le principe de la chose jugée s’applique à la présente affaire, alors la décision du tribunal de révision de 1997 empêcherait le requérant de remettre en cause devant le Tribunal la question de l’invalidité en vertu du RPC.

[18] La décision Danyluk établit un critère en deux volets concernant l’application du principe de la chose jugée. Le requérant fait valoir qu’aucun des volets de ce critère n’est satisfait.

Premier volet du critère établi dans Danyluk

[19] Pour les motifs suivants, je conclus que le premier volet du critère établi dans Danyluk est satisfait.

[20] Trois conditions doivent être remplies dans le premier volet du critère établi dans Danyluk :

  1. La question doit être la même que celle déjà décidée dans la décision précédente.
  2. La décision précédente doit être une décision finale.
  3. Les parties dans les deux procédures doivent être les mêmes.

[21] Le requérant admet que les deuxième et troisième conditions sont remplies. Toutefois, il avance que la décision du tribunal de révision de 1997 n’avait pas tranché la même question.

(1) La même question a-t-elle été tranchée dans la décision du tribunal de révision de 1997?

[22] La décision du tribunal de révision de 1997 a tranché la question de savoir si le requérant était invalide au sens du Régime de pensions du Canada à la date à laquelle sa PMA a pris fin, soit le 31 décembre 1993, ou avant cette dateNote de bas de page 4.

[23] Dans le présent appel, la question que doit trancher le Tribunal consiste à déterminer si le requérant était invalide au sens du Régime de pensions du Canada à la date où sa PMA a pris fin, soit le 31 décembre 1993, ou avant cette date. Il admet que sa PMA a pris fin le 31 décembre 1993. La définition de l’invalidité énoncée dans le RPC n’a pas changé depuis la décision du tribunal de révision de 1997.

[24] Le requérant fait valoir que cette question n’a jamais été décidée parce que le tribunal de révision de 1997 a rejeté son appel au motif qu’aucune preuve médicale objective ne permettait de conclure qu’il était invalideNote de bas de page 5. Il soutient que le tribunal de révision de 1997 a appliqué le mauvais critère et que, par conséquent, il n’a pas décidé la même question que celle dont le Tribunal est saisi actuellement. Il a déclaré avoir présenté un témoignage convaincant à l’audience. Il a soutenu qu’un élément probant objectif n’est pas nécessaire : les dispositions pertinentes du RPC se concentrent sur la question de savoir si un demandeur peut travailler ou nonNote de bas de page 6. Il a également cité une décision de la Commission d’appel des pensions de 1993, la décision Bennett, qui s’appuyait sur des éléments de preuve convaincants et crédibles du demandeur. Cependant, je remarque que la décision Bennett a aussi examiné la preuve médicale objectiveNote de bas de page 7.

[25] À mon avis, le requérant soutient que le tribunal de révision de 1997 a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère d’invalidité du RPC alors qu’il s’appuyait sur la preuve objective. Ce n’est pas la même chose que de traiter d’une question différente. Je ne suis pas convaincu, par exemple, que le tribunal de révision de 1997 n’avait pas compétence pour rendre la décision qu’il a rendue. J’estime que le tribunal de révision de 1997 a en fait tranché la même question. Il a tranché la question de savoir si le requérant était invalide au sens du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada. C’est exactement ce que le requérant recherche dans sa dernière demande. Lorsqu’il a présenté une demande de prestations d’invalidité en 1996, il a indiqué que ses douleurs dorsales chroniques dues à des vertèbres endommagées et ses douleurs sur le côté droit du corps et sur la poitrine constituaient ses handicapsNote de bas de page 8. Plus tard cette année-là, le Dr Lax (médecin de famille) a expliqué que l’invalidité était fondée sur trois importantes blessures au dos qui ont rendu le requérant physiquement invalide et incapable d’effectuer un travail exigeant sur le plan physique. Les limites intellectuelles du requérant l’empêchaient d’exercer d’autres types de travail. En mai 1997, juste avant l’audience, le Dr Lax a insisté sur la douleur chronique au dos du requérantNote de bas de page 9. Si le présent appel devait faire l’objet d’une audience sur le fond, le requérant s’appuierait sur ces exemples et sur d’autres éléments de preuve objective.

[26] Le présent appel du requérant concerne la même question que celle examinée dans la décision du tribunal de révision de 1997 : l’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Par conséquent, la première condition est remplie.

(2) La décision du tribunal de révision de 1997 était-elle finale?

[27] Le requérant admet que la décision du tribunal de révision de 1997 était finale. Une lettre accompagnant la décision décrivait la procédure d’appel. Elle indiquait qu’une partie insatisfaite de la décision pouvait présenter à la Commission d’appel des pensions (la Commission) une demande d’en appeler, dans les 90 jours suivant la réception de la décision. La lettre indiquait l’adresse de la Commission, et invitait les parties à communiquer avec le tribunal de révision si elles avaient des questionsNote de bas de page 10. Aucun élément de preuve ne m’indique que le requérant a interjeté appel à la Commission dans les 90 jours de la réception de la décision du tribunal de révision de 1997.

[28] Puisque la décision du tribunal de révision de 1997 n’a pas été portée en appel dans les délais requis, il s’agit donc d’une décision finale. La deuxième condition est par conséquent remplie.

(3) Les parties à la décision du tribunal de révision de 1997 sont-elles les mêmes que dans la procédure actuelle?

[29] Le tribunal de révision de 1997 ressemble beaucoup à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Ce sont tous deux des tribunaux qui établissent des faits et qui appliquent une norme juridique objective à ces faits. Ils permettent tous deux la tenue d’audiences. Ils permettent tous deux aux demandeurs de produire de nouveaux éléments de preuve, de répondre aux arguments du ministre, de présenter des observations et de recevoir les motifs écrits des décisions.

[30] La décision du tribunal de révision de 1997 a été rendue à la suite de l’appel du requérant à l’encontre de la décision de révision du ministre du Développement des ressources humaines. Le présent appel découle de l’appel du requérant à l’encontre la décision de révision du ministre de l’Emploi et du Développement social. Le nom du ministre responsable est la seule chose qui a changé. C’est maintenant le ministre de l’Emploi et du Développement social qui administre le Régime de pensions du Canada. Le requérant en convient. Dans chaque cas, le ministre représente le gouvernement fédéral. Les parties sont donc les mêmes, la troisième condition du premier volet du critère établi dans Danyluk est remplie.

Deuxième volet du critère établi dans Danyluk

[31] Pour les motifs suivants, je conclus que le deuxième volet du critère établi dans Danyluk est satisfait.

[32] Le deuxième volet du critère établi dans Danyluk consiste à décider si l’on peut avoir recours au pouvoir discrétionnaire permettant de renoncer à l’application du principe de la chose jugée. Pour rendre cette décision, les facteurs suivants doivent être examinés :

  1. le libellé du texte de loi accordant le pouvoir de rendre l’ordonnance administrative;
  2. l’objet du texte de la loi;
  3. l’existence d’un droit d’appel;
  4. les garanties offertes aux parties dans le cadre de l’instance administrative;
  5. l’expertise du décideur administratif;
  6. les circonstances ayant donné naissance à l’instance administrative initiale; et
  7. le risque d’injustice.

[33] Le requérant soutient que le tribunal de révision dans sa décision de 1997 a appliqué le mauvais critère pour les prestations d’invalidité du RPC, en insistant sur la preuve médicale objective d’incapacité physique. Par conséquent, le requérant fait valoir que les principes de justice naturelle (en d’autres mots, le risque d’injustice) empêchent l’application du principe de la chose jugée.

[34] Même si je ne suis pas lié par les décisions antérieures du Tribunal (même celle de la division d’appel du Tribunal), ces décisions peuvent être persuasives. Dans une décision de 2015, la division d’appel a précisé que ces facteurs ne méritent pas nécessairement une considération égale, et qu’il pourrait y avoir d’autres facteurs à considérerNote de bas de page 11. Il s’agit d’une question primordiale d’équité, pour éviter une injustice potentielle. On doit également rechercher un équilibre entre les besoins d’équité, d’efficacité et la prévisibilité des résultatsNote de bas de page 12. La question à laquelle je dois répondre est celle de savoir si, en prenant du recul et en examinant toutes les circonstances, l’application du principe de la chose jugée causerait une injustice.

[35] Je vais d’abord examiner les aspects procéduraux de l’affaire instruite par le tribunal de révision de 1997.

Le requérant a bénéficié d’une procédure équitable devant le tribunal de révision de 1997.

[36] J’estime que le requérant était au courant des arguments qu’il devait présenter devant le tribunal de révision de 1997. Ses observations écrites au tribunal de révision de 1997 traitent spécifiquement de la nécessité d’être atteint d’une invalidité « grave » et « prolongée »Note de bas de page 13. Il a eu une possibilité raisonnable de répondre au critère et de faire valoir ses arguments à l’appui.

[37] Après que le requérant a déposé son avis d’appel, le tribunal de révision lui a conseillé de décider s’il voulait obtenir de nouveaux renseignements ou éléments de preuve pour appuyer son appel. Le tribunal de révision lui a aussi dit de décider s’il aurait un représentant ou des témoins pour l’appuyer à l’audience. Le tribunal de révision lui a donné ses coordonnées au cas où il aurait besoin d’autres renseignements à propos de l’audienceNote de bas de page 14. Le tribunal de révision a ensuite envoyé un avis d’audience quatre semaines avant la date de l’audience. Cet avis confirmait son droit d’être entendu, son droit de témoigner et d’appeler des témoins, son droit de présenter des preuves et la possibilité d’avoir un représentant pour l’aider à l’audience. Le tribunal de révision lui a de nouveau donné ses coordonnées au cas où il aurait des questionsNote de bas de page 15.

[38] Le requérant a déposé un rapport détaillé d’évaluation psychoéducative avant l’audience du tribunal de révision de 1997Note de bas de page 16. Le médecin de famille du requérant a aussi fourni un rapport mis à jour peu de temps avant l’audience. Ce rapport portait sur la capacité du requérant de travailler et résumait ses problèmes médicauxNote de bas de page 17.

[39] Je suis convaincu que le requérant a eu la chance de faire valoir ses arguments à l’audience, car dans sa décision, le tribunal de révision de 1997 dit qu’il a [traduction] « entendu les parties et examiné les éléments de preuve »Note de bas de page 18. À l’audience devant moi, la représentante du requérant a déclaré qu’elle ne contestait pas le déroulement de l’audience du tribunal de révision de 1997.

[40] Le requérant n’a pas interjeté appel de la décision du tribunal de révision de 1997 devant la Commission d’appel des pensions, même si la loi de l’époque le lui permettaitNote de bas de page 19. Toutefois, le tribunal de révision lui a parlé de cette option en plusieurs occasions. Cela a été établi dans l’avis d’audience de mai 1997 et dans la décision du tribunal de révision de 1997. La décision du tribunal de révision de 1997 fournissait l’adresse de la Commission, et indiquait que le délai pour demander la permission d’interjeter appel était de 90 jours. Le requérant savait aussi qu’il pouvait communiquer avec le tribunal de révision s’il avait des questionsNote de bas de page 20.

[41] Compte tenu de tout ce qui précède, je ne vois aucun élément de preuve démontrant une injustice procédurale devant le tribunal de révision de 1997. Je vais maintenant examiner l’argument du requérant selon lequel une injustice a été commise parce que le tribunal de révision de 1997 aurait appliqué le mauvais critère pour les prestations d’invalidité du RPC.

Le tribunal de révision de 1997 a-t-il appliqué le mauvais critère?

[42] Le requérant affirme que le tribunal de révision de 1997 a insisté à tort sur la preuve médicale objective d’une incapacité physique. Par conséquent, le requérant fait valoir que les principes de justice naturelle empêchent l’application du principe de la chose jugée.

[43] Cela ressemble beaucoup à l’argument du requérant pour le premier volet du critère établi dans Danyluk. Comme indiqué précédemment, il a cité l’autorité législative pour justifier sa position selon laquelle une preuve médicale objective n’est pas requise. Il a invoqué une décision non contraignante de la Commission affirmant que le tribunal de révision de 1997 pouvait s’appuyer sur le témoignage d’un demandeur.

[44] Tout d’abord, je ne vois pas d’injustice dans le fait que le tribunal de révision de 1997 se fonde sur les éléments de preuve fournis par les docteurs Jimenez, Kay et Chung. Un tribunal peut préférer une preuve médicale objective à la preuve subjective de l’une des parties.

[45] Il s’agit maintenant de savoir si le tribunal de révision de 1997 a insisté à tort sur la preuve médicale objective. Je reconnais que la décision du tribunal de révision de 1997 a parlé du manque d’éléments de preuve objective d’ordre médical dans sa décision. Cependant, le Règlement sur le RPC mentionne l’exigence d’une preuve médicale objectiveNote de bas de page 21. La décision du tribunal de révision de 1997 est-elle encore une injustice qui m’oblige à utiliser mon pouvoir discrétionnaire et à refuser d’appliquer le principe de la chose jugée?

[46] Dans l’arrêt Danyluk, la Cour suprême a déclaré que le principe de la chose jugée (préclusion liée à une question en litige) présente des liens étroits avec l’abus de procédure. Je dois me demander si quelque chose dans les circonstances de cette affaire ferait de l’application du principe de la chose jugée une injusticeNote de bas de page 22. Dans l’affaire Danyluk, la Cour suprême a également établi une distinction entre l’application des facteurs discrétionnaires et le simple fait de substituer un nouvel avis à celui du décideur précédentNote de bas de page 23.

[47] Dans Danyluk, il y a eu une injustice parce que l’appelante n’a pas été informée de l’allégation de l’intimé et n’a pas eu la possibilité d’y répondreNote de bas de page 24. Cette affaire est très différente de celle du requérant.

[48] Le requérant me demande de conclure que la décision du tribunal de révision de 1997 est foncièrement injuste. Hélas, après avoir examiné l’arrêt Danyluk, je ne suis pas en mesure de le faire. Cela ne signifie pas que je rendrais la même décision que le tribunal de révision de 1997, si je devais examiner le bien-fondé de cette affaire aujourd’hui. Toutefois, il n’est pas non plus pertinent de savoir si je prendrais la même décision. En décidant si je dois utiliser mon pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le principe de la chose jugée, je ne peux pas apprécier à nouveau la preuve. Cela ne serait approprié que si je décidais que le principe de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer. 

[49] À mon avis, une décision injuste serait prise si la décision était fondée sur une procédure intrinsèquement défectueuse. Comme mentionné, je ne vois rien de substantiellement erroné dans les procédures qui ont conduit à la décision du tribunal de révision de 1997. Le requérant a eu la possibilité d’être entendu, de déposer des éléments de preuve et de formuler des observations. Les objectifs, les processus et les enjeux de l’appel actuel et de l’affaire présentée au tribunal de révision de 1997 sont pratiquement identiquesNote de bas de page 25.

[50] Une injustice pourrait survenir si le requérant avait été empêché de faire appel d’une erreur commise par le tribunal de révision de 1997. Cependant, je ne vois aucun élément de preuve indiquant que cela se soit produit. Le requérant aurait pu interjeter appel de la décision du tribunal de révision de 1997. Il a choisi de ne pas interjeter appel, et a plutôt choisi de présenter une nouvelle demande de prestations d’invalidité du RPC. Le fait de ne pas exercer l’option d’interjeter appel ne constitue pas une injustice. Il s’agit d’un choix qu’il a lui-même fait.

[51] Le requérant n’a pas été privé de la possibilité de faire évaluer et juger correctement sa demande de pension d’invalidité du RPCNote de bas de page 26. Compte tenu de la décision exécutoire Danyluk, je ne suis pas convaincu que je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire et refuser d’appliquer la doctrine de la chose jugée. Je vais maintenant décider si l’arrêt Chandler permet au requérant d’échapper au principe de la chose jugée.

L’arrêt Chandler

[52] Pour les motifs suivants, j’estime que l’arrêt Chandler ne permet pas au requérant d’éviter l’application du principe de la chose jugée. Puisque l’arrêt Chandler est complexe, je vais d’abord le résumer.

Résumé de l’arrêt Chandler

[53] L’arrêt Chandler fait suite à une décision de la Commission de révision des pratiques (la « Commission de révision ») de l’Alberta Associations of Architects (l’« Association »). L’audience devait examiner les pratiques d’un cabinet d’architectes qui a fait faillite, mais la Commission de révision a plutôt formulé 21 conclusions de conduite non professionnelle contre le cabinet et ses architectes. La Commission de révision a également imposé des amendes et des suspensions, et a condamné les architectes à payer les honoraires de l’audience. La Cour du Banc de la Reine a annulé la décision de la Commission de révision. La Cour d’appel a ensuite confirmé la décision de la Cour du Banc de la Reine. La loi applicable prévoyait que la Commission était uniquement chargée de faire rapport au Conseil de l’Association (le « Conseil ») et de formuler des recommandations appropriées, et non d’imposer des mesures disciplinaires.

[54] Après avoir perdu devant la Cour d’appel, la Commission de révision a voulu tenir une nouvelle audience pour qu’elle puisse faire rapport au Conseil. Les architectes s’y sont opposés et ont obtenu gain de cause à la Cour du Banc de la Reine, qui a estimé que la Commission de révision était « functus officio » ou dessaisie de l’affaire (en d’autres mots, la Commission avait déjà terminé son travail et elle ne pouvait recommencer). Toutefois, la Commission de révision a eu gain de cause en Cour d’appel. La Cour d’appel a conclu que la Commission de révision ne s’était pas penchée sur la question de savoir s’il fallait faire des recommandations au Conseil, et n’avait donc pas terminé son travail.

[55] La Cour suprême du Canada s’est ralliée à l’opinion de la Cour d’appel et a déclaré que la Commission de révision n’a pas tranché l’affaire d’une manière permise par la loi. Les conclusions et les mesures disciplinaires de la Commission de révision excédaient sa compétence. La Commission de révision a pensé, à tort, qu’elle avait les pouvoirs du Comité d’examen des plaintes et a agi en conséquence. Elle n’a pas envisagé de formuler des recommandations, comme l’exige le règlement applicable. Cela signifiait que la décision précédente de la Commission de révision (y compris les amendes et les suspensions) était légalement nulle, ce qui équivalait à une absence totale de décision. Cela a permis à la Commission de révision de poursuivre la procédure initiale.

L’argument du requérant à propos de l’affaire Chandler

[56] Selon le requérant, la décision Chandler soutient la conclusion selon laquelle la décision du tribunal de révision de 1997 était nulle. Il affirme que la décision devrait être considérée comme nulle parce que le tribunal de révision de 1997 a fait preuve de partialité et n’a pas pesé et examiné tous les documents médicaux. Si la décision du tribunal de révision de 1997 est nulle, alors le principe de la chose jugée ne s’appliquerait pas.

Application de la décision Chandler à la décision du tribunal de révision de 1997

[57] Aucun élément de preuve n’indique que le tribunal de révision de 1997 a fait preuve de partialité. Le requérant semble déduire que le tribunal de révision de 1997 a fait preuve de partialité sur la base du texte de la décision et sur le résultat. Toutefois, une conclusion défavorable au requérant ne signifie pas que le tribunal de révision de 1997 a fait preuve de partialité à son égard. L’impartialité judiciaire est présumée, et le fardeau de la preuve incombe à la partie qui allègue la partialité. Je ne vois pas la « crainte raisonnable de partialité » que la Cour suprême du Canada a récemment cautionnéeNote de bas de page 27. Rien dans la décision ne permet de penser que le tribunal de révision de 1997 avait pris sa décision avant l’audience, avait refusé d’examiner ses éléments de preuve, ou avait autrement tenu une audience inéquitable. En fait, la décision du tribunal de révision de 1997 commence par dire que le demandeur souffre d’un grave trouble de l’apprentissage et qu’il est peut-être analphabèteNote de bas de page 28.

[58] Cependant, il est encore plus important de noter que le tribunal de révision de 1997 a agi entièrement dans le cadre de ses compétences. Il était habilité à se prononcer sur la question de savoir si le requérant remplissait les critères d’invalidité du RPC. C’est exactement ce que le tribunal de révision de 1997 a fait. 

[59] Le fait que le requérant s’appuie sur l’affaire Chandler est similaire à son argument selon lequel la première étape du critère énoncé dans Danyluk (de savoir si la même question a été tranchée) n’a pas été satisfaite. Le requérant n’approuve manifestement pas la décision du tribunal de révision de 1997 ni les motifs de cette décision. Il a relevé des éléments de preuve qui pourraient appuyer une conclusion d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, plutôt que la conclusion tirée par le tribunal de révision de 1997. Cependant, les cas comportent souvent des éléments de preuve qui peuvent soutenir équitablement l’une ou l’autre des deux issues possibles. Dans la présente affaire, il existe également des éléments de preuve à l’appui de la décision du tribunal de révision de 1997. Le fait de ne pas souscrire à la décision du tribunal de révision de 1997, sans aucun élément de preuve convaincant pour démontrer qu’elle ne relevait pas de la compétence du tribunal de révision de 1997, ne suffit pas à la rendre nulle. Le requérant aurait également pu demander à la Commission d’appel des pensions l’autorisation de faire appel en 1997, s’il n’était pas satisfait de la procédure et des conclusions du tribunal de révision de 1997. Il a choisi de ne pas le faire.

[60] Je conclus que le tribunal de révision de 1997 a agi dans le cadre de ses compétences lorsqu’il a rendu sa décision de 1997. Cela signifie que la décision du tribunal de révision de 1997 n’est pas nulle. Par conséquent, le requérant ne peut invoquer la décision Chandler pour éviter l’application du principe de la chose jugée dans la présente affaire.

Conclusion

[61] Dans le cas qui nous occupe, les conditions des deux étapes confirmées par l’arrêt Danyluk sont satisfaites. La décision Chandler n’appuie pas le requérant. Cela signifie que le principe de la chose jugée s’applique à son appel. Par conséquent, l’appel est rejeté et aucune autre audience ou décision n’est nécessaire.

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