Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante est admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] Y. F. (requérante) a cessé de travailler en janvier 2017 en raison de crises partielles complexes. La requérante a un trouble convulsif, elle souffre de dépression, et elle a des maux de tête.

[3] La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du RPC le 9 mars 2017. Le ministre a rejeté sa demande initialement et après révision. La requérante a interjeté appel devant le Tribunal. Le 7 juin 2019, la division générale a rejeté son appel. La requérante a déposé une demande de permission d’interjeter appel relativement à la décision de la division générale. J’ai accueilli cette demande de permission d’en appeler.

[4] Je dois déterminer si la division générale a commis une erreur au titre de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[5] J’accueille l’appel. J’estime que la division générale a commis une erreur de droit. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante est admissible à une pension d’invalidité au titre du RPC.

Affaires préliminaires

[6] La requérante a fourni quelques renseignements nouveaux au sujet de sa situation médicale la veille de l’audience devant la division d’appel.

[7] La division d’appel n’admet pas les nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 1. Généralement, pour déterminer si la division générale a commis une erreur, il est logique d’examiner les mêmes éléments de preuve qui ont été revus par la division générale. Dans la plupart des cas, le fait que la division générale n’a pas tenu compte d’un élément de preuve qu’une partie requérante n’avait pas fourni ne constitue pas une erreur.

[8] Je ne tiendrai pas compte du nouvel élément de preuve qui a été fourni par la requérante.

Question en litige

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’évaluant pas les limitations fonctionnelles associées à l’ensemble des problèmes de santé combinés de la requérante?

Analyse

Examen des décisions de la division générale

[10] La division d’appel n’instruit pas d’affaires de nouveau depuis le début. La division d’appel concentre son attention sur la question de savoir si la division générale a commis une erreur. Les seules erreurs sur lesquelles la division d’appel peut s’attarder sont celles qui sont énoncées dans la Loi sur le MEDS. L’une de ces erreurs correspond à une catégorie intitulée « erreur de droit »Note de bas de page 2.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit?

[11] La division générale a commis une erreur de droit en n’évaluant pas les nombreuses limitations fonctionnelles associées à l’ensemble des problèmes de santé combinés de la requérante.

[12] Pour déterminer si une invalidité est grave, la division générale doit tenir compte de l’ensemble des déficiences, et non seulement de la déficience la plus importante ou de la déficience principale. Le Tribunal doit évaluer l’impact cumulatif des problèmes de santé sur la capacité de travailler de la requéranteNote de bas de page 3.

[13] La division générale a admis que la requérante avait des antécédents de trouble convulsif, de maux de tête et de dépressionNote de bas de page 4. Néanmoins, la division générale a déterminé que la requérante avait une certaine capacité de travailler pour les raisons suivantes :

  • ses crises nocturnes étaient contrôlées;
  • elle a continué à avoir des crises diurnes, mais elle avait réussi à travailler avec ces crises par le passé;
  • sa dépression a été traitée [traduction] « de façon prudente »Note de bas de page 5

[14] La requérante fait valoir que la division générale a commis une erreur. La division générale a omis d’évaluer les limitations fonctionnelles associées à chacun des trois principaux problèmes de santé de la requérante réunis : crises complexes, maux de tête et dépression. En déterminant qu’elle avait une certaine capacité de travailler, la division générale a ignoré des éléments de preuve, notamment :

  • le témoignage de la requérante au sujet des conséquences de sa dépression (notamment sur sa mémoire et sa concentration);
  • la preuve au sujet des raisons pour lesquelles on ne lui a pas prescrit de médicament contre la dépression.

[15] Le ministre soutientNote de bas de page 6 que la division générale a examiné la preuve touchant à l’ensemble de ses problèmes de santé à la lumière de son âge, de son niveau d’instruction et de ses antécédents professionnels, et a conclu que la requérante avait une certaine capacité de travailler. Selon le ministre, la division générale a soupesé la preuve et a tiré une conclusion raisonnable et la division d’appel ne devrait pas intervenir, car aucune erreur n’a été commise.

[16] À l’audience devant la division d’appel, le ministre a aussi soutenu que dans un monde idéal, lorsque la division générale écarte certains éléments de preuve en faveur d’autres éléments de preuve, elle devrait le faire ouvertement. Dans la mesure où la division générale semble avoir privilégié les rapports des spécialistes à certaines parties du témoignage de la requérante concernant ses limitations, il aurait pu être préférable que la décision contienne une affirmation claire à cet égard. Cependant, la représentante du ministre a fait valoir qu’une simple lecture de la décision de la division générale nous oblige à conclure que la division générale n’a pas privilégié le témoignage de la requérante à l’information contenue dans ses dossiers médicaux.

[17] À mon avis, la division générale a commis une erreur de droit. La division générale est tenue de tenir compte des limitations fonctionnelles qui affectent la capacité de travailler et qui découlent de tous les problèmes de santé, et non du principal problème. La division générale n’a pas tenu compte des limitations fonctionnelles associées à la dépression de la requérante. La division générale a rejeté cet aspect de l’analyse parce qu’elle a établi qu’elle avait été traitée « de façon prudente ».

[18] La signification du mot [traduction] « prudente » n’est pas claire dans ce contexte. D’un point de vue médical, l’utilisation de ce terme fait souvent référence au traitement qui ne nécessite pas de chirurgie. Le dossier faisait clairement état du fait que la requérante ne prenait pas de médicaments prescrits pour sa dépression en raison des interactions avec ses autres médicaments visant à prévenir les crisesNote de bas de page 7.

[19] Le fait que la requérante ne prenait pas de médicaments pour sa dépression n’empêche pas la division générale de tenir compte des limitations fonctionnelles associées à la dépression. La division générale doit tenir compte des conséquences de l’ensemble des problèmes de santé, et non seulement du problème principal.

[20] La requérante a affirméNote de bas de page 8 que sa dépression avait comme conséquence qu’elle se sentait inutile. Elle avait peu d’énergie, et elle pleurait beaucoup. Elle a affirmé qu’elle n’était pas très motivée et qu’elle ne s’habillait et ne quittait la maison que rarement. Elle a affirmé qu’elle pouvait tolérer de se trouver dans une foule (à l’église) pendant une heure ou deux. Elle s’habille deux à trois fois par semaine. Autrement, elle reste au lit. À l’audience de la division générale, la requérante a affirmé, en réponse à une question, qu’elle n’était pas traitée pour la dépression. Il est difficile de savoir ce que cela signifie, car au vu du dossier, il est clair que son médecin de famille a diagnostiqué une dépression et a essayé des médicaments qui n’ont pas fonctionné en raison de son trouble convulsif.

[21] Il semblerait qu’en soi, ces types de défis décrits par la requérante au sujet de sa dépression affecteraient négativement la capacité de travailler. Ce semble un problème de santé [traduction] « grave ». Si la membre de la division générale n’a pas trouvé que le témoignage au sujet de ces symptômes était crédible, elle devait expliquer pourquoi.

[22] J’estime que la division générale n’a pas analysé les limitations fonctionnelles associées à la dépression lorsqu’elle a tranché la question de savoir si la requérante avait la capacité de travailler. Il n’y avait aucune raison en droit d’ignorer les limitations fonctionnelles associées à la dépression de la requérante. Le fait que la requérante ne pouvait pas prendre de médicaments pour ce problème de santé diagnostiqué par son médecin ne change en rien l’exigence d’analyser toutes les limitations fonctionnelles pour l’ensemble de ses problèmes de santé. Ce faisant, la division générale a commis une erreur de droit.

Réparation

[23] Une fois que j’ai établi que la division générale a commis une erreur, je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour une révision, ou je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 9.

[24] À l’audience devant la division d’appel, la requérante a fait valoir que si je déterminais qu’il y avait eu une erreur, je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Le ministre a soutenu que la division générale n’avait pas commis d’erreur, et qu’il n’était donc pas nécessaire de prendre quelque mesure de réparation que ce soit.

[25] Cependant, à l’audience, la représentante du ministre a aussi mentionné que s’il y avait un problème avec la décision de la division générale, ce serait que la division générale avait omis de tirer une conclusion claire quant à la crédibilité de la requérante. Ce pourrait être que la division générale avait privilégié des éléments de preuve autres que le témoignage de la requérante sans fournir suffisamment d’explications. La représentante du ministre ne reconnaissait pas que ce problème était une erreur au titre de la Loi sur le MEDS. Cependant, la représentante du ministre a fait valoir que si je constatais ce type d’erreur, je devrais renvoyer l’affaire à la division générale pour révision. Cela permettrait à la division générale de tirer les conclusions de fait adéquates parce que c’est le mandat de la division générale.

[26] L’erreur de la division générale était une erreur juridique qui touchait au fait que l’impact de l’un des problèmes de santé de la requérante sur sa capacité à travailler n’avait pas été pris en compte. Je n’ai pas déterminé que la division générale avait accordé peu de poids à la preuve de la requérante. J’ai établi que la division générale n’avait tenu compte d’aucun élément de preuve des limitations fonctionnelles associées à la dépression.

[27] De toute façon, une fois que je constate une erreur, même une erreur de droit, j’ai le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, même lorsque cet exercice suppose d’apprécier la preuveNote de bas de page 10.

[28] Le dossier est complet. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Il s’agit de la façon la plus équitable et efficace de procéderNote de bas de page 11.

[29] La requérante a prouvé qu’elle avait une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant cette date. La PMA a pris fin le 31 décembre 2018.

[30] La requérante a arrêté de travailler en janvier 2017. Bien que ses crises nocturnes aient finalement pu être contrôlées, elle n’est pas retournée au travail. Je suis convaincue qu’elle a éprouvé des limitations fonctionnelles associées à ses crises diurnes, à ses maux de tête et à sa dépressionNote de bas de page 12. Ces limitations, considérées dans leur ensemble (et parallèlement à sa situation personnelle), signifient que son invalidité était grave avant la fin de sa PMA. La requérante a pris des mesures raisonnables pour gérer ses problèmes de santé et elle n’a pas refusé de traitement. Son invalidité est grave et prolongée et elle est admissible à une pension d’invalidité au titre du RPC.

Prouver qu’une invalidité est « grave »

[31] Une personne est admissible à une pension d’invalidité si elle peut démontrer qu’elle avait une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa PMA ou avant cette date. Le ministre calcule la PMA en fonction des cotisations d’une personne au Régime de pension du Canada. L’invalidité d’une personne est grave si, en raison de cette invalidité, une personne est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 13.

[32] Les parties requérantes doivent démontrer qu’elles ont pris des mesures raisonnables pour gérer leurs problèmes de santéNote de bas de page 14. Si les parties requérantes refusent un traitement de façon déraisonnable, elles pourraient ne pas être admissibles à la pension d’invalidité (et l’impact du traitement refusé est pertinent dans cette analyse)Note de bas de page 15.

Limitations fonctionnelles qui affectent la capacité de travailler de la requérante

Trouble convulsif

[33] Le trouble convulsif de la requérante affecte sa capacité de travailler.

[34] La requérante est atteinte d’un trouble convulsif (épilepsie) depuis l’enfance. Elle a une sclérose tubéreuse et un astrocytome géant. En janvier 2017, la requérante travaillait à temps plein comme opératrice de machine. Elle a eu une crise partielle complexe ce mois‑là alors qu’elle s’apprêtait à quitter la maison. Elle a perdu conscience sans avertissement et s’est cognée à la tête. Sa neurologue, la Dre Koo, a rajusté sa médication et l’a orientée vers une clinique d’épilepsie pour un suiviNote de bas de page 16. La requérante n’est pas retournée au travail. Elle a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du RPC.

[35] Dans le rapport médical du RPC daté du 3 février 2017Note de bas de page 17, le médecin de famille de la requérante, la Dre Rammo, a confirmé que la requérante avait un trouble de crise partielle complexe secondaire à une sclérose tubéreuse. La requérante avait de nombreuses crises épileptiques persistantes, malgré la médication. La Dre Rammo a mentionné que le pronostic de la requérante était à confirmer.

[36] La Dre Rammo a fourni une lettre plus détaillée pour la pension d’invalidité du RPC en mai 2018Note de bas de page 18, qui a confirmé que le pronostic de la requérante était [traduction] « réservé » et que les problèmes de santé étaient graves compte tenu de l’ampleur et de la diversité des systèmes touchés. La Dre Rammo a mentionné qu’il était peu probable que la requérante soit en mesure de détenir tout type d’emploi pendant au moins un an. La Dre Rammo a mis à jour sa lettre une autre fois en juin 2018Note de bas de page 19, et a mentionné que le plan de traitement était de continuer à consulter des spécialistes, mais que dans l’intervalle, la requérante était incapable d’occuper tout type d’emploi.

[37] Lorsque la Dre Koo a pris sa retraite, le Dr Del Campo est devenu le neurologue de la requérante. Le rapport du Dr Del Campo de mars 2017Note de bas de page 20 mentionne que les crises nocturnes de la requérante ont été éliminées, mais qu’elle a continué d’avoir des épisodes diurnes associés à des palpitations et un [traduction] « manque de clarté, mal décrit, dans sa tête ». L’étudiant en médecine du Dr Del Campo a pris les antécédents médicaux de la requérante, et la requérante a demandé à une amie ou un ami de traduire pour elle.

[38] Après une visite de suivi en août 2017, le Dr Del CampoNote de bas de page 21 a noté que l’état de la requérante était [traduction] « stable dans l’ensemble » depuis mars 2017, bien que depuis sa dernière visite, elle a avait eu environ six épisodes de crises diurnes qui avaient duré environ trois minutes. Ces crises commencent par des palpitations, des regards vagues et des réponses incohérentes. Ces crises partielles pendant la journée n’ont pas donné lieu à une chute lorsqu’elle se tenait debout. Elles ont duré cinq minutes, et le Dr Del Campo a noté qu’elle pouvait en avoir une ou deux par semaine, ou aucune pendant un mois entier. Elle n’avait pas eu d’autre crise tonico-clonique généralisée depuis celle de janvier 2017 après laquelle elle avait arrêté de travailler. Le Dr Del Campo a augmenté ses médicaments et a prévu une IRM et un tomodensitogramme.

[39] La requérante a affirmé qu’au moment où elle avait présenté sa demande de pension d’invalidité, elle avait deux ou trois crises par moisNote de bas de page 22. Elle tombe par terre et se cogne parfois la tête. Une fois que la crise est terminée, elle se sent mal en point elle a peu d’énergie et elle tremble et il peut falloir trois heures avant que son corps soit de nouveau dans un état calme.

[40] La requérante a affirmé qu’elle ne se sent pas capable de travailler compte tenu de la fréquence de ses crises diurnes. Le travail qu’elle faisait ne serait pas sécuritaire si elle avait une crise diurne. De plus, selon elle, aucun emploi ne lui accorderait le temps dont elle aurait besoin avant et après ces crises.

[41] Le ministre a fait valoirNote de bas de page 23 que les rapports du neurologue montrent que le trouble convulsif de la requérante est [traduction] « traitable et gérable ». Sans les crises diurnes tonico‑cloniques (et les crises nocturnes étant terminées), la requérante avait la capacité de travailler.

[42] J’estime que la requérante a des limitations fonctionnelles considérables associées à son trouble convulsif. Ces limitations présentent de véritables obstacles à l’emploi. J’accepte que les crises nocturnes sont résolues et que le type de crise que la requérante a eu en janvier 2017 ne s’est pas reproduit. Cependant, la capacité de la requérante d’opérer de la machinerie en toute sécurité est affectée par ses crises diurnes, même les crises partielles (comme il est décrit dans sa preuve et documenté dans les rapports médicaux.

[43] J’accepte le témoignage de la requérante selon lequel elle a besoin de temps pour se remettre de ces crises partielles. Même si elle faisait un travail moins risqué en matière de sécurité, selon moi, la fréquence et le caractère imprévisible de ces crises seraient tout de même un facteur important à prendre en compte. Ses spécialistes ont décrit les gains réalisés pour contrôler le type de crise qu’elle a eu en janvier 2017. Cependant, j’estime que les crises diurnes partielles ont encore un impact, notamment sur la mémoire et la concentration de la requérante, et qu’en outre elle a besoin de temps pendant et après une crise pour se sentir suffisamment bien pour travailler.

[44] La requérante a pris des mesures pour gérer son trouble convulsif. Son médecin de famille et un neurologue participent à ses soins. Elle prend des médicaments pour contrôler ses crises au mieux de sa capacité.

Maux de tête

[45] Les maux de tête affectent aussi la capacité de travailler de la requérante.

[46] La Dre Rammo a documenté les maux de tête comme étant l’un des problèmes de santé de la requéranteNote de bas de page 24. Après la crise de janvier 2017, la Dre Koo avait noté que la requérante se plaignait de maux de tête intermittents depuis janvier 2014Note de bas de page 25. La Dre Koo a noté que les maux de tête réagissaient bien au Tylenol.

[47] Plus tard, le Dr Del CampoNote de bas de page 26 a aussi noté que la requérante avait des maux de tête, et qu’ils survenaient rarement [traduction] « peut-être trois ou quatre fois par année, mais ils peuvent durer jusqu’à une semaine ». Le Dr Del Campo a reconnu que les maux de tête étaient très intenses et que leur réponse aux médicaments sans ordonnance était faible. Il a donné une ordonnance de Tylenol no 1.

[48] La requérante a affirmé qu’elle a des maux de tête cinq ou six fois par mois, et que chaque épisode dure environ trois jours, mais peut durer une semaine entière Note de bas de page 27. La requérante a expliqué que pendant ses maux de tête, elle ne pouvait rien faire sauf aller dans sa chambre et se reposer. Elle a expliqué que son médecin lui avait prescrit un médicament, mais qu’il la rendait trop somnolente et que le médecin lui avait donc conseillé d’arrêter de le prendre. Elle a affirmé qu’elle prend du naproxen, qui diminue la douleur à huit sur une échelle de 1 à 10, mais son médecin lui a dit qu’il n’est pas bon de prendre ce médicament trop souvent.

[49] Il existe une certaine confusion quant à la fréquence à laquelle la requérante a des maux de tête. La requérante a reconnu dans son témoignage que bien que le rapport du Dr Del Campo mentionnait que la requérante avait trois à quatre maux de tête par année, c’était un malentendu attribuable à l’interprétation linguistique. Elle a dit avoir trois à quatre maux de tête par mois.

[50] J’accepte l’explication de la requérante concernant l’incohérence dans la preuve. Le dossier montre que l’étudiant en médecine du Dr Del Campo a pris les antécédents médicaux initialement, et qu’une amie ou un ami de la requérante avait traduit pour elle. Il est raisonnable de conclure que quelques erreurs de communication dans ce dossier médical en particulier sont plus probables de se produire puisque plus d’une personne est intervenue dans le dossier, et que la requérante était accompagnée d’une personne qui traduisait.

[51] J’estime que les maux de tête de la requérante ne sont pas bien gérés. Même lorsqu’elle prend des médicaments prescrits pour ses maux de tête, ceux-ci peuvent durer plusieurs jours. La douleur associée à ces maux de tête est si intense que la requérante doit rester au lit. La fréquence et la gravité de ces maux de tête signifient que la fiabilité et la prévisibilité requises de la part de la requérante pour détenir une occupation véritablement rémunératrice seraient entravées.

[52] La requérante a pris des mesures pour gérer ses maux de tête. Son neurologue et son médecin de famille sont tous les deux au courant de ses maux de tête, et elle a essayé les médicaments prescrits par ses médecins.

Dépression

[53] La dépression affecte aussi la capacité de travailler de la requérante.

[54] La Dre Rammo a pris note de la dépression de la requérante dans le rapport médical du RPCNote de bas de page 28 et dans les lettres qu’elle a écrites au nom de la requérante à l’appui de sa demandeNote de bas de page 29. Elle a expliqué que la requérante ne tolérait pas plusieurs médicaments en raison de leur interaction avec ses médicaments contre l’épilepsie. La Dre Rammo n’a pas fourni d’autres renseignements concernant les plans de traitement de la dépression de la requéranteNote de bas de page 30.

[55] La requérante a affirméNote de bas de page 31 que sa dépression fait qu’elle se sent inutile, qu’elle a peu d’énergie et qu’elle pleure beaucoup. Elle a affirmé (et je l’accepte) qu’elle a peu de motivation et qu’elle ne s’habille ni ne quitte souvent la maison. Elle peut tolérer d’être dans une foule (à l’église) pendant une heure ou deux. Elle s’habille deux à trois fois par semaine. Autrement, elle reste au lit. En réponse à une question pendant l’audience, la requérante a dit qu’elle n’était pas traitée pour sa dépression.

[56] La requérante a décrit ses problèmes de mémoire et de concentration. La requérante a expliqué qu’elle laisse la cuisinière allumée lorsqu’elle cuisine, une fois par semaine. Elle affirme que lorsqu’elle essaie d’apprendre quelque chose, comme l’anglais en tant que langue seconde, elle l’oublie en une semaine. Elle dit qu’il lui a donc fallu trois ans pour accéder au deuxième niveau du cours d’anglais langue seconde.

[57] À mon avis, la dépression de la requérante a une incidence sur sa capacité de travailler. Il ne fait pas de doute que sa difficulté à s’habiller et à sortir de la maison et son incapacité à sortir en public sont des facteurs considérables lorsque vient le moment d’évaluer la capacité de travailler. La requérante a des réactions émotives, par exemple elle pleure et elle se sent inutile. Ces réactions ont des répercussions négatives sur sa capacité de travailler.

[58] La requérante a pris des mesures raisonnables pour gérer sa dépression. J’accorde peu de poids à sa déclaration selon laquelle elle ne reçoit pas de traitement pour sa dépression. Le dossier montre que son médecin de famille a posé un diagnostic à son endroit et a essayé des médicaments. J’estime que la médecin de famille de la requérante traite sa dépression, mais que la médication n’a pas été possible. Il se peut que dans l’avenir son médecin suggère un traitement de plus ou un traitement différent, par exemple du counselling ou une thérapie. Quoi qu’il en soit, la requérante a pris des mesures raisonnables pour aborder sa dépression. Elle a essayé le traitement recommandé par son médecin jusqu’à présent. Il n’existe aucun élément de preuve selon lequel elle a refusé un traitement spécifique relativement à sa dépression.

L’impact cumulatif de ces problèmes de santé

[59] La requérante a des limitations fonctionnelles qui, prises ensemble, signifient qu’elle n’a aucune capacité résiduelle de travailler. Ma conclusion concorde avec l’opinion la plus récente de la Dre Rammo au sujet de la capacité de travailler de la requérante.

[60] La Dre Koo a mentionné : [traduction] « d’après ma dernière évaluation de [la requérante] en avril 2017, je ne constate pas de changement dans son état neurologique qui l’empêche de travailler »Note de bas de page 32 Ma conclusion au sujet de la capacité de travailler de la requérante tient compte de l’impact de tous les problèmes de santé de la requérante, et non seulement de ses problèmes neurologiques. C’est l’interaction de la dépression de la requérante avec ses maux de tête et son trouble convulsif qui font que la requérante n’a pas la capacité de travailler. La Dre Koo ne traitait pas la dépression de la requérante et n’en tenait pas compte. De plus, l’opinion de la Dre Koo au sujet de la capacité de travailler de la requérante est surannée, en ce sens qu’elle a mentionné que le Tylenol agissait sur les maux de tête de la requérante. Le traitement de la requérante par le Dr Del Campo laissait entendre qu’en fait, le Tylenol n’avait plus d’effet sur ses maux de tête. Il a prescrit davantage de médicaments, et des médicaments différents, pour essayer de traiter les maux de tête de la requérante.

[61] La preuve montrait que la requérante n’avait pas eu de crise tonico-clonique depuis celle qu’elle avait eue en janvier 2017. Je comprends que la requérante avait l’habitude de travailler avec ses crises diurnes. Cependant, la dépression de la requérante a aussi eu un impact sur sa capacité de retourner au travail. J’estime également que ses maux de tête se sont aggravés après qu’elle a arrêté de travailler comme le démontrent les doses accrues des médicaments proposés par le Dr Del Campo. Les limitations fonctionnelles de la requérante ne lui laissent aucune capacité de travailler. Elle est souvent au lit – soit en raison de maux de tête ou des symptômes de dépression. Elle a aussi besoin de temps pour se rétablir des crises diurnes.

[62] La preuve de la requérante était franche. Elle a expliqué que ses crises nocturnes s’étaient améliorées avec les médicaments et qu’elle aimerait améliorer son anglais. Cependant, elle a aussi été honnête au sujet du fait que sa mémoire et sa concentration lui nuisent pour accomplir ce type d’avancement.

[63] Je suis convaincue que compte tenu de la preuve médicale de la requérante, de son témoignage et de ses antécédents de traitements, elle n’a pas la capacité de travailler.

La situation personnelle de la requérante

[64] Pour déterminer si la requérante a une invalidité grave, je dois évaluer son employabilité dans un contexte réaliste compte tenu de :

  1. son âge;
  2. son niveau d’instruction;
  3. sa capacité de parler, lire et écrire en anglais;
  4. ses antécédents de travail et de vieNote de bas de page 33.

[65] Au moment de l’audience devant la division générale, la requérante n’avait que 34 ans. Elle a fait des études de 11e année en Colombie. Au Canada, il lui a fallu trois ans pour accéder au niveau 2 de ses cours d’anglais langue seconde. Par conséquent, elle a des capacités limitées pour parler, lire et écrire en anglais. Au Canada, elle a travaillé dans une buanderie commerciale pendant deux ans et ne pouvait pas garder la cadence. Elle a travaillé pour son époux pendant deux ans après cela. Elle a travaillé en menuiserie jusqu’à ce qu’elle ait une crise et qu’elle arrête de travailler.

[66] Le ministre a soutenu que la requérante n’est peut-être pas capable de retourner travailler comme opératrice de machine, mais que comme elle est très jeune, un autre travail ou le recyclage professionnelle demeurent des options raisonnables.

[67] J’accepte la preuve de la requérante selon laquelle d’un point de vue physique, elle a peur de reprendre un travail physique compte tenu des risques associés à une chute pendant une crise diurne.

[68] L’âge est un seul facteur à prendre en considération. Une personne peut avoir d’autres obstacles concernant l’emploi, le recyclage professionnel ou l’avancement, et ce n’est pas l’âge à lui seul qui détermine l’issue de son employabilité. La requérante est jeune et elle pourrait donc être une bonne candidate pour améliorer ses compétences en anglais puis suivre une formation pour le travail. Cependant, j’estime qu’il est probable que la requérante éprouve de la difficulté à améliorer ses compétences en anglais ou à se recycler pour tout autre type de travail. La requérante a des problèmes de mémoire et de concentration, et sa dépression a un véritable impact sur sa capacité à se préparer puis à aller travailler à l’extérieur de la maison.

[69] La prise en compte de la situation personnelle ajoute un volet [traduction] « réaliste » à la question de savoir si une partie requérante est employable. La requérante en l’espèce est jeune et, dans une vie professionnelle typique, elle aurait de nombreuses années devant elle. Cependant, le manque d’instruction de la requérante, combiné à son manque de capacité d’améliorer son anglais en raison de ses problèmes de mémoire et de concentration, font que son âge est un facteur moins important dans cette analyse. La requérante ne sera vraisemblablement pas en mesure d’améliorer ses compétences ou de suivre une formation pour un emploi convenable compte tenu de ses problèmes de santé.

[70] La requérante a démontré qu’elle a une invalidité grave. Elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Selon moi, les limitations fonctionnelles de la requérante signifient qu’elle ne peut pas travailler de manière fiable à un niveau véritablement rémunérateur. Ses limitations l’empêchent aussi d’améliorer suffisamment son anglais pour lui permettre de se recycler.

L’invalidité de la requérante est prolongée

[71] L’invalidité de la requérante sera vraisemblablement d’une durée longue, continue et indéfinie. Cela signifie que l’invalidité est prolongée au sens du RPCNote de bas de page 34.

[72] La requérante a un trouble convulsif depuis son enfance. Il s’agit d’un trouble d’une durée longue et continue. Bien que ses crises nocturnes soient bien contrôlées, elle a des crises diurnes qui sont continues. La gestion des médicaments pour sa dépression est un enjeu en raison de son trouble de crises partielles complexes, et son équipe a eu peu de succès avec le traitement de ses maux de tête.

[73] Le pronostic de la requérante est réservéNote de bas de page 35. À mon avis, son invalidité sera vraisemblablement d’une durée longue, continue et indéfinie.

[74] La requérante a prouvé qu’elle avait une invalidité grave et prolongée qui a commencé en janvier 2017 lorsqu’elle a arrêté de travailler. La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du RPC en mars 2017. Les paiements commencent quatre mois après le début de l’invalidité, soit en mai 2017.

Conclusion

[75] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante est admissible à une pension d’invalidité au titre du RPC.

Date de l’audience :

Le 3 décembre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Mary Ellen McIntyre, représentante de l’appelante

Sandra Doucette, représentante de l’intimé

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