Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada que le ministre a rejeté initialement et après révision. La division générale (DG) a rejeté l’appel de la requérante, car la preuve n’appuyait pas la présence d’une « condition physique gravement invalidante ». La requérante a interjeté appel de cette décision à la division d’appel (DA) qui lui a accordé permission d’en appeler car la DG a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer la norme de preuve appropriée. Même si la DG a fait référence à la norme appropriée de la « prépondérance des probabilités » à plusieurs reprises dans sa décision, elle n’a pas appliqué cette norme dans ses motifs. La DG devait être convaincue, en se fondant sur l’ensemble de la preuve, qu’il était plus probable que le contraire que l’invalidité de la requérante était grave. Dans sa décision, la DG a fait quelques déclarations qui trahissent l’application d’une norme de preuve trop élevée. Elle n’a pas simplement soupesé la preuve disponible, mais elle a complètement rejeté la conclusion d’un rapport médical parce que la DG la considérait comme peu convaincante. Il n’y a aucune référence dans la décision à la valeur probante relative devant être accordée aux éléments de preuve disponibles. La tâche de la DG n’est pas d’être convaincue des conclusions d’un rapport médical; les professionnels de la santé tirent des conclusions que la DG examine avec le reste des éléments de preuve. Elle doit ensuite rendre une décision en expliquant quelle valeur il convient d’accorder à chaque élément de preuve. Les membres de la DG n’ont pas besoin d’être « convaincus » des conclusions d’un rapport médical, et ce type de langage fixe la barre trop haut. La DA a accueilli l’appel et a rendu la décision que la DG aurait dû rendre. La DA a déterminé que la requérante avait droit à une pension d’invalidité.

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Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de droit. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante a droit à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] V. N. (requérante) a travaillé à temps plein comme représentante au service à la clientèle à domicile pour un centre d’appel jusqu’en 2016. Elle a cessé de travailler en raison de douleurs au dos découlant d’une discopathie dégénérative. Elle souffre d’un trouble de douleur chronique. La requérante a aussi un trouble de l’adaptation, un trouble de l’adaptation, un trouble dépressif caractérisé et de l’anxiété.

[3] Elle a fait une demande de pension d’invalidité au titre du RPC en septembre 2016. Le ministre a rejeté sa demande initialement et après révision. Elle a interjeté appel devant le présent tribunal. La division générale a rejeté son appel le 28 mars 2019. La division générale a conclu que la requérante avait des limitations, mais que la preuve ne démontrait pas l’existence d’une « invalidité physique graveNote de bas de page 1 ».

[4] La requérante a fait appel à la division d’appel. J’ai accordé la permission d’appeler de la décision de la division générale. J’ai conclu qu’il était possible de soutenir que la division générale a commis une erreur de droit.

[5] Je dois décider si la division générale a fait une erreur au sens de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS). S’il est vrai que la division générale fait une erreur, je dois décider de la façon dont il faut la corriger (réparer).

[6] Je juge que la division générale a commis une erreur de droit. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante a prouvé qu’elle a une invalidité grave et prolongée au sens du RPC. Elle a droit à une pension d’invalidité.

Question en litige

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’appliquer la norme de preuve appropriée dans l’évaluation de la demande de pension d’invalidité du RPC de la requérante?

Analyse

[8] La division d’appel ne juge pas les causes à partir du début. À la division d’appel, on se penche sur la question de savoir si la division générale a commis une erreur. Les seules erreurs qui peuvent être examinées par la division d’appel sont énumérées dans la LMEDS. L’une de ces erreurs fait partie de la catégorie appelée « erreur de droitNote de bas de page 2 ». L’omission d’appliquer la norme de preuve appropriée est une erreur de droit.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit?

[9] La division générale a commis une erreur de droit. Le membre de la division générale n’a pas appliqué la bonne norme de preuve dans l’évaluation de la cause de la requérante pour l’obtention d’une pension d’invalidité. Bien que la division générale a fait référence à plusieurs reprises à la bonne norme dans sa décision (que l’on nomme « prépondérance des probabilités »), j’estime qu’en fait, elle n’a pas appliqué cette norme. Pour tirer cette conclusion, j’ai considéré trois éléments :

  • la démarche requise pour appliquer la norme appropriée en tenant compte des éléments de preuve disponibles dans cette cause
  • les différentes déclarations du membre de la division générale qui sonnent l’alarme et qui démontrent que la norme de preuve appliquée était trop élevée;
  • les raisons données par la division générale pour rejeter les conclusions de la preuve médicale. Celles-ci conviennent mieux, selon moi, à la recherche d’éléments de preuve parfaits et variés. Mais il s’agit ici plutôt de soupeser les éléments de preuve disponibles dans le but de décider s’il est « plus probable qu’improbable » que la requérante satisfait au critère juridique.

La cause de la requérante

[10] La requérante devait démontrer qu’elle avait une invalidité grave et prolongée à la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant celle-ci. L’invalidité d’une personne est grave quand elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3.

[11] Le rapport principal de la requérante est celui de son évaluation psychologique. Le rapport d’évaluation fait état d’un diagnostic de trouble de douleur chronique et de problèmes psychologiques comprenant un trouble dépressif caractérisé. L’évaluation conclut que la requérante est [traduction] « inapte au travail de façon permanentNote de bas de page 4 ».

[12] En termes simples, la requérante a fourni un rapport d’évaluation qui, à première vue, a fourni un élément de preuve pertinent qui touche directement plus d’un volet du critère relatif à une pension d’invalidité. Le rapport fait état d’un diagnostic de trouble de douleur chronique et d’un diagnostic psychologique comprenant un trouble dépressif caractérisé. Le rapport d’évaluation a expliqué le processus d’évaluation, qui, pour les invalidités psychologiques, se fonde sur l’autodéclaration (aucune analyse sanguine ni aucun tomodensitogramme ne peuvent diagnostiquer une dépression).

[13] Le rapport donnait quelques détails sur les limitations de la requérante, dont la douleur qu’elle éprouvait de même que le grand nombre de limitations fonctionnelles sérieuses qu’elle avait, y compris les crises de panique, l’isolation sociale, une mémoire médiocre et une faible concentration, une incapacité à dormir ainsi qu’un faible niveau d’énergie. Le rapport décrivait les résultats d’une évaluation globale de fonctionnement (EGF). La requérante a reçu une note de 50 à celle-ci, ce qui est signe d’une difficulté modérée de fonctionnement social ou professionnel et d’une déficience nuisant à un retour au travail ou aux études. Le rapport d’évaluation indiquait que, compte tenu du caractère chronique et grave de son état de santé, les évaluateurs ont établi que la requérante était inapte à l’emploi sur une base permanente. Dans son témoignage, la requérante a expliqué pourquoi elle ne pouvait pas travailler.

Se référer à la norme adéquate

[14] Le membre de la division générale se réfère à trois endroits dans sa décision à la « prépondérance des probabilités » comme étant la norme de preuve qui s’applique.

[15] La décision confirme que la requérante doit démontrer que son invalidité est à la fois grave et prolongée et que :

Il incombe à la personne requérante de prouver que, selon la prépondérance des probabilités, son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Ainsi, si elle ne satisfait qu’à un seul volet, elle n’est pas admissible aux prestations d’invaliditéNote de bas de page 5. [mis en évidence par la soussignée]

[16] La division générale a examiné à nouveau le rapport d’évaluation dans la décision, en prenant acte que la note de l’EGF était de 50, ce qui est signe d’une difficulté modérée de fonctionnement social ou professionnel et d’une déficience nuisant à un retour au travail ou aux études. La division générale a alors déclaré ceci :

J’admets ces rapports, mais sous réserve de l’obligation de la requérante de me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’a pas de capacité de travail. Je ne trouve pas que les conclusions des psychologues sont convaincantesNote de bas de page 6. [mis en évidence par la soussignée]

[17] À la fin de l’analyse, la division générale a déclaré que la requérante « n’a pas satisfait à l’exigence du fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 7 » [mis en évidence par la soussignée].

[18] Toutefois, la question n’est pas de savoir si la division générale a décrit la norme de preuve adéquate, car elle l’a fait. La question est de savoir si la division générale a réellement suivi cette norme.

La démarche à adopter en fonction de la preuve disponible

[19] La requérante devait prouver qu’elle satisfaisait au critère relatif à une invalidité grave et prolongée, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’afin d’accueillir l’appel, la division générale n’avait pas besoin d’avoir la preuve absolue que l’invalidité de la requérante était grave et prolongée. La division générale devait seulement être convaincue que d’après l’ensemble de la preuve, il était plus probable qu’improbable que l’invalidité de la requérante était graveNote de bas de page 8.

[20] Dans ce cas en particulier, un grand nombre ou une majorité des faits auxquels se fiait la requérante pour satisfaire au critère juridique se trouvaient dans un seul rapport d’évaluation. Aucune autre évaluation médicale n’a tiré de conclusion différente ou contraire à celle-ci.

[21] La requérante soutient que le rapport d’évaluation a établi l’apparence d’un grief justifié selon lequel la requérante a satisfait au critère relatif à une invalidité grave et prolongée. Cela signifie simplement que dans l’éventualité où l’on admettrait la preuve comme étant authentique, elle semblera satisfaire au critère exigé pour bénéficier d’une pension d’invalidité. Le rapport décrit un état de santé et des limitations fonctionnelles. Il donne une note à un test qui évalue les effets sur la capacité à travailler. Le ministre n’a présenté aucune preuve pour réfuter la cause soulevée par la requérante et son évaluation psychologique, alors la division générale a seulement pu prendre en compte un argument du ministre soutenant qu’il fallait accorder peu d’importance au rapport d’évaluation et en donner la raison.

[22] Dans certains cas, un rapport médical qui répond à première vue à de nombreuses questions de preuve ne suffira pas à satisfaire à la norme de la prépondérance des probabilités. Celui-ci pourrait être peu fiable, il pourrait contredire d’autres éléments de preuve au point qu’on ne peut s’y fier. Il pourrait contenir des indices démontrant que la personne qui a rédigé le rapport était peu objective ou qu’elle avait un parti pris, bien que l’on ait rarement recours à elles pour produire des contre-interrogatoires. Le rapport pourrait être fondé sur des tests qui ont été discrédités ou être totalement en contradiction avec un témoignage, auquel cas la division générale devrait décider quelle preuve elle préfère.

[23] Selon moi, étant donné que la norme de preuve est la prépondérance des probabilités, il serait surprenant que la division générale rejette les conclusions d’un rapport médical de la requérante quand :

  • le rapport vise à répondre aux questions auxquelles doit répondre la division générale afin de conclure à une invalidité grave (résultats de tests qui touchent directement au fonctionnement en milieu de travail, aux listes des limitations fonctionnelles, aux diagnostics, aux pronostics, etc.);
  • le ministre n’a pas présenté de rapport probant ou contradictoire.

Les déclarations qui sonnent l’alarme et démontrent que la norme appliquée par la division générale était trop élevée

[24] Tout au long de la décision, le membre de la division générale utilise différentes phrases démontrant que, même s’il a énoncé la bonne norme de preuve, il ne l’a pas réellement appliquée.

[25] La division générale a résumé le rapport d’évaluation, elle l’a soupesé par rapport à certains témoignages de la requérante, elle a discuté quelques-uns des choix de termes du rapport, puis elle a conclu, ceci :

Le rapport ne m’inspire pas assez confiance pour que je puisse me fier à sa conclusion. J’aurais préféré me fier aux résultats de la thérapie cognitivo-comportementale, mais je ne dispose d’aucun rapport de la travailleuse sociale ou de la Dre Kling sur les résultats de ce traitement. Par conséquent, je suis incapable de conclure que ses problèmes de santé mentale causent une invalidité graveNote de bas de page 9. [mis en évidence par la soussignée]

[26] Lorsqu’elle a examiné l’effet des traitements, la division générale a constaté qu’il n’y avait pas de radiographie, pas d’imagerie par résonance magnétique (IRM), pas de tomodensitogramme et pas d’ultrason permettant de donner un diagnostic ou un pronostic lié à la douleur dont souffre la requérante entre les omoplates, au niveau du cou, à son bras gauche et à son coude gauche. La division générale a indiqué que « les faits relatifs à [ces malaises] ne permettent pas de conclure à une invalidité graveNote de bas de page 10 » [mis en évidence par la soussignée].

[27] La requérante soutientNote de bas de page 11 que le fait d’exiger le rapport d’évaluation pour donner à la division générale [traduction] « l’assurance qu’elle peut s’y fier » est un critère trop strict pour être exigé pour un élément de preuve, en particulier étant donné le fait que la requérante a seulement besoin de prouver que son invalidité était grave, selon la prépondérance des probabilités.

[28] De plus, la requérante soutient que le fait de préférer avoir un plus grand nombre d’éléments de preuve ou des éléments de preuve différents (comme un rapport sur les résultats de la thérapie cognitivo-comportementale) entre en contradiction avec le fardeau de la preuve dans ce type de cause. La division générale doit évaluer la preuve déposée devant elle, plutôt que la comparer à une hypothétique meilleure preuve que la requérante ne possède pas. Le paragraphe laisse entendre qu’il fallait démontrer que les « problèmes de santé mentale » représentaient « incontestablement » une invalidité grave, ce qui permet de penser que la division générale n’a pas réellement examiné les problèmes dans leur ensemble. Elle aurait plutôt examiné les déficiences psychologiques séparément des déficiences physiques.

[29] Le ministreNote de bas de page 12 soutient que la division générale a rejeté les conclusions du rapport en raison des incohérences entre le contenu de ce dernier et le témoignage de la requérante. Il fait remarquer que la division générale a simplement appliqué la loi aux faits, et que c’est en fait la conclusion concernant l’importance accordée par la division générale au rapport qui semble poser problème à la requérante, et non une erreur de droit quelle qu’elle soit. Soupeser les éléments de preuve est le travail de la division générale. Ce n’est donc pas une erreur de droit sur laquelle peut se pencher la division d’appel.

[30] Selon moi, les déclarations ci-dessus de la division générale me suffisent pour conclure que la division générale n’appliquait pas vraiment la norme de preuve adéquate. J’admets les arguments de la requérante énoncés plus haut. La division générale n’a pas simplement soupesé les éléments de preuve. Elle a rejeté la conclusion d’un rapport médical. On ne fait aucunement mention, dans la décision, de l’idée de soupeser les éléments de preuve. On n’y a pas tiré la conclusion que le témoignage de la requérante était plus fiable que la preuve médicale.

[31] Les mentions faites de la nécessité de « croire aux conclusions du rapport » ou d’être « convaincu » par celles-ci ont établi la mauvaise dynamique. Le langage employé par la division générale dans ces sonnettes d’alarme laisse croire qu’un élément de preuve médicale qui n’est pas contredit doit faire l’objet d’un examen qui va bien au-delà de ce qui est nécessaire pour l’évaluation globale. Si l’évaluation globale consiste à décider si la requérante a démontré qu’elle a une invalidité grave et prolongée d’après la norme de preuve voulant que cela est « plus probable qu’improbable », les rapports médicaux non contredits qui contiennent des éléments de preuve pertinents n’ont pas besoin d’être « convaincants ».

[32] Le travail de la division générale n’est pas de croire à un rapport médical ou d’être convaincue par ses conclusions. Les professionnels de la santé tirent les conclusions; la division générale, quant à elle, examine tous les éléments de preuve et décide de l’importance à donner à ceux-ci par rapport à la cause de la requérante. La requérante doit seulement démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle satisfait au critère d’invalidité grave et prolongée.

[33] La division générale peut accepter les conclusions d’un rapport même si elle ne lui accorde que peu d’importance en raison du fait qu’il n’aide pas à démontrer que la requérante satisfait au critère requis pour être admissible à une pension d’invalidité. La division générale peut préférer d’autres éléments de preuve contradictoires concernant les problèmes de santé de la requérante relativement au critère juridique. Mais, dans la présente cause, la division générale semble être insatisfaite du rapport, parce qu’il était non concluant ou qu’il ne l’a pas convaincue du fait que la requérante avait une invalidité grave. Le membre de la division générale n’a pas besoin d’être « convaincu » par les conclusions d’un rapport médical, et ce type de termes place la barre trop haute.

Recherche d’éléments de preuve parfaits ou différents

[34] Selon moi, l’examen très rigoureux qu’a appliqué la division générale à la preuve médicale ne cadre pas avec la tâche ultime qui est de déterminer s’il est plus probable qu’improbable que l’état de santé de la requérante satisfait à la définition d’une invalidité grave et prolongée. Le membre de la division générale a fait une analyse très serrée du choix des termes employés dans le rapport d’évaluation (comme lorsqu’il conteste l’utilisation de termes tels que « trauma » ou « injury » [blessure] qui sont des termes techniques dans les évaluations des invalidités). La division générale a semblé exiger que le témoignage de la requérante corresponde aux conclusions des évaluateurs sur les moindres détails.

[35] La division générale a rejeté en particulier la conclusion selon laquelle la requérante était « inapte à l’emploi de manière permanenteNote de bas de page 13 ». Il semble que la raison en était que cette conclusion avait été « obtenue de façon subjective », et qu’il n’y avait aucun autre élément de preuve pour étayer cette conclusion provenant d’autres types de rapports comme des évaluations fonctionnelles, des évaluations des activités professionnelles ou des tests d’aptitude.

[36] Toutefois, la tâche ne consistait pas à décider combien d’éléments de preuve la division générale aurait aimé évaluer ni à emprunter la même démarche adoptée généralement par les évaluations psychologiques ou celles des douleurs chroniques (c.-à-d. l’autodéclaration).

[37] En l’espèce, une norme de preuve trop rigoureuse a été imposée à la requérante dans le cadre de la démarche de la division générale.

Réparation

[38] Une fois que je trouve une erreur, j’ai deux options pour la corriger. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamenNote de bas de page 14.

[39] À l’audience de la division d’appel, l’avocat de la requérante a soutenu que l’affaire devait être renvoyée à la division générale pour une nouvelle audience avec un membre de la division générale différent qui aura seulement accès à la documentation que détenait le premier membre de la division générale.

[40] L’avocat de la requérante fait valoir que la question n’est pas que j’aie accès au dossier. Le problème est plutôt que, dans une cause concernant un trouble de douleur chronique et des problèmes psychologiques, il est nécessaire que j’entende directement la requérante présenter sa preuve, et non par l’entremise de l’enregistrement d’une audience qui a déjà eu lieu à la division générale. Sur le plan stratégique, l’avocat de la requérante ne souhaite pas qu’un membre de la division d’appel rende la décision alors que celui-ci a été mis au courant de la décision initiale de la division générale (puisque sa décision est défavorable à la requérante).   

[41] Le ministre a soutenu que si je juge qu’il y a erreur, je pourrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[42] Pour les causes où le dossier est complet, j’ai tendance à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Il s’agit souvent de la voie la plus équitable et la plus rationnelle. Je suis bien consciente que j’ai accès à la décision de la division générale. De plus, j’ai seulement eu accès à l’enregistrement de l’audience de la division générale. Par conséquent, j’ai été saisi de toute la preuve, mais en différé. De plus, je n’ai pas eu l’occasion de poser des questions à la requérante pendant son témoignage.

[43] Cela dit, la loi me permet de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. J’ai ce pouvoir même si j’avais accès à la décision de la division générale et que je n’ai pas été saisie de la preuve en temps réel la première fois qu’elle a été présentée. L’argument de la requérante concernant sa douleur chronique et ses problèmes psychologiques est solide : dans bon nombre des causes du genre, le témoignage de la personne requérante est particulièrement pertinent. Si je n’avais pas compris la preuve de la requérante sur un élément essentiel, je pourrais très bien décider qu’il faut renvoyer l’affaire à la division générale pour que la requérante puisse avoir toutes les chances de présenter des éléments de preuve pertinents et de présenter tous ses arguments.

[44] Toutefois, dans la présente cause, j’ai la conviction d’avoir compris la preuve de la requérante et de pouvoir évaluer la fiabilité de celle-ci sans avoir vu la requérante témoigner en personne.

[45] La requérante a prouvé qu’elle avait une invalidité grave et prolongée en septembre 2018, période pour laquelle elle avait une preuve médicale à l’appui du diagnostic de trouble de douleur chronique et de problèmes psychologiques. L’évaluation psychologique avait conclu à cette époque qu’elle était inapte au travail de façon permanente. Par conséquent, elle a prouvé, avant la fin de sa PMA, que ses principaux problèmes de santé étaient un trouble de douleur chronique, un trouble dépressif caractérisé et un trouble d’adaptation combiné à une dépression et de l’anxiété. La douleur inexplicable qui l’a fait souffrir (le trouble de douleur chronique) semble avoir commencé en même temps que sa discopathie dégénérative au dos.

[46] La requérante a des limitations fonctionnelles découlant de ces problèmes, ce qui signifie qu’elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Dans cette cause, la situation personnelle de la requérante n’est pas un obstacle important à l’emploi. Ce sont ses limitations fonctionnelles (trouble de douleur chronique et problèmes psychologiques) qui l’empêchent de détenir toute occupation véritablement rémunératrice. Elle a entrepris des démarches pour gérer son état de santé. Elle n’a pas refusé de traitement. Elle a une invalidité grave et prolongée au sens du RPC, et elle est admissible à une pension d’invalidité.

Prouver qu’une invalidité est « grave »

[47] Une personne requérante a droit à une pension d’invalidité lorsqu’elle peut démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a une invalidité grave et prolongée à la fin de sa PMA ou avant celle-ciNote de bas de page 15. Le ministre calcule la PMA en fonction des cotisations versées au RPC par la personne requérante. L’invalidité d’une personne est grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 16.

[48] Le Tribunal tient compte de la preuve médicale et du témoignage de la requérante ainsi que des éléments de preuve concernant son traitement et ses efforts pour gérer son invaliditéNote de bas de page 17.

Situation personnelle ne faisant pas obstacle à l’emploi

[49] Je dois adopter une démarche réaliste afin d’examiner la gravité de l’invalidité de la requérante. Cela signifie que je dois prendre en considération la situation personnelle de la requérante, y compris son âge, son niveau de scolarité de même que ses antécédents professionnels et son expérience de vieNote de bas de page 18.

[50] La requérante avait 47 ans à la fin de sa PMA, le 31 décembre 2018. Elle a une 12e année de scolarité. Elle n’est allée ni au collège ni à l’université et elle n’a suivi aucune formation technique, de métier ou en cours d’emploi.

[51] Elle a travaillé comme représentante au service à la clientèle chez X de 2010 à 2013 et pour une autre entreprise de 2013 à avril 2016. Elle a reçu des prestations de maladie de l’assurance-emploi par la suite.

[52] La situation personnelle de la requérante ne constitue pas l’obstacle principal l’empêchant d’accéder à l’emploi. À la fin de sa PMA, il lui restait plusieurs années avant d’atteindre l’âge auquel de nombreuses personnes prennent leur retraite au Canada. Son niveau de scolarité la limite effectivement quelque peu dans sa recherche, car certains emplois sédentaires exigent une formation spécialisée ou des études postsecondaires. La requérante n’a pas ce niveau de scolarité ou ce type de formation.

[53] D’autre part, s’il est vrai que l’âge de la requérante en ferait une bonne candidate à un recyclage professionnel, ses limites fonctionnelles l’empêchent de suivre ce type de formation.

La requérante a des limitations qui nuisent à sa capacité de travailler

a) Le témoignage de la requérante

[54] L’audience de la division générale a eu lieu trois mois après la fin de la PMA de la requérante. Par conséquent, la requérante a axé son témoignage sur ses limitations à l’époque de l’audience, ce qui était raisonnable.

[55] La requérante a déclaréNote de bas de page 19 qu’elle a une douleur vive au bas du dos, sous la ceinture, qui est constante. Elle a affirmé que la douleur était de 8 sur une échelle de 1 à 10 (10 signifiant une douleur insoutenable). Elle a déclaré que depuis les deux à trois derniers mois, elle a des douleurs et des engourdissements dans le bras gauche et le coude gauche qui vont jusqu’au poignet. Selon elle, la douleur était de huit ou neuf dans son bras et de neuf dans son coude.

[56] Elle a déclaré avoir des migraines. Elle a aussi affirmé qu’il lui arrive environ trois fois par semaine d’avoir de la douleur dans le cou, laquelle commence entre les omoplates et au milieu du cou. Chaque fois, la douleur dure de quatre à cinq heures et son intensité est de huit. Elle a déclaré qu’elle ne pouvait faire le tour de son pâté de maisons en marchant. Elle doit ajuster constamment sa position quand elle s’assoit. Elle ne peut pas s’asseoir pendant plus de 15 à 20 minutes. Elle a de la difficulté à faire ses emplettes à l’épicerie et elle doit se pencher au-dessus de son chariot pour pouvoir terminer son épicerie. Elle a des douleurs lorsqu’elle soulève des objets ou s’étire. 

[57] La requérante a déclaré que la médication qu’elle prend lui cause des effets secondaires. Ses médicaments antalgiques la font se sentir [traduction] « stupide ». Elle est très distraite. Elle ne dort pas beaucoup. Sa capacité de concentration et sa mémoire sont mauvaises. Au début de son témoignage, la requérante s’est trompée de près d’une décennie en donnant sa date de naissance, car elle était nerveuse.

[58] La requérante a déclaré qu’elle ne pouvait pas faire le tour de son pâté de maisons, même pour promener son chien. Elle est capable de s’habiller, mais elle doit s’asseoir dans son lit pour le faire. Elle peut se tenir debout pour faire un peu de vaisselle, mais juste un peu et avec modération. Elle a toujours des douleurs lorsqu’elle se penche et qu’elle s’étire. Elle peut faire un peu de lessive, mais ne peut soulever les paniers à linge. Elle ne fait pas de tâches extérieures comme pelleter la neige.

[59] Elle a expliqué qu’elle a des crises de panique trois fois par semaine. Elle a de la difficulté à décrire ses crises, affirmant qu’elle n’est [traduction] « pas bonne avec les mots ». Elle a déclaré que ses jambes deviennent engourdies, elle tremble et elle devient très nerveuse et étourdie, elle a l’impression qu’elle ne veut pas être là et qu’elle veut que les choses [traduction] « s’arrêtent ». Elle a décrit ses limitations au moment d’interagir avec les autres. Elle a dit qu’elle reste à la maison et qu’elle est irritable, nerveuse et anxieuse quand elle est à l’extérieur de son domicile. Elle a déclaré sortir seulement de la maison une fois toutes les deux semaines sauf si elle a un rendez-vous médical. En termes simples, lorsqu’on lui a demandé de décrire son état psychologique ou émotionnel, la requérante a admis qu’il était [traduction] « merdique ».

b) Les autres éléments de preuve de la requérante

[60] Lorsque la requérante a fait une demande de pension d’invalidité en septembre 2016, elle a rempli un questionnaire du RPC décrivant ses limitations fonctionnellesNote de bas de page 20. Elle a rempli le questionnaire bien avant son audience devant la division générale, et elle a déclaré durant celle-ci qu’elle avait moins de fonctionnalité au moment de l’audience qu’elle en avait au moment de présenter sa demande de pension d’invalidité.

[61] Dans le questionnaire, la requérante a affirmé qu’elle ne pouvait pas s’asseoir pendant une longue période et qu’elle ne pouvait pas se tenir debout. Elle a expliqué qu’elle avait des douleurs intenses au dos en position assise et qu’elle a essayé les coussins chauffants et de changer les réglages de sa chaise. Elle a affirmé qu’elle pouvait s’asseoir pour environ deux heures (mais probablement moins). Elle ne pouvait même pas se tenir debout 15 minutes. Elle a expliqué qu’elle pouvait [traduction] « probablement faire le tour d’un pâté de maisons, si elle est chanceuse ». Elle a déclaré qu’elle ne pouvait rien soulever et, dans la section [traduction] « se pencher et s’étirer », elle a écrit [traduction] « en tout temps », ce qui signifie, comme elle l’a expliqué à l’audience, que cela lui était tout le temps douloureux. Sous [traduction] « se souvenir », elle a écrit [traduction] « s. o. » et sous [traduction] « concentration », elle a écrit [traduction] « seulement quand la douleur est intense ». Elle a déclaré qu’elle ne dort pas et que quand elle conduit, elle doit prendre des pauses toutes les 90 minutes. À l’audience, elle a clarifié qu’elle ne conduit pas sur de longues distances, maintenant, et que, effectivement, elle ne sort de la maison qu’une fois toutes les deux semaines, sauf pour ses rendez-vous médicaux. Elle a dit qu’elle peut faire un peu la vaisselle, mais un peu à la fois, mais qu’elle doit demander de l’aide pour transporter les paniers de linge pour la lessive. Elle fait de l’entretien ménager avec modération.

c) La preuve médicale

[62] Quand la requérante a fait sa demande de pension d’invalidité, elle a fourni un rapport médical du RPC de la Dre AkterNote de bas de page 21, daté de septembre 2016, qui était sa médecin de famille à l’époque. La Dre Akter a déclaré que la requérante avait une douleur mécanique au bas du dos, qu’elle a plus tard décrit comme [traduction] « une douleur au bas du dos qui s’est empirée depuis l’année dernière ». Elle a déclaré qu’une radiographie a révélé des altérations dégénératives à la colonne lombaire. Une IRM a révélé une dégénérescence facettaire à plusieurs niveaux. Le rapport confirme que la [traduction] « patiente fait état d’une douleur invalidante ». Quant aux limitations fonctionnelles, la Dre Akter a déclaré que la requérante lui avait dit qu’elle était incapable de s’asseoir pendant plus d’une heure, qu’elle était incapable de faire le tour du pâté de maisons en marchant et qu’elle avait besoin de l’aide de ses proches pour ses tâches ménagères.

[63] La Dre Akter déclare que la requérante exécute des mouvements de flexion restreints qui provoquent de la douleur et qu’elle a eu de la douleur lorsqu’elle a soulevé ses jambes de 60 degrés en étant couchée sur le dos. La Dre Akter a indiqué que la douleur n’était pas bien contrôlée et qu’elle avait une douleur chronique au bas du dos qui empirait. Elle ne prévoyait pas de guérison complète. Elle a mentionné que la requérante avait aussi de l’hypertension, de l’asthme et de l’obésité.

[64] La requérante a fourni un rapport d’avril 2016 démontrant qu’elle avait une rotoscoliose lombaire modérée, un pincement discal de faible à modéré et des altérations dégénératives dans les facettes des vertèbres lombairesNote de bas de page 22. En juillet 2016, un rapport de consultation a fait état du fait que la requérante avait des [traduction] « changements spondylosiques multiniveaux, mais aucun signe d’une importante protrusion discale, de compression de la racine ou de sténose, en plus de changements dégénératifs facettaires multiniveauxNote de bas de page 23. »

[65] La requérante a fourni un autre rapport médical du RPC du Dr CampbellNote de bas de page 24, un médecin de famille d’une clinique sans rendez-vous. Elle a déclaré que ce médecin a commencé à la traiter en 2017. Le Dr Campbell a confirmé la douleur chronique de la requérante et il a indiqué qu’elle faisait l’objet d’un examen complet. Il a aussi confirmé qu’elle aurait besoin d’une IRM afin de déterminer l’ampleur de la discopathie dégénérative. Il ne pouvait pas en dire plus concernant sa douleur chronique au dos. Il était en train de l’examiner.

[66] La requérante a accepté d’être évaluée par un ou une psychothérapeute clinique avec spécialisation en réadaptation sous la supervision d’un ou d’une psychologue en octobre 2018Note de bas de page 25. Le rapport explique qu’après que la requérante a quitté son travail, elle a continué à souffrir de douleurs intenses, suivies par des troubles émotifs, dont une perte de capacité et d’intérêt à participer à des activités récréatives, de l’isolation sociale, de fréquents débordements émotifs accompagnés de pleurs et un profond sentiment de tristesse. Elle a expliqué qu’elle éprouvait des problèmes de mémoire, de concentration et d’organisation. Elle a déclaré qu’elle avait des problèmes de mémoire à court et long terme, d’insomnie et de privation de sommeil et de rêves agités. Le rapport fait état du fait que la requérante a parlé de son plan de retour aux études et de recyclage professionnel qui a échoué en raison de son invalidité. On y lit aussi qu’elle a subi de fréquentes crises de panique.

[67] Les personnes qui l’ont évaluée ont diagnostiqué chez la requérante un trouble d’adaptation combiné à une dépression et de l’anxiété, un trouble dépressif caractérisé, un trouble de douleur chronique et une discopathie dégénérative. L’évaluation fait état de la note de 50 de la requérante obtenue dans le cadre de l’évaluation globale de fonctionnement (EGF). Dans d’autres causes jugées par le présent tribunal, on a noté qu’une note de 50 à l’EGF signifiait qu’une personne requérante avait une invalidité grave en fonctionnement social et qu’elle ne pouvait pas conserver un emploiNote de bas de page 26. La requérante avait besoin de soins cliniques urgents. Voici les conclusions de l’évaluation :

[traduction]
Pour cette évaluation, nous avons fondé notre opinion sur l’autodéclaration de [V. N.] ainsi que sur l’examen des tests cliniques. Il est clair qu’elle a des problèmes physiques permanents qui ont provoqué par la suite des problèmes émotionnels nuisant à son fonctionnement normal dans différents aspects de sa vie personnelle et professionnelle. [V. N.] a été incapable de retourner à son travail à temps plein en raison d’une invalidité physique au bas du dos, de douleurs chroniques et de troubles émotionnels, lesquels sont considérés comme découlant de sa blessure du 1er avril 2016. [V. N.] souffre d’incapacité physique et de douleurs chroniques, et elle ne s’est pas adaptée aux changements causés par l’accident. Elle a besoin d’un traitement psychologique pour ses réactions émotives.

En ce qui concerne son employabilité, notre opinion se fonde sur la gravité, l’ampleur et la durée de la blessure. Compte tenu de la nature chronique et de la gravité de ses problèmes, on prévoit qu’elle sera inapte à l’emploi de manière permanente.

[68] La requérante a expliqué que lorsque le Dr Campbell a pris sa retraite, la Dre Kling est devenue sa médecin de famille. Il semble que son premier rendez-vous avec la Dre Kling ait été en octobre 2018. L’avocat de la requérante a demandé un rapport de la Dre Kling dans lequel elle explique qu’elle n’avait pas, à ce moment, suffisamment d’information pour pouvoir répondre aux questions concernant l’état de santé de la requérante en vue de l’appel lié à sa demande de pension d’invalidité du RPC. La Dre Kling a constaté que la requérante avait une douleur chronique et qu’elle avait prescrit à la requérante une thérapie cognitivo-comportementale. Elle a indiqué qu’une médication serait tout indiquée comme prochaine étape, mais la requérante ne voulait pas, ce jour-là, commencer une nouvelle médication. Elle a essayé de trouver un ou une physiothérapeute qui pouvait gérer les facturations directes. De plus, le médecin résident de la Dre Kling a noté dans le dossier que la requérante [traduction] « souffre de douleurs chroniques au bas du dos ainsi que de douleurs subaiguës au bras droit qui sont probablement liées à la discopathie dégénérative des colonnes cervicale et lombaire. »

[69] Tout juste après la fin de sa PMA, le 25 janvier 2019, la requérante a commencé à suivre une thérapie cognitivo-comportementale avec une travailleuse sociale. Cette thérapie avait pour but de l’aider à surmonter ses douleurs chroniques et à améliorer ses stratégies d’adaptation à la douleur ou de réduction de celle-ci. Elle a déclaré qu’elle espérait que cela l’aiderait à réduire sa douleur ou à s’y adapter, mais cela n’a [traduction] « pas encore réduit la douleur ». La travailleuse sociale a indiqué que la requérante se sentait coupable d’avoir des limitations physiques et d’être inapte au travailNote de bas de page 27. Le mois suivant, la travailleuse sociale a constaté qu’elle ressentait toujours la douleur chronique, particulièrement au bras gauche. La requérante s’est fait suggérer de s’inscrire à des séances d’aquathérapie dès que son budget le lui permettraitNote de bas de page 28.

Analyse de tous les éléments de preuve sur les limitations de la requérante

[70] Je suis d’avis que la requérante a démontré qu’elle a une invalidité grave et prolongée au sens du RPC. Son problème de santé principal est son trouble de douleur chronique, de même que son trouble dépressif caractérisé et son trouble d’adaptation. J’admets le témoignage de la requérante sur ses limitations et j’accorde une grande importance aux résultats du rapport d’évaluation d’octobre 2018.

a) La pertinence des examens médicaux objectifs dans une cause liée à la douleur chronique

[71] La Cour suprême du Canada reconnaît le syndrome de la douleur chronique et les problèmes de santé connexes. Ces problèmes de santé consistent en une douleur qui persiste au-delà de la période de guérison normale ou en une intensité disproportionnée par rapport à la blessureNote de bas de page 29.

[72] De ce fait, en ce qui concerne la présente cause, ce n’est pas la discopathie dégénérative de la requérante ou les résultats de l’IRM en tant que tels qui m’amènent à conclure que la requérante a une invalidité grave. Ces rapports objectifs ont leur utilité, mais ils ne permettent pas à eux seuls de conclure à invalidité grave.

[73] C’est plutôt la douleur disproportionnée et les autres limitations psychologiques que la requérante a développées qui la rendent régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[74] Dès lors, je suis d’accord avec l’argument du ministre à propos du rapport de la Dre Akter. Ce rapport en tant que tel, tout comme les radiographies ne démontrent pas la présence [traduction] « d’une pathologie grave ou d’une déficience empêchant tout type de travail convenableNote de bas de page 30 ». Ce rapport, du moins s’il est considéré seul, ne prouve pas que la requérante a une invalidité grave. Il démontre plutôt l’existence d’une « blessure » latente (ou d’un « problème », d’une « pathologie » voire, parfois, d’un « accident ») qui a entraîné chez la requérante des douleurs inexpliquées ou disproportionnées ainsi que des symptômes psychologiques. C’est sur cette douleur chronique et les symptômes psychologiques connexes que repose ma décision d’accorder la pension d’invalidité à la requérante.

b) Évaluer les éléments de preuve relatifs aux limitations découlant de la douleur chronique et des symptômes psychologiques

[75] J’accorde une grande importance à l’évaluation psychologique et au témoignage de la requérante. Ensemble, ils démontrent que la requérante a de nombreuses limitations fonctionnelles qui nuisent à sa capacité de travailler.

[76] La requérante soutient qu’elle est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Lorsqu’elle a cessé de travailler en avril 2016, elle occupait déjà un travail sédentaire. Elle éprouvait une douleur aiguë du fait d’être assise qui n’était pas bien soignée non plus, malgré la prise de médicaments de prescription, l’utilisation d’un coussin chauffant et la tentative de modifier certains éléments de son poste de travail. Plusieurs mois avant la fin de sa PMA, la requérante avait subi une évaluation psychologique qui a confirmé un diagnostic de trouble de la douleur chronique. Le rapport fait état des nombreuses limitations fonctionnelles de la requérante qui nuisent à sa capacité de travailler, y compris une incapacité à s’asseoir ou à se tenir debout pour une période prolongée ainsi que des limitations relatives à sa mémoire et à sa concentration.

[77] L’évaluation psychologique a démontré qu’en plus de la douleur grave qu’elle éprouvait au bas du dos ainsi qu’à son bras et à ses épaules, elle avait aussi un trouble dépressif caractérisé et avait reçu une note de 50 à son EGF, ce qui démontre la gravité de sa déficience quant à sa capacité de fonctionner dans un milieu de travail ou académique. La requérante implore le Tribunal d’accepter les conclusions des évaluateurs selon lesquelles elle est inapte à l’emploi sur une base permanente.

[78] Le ministre n’a pas fourni d’éléments de preuve médicale contredisant les conclusions des évaluations psychologiques. Au lieu de cela, le ministre a fait valoirNote de bas de page 31 qu’il était [traduction] « intéressant » qu’avant l’évaluation psychologique, ni la requérante ni sa médecin de famille n’aient exposé de problèmes considérables de santé mentale. Il a aussi soutenu qu’il n’y avait aucune indication antérieure selon laquelle elle avait besoin d’une intervention psychologique ni aucune recommandation de spécialiste. Le ministre a soutenu que si la requérante avait commencé un traitement, on [traduction] « aurait pu s’attendre à des améliorations ». Aussi, le ministre a-t-il fait valoir que l’évaluation psychologique n’a pas étayé la position de la requérante selon laquelle son invalidité était grave.

[79] Selon moi, un rapport d’évaluation médicale remis par une personne requérante représente la « meilleure preuve » qui soit pour m’aider à trancher les questions juridiques dont je suis saisie. C’est le cas du présent rapport, car il fournit un diagnostic et énumère une série de limitations fonctionnelles, pour ensuite conclure que la requérante est inapte à l’emploi de manière permanente. En fait, il n’existe qu’un nombre limité de circonstances dans lesquelles cette meilleure preuve provenant d’un ou une spécialiste n’est pas solide. Cela est particulièrement vrai parce que la preuve est évaluée selon la prépondérance des probabilités; le Tribunal applique la loi réparatrice; et l’appel concerne l’accès à une pension publique à laquelle a cotisé la requérante.

[80] J’accorde une grande importance à l’évaluation psychologique pour plusieurs raisons. Premièrement, le contenu de l’évaluation aide à répondre aux questions juridiques dont je suis saisie. Le rapport a été rédigé pendant la PMA de la requérante et près de la date de fin de celle-ci. Il fournit :  

  • des diagnostics;
  • une longue liste de limitations fonctionnelles qui, à mon avis, affecteraient la capacité de travailler de la requérante;
  • des pronostics;
  • une opinion sur son employabilité en fonction de ses problèmes de santé et de ses limitations.

[81] Deuxièmement, ce dernier concorde de manière appréciable avec le témoignage de la requérante concernant ses limitations fonctionnelles. On y décrit un plan de retour aux études qui a échoué. La requérante n’a pas parlé de ce plan dans son témoignage, mais il ne s’agit pas d’une incohérence. Je refuse de tirer des conclusions défavorables de l’omission par la requérante d’aborder cet échec dans son témoignage. Cela d’autant plus qu’on ne lui a posé aucune question sur cet échec (pas même le membre, lequel lui a posé des questions).

[82] L’évaluation décrit que la requérante a perdu du poids. Dans son témoignage à l’audience, la requérante a parlé de sa prise de poids. Je n’y vois aucune incohérence : la requérante a mentionné le poids qu’elle a pris depuis 2016. Dans l’ensemble, le rapport d’évaluation fait seulement référence à une perte de poids, et il date de 2018, alors en l’absence de plus amples renseignements sur la période à laquelle fait référence le rapport, il n’y a pas d’incohérence.

[83] De plus, le rapport fait effectivement mention de l’adaptation de la requérante à sa « blessure ». Cette inexactitude ne compromet en rien la fiabilité du rapport. J’admets l’argument de la requérante (et je suis bien au fait de cette notion) selon lequel les évaluations psychologiques dans la collectivité des personnes handicapées peuvent utiliser le terme « blessure » d’une manière quelque peu étrange, mais qui est, en fait, synonyme d’invalidité ou problème de santé.

[84] Je n’admets pas les arguments du ministre sur l’importance que le Tribunal doit accorder à l’évaluation psychologique. Il n’y a rien « d’intéressant » ou qui me paraît suspect, d’une quelconque façon, concernant le moment choisi par l’avocat de la requérante pour demander qu’elle subisse une évaluation psychologique. Je n’ai aucune raison, dans cette cause, de douter des conclusions de ce rapport d’évaluation concernant les diagnostics de la requérante simplement parce qu’il ne provient pas d’un médecin traitant. Il est normal pour bien préparer une cause en vue d’une audience que les avocats ou avocates représentant des personnes aux prises avec des invalidités sollicitent des évaluations médicales de spécialistes.

[85] De la même façon, je n’accorderai pas moins d’importance au rapport simplement parce que je me serais « attendue » à ce que les nouveaux diagnostics de la requérante montrent une amélioration à la suite d’un traitement. Cet argument du ministre porte sur ce à quoi l’on « pourrait s’attendre ». Mais je n’ai pas à soupeser cette opinion médicale du ministre sur le traitement de la requérante par rapport à l’évaluation psychologiqueNote de bas de page 32. De plus, le fait que l’état de santé de la requérante s’améliorerait avec le traitement n’est pas un fait connu qu’il est possible de démontrer immédiatement, alors cela ne peut pas non plus former la base d’un avis juridique.

[86] Les notes de la travailleuse sociale (qui a fourni la thérapie cognitivo-comportementale après la fin de la PMA à la demande de la médecin de famille) vont dans le même sens que le contenu de l’évaluation psychologique. À mon avis, d’après tous les éléments de preuve médicale et le témoignage de la requérante, celle-ci a des limitations fonctionnelles pour ce qui est de s’asseoir, de se tenir debout, de se pencher, de s’étirer et de marcher. Elle éprouve de la douleur qu’elle évalue à un niveau très élevé sur une échelle de la douleurNote de bas de page 33. En raison de cette douleur et des effets secondaires de ses médicaments, la requérante a vu sa concentration et sa mémoire diminuer et elle dort mal. De plus, elle a des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité à travailler, et ce, même dans un poste sédentaire. D’ailleurs, à l’audience, le membre de la division générale lui a demandé comment elle se sentait et, même si elle est restée assise tout le temps, elle a répondu qu’elle avait des douleurs insoutenables au dos et dans le coude.

[87] En raison de ses limitations fonctionnelles physiques, la requérante ne pouvait plus exécuter son travail sédentaire à temps plein en avril 2016. J’estime qu’à partir d’octobre 2018, la requérante était aussi incapable de détenir régulièrement toute occupation véritablement rémunératrice. Autrement dit, à l’époque où a eu lieu l’évaluation psychologique, la requérante avait des limitations liées à un syndrome de douleur chronique et à un trouble de dépression caractérisé. Elle a eu un résultat de 50 à une EGF, et il lui fallait des soins cliniques urgents. Le fait qu’elle devenait socialement isolée et évitait les situations sociales s’inscrit dans la même logique que son témoignage. Elle avait des problèmes de sommeil, de concentration et avait des crises de panique. Elle avait une mémoire médiocre et une faible capacité de concentration. Selon ses propres mots, son état psychologique était [traduction] « merdique ». Ces limitations fonctionnelles, en plus de ses limitations physiques, signifiaient qu’il ne lui était pas possible de seulement limiter ses heures de travail ou d’occuper un poste comportant des attentes différentes. Elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Démarches raisonnables pour gérer son état de santé et traitement non refusé

[88] La requérante a fait des démarches raisonnables pour gérer son état de santé. Elle n’a pas refusé de traitement.

[89] Les personnes requérantes doivent démontrer qu’elles ont fait des démarches raisonnables pour gérer leurs problèmes médicauxNote de bas de page 34. Si elles refusent des traitements de manière déraisonnable, il est possible qu’elles n’aient pas droit à une pension d’invalidité (et les effets des traitements refusés ont leur importance dans cette analyse)Note de bas de page 35.

[90] Lorsque la requérante travaillait, elle a essayé d’utiliser un coussin chauffant et elle a adapté son poste de travail à domicile. Elle a essayé d’utiliser des orthèses au poignet et au coude. Elle a pris les médicaments qui lui ont été prescrits, y compris du Tylenol no 3, du Celebrex et du Lyrica. Elle a pris des médicaments pour traiter son diabète et pour faire baisser sa pression artérielle. Elle a accepté les changements apportés à sa médication, dont un qui a eu lieu juste avant l’audience de la division générale qui a occasionné une augmentation de sa douleur, mais qui était nécessaire pour mieux contrôler sa pression artérielle. La Dre Akter a déclaré dans le rapport médical du RPC [traduction] « envisager de diriger la patiente vers une clinique antidouleur, au besoin ». Toutefois, elle consulte une travailleuse sociale sur une base régulière pour une thérapie cognitivo-comportementale et pour du soutien.

[91] La requérante a essayé la psychothérapie, la massothérapie et les traitements chiropratiques quand elle avait l’argent pour le faire. Elle a eu recours à la marijuana thérapeutique pour soulager sa douleur. Elle a arrêté la physiothérapie parce que cela ne l’a aidé [traduction] « qu’un peu ». Elle a essayé de perdre du poids, ce qui a été difficile en raison de la douleur chronique qu’elle éprouvait quand elle marchait. Elle essaye des exercices qui ne lui causent pas davantage de douleur, y compris à l’aide de sa piscine. Elle a essayé les étirements à la maison qu’elle a appris lors de ses séances de physiothérapie.

[92] La requérante n’a pas refusé de traitement de manière déraisonnable. Plus précisément, je juge que la requérante n’a refusé aucun des traitements particuliers qui lui ont été recommandés par des spécialistes de la santé. La requérante a déclaré qu’en fait elle n’a pas été dirigée vers une clinique antidouleur, ce que j’ai admis. Sa médecin ne recommande pas cette option lorsqu’une patiente n’a personne pour la conduire au rendez-vous et pour veiller sur elle après la visite. La requérante profite bel et bien d’une certaine assurance limitée pouvant couvrir une physiothérapie par l’intermédiaire de son époux. Mais j’admets que, dans la mesure où il s’agit d’une recommandation de son médecin de famille, elle ne peut se permettre de payer par ses propres moyens ces services pour n’être remboursée que plus tard par la couverture d’assurance. Il n’y a rien de déraisonnable pour la requérante dans le fait d’échouer à suivre un traitement qu’elle ne peut tout simplement pas se payer.

L’invalidité est prolongée

[93] Il est probable que la durée de l’invalidité de la requérante soit longue et indéfinie. Cela signifie qu’elle est prolongée au sens du RPC. Le rapport médical du RPC de la Dre Akter indiquait que les douleurs chroniques de la requérante empiraient progressivement au point où elle ne prévoyait aucune guérison complèteNote de bas de page 36. L’évaluation psychologique indiquait que, compte tenu de la nature chronique et de la gravité de son problème de santé, on prévoyait que la requérante serait inapte à l’emploi de manière « permanenteNote de bas de page 37 ». La preuve ne contredit pas ces conclusions et j’ai admis ces rapports de même que le témoignage de la requérante comme crédibles. Le problème de santé de la requérante est donc prolongé.

[94] La requérante a prouvé qu’elle avait une invalidité grave et prolongée en octobre 2018, lorsque le rapport des évaluateurs a confirmé qu’elle avait un trouble de douleur chronique et des problèmes psychologiques, et qu’elle était inapte à l’emploi de manière permanente. Son invalidité a donc commencé pendant sa PMA qui n’a pas pris fin avant 31 décembre 2018. Les paiements commencent quatre mois après le début de l’invalidité, soit en février 2019, dans la présente cause.

Conclusion

[95] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante est admissible à une pension d’invalidité.

 

Date de l’audience :

Le 13 novembre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Stephen Yormak, représentant de l’appelante

Susan Johnstone, représentante de l’intimé

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