Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] Le ministre n’avait pas le droit de cesser de verser au requérant une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Ce dernier n’avait pas retrouvé la capacité de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Aperçu

[2] Le ministre a accordé au requérant une pension d’invalidité du RPC en octobre 2010. Le requérant est atteint d’une quadriplégie partielle depuis un accident de vélo survenu en juin 2010.

[3] Le requérant est né en 1966. Il a fait sa 12e année et a terminé ses études postsecondaires. Il travaillait comme décorateur de plateau dans l’industrie du cinéma avant son accidentNote de bas de page 1.

[4] Le ministre a envoyé le requérant suivre un programme de réadaptation professionnelle. Le requérant a été écarté du programme en juillet 2015, après l’échec de plusieurs tentatives de retour au travail à cause de son problème de santé. Le requérant a continué de travailler à l’occasion dans l’industrie du cinéma. Le requérant a informé le ministre qu’il espérait trouver un emploi auprès d’une municipalité. Le ministre a demandé au requérant de communiquer avec lui si jamais il parvenait à obtenir un tel emploiNote de bas de page 2.  

[5] En juin 2017, le requérant a avisé le ministre qu’il était retourné travailler à temps partiel. Le ministre a mis fin au versement des prestations d’invalidité en date de septembre 2016 parce que le requérant exerçait une occupation véritablement rémunératrice depuis octobre 2015Note de bas de page 3.

[6] Le ministre a appris que le requérant gagnait 1 540 $ par mois dans un poste à temps partiel depuis octobre 2015. Le requérant a aussi gagné 10 236 $ en 2015, 1 544 $ en 2016, 14 826 $ en 2017 et 6 057 $ en 2018 en travaillant dans l’industrie du cinéma. De plus, il a reçu 18 362 $ à titre d’évaluateur de l’accessibilité en 2018. Ainsi, le requérant a gagné 24 419 $ en 2018 si l’on tient compte du salaire qu’il a gagné dans l’industrie du cinéma cette année-làNote de bas de page 4.

[7] Le ministre a demandé au requérant de rembourser les prestations qu’il avait touchées en 2016 et en 2017, à savoir un montant de 15 580,41 $Note de bas de page 5.

[8] Le requérant a demandé au ministre de revoir sa décision de mettre fin au versement de ses prestations d’invalidité. Le ministre a rejeté la demande de révision du requérant. Ce dernier a porté le refus du ministre en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

Questions préliminaires

[9] Une téléconférence a eu lieu le 15 février 2020. À la suite de l’audience, le requérant a fait parvenir d’autres documents médicaux au Tribunal. Les documents portaient sur le traitement que le requérant a suivi dans une clinique pour l’anxiété et le stressNote de bas de page 6. Le ministre a consulté les documents, mais n’a pas présenté d’autres observationsNote de bas de page 7. Je suis maintenant prêt à rendre une décision dans cette cause.

Question en litige

[10] Les revenus d’emploi que le requérant a gagnés après octobre 2015 montrent-ils qu’il était redevenu régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur?

Analyse

[11] Le Tribunal a été créé par une loi. J’ai seulement le pouvoir de rendre les décisions que la loi habilitante m’autorise à rendreNote de bas de page 8. La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social établit ma compétence pour trancher les appels relatifs au RPC.

[12] Dans son témoignage, le requérant a déclaré qu’il avait laissé un message vocal à une représentante du ministre en août 2016. Il a informé la représentante au sujet du travail qu’il avait fait en 2016. Il croit qu’il ne devrait pas être pris avec un montant à rembourser parce que le ministre aurait dû savoir qu’il travaillait. Le ministre ne lui a pas dit que son travail pouvait affecter son admissibilité aux prestations d’invalidité. Je n’ai pas la compétence pour annuler un prétendu paiement en trop de la part du requérant [sic] parce que le ministre a mal géré son dossier. Par contre, j’ai bel et bien le pouvoir de trancher la question de savoir si le ministre a démontré selon la prépondérance des probabilités que le requérant n’était plus invalide au sens du RPC.

[13] Pour mettre fin au versement d’une pension d’invalidité, le ministre doit établir qu’il y a plus de chances que le requérant a effectivement cessé d’être invalide. Une pension d’invalidité cesse d’être payable le mois où la requérante ou le requérant cesse d’être invalideNote de bas de page 9.

[14] Pour répondre aux conditions requises, une invalidité doit être grave et prolongée. L’invalidité d’une personne est grave si elle la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 10.

[15] Le ministre se fie aux revenus que le requérant a gagnés depuis 2015 pour établir qu’il a retrouvé la capacité d’exercer un emploi véritablement rémunérateur. Le ministre soutient que le requérant a cessé d’être invalide à compter du 31 août 2016. La position du ministre est la suivante : malgré son problème de santé, le requérant a été capable de retourner occuper un emploi véritablement rémunérateur et de conserver cet emploi pendant plusieurs années. Le ministre soutient également que l’état de santé du requérant s’est amélioré au point où il a retrouvé la capacité de retourner au travail à temps partiel dès octobre 2015Note de bas de page 11.

[16] Selon les dires du requérant, son problème de santé ne s’est pas amélioré après la période de convalescence initiale qui a suivi son accident. Il a fait valoir que le travail qu’il a effectué n’était pas véritablement rémunérateur. Les gens qui l’employaient lui ont offert des mesures d’adaptation importantes. Par conséquent, il avait le droit de continuer à toucher une pension d’invalidité du RPC.

Les revenus que le requérant a gagnés après octobre 2015 ne montrent pas qu’il était de nouveau régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur

[17] Je conviens du fait que des revenus importants peuvent constituer un bon indice que le requérant est de nouveau régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur. Mais ce n’est qu’un des facteurs à considérer. La détermination du caractère véritablement rémunérateur d’un emploi ne peut pas se faire d’une façon uniformisée. Il faut évaluer chaque cas en fonction des faits qui lui sont propresNote de bas de page 12

[18] Le principal problème de santé qui rend le requérant invalide est une quadriplégie partielle. Sa paralysie partielle fait qu’il ne peut pas bouger, marcher ou bouger ses mains librement.

[19] Le requérant a déclaré qu’il continue de souffrir de graves déficiences. Il a de la difficulté à marcher. Il utilise une canne pour se déplacer dans la maison. Il s’habille très lentement. Il a encore des problèmes pour faire sa toilette. Il doit se stimuler manuellement pour déféquer. L’évacuation de ses selles est imprévisible; il s’est déjà sali. Il se fatigue lorsqu’il marche et accomplit n’importe quelle tâche. Il a encore des problèmes à s’asseoir. Il a des problèmes de mémoire et de concentration qui, selon lui, sont liés à une commotion non diagnostiquée qu’il a subie lors de son accident de vélo. Il a des problèmes de sommeil en raison de douleurs neuropathiques. Il continue de dépendre beaucoup de sa conjointe pour ce qui est des tâches ménagères. Son état de santé ne s’est pas amélioré depuis 2013 ou 2014.

[20] Dans un rapport daté du 4 août 2010, sa physiatre déclare que le requérant a subi une fracture au cou lors d’un accident de vélo. Le requérant avait une baisse de sensibilité ainsi que des faiblesses aux bras, aux jambes et aux mains. Il a aussi une vessie neurogèneNote de bas de page 13.  

[21] Dans un rapport rédigé le 22 mai 2012 à l’attention du ministre, le médecin de famille du requérant a souligné que la guérison de la lésion de la moelle épinière du requérant avait atteint un plateau. Il présentait encore une grande faiblesse musculaire du côté droit de son corps. Il se fatiguait rapidement. Sa main droite n’avait pas retrouvé sa dextérité. Son médecin de famille croyait que le requérant pourrait retourner travailler à temps plein ou presque avec l’aide d’une consultante qualifiée ou d’un consultant qualifié en réadaptationNote de bas de page 14.

[22] Lors de son témoignage, le requérant a parlé du travail qu’il faisait dans l’industrie du cinéma avant d’avoir son accident en juin 2010. Il travaillait comme décorateur de plateau. Il supervisait de 10 à 20 personnes. Il travaillait 12 heures par jour. Il a dû cesser de travailler après son accident. Il a cependant fait de nombreuses démarches pour essayer de retourner au travail depuis son accident.

[23] Voici un résumé des emplois à temps partiel qu’il a occupés depuis juin 2010 :

  • Il a continué de travailler dans l’industrie du cinéma, mais de façon très occasionnelle et inégale. Ce sont ses amies et amis qui l’embauchent. Il ne travaille pas 12 heures par jour comme il est normalement requis dans cette industrie. Ses amies et amis lui offrent des emplois avec beaucoup de mesures d’adaptation. Il ne soulève aucun objet lourd. Il peut prendre des pauses aussi souvent que nécessaire. Il peut quitter le travail plus tôt s’il le souhaite. Il est extrêmement fatigué à la fin d’une journée de travail.
  • Il a commencé à travailler comme concierge en 2012. Il a fait ce travail à temps partiel pendant environ un an ou un an et demi. Ses heures variaient. Certaines semaines, il travaillait. D’autres, il ne travaillait pas du tout. Il faisait jusqu’à 20 heures par semaine. On lui a donné un quart de nuit. Cela lui posait cependant certaines difficultés. Il devait prendre un relaxant musculaire pour pouvoir terminer son quart de travail. Il ne pouvait pas se tenir debout pendant de longues périodes. Les choses n’allaient pas mieux durant les quarts de jour. Le jour, il y avait beaucoup plus d’activité et il ne pouvait pas prendre des pauses quand il en avait besoin. Il a fini par démissionner.
  • Le requérant a travaillé pour une organisation de services communautaires d’octobre 2015 à avril 2018. L’organisation aidait les gens vivant avec des incapacités physiques à trouver des activités et des programmes. Il a quitté cet emploi à la fin de son contrat. C’était un poste à temps partiel. Il devait travailler 22 heures par semaine, mais il en faisait habituellement de 7 à 15. Il recevait de 1 400 $ à 1 500 $ par mois à titre d’agent contractuel indépendant. Il avait aussi des dépenses, y compris pour sa voiture, ses déplacements et son cellulaire. Il travaillait de la maison. Il a dû acheter un ordinateur. Il bénéficiait de nombreuses mesures d’adaptation dans cet emploi. Ses heures étaient étalées. Il n’a jamais eu à suivre un horaire régulier.
  • De mai 2018 à octobre 2019, le requérant a travaillé comme évaluateur de l’accessibilité pour une autre organisation de services communautaires. Il a cessé de travailler à la fin de son contrat. Il travaillait de 18 à 24 heures par semaine. Il gagnait 500 $ par semaine. Son emploi était adapté. Il entrait des données dans un ordinateur. Il visitait des immeubles pour aider à déterminer l’accessibilité des lieux. Il faisait son propre horaire.
  • Le requérant a lancé sa propre entreprise en août ou en septembre 2019. Il travaille comme évaluateur de l’accessibilité.

[24] Le requérant a également essayé de suivre quelques cours et formations après son accident de juin 2010. Il a essayé d’obtenir un emploi comme agent du 311 dans une municipalité, mais il avait de la difficulté à suivre la formation. Il ne tape pas très bien au clavier en raison de ses problèmes de dextérité des mains. Il n’a jamais pu taper les 40 mots par minute nécessaires pour obtenir cet emploi. Il a essayé de compléter un diplôme en loisirs, mais il a quitté le programme après un accident de voiture en 2014. En avril 2018, il a aussi suivi un cours sur l’accessibilité pendant deux semaines dans un collège communautaire.

[25] Les personnes qui gagnent un certain revenu peuvent quand même être invalides si elles bénéficient de mesures d’adaptation au travail ou que les exigences en matière de rendement qui s’appliquent à elles sont différentes de celles de leurs collèguesNote de bas de page 15. Dans cette affaire, il est important d’examiner le problème de santé du requérant ainsi que ses limitations fonctionnelles, ses antécédents de travail, ses conditions de travail et les démarches qu’il a entreprises pour améliorer ses compétences professionnelles.  

[26] Je suis convaincu que les emplois occupés par le requérant depuis juin 2010 étaient adaptés et irréguliers. Il pouvait habituellement faire son propre horaire, travailler quelques heures à la fois et prendre des pauses au besoin. Ses amies et amis lui donnaient du travail dans l’industrie du cinéma et il ne gagnait pas un salaire considérable. Malgré les mesures d’adaptation mises en place pour lui, il n’a jamais pu travailler plus qu’à temps partiel selon un horaire irrégulier dans chacun des emplois qu’il a occupés depuis son accident de juin 2010. 

[27] Je juge que le ministre n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que les revenus gagnés par le requérant après octobre 2015 montrent qu’il était redevenu régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur.

Le ministre n’a pas démontré que le requérant a cessé d’être invalide

[28] J’ai pris en considération l’ensemble de la situation entourant le problème de santé du requérant ainsi que sa capacité à travailler depuis son accident de juin 2010.

[29] Le ministre n’a pas produit de preuve démontrant que le problème de santé du requérant a subi un changement important qui permettrait de conclure qu’il a cessé d’être invalide au sens du RPC.

[30] Le ministre invoque surtout les revenus que le requérant a gagnés depuis 2015 pour justifier sa décision de ne plus lui verser de prestations d’invalidité.

[31] L’article 68.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Règlement sur le RPC) définit la notion d’occupation « véritablement rémunératrice », à savoir une occupation qui procure un traitement ou un salaire égal ou supérieur à la somme annuelle maximale qu’une personne pourrait recevoir à titre de pension d’invaliditéNote de bas de page 16.

[32] Le ministre a fait valoir que le requérant a gagné 24 419 $ en 2018, ce qui dépasse la somme maximale de prestations d’invalidité qu’il aurait pu recevoir cette année-là. Cependant, je ne crois pas qu’à lui seul ce fait est suffisant pour montrer que le requérant a cessé d’être invalide au sens du RPC.

[33] Le ministre n’a pas démontré qu’en 2015, en 2016 et en 2017, le requérant a gagné plus d’argent qu’une somme véritablement rémunératrice au sens du Règlement sur le RPC. Le dossier du Tribunal montre que, selon le T4, le requérant a gagné 10 943 $ en 2015, ce qui est moins élevé que la somme maximale qu’il aurait touchée en pension d’invalidité cette année‑làNote de bas de page 17. Le dossier du Tribunal contient un avis de cotisation pour 2016 qui montre que les revenus du requérant s’élevaient à 16 866,00 $ en 2016Note de bas de page 18. Toutefois, selon le T4, ses gains s’élevaient seulement à 1 544 $ en 2016. Ces gains provenaient de son travail dans l’industrie du cinéma. En 2016, le requérant avait également un revenu brut d’entreprise s’élevant à 20 114 $ ainsi qu’un revenu net d’entreprise s’élevant à 3 541 $Note de bas de page 19. Ces chiffres viennent appuyer la preuve que le requérant a produit à l’audience pour montrer qu’il avait des dépenses et que son emploi à l’organisme sans but lucratif n’était pas véritablement rémunérateur. Je sais que le requérant a gagné 14 826 $ en 2017 grâce à son travail dans l’industrie du cinéma, mais je ne sais pas combien il a touché exactement pour son travail à l’organisme sans but lucratif. Il incombe au ministre de prouver que le requérant a cessé d’être invalide au sens du RPC, et le ministre peut difficilement prouver ses prétentions s’il manque au dossier des renseignements sur le revenu pour une année donnée où le requérant a supposément exercé une occupation véritablement rémunératrice.

[34] J’ai déjà décidé que le travail du requérant était irrégulier et adapté. Cette conclusion repose sur deux lettres qui figurent au dossier du Tribunal et qui proviennent de l’organisme sans but lucratif pour lequel le requérant a travaillé de 2015 à 2018. Dans ces lettres, il est écrit que l’invalidité du requérant réduisait sa capacité à travailler et à accomplir toutes les tâches, que le requérant avait un horaire de travail flexible et que son problème de santé nuisait à sa capacité à communiquer en raison de son insomnieNote de bas de page 20. Malgré ces limitations, son employeur faisait preuve de souplesse parce qu’il voulait donner la chance au requérant de travailler en tenant compte de son invalidité.

[35] Le ministre n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que le requérant a cessé d’être invalide au sens du RPC.

Conclusion

[36] L’appel est accueilli.

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