Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] La requérante est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) qui doit lui être versée à compter de mars 2018.

Aperçu

[2] La requérante, une femme de 45 ans, a été impliquée dans un accident de la route en janvier 2017. L’accident s’est produit dans l’entrée d’un Tim Hortons, alors qu’un camion a happé son véhicule côté conducteur.

[3] À l'époque de l’accident, la requérante travaillait comme préposée aux services de soutien de la personne. Elle a demandé une pension d’invalidité du RPC en juillet 2017. Dans sa demande, elle a déclaré qu’elle était incapable de travailler en raison des blessures dues à son accident de la route : coup de fouet cervical, maux de tête, douleur au bas du dos, à la jambe, au genou et à la hanche de gauche, picotements et engourdissement, perte (occasionnelle) de force et de sensation à du côté gauche. Plus tard, la requérante a expliqué que son invalidité se déclinait en trois aspects, à savoir une douleur chronique aiguë accompagnée de lésions nerveuses, des troubles gastro-intestinaux multiples, et des problèmes de santé mentale (trouble de stress post-traumatique, anxiété et dépression).

[4] Le ministre a rejeté sa demande au stade initial et après révision. La requérante a porté sa décision de révision en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale (TSS). Un membre du TSS a instruit son appel en juin 2019. Le membre a décidé que son invalidité n’était pas grave et qu’elle n’était donc pas admissible à une pension d’invalidité. La requérante a fait appel de cette décision devant la division d’appel du TSS. En novembre 2019, la division d’appel a accueilli son appel, après avoir conclu que la division générale avait manqué à un principe de justice naturelle, commis des erreurs de droit et fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées. La division d’appel a donc renvoyé l’affaire à la division générale pour réexamen, ordonnant que l’appel soit instruit par un autre membre de la division générale.

Questions préliminaires

[5] Durant l’audience, le représentant de la requérante a demandé s’il pouvait soumettre les rapports de deux spécialistes après l’audience. Il a expliqué qu’il n’avait pas essayé de les soumettre avant l’audience comme il avait cru à tort que le gouvernement en demanderait des copies s’ils étaient nécessaires.

[6] Le représentant du ministre ne s’est pas opposé à cette demande de la requérante. Sachant cela et sachant que ces rapports seraient sûrement pertinents, j’ai dit au représentant de la requérante qu’il pourrait soumettre des documents après l’audience.

[7] Le représentant de la requérante a déposé les rapports le 13 mars 2020Footnote 1. Ces documents consécutifs à l’audience ont été transmis au ministre le 20 mars 2020, pour lui permettre de les commenter. Le ministre n’a fourni aucun commentaire par écrit avant la date limite de réponse et n’a pas demandé de proroger le délai pour le faire. J’ai donc rendu ma décision.

Question(s)

[8] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, la requérante doit répondre aux exigences prévues au RPC. Plus précisément, elle doit être déclarée invalide au sens du RPC à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant cette date. La PMA est calculée d’après les cotisations qu’elle a versées au RPC. La PMA de la requérante prend fin le 31 décembre 2022. J’ai calculé sa PMA en utilisant la clause pour élever des enfants.

[9] Une personne est invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeFootnote 2. Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit entraîner vraisemblablement le décès. La personne doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité revêt les deux aspects du critère. Ainsi, la requérante ne sera pas admissible à la pension d’invalidité si son invalidité ne présente qu’un seul aspect du critère.

[10] Je dois décider si la requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée.

Analyse

Invalidité grave

[11] En résumé, la requérante soutient qu’elle est invalide pour trois raisons : un problème de santé mentale, un problème intestinal, et un problème de douleur. Dans cette optique, je dois examiner la preuve afin de comprendre les limitations fonctionnelles qui résultent de chacun de ses problèmes de santé.

Les limitations fonctionnelles liées aux problèmes mentaux et intestinal sont difficiles à évaluer

[12] Je crois que la douleur de la requérante lui cause d’importantes limitations, et je vais traiter brièvement de celles-ci. Toutefois, pour ce qui est de ses problèmes de santé mentale et de son trouble intestinal (et des troubles connexes affectant son estomac et sa digestion), je trouve la preuve problématique. Plus précisément, je juge que la preuve à cet égard n’est pas assez fiable pour me permettre de bien établir et évaluer les limitations qui en découlent.

[13] Je vais expliquer en quoi je considère comme problématique la fiabilité des éléments de preuve se rapportant aux problèmes de santé mentale et au problème intestinal de la requérante.

[14] En mai 2018, le docteur Smith, un de ses deux médecins de famille, a déclaré que la requérante avait connu des limitations notables depuis 1991 dans l’exercice de fonctions mentales nécessaires à la vie quotidienne, et des limitations notables depuis 2000 dans sa fonction d’élimination (fonction intestinale). Le docteur Smith a expliqué qu’elle souffrait d’un grave trouble de stress post-traumatiques à cause d’une agression sexuelle remontant à 1991. Il a expliqué que sa détresse psychologique avait mené à un côlon irritable de plus en plus grave (douleur, nausée, spasmes imprévisibles et incontinence fécale) et que la requérante faisait souvent dans ses pantalons. Il a également affirmé que la détresse psychologique de la requérante (anxiété, dépression, évitement social, problèmes de mémoire et de concentration et dissociation) et sa souffrance intestinale quotidienne la rendaient incapable de travailler. Il a ajouté que la requérante pourrait seulement faire du travail à temps partiel et qu’il lui faudrait souvent quitter le travail ou ne pas s’y présenter 90 pour cent du tempsFootnote 3.

[15] Ce qui m’embête, c’est que cet élément ne cadre pas avec les autres éléments de preuve au dossier.

[16] Premièrement, dans le questionnaire du RPC que la requérante a rempli en juin 2017, elle a affirmé que ses habitudes d’élimination intestinale et de miction étaient normalesFootnote 4. Il existe la possibilité que son problème intestinal se soit aggravé après qu’elle ait rempli ce questionnaire. Cela dit, le docteur Smith avait déclaré que la requérante souffrait de limitations notables à cet égard depuis 2000. J’accorde aussi de l’importante au fait que la requérante a seulement commencé à voir le docteur Smith en mars 2017Footnote 5, ce qui laisse croire que sa description des symptômes avant 2017 était basée sur le compte rendu de la requérante. Je trouve cette idée préoccupante, parce qu’elle me fait douter de la gravité des symptômes décrits par la requérante.

17] En second lieu, la requérante n’a jamais fait mention d’un problème de santé mentale ni d’un problème intestinal dans son questionnaire du RPC, alors que celui-ci l'interrogeait sur ses autres problèmes de santé et détériorations. La requérante n’a rien indiqué en réponse à cette questionFootnote 6.

[18] Troisièmement, le rapport médical du RPC rempli en mai 2017 par la docteure MacMullin, l’autre médecin de famille de la requérante, ne faisait aucune mention d’un problème de santé mental ou d’un problème intestinalFootnote 7. La requérante m’a dit qu’elle n’avait pas parlé de ses problèmes de santé mentale avec la docteure MacMullin comme elle est aussi la médecin de famille de son ancien conjoint et de la famille de celui-ci. C’est pour cette raison, a-t-elle expliqué, qu’elle avait elle-même décidé d’approcher le docteur Smith, un médecin de famille apparemment spécialiste du trouble de stress post-traumatique, pour obtenir de l’aide pour ses problèmes de santé mentale. Cette situation pourrait donc expliquer pourquoi la docteure MacMullin n’a pas mentionné sa santé mentale dans son rapport médical du RPC; toutefois, on ne sait toujours pas pourquoi rien n’a été dit au sujet d’un problème intestinal. De toute façon, je trouve étrange que la requérante semble ne pas avoir confié à la docteure MacMullin qu’elle avait besoin de parler de sa santé mentale à quelqu’un ou qu’elle avait approché un autre médecin de famille. La requérante n’a même pas nommé le docteur Smith parmi les médecins énumérés dans son questionnaire du RPC, et ce, même si elle a commencé à le consulter en mars 2017, soit avant la date où elle avait rempli son questionnaire du RPC et avant celle où la docteure MacMullin avait rempli le rapport médical du RPC.

[19] En quatrième lieu, dans une lettre contenue dans la preuve, la mère de la requérante a écrit qu’elle attribuait l’invalidité de sa fille à l’accident routier de janvier 2017. Elle laisse croire que la requérante était plutôt fonctionnelle avant l’audience. La lettre ne mentionne aucunement un problème de santé mentale ou un problème intestinalFootnote 8.

[20] Je ne laisse pas entendre que la requérante ne souffre pas d’un problème de santé mentale et d’un problème intestinal : il est manifeste qu’elle en est atteinte. Je veux simplement montrer que la preuve à leur égard n’est pas suffisamment fiable pour que je puisse établir et évaluer les limitations fonctionnelles en découlant.

La douleur de la requérante entraîne des limitations fonctionnelles notables

[21] Je vais maintenant traiter de sa douleur chronique et de l’engourdissement, des picotements et de la faiblesse qui lui sont associés. La preuve démontre que ce problème de santé donne lieu à des limitations fonctionnelles notables.

[22] En novembre 2017, la docteure MacMullin a affirmé que la blessure aux tissus mous de la requérante était telle qu’elle était incapable de rester assise ou debout ou de marcher pour plus de quelques minutes à la foisFootnote 9.

[23] En avril 2018, la docteure MacMullin a déclaré que la requérante souffrait d’une douleur importante au dos et à la jambe. Elle marche avec une canne et tombe très souvent. Son côté droit commence aussi à faiblir et à être douloureux comme il est trop sollicitéFootnote 10.

[24] En mai 2019, à la demande de sa compagnie d’assurances, la requérante s’est soumise à une évaluation de ses capacités fonctionnelles qui a duré deux jours. L’évaluation a été menée par Lynn Moore, physiothérapeute principale au Groupe Santé CBI. Selon madame Moore, les capacités et les tolérances de la requérante comprenaient les suivantesFootnote 11 :

Tâche Capacité ou tolérance démontréeFootnote 12
Soulever occasionnellement (taille aux épaules) 10 livres
Soulever occasionnellement
(12 pouces à la taille)
10 livres
Soulever occasionnellement
(12 pouces aux épaules)
10 livres
Transporter des deux mains (30 pieds) 10 livres
Pousser ou tirer avec tout le corps (30 pieds) 20 livres de force
Transporter d’une main (30 pieds) à gauche et à droite 7 livres avec chaque main
Rester assise Tolérance fréquente, sur la base de périodes cumulatives. La plus longue période ininterrompue observée allait de 15 à 30 minutes. La plus longue période cumulative était entre 1 et 3,5 heures. Déplacement de poids fréquent observé. Sa tolérance à la position assise a diminué au fil de l’évaluation.
Rester debout Tolérance occasionnelle, sur la base de périodes cumulatives. La plus longue période ininterrompue observée allait de 10 à 20 minutes. La plus longue période cumulative était entre 1 et 1,5 heure. Sa tolérance à la position debout a diminué au fil de l’évaluation.
Marcher Tolérance occasionnelle, seulement pour une courte période à la fois. Une période de marche ininterrompue de 9 minutes a été observée, ainsi que de la marche pour aller de tâche en tâche durant les deux jours de l’évaluation.
Se tordre / faire une rotation spinale Tolérance occasionnelle
S’étirer
(au-dessus de l’épaule)
Tolérance occasionnelle pour étirer le bras au-dessus de l’épaule, mais seulement pour une courte période à la fois. La requérante a été incapable de terminer cette épreuve.
S’étirer Tolérance fréquente pour l’étirement presque à l’horizontale. Tolérance occasionnelle et seulement pour une courte période à la fois pour l’étirement horizontal distant. Tolérance occasionnelle et seulement pour une courte période à la fois pour l’étirement de la taille au plancher.
Maintenir le coup en position Tolérance fréquente pour la flexion du coup (regard vers le bas). Tolérance occasionnelle et seulement pour une courte période à la fois pour une extension du coup.
Empoigner (légèrement)Footnote 13 Tolérance occasionnelle de la main gauche. Tolérance occasionnelle testée mais supérieure de la main droite.
Empoigner (fermement) Tolérance occasionnelle de la main gauche. Tolérance occasionnelle testée mais supérieure de la main droite.
Utiliser l’ordinateur (clavier et souris) Tolérance occasionnelle
Écrire Tolérance occasionnelle

[25] Madame Moore a conclu que la requérante avait démontré qu'elle pouvait tolérer un jour de travail de deux à trois heures dans un poste sédentaire. Elle a cependant ajouté que sa performance avait grandement diminué au fil de l’évaluation, alors que ce sont manifestées des limitations physiques, notamment à cause de douleur, de fatigue et de maux de tête. Pour cette raison, madame Moore jugeait que la requérante ne serait pas en mesure d’exercer quotidiennement les capacités physiques dont elle avait fait montre pendant deux à trois heures.

[26] Les conclusions de madame Moore méritent qu’on leur accorde de l’importance. D’après les constats de madame Moore, la requérante avait déployé des efforts importants pour toutes les tâches fonctionnelles durant les deux jours de l’évaluation, comme en témoignent des mesures objectives (surveillance de la fréquence cardiaque, changements biomécaniques observés et absence d’irrégularités cliniques). Elle a également affirmé que les résultats étaient une représentation fidèle du niveau fonctionnel actuel de la requérante. Même si elle a noté un écart entre les capacités et les limitations relevées par la requérante elle-même (tolérances pour la manipulation d’objets et certaines positions) et sa performance réelle, elle a souligné que l’ensemble des autres mesures (évaluation objective de la douleur, échelles de la douleur, questionnaires sur la douleur et l’activité et tests de marche, d’amplitude de mouvement et de mouvements répétitifs) étayaient un profil fiable.

[27] Selon le représentant du ministre, je devrais remettre en question l’objectivité de madame Moore comme celle-ci avait encouragé la requérante, dans un courriel envoyé en juillet 2019, à [traduction] « faire appel de la décisionFootnote 14 » (présumément la décision de juin 2019 de la division générale). Je reconnais qu’un tel conseil venant d'elle soit troublant, mais selon moi, il ne l'est pas au point de discréditer les conclusions de son évaluation fonctionnelle. En effet, le conseil de madame Moore semble avoir été suscité par un courriel que lui avait d’abord envoyé la requérante en juillet 2019, lui demandant [traduction] « d’écrire une lettre concernant l’évaluationFootnote 15 ». Madame Moore lui avait répondu en disant que son rapport était [traduction] « parfaitement clair ». La physiothérapeute a également interrogé la requérante sur le tribunal dont il était question. La réponse de madame Moore me laisse croire qu’elle ne souhaitait pas se porter à la défense de la requérante. J’en comprends aussi qu’elle ignorait la procédure que la requérante avait entamée devant le Tribunal au moment où l’évaluation a été faite. Faute d’autre preuve, je ne peux conclure que l’évaluation de madame Moore manque d’objectivité.

La requérante n’a pas suivi les traitements en santé mentale recommandés

[28] Pour avoir droit à une pension d’invalidité, une partie requérante doit non seulement fournir des preuves relatives à la nature de son invalidité, mais aussi des preuves quant aux efforts qu’elle a faits pour prendre en charge ses problèmes de santéFootnote 16. De tels efforts sont communément appelés « l’obligation d’atténuer le préjudice ». La Cour d’appel fédérale a clairement fait savoir que les requérants ne sont pas admissibles à une pension d’invalidité du RPC à moins d’avoir rempli cette obligationFootnote 17. Si une partie requérante refuse de suivre un traitement recommandé qui aurait vraisemblablement une incidence sur son état d’invalidité, elle doit démontrer le caractère raisonnable de son refus.Footnote 18

[29] Vu mes difficultés à déterminer les limitations fonctionnelles résultant des problèmes de santé mentale de la requérante (trouble de stress post-traumatique, anxiété et répression), je doute qu’il me faille déterminer si elle a suivi les traitements recommandés en santé mentale. Toutefois, préférant pécher par excès de prudence, j’ai tout de même examiné cette question.

[30] Je suis dans l’impossibilité de conclure que la requérante a fait des efforts suffisants pour prendre en charge ses problèmes de santé mentale. Dans une note rédigée en février 2018, fort probablement à l’intention de la compagnie d’assurances de la requérante, la docteure Mullin demandait que la requérante bénéficie de consultations psychologiques.Footnote 19 Depuis cette recommandation, la requérante n’a jamais suivi une telle thérapie. La requérante a témoigné qu’elle avait bénéficié de consultations psychologiques au centre pour les agressions sexuelles, précisant qu’elles remontaient à la fin de 2016 ou au début de 2017.

[31] Je sais que la requérante voyait le docteur Smith. Cependant, je ne crois pas que ses consultations avec le docteur Smith sont ce à quoi la docteure MacMullin faisait référence quand elle lui a recommandé de voir un psychologue. D’une part, le docteur Smith est un omnipraticien, pas un psychologue. D’autre part, elle ne le voyait pas sur une base régulière. En juin 2019, soit plus d’un an après la recommandation de traitement de la docteure Mullin, la requérante a effectivement affirmé qu’elle voyait le docteur Smith aux six à douze mois.

[32] Pour justifier de ne pas avoir suivi la recommandation de la docteure MacMullin, la requérante a expliqué, dans une lettre datée de septembre 2019, qu’elle n’avait pas consulté un psychologue parce que ni ses assurances ni ses moyens ne le lui permettentFootnote 20. Durant l’audience, la requérante a affirmé que son revenu annuel était de 12 000 dollars (ou 1000 dollars par mois). Elle touche ce revenu grâce à ses prestations d’assurance de la section B. Je reconnais qu’une personne dont le revenu annuel se limite à 12 000 dollars ne pourrait pas se permettre des consultations privées avec un psychologue. Par contre, dans sa lettre de septembre 2019, la requérante a également écrit que sa compagnie d’assurance avait convenu de payer ses consultations psychologiques, bien qu’il lui fallait d’abord les payer avant d’être remboursée. La requérante a affirmé qu’elle ne pouvait pas débourser ces frais d’embléeFootnote 21.

[33] J’ai de la difficulté à accepter cette explication, car malgré son revenu limité, la requérante avait trouvé le moyen de débourser des sommes considérables pour d’autres traitements, comme pour la marijuana médicinale que lui prescrit le docteur Smith. De plus, sa compagnie d’assurances ne rembourse pas le coût de sa marijuana médicinale. La requérante a déclaré qu’on lui prescrit 10 à 12 grammes de marijuana par jour, et qu’il y a déjà longtemps qu’on lui prescrit un minimum de 10 grammes par jour. J’ai interrogé la requérante sur le coût mensuel de sa marijuana. Elle a répondu que ce coût était variable comme elle avait l’autorisation pour la faire pousser elle-même. Je lui ai demandé si elle la faisait pousser elle-même maintenant, et elle a répondu qu’elle ne le faisait pas, et que sa marijuana lui coûte plus de 1000 dollars par mois quand elle ne la fait pas pousser elle-même. Elle a expliqué que sa famille l’aidait à en assumer les coûts. Je ne peux réconcilier le fait qu’elle débourse plus de 1000 dollars par mois pour de la marijuana médicinale, même avec l’aide de sa famille, et son incapacité à payer des consultations psychologiques, surtout que les coûts de ces consultations seraient remboursés par sa compagnie d’assurances, ce qui n’est pas le cas pour la marijuana. Pour cette raison, je ne peux conclure que la requérante a raisonnablement expliqué pourquoi elle n’avait pas consulté un psychologue.

[34] Un autre traitement qui n’a pas été suivi est l’entraînement des ondes Alpha et Thêta. À cet égard, la preuve montre que la requérante avait signé des formulaires de consentement pour participer à un tel atelier avec le docteur Smith en juin 2017Footnote 22 et mai 2018Footnote 23. J’ai demandé à la requérante si elle avait commencé cette thérapie; elle a répondu par la négative. Je lui ai alors demandé pourquoi cela pourrait être le cas. La requérante a affirmé qu’elle ignore ce qui se passe à ce sujet. Elle ne sait pas si elle se trouve sur une liste d’attente ou si le docteur Smith estime qu’elle n’est pas tout à fait prête pour ce traitement. Je lui ai alors demandé si elle s’était renseignée à cet égard auprès du docteur Smith. Elle a répondu par la négative, tout en précisant qu’elle pourrait aborder le sujet lors de leur prochaine rencontre. Dans l’ensemble, la preuve n’est que vague et hypothétique sur les raisons expliquant que ce traitement n’ait pas été entamé. On ne peut y trouver une explication raisonnable au non-respect de cette recommandation de traitement.

[35] Quant aux effets potentiels de ces traitements sur l’état d’invalidité de la requérante, je ne peux que présumer qu’ils ont été recommandés par ses médecins de famille parce qu'ils croyaient qu’ils pourraient atténuer son invalidité.

La requérante a suivi les traitements recommandés pour la douleur chronique

[36] La preuve révèle que la requérante a suivi les traitements recommandés pour sa douleur chronique.

[37] La requérante a fait de la physiothérapie de janvier 2017 au 23 août 2017Footnote 24, puis de nouveau du 28 février 2018 au 29 mars 2018Footnote 25. Elle a arrêté ce traitement en août 2017 et en mars 2018 parce qu’il aggravait sa douleur, comme le révèlent les notes de la docteure MacMullinFootnote 26. Il faut aussi noter que la physiothérapie n’avait pas amélioré ses capacités fonctionnelles. En mai 2017, le physiothérapeute de la requérante a noté une certaine amélioration de sa performance pour les exercices de renforcement, mais qui ne s’était pas traduit en changement fonctionnelFootnote 27. En août 2017, le physiothérapeute a fait savoir que l’état de la requérante ne s’était que très peu, voire aucunement amélioré depuis le début des traitements en janvier 2017. Dans la clinique, elle se déplaçait encore de façon très prudente et manquait énormément de coordination. L’amplitude de mouvement de sa colonne était limitée à tous les niveaux, et les mouvements spinaux lui faisaient mal à la colonne. Elle demeurait très sensible au toucher, particulièrement dans la région fessière et sacro-iliaque de gauche, avec une douleur irradiant dans les fesses et le bas de la jambeFootnote 28. En mars 2018, la physiothérapeute a déclaré que très peu d’amélioration avait été visible chez la requérante et qu’elle était incapable de tolérer une tension légère du cou comme du dosFootnote 29.

[38] La requérante faisait aussi de la massothérapie depuis 2017. Le dossier contient plusieurs rapports de thérapeutes vus par la requérante, et ils ne révèlent aucune amélioration notable de son état grâce à la massothérapie. Par exemple, une massothérapeute a écrit en juin 2018 que, depuis qu’elle s’occupait de la requérante (son dossier lui avait été transféré par un autre massothérapeute), très peu de progrès étaient visibles, et la requérante ne bénéficiait que d’un soulagement durant de 24 à 48 heures après une exacerbation initiale de ses symptômes. La thérapeute a aussi expliqué que la requérante se plaignait constamment d’un niveau de douleur de 7 à 9 sur une échelle de 10. Sa douleur névralgique et son manque de force nuisaient à ses activités de la vie quotidienne, notamment à son sommeil, sa capacité à tourner la tête, et sa tolérance pour la position debout et la marche. La requérante marchait en boitant, et le bas de son dos présentait des modifications vasculaires, notamment de l’inflammation, un gonflement et des changements de couleurFootnote 30.

[39] La requérante avait également essayé plusieurs médicaments, notamment le Flexeril, l’Arthrotec, de l’Advil fort prescrit sur ordonnance, de l’huile de cannabidiol (ingérable), et de la marijuana médicinale. Elle a témoigné qu’elle avait commencé à prendre du Naproxen et de l’amitriptyline environ deux ou trois semaines plus tôt, mais qu’elle n’avait encore vu aucune amélioration de ses symptômes, y compris de son sommeil. Elle a dit que le Naproxen exacerbe ses symptômes gastro-intestinaux, l’obligeant depuis à prendre beaucoup plus de Tecta et de Tums.

[40] La requérante admet qu’il est arrivé qu’elle ne puisse pas renouveler son ordonnance de Flexeril parce qu’elle était incapable d’assumer d’emblée les coûts du médicament. Encore une fois, cela me laisse perplexe étant donné qu’elle parvenait à payer sa marijuana médicinale. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas en quoi son état d’invalidité s’en trouve affecté, comme la prise de Flexeril ne semble avoir apporté aucun bénéfice notable à ses capacités fonctionnelles

[41] En juillet 2018, le docteur Martin, gastroentérologue, a recommandé une [traduction] « réduction judicieuse » de sa consommation de marijuanaFootnote 31. Rien ne laisse croire que la requérante ait suivi cette recommandation. Cependant, je ne juge pas que cela joue en sa défaveur dans son appel. Le docteur Martin semble avoir formulé cette recommandation parce qu’il pensait que ses nausées pouvaient être causées par les cannabinoïdes. Pour des raisons expliquées plus tôt, les nausées de la requérante et les autres symptômes de son côlon irritable n’ont pas été pris en compte dans mon évaluation de son invalidité.

[42] Peu après avoir consulté le docteur Martin, la requérante a vu le docteur Attabib, neurochirurgien. Cet autre spécialiste a examiné les résultats de son IRM, notant un très petit bombement lombaire à L5-S1 et une discopathie dégénérative pluriétagée de la colonne cervicale. Il a conclu qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une opération et a recommandé la requérante auprès d’un psychiatreFootnote 32. La requérante a confirmé que cette recommandation avait été faite, mais elle n’a toujours pas eu de rendez-vous. Elle a aussi dit qu’elle était sur une liste d’attente pour voir le docteur Worley, un neurologue.

[43] En ce qui concerne ses autres consultations auprès de spécialistes, la compagnie d’assurances de la requérante lui a demandé de se soumettre à une évaluation médicale indépendante auprès d’un spécialiste; la requérante n’est pas certaine de sa spécialisation, mais croit qu’il ait pu s’agir d’un chirurgien orthopédiste ou d’un psychiatre. De toute manière, la requérante n’a pas fait l’évaluation (qui, d’après ce que je comprends, devait avoir lieu vers mars ou mai 2018). La requérante a expliqué qu’elle ne pouvait pas se soumettre à cette évaluation puisque le médecin se trouvait à Halifax, soit à environ cinq heures de route de chez elle. Elle a affirmé qu’il lui serait impossible de tolérer cinq heures de voiture et que, même si elle en avait été capable, il lui faudrait dormir une nuit à l’hôtel, ce qui posait un problème de garde d’enfant comme elle était la principale responsable de sa plus jeune fille. Je juge que l’explication de la requérante est raisonnable, sachant aussi que la docteure MacMullin avait corroboré son incapacité à parcourir une telle distanceFootnote 33.

Il n’y a aucune preuve récente d’une capacité de travail

[44] Certains éléments de preuve laissent penser que la requérante avait une certaine capacité de travail dans les premiers mois qui ont suivi son accident routier, bien que cette capacité n’aurait sûrement pas suffi pour qu’elle reprenne son emploi physiquement exigeant dans des foyers de soins spéciaux.

[45] Par exemple, en mai 2017, la docteure MacMullin a écrit que la requérante avait seulement une lésion aux tissus mous. Elle a précisé que la prestataire était sensible partout, mais n’a pas affirmé ni laissé entendre que les capacités de la requérante étaient limitées.Footnote 34 Le même mois, en mai 2017, la physiothérapeute de la requérante a écrit que celle-ci était alors incapable de reprendre un emploi de nature physique, mais pourrait être capable d’occuper des fonctions sédentaires.Footnote 35

[46] Plutôt que de s’améliorer, l’incapacité de la requérante a continué de s’aggraver. Par exemple, son massothérapeute a noté en août et septembre 2017 que ses symptômes s’étaient aggravés dans les dernières semainesFootnote 36.

[47] L’évaluation des capacités fonctionnelles menée par madame Moore est plutôt révélatrice des capacités fonctionnelles de la requérante et de leur incidence sur sa capacité à travailler. Comme je l’ai mentionné précédemment, madame avait conclu que la requérante pouvait tolérer un jour de travail de deux à trois heures dans un poste sédentaire. Elle a également souligné que la performance de la requérante avait grandement diminué au fil de l’évaluation, et qu’elle montrait des signes de limitations physiques se traduisant par de la douleur, de la fatigue et des maux de tête. Madame Moore ne croyait donc pas que la requérante puisse maintenir cette cadence quotidiennement pour deux à trois heures, comme elle avait su le faire une journée.

[48] Selon le représentant du ministre, l’évaluation des capacités fonctionnelles menée par madame Moore montrait que l’état de la requérante s’était amélioré au fil du temps, comme cette dernière avait été capable de terminer cette évaluation de deux jours en mai 2019, alors qu’elle avait été incapable de terminer une évaluation analogue d’un seul jour en septembre 2017. Je ne suis pas convaincue que les deux évaluations puissent si facilement être comparées. La requérante a expliqué que celle de septembre 2017 avait eu lieu à X et que le trajet pour s'y rendre avait aggravé sa douleur. Une fois l’évaluation commencée, elle ressentait déjà une douleur très forte. Elle savait aussi qu’elle devait conserver de l’énergie pour le trajet du retour à la maison. La requérante a aussi précisé qu’elle n’avait pas terminé toutes les tâches qu’il lui avait été demandé de faire durant l’évaluation de mai 2019, et que certaines tâches avaient dû être adaptées pour qu’elle puisse les faire. Même s’il y avait eu une certaine amélioration entre les deux évaluations, il me serait difficile, compte tenu des conclusions de madame Moore, de considérer cette amélioration comme significative en ce qui concerne sa capacité de travail.

[49] Le représentant du ministre soutient que madame Moore n’avait pas conclu à une incapacité de travail de la requérante. Il souligne que madame Moore avait dit à cet égard que la requérante ne pourrait pas maintenir ce niveau de travail [traduction] « quotidiennement », et il soutient que sa tolérance au travail pourrait s’accroître si elle bénéficiait de jours de repos entre ses jours de travail. Il fait valoir que du travail à temps partiel, mais exercé de façon irrégulière, peut être considéré comme une occupation véritablement rémunératrice.

[50] Je suis d’accord avec le représentant du ministre que madame Moore n’a pas conclu à une incapacité de travail chez la requérante. Toutefois, son rapport ne me fait pas comprendre qu’il soit réaliste pour la requérante de travailler, ni que des jours de congé entre ses jours de travail soient bénéfiques à une tolérance accrue pour lui permettre de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[51] Premièrement, il est hypothétique que du temps de repos entre ses jours de travail permette à la requérante d’accroître sa tolérance. Je ne dispose d’aucune preuve médicale à cet effet.

[52] Deuxièmement, même si un tel horaire de travail en alternance lui permettait d’accroître sa tolérance, je ne vois pas, dans un contexte réaliste, comment elle pourrait obtenir un tel horaire. Quel employeur serait prêt à embaucher une personne qui ne pourrait travailler que deux à trois heures par jours, et jamais des jours consécutifs? Qui plus est, même si l’on trouvait un tel emploi, je ne vois pas comment il pourrait être véritablement rémunérateur, au sens de la loiFootnote 37.

[53] Pour évaluer la capacité de travail de la requérante, j’ai tenu compte de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques, de ses antécédents professionnels et de son expérience de vie. Ces facteurs assurent que la gravité de l’invalidité comprise dans le critère soit évaluée dans un contexte réalisteFootnote 38.

[54] J’admets que les caractéristiques personnelles de la requérante ne seraient pas un obstacle à l’obtention d’un emploi. Elle n’a que 45 ans, et a donc plusieurs années devant elle avant l’âge normal de la retraite. Elle a fait des études d’un niveau raisonnable, soit une 12e année et deux ans d’études dans un programme pour devenir infirmière auxiliaire autorisée. Elle maîtrise l’anglais et son expérience de travail est variée. Elle a notamment fait du travail administratif dans un cabinet de médecin, travaillé dans un dépanneur, et occupé un emploi de préposée aux services de soutien de la personne. Toutefois, malgré ces attributs, je ne peux conclure à une capacité de travail.

[55] Considérant la preuve dans son ensemble, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que l’invalidité de la requérante est grave.

Invalidité prolongée

[56] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit entraîner vraisemblablement le décès.

[57] En remplissant le rapport médical du RPC en mai 2017, la docteure MacMullin a indiqué un pronostic satisfaisantFootnote 39. Dans les mois qui ont suivi, son pronostic s’est dégradé. En novembre 2017, la docteure MacMullin a rapporté que la physiothérapie et la massothérapie n'avaient donné lieu à aucun progrès, et qu’elle ne s’attendait pas à des améliorationsFootnote 40. En mars 2018, la docteure MacMullin a qualifié de chronique la douleur de la requérante et a expliqué qu’elle avait une incidence considérable sur sa vie quotidienne, 24 heures sur 24Footnote 41.

[58] Le dossier ne contient aucune opinion médicale, formulée après novembre 2017, qui donnerait à croire à un rétablissement anticipé ou attendu dans un avenir prévisible. Je conclus ainsi que l’invalidité de la requérante est prolongée.

Conclusion

[59] La requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée. Son invalidité est devenue grave et prolongée en novembre 2017, lorsque la docteure MacMullin a fait savoir qu’elle était incapable d’effectuer toute tâche professionnelle, même répondre au téléphone, et qu’aucune autre amélioration n’était envisagéeFootnote 42.

[60] Le versement de la pension débute quatre mois après la date d’invaliditéFootnote 43. Quatre mois après novembre 2017 correspond à mars 2018.

[61] L’appel est accueilli.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.