Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] J’accueille l’appel. Le requérant, C. G., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), payable à compter de juin 2016. Voici mes motifs.

Aperçu

[2] Le requérant a travaillé comme estimateur d’assurance automobile pendant 15 ans. En janvier 2015, il a cessé de travailler vu l’accumulation de problèmes de santé : hypertension artérielle, montées d’adrénaline, nausées, crampes abdominales, étourdissements, fatigue, etc. Il affirme que ces problèmes l’avaient rendu incapable d’assumer sa charge de travail, et il n’a pas pu travailler depuis.

[3] Le requérant a demandé une pension d’invalidité du RPC en mai 2017Note de bas de page 1. Le ministre a rejeté sa demande. Le requérant a donc fait appel au Tribunal de la sécurité sociale.  

Question en litige

[4] Un requérant est admissible à une pension d’invalidité du RPC si les conditions suivantes sont réunies :

  • il a cotisé au RPC pendant une période que l’on appelle la période minimale d’admissibilité (PMA);  
  • il est atteint d’une invalidité grave et prolongée;
  • il est devenu invalide à l’échéance de sa PMA ou avant cette dateNote de bas de page 2.

[5] La PMA du requérant s’est terminée le 31 décembre 2017Note de bas de page 3. Je dois déterminer s’il est atteint d’une invalidité grave et prolongée, et s’il était invalide à cette date. Le requérant doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, son invalidité doit être plus probable qu’improbable.

Analyse

[6] Le requérant a témoigné à l’audience, en compagnie de son épouse, J. G., ainsi que d’une collègue de travail, M. M. Ils m’ont tous semblé honnêtes et sincères. Je crois ce qu’ils m’ont dit sur le requérant et son état. Ils ont complété son histoire et mis en contexte l’information médicale. Après avoir examiné leur preuve ainsi que les dossiers médicaux, je suis convaincue que le requérant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis son arrêt de travail en janvier 2015.

Preuve testimoniale sur l’état du requérant

[7] L’épouse du requérant m’a dit qu’elle vivait avec lui depuis environ 17 ans. Il semblait avoir toujours eu des problèmes d’adrénaline élevée. Il s’était ensuite mis à éprouver des problèmes d’hypertension artérielle et des sautes d’humeur. Il y a cinq ou six ans, il avait commencé à avoir du mal à fonctionner au quotidien. Au moindre stress mental ou physique – comme aller faire une promenade ou entendre leurs jeunes enfants jouer –, le requérant ressentait des montées d’adrénaline, des étourdissements et des nausées, et sa vision s’embrouillait. Ces symptômes se manifestaient parfois de façon extrême. Il se rendait alors à l’hôpital; ou alors, il aurait dû y aller, selon son épouse, mais refusait d’y aller parce qu’il ne supportait pas l’attente avant d’être admis. Certaines fois, sa réaction n’était pas tout à fait aussi intense, mais il devait s’étendre et se reposer. Il était toujours faible et fatigué. 

[8] La version du requérant était semblable. Au début, sa situation était soutenable. Ses problèmes se sont cependant aggravés. Il ressentait presque continuellement les symptômes suivants : étourdissements, nausée, fatigue, panique, transpiration et essoufflement. De plus, ces symptômes se manifestaient parfois de façon extrême et le frappaient [traduction] « de plein fouet ». Ces crises survenaient environ une fois par mois avant qu’il n’arrête de travailler. Cela dit, il n’allait pas bien entre ses crises non plus. Il avait arrêté faire des promenades à pied avec sa famille. Il avait de la difficulté à se lever le matin et à se préparer pour le travail. Il s’absentait souvent. S’il allait au travail, il était anxieux et transpirait beaucoup en s’y rendant. Une fois au travail, il n’allait pas mieux. Il se sentait paniqué et physiquement malade. Ses tâches l’angoissaient, même si elles n’avaient pas changé, tout comme sa charge de travail. Il avait fini par arrêter de travailler parce qu’il se sentait régulièrement dépassé par ses symptômes. Il n’avait pas travaillé depuis.

[9] La collègue du requérant, M. M., m’a dit qu’elle et d’autres collègues avaient remarqué qu’il était anxieux et rouge comme une tomate et transpirait. Mis à part ses symptômes physiques, il s’était mis à faire des erreurs évidentes dans plusieurs dossiers. Elle était la secouriste au bureau, et elle avait dû aller aider le requérant à sa dernière journée de travail. Il avait une mine terrible, son cœur s’emballait et il disait se sentir étourdi. Elle avait appelé le gestionnaire, qui avait fait rentrer chez lui le requérant.

[10] Le requérant m’a confié que ses crises de symptômes extrêmes s’étaient multipliées après son arrêt de travail. Depuis 2016 et 2017, elles surviennent aux quelques semaines, et parfois plus fréquemment. De plus, ses symptômes demeurent présents entre ces crises. Certains éléments déclencheurs les aggravent régulièrement, comme la chaleur ou le moindre stress physique ou mental. S’il se pousse à faire quoi que ce soit, comme faire le tour du pâté de maisons, il redevient tout rouge et cherche son souffle, et sa pression monte. Il a l’impression de toujours avoir la grippe et veut toujours s’allonger.

[11] L’épouse du requérant a affirmé que son état ne s’est pas du tout amélioré depuis qu’il a arrêté de travailler. Leurs plus vieux enfants, qui ont maintenant 8 et 11 ans, participent aux tâches ménagères comme il en est incapable. Il ne fait pratiquement rien comme il n’a pas d’énergie et ne veut pas exacerber ses symptômes. Il conduit rarement. Il ne joue pas avec ses enfants. Marcher lentement pendant 10 minutes l’épuise. S’il essaie de faire une tâche simple, comme de cuisiner, la fatigue, des étourdissements et la transpiration l’obligent à s’arrêter après quelques minutes. Son épouse le conduit à tous ses rendez-vous et fait ses appels téléphoniques à sa place.

[12] J’ai interrogé le requérant quant aux déclarations de certains de ses médecins, voulant qu’il avait bonne mine ou qu’il [traduction] « ne présentait essentiellement aucun symptômeNote de bas de page 4 ». Il n’était pas accord avec ces observations. Il a dit qu’il n’avait jamais été sans symptômes. Toutefois, il doublait toujours ses doses de médicaments avant ses rendez-vous pour pouvoir tolérer la route et l’attente inévitable. S’il avait dit à un médecin qu’il se sentait mieux ou n’avait aucun symptôme, aucune recommandation pour un quelconque suivi n’aurait été faite.

Preuve médicale

[13] Le dossier du Tribunal ne contient aucun rapport médical précédant mai 2016. Il est toutefois évident que les problèmes du requérant avaient commencé bien avant cela. Dans un rapport de juin 2016, la docteure Shin, interniste, affirme que le requérant souffrait d’un grave problème d’hypertension artérielle qui était difficile à traiter, et que plusieurs examens avaient été faits pour en déceler les causes secondaires. Elle a noté que le requérant ne travaillait plus depuis un an parce qu’il était aux prises avec des étourdissements, de l’hypertension artérielle, une sudation excessive et un manque d’équilibre. Il avait consulté jusqu’à récemment le docteur Pavlic qui, après l’avoir soumis à des examens et des essais pour différents médicaments, n’avait pu établir une cause secondaireNote de bas de page 5

[14] Depuis, le requérant a continué de se soumettre à des examens. Il a continué de se plaindre des nombreux symptômes qu’il avait décrits durant l’audienceNote de bas de page 6. Il souffre [traduction] « depuis longtemps d’une hypertension résistante » accompagnée [traduction] « de symptômes épisodiques de présyncope, de nausées et de diaphorèse [sudation excessive]Note de bas de page 7 ». Son hypertension artérielle est traitée et relativement bien maîtrisée, bien qu’elle grimpe dans certaines situations. Mais ses autres symptômes sont toujours présentsNote de bas de page 8. Personne ne sait pourquoi. Les résultats des examens neurologiques sont normaux. La fonction pituitaire est normaleNote de bas de page 9. Les examens ont permis d’écarter les hypothèses de tumeur de la glande surrénale et de troubles hormonauxNote de bas de page 10.

Le requérant est atteint d’une invalidité grave

[15] Le requérant a de multiples problèmes de santé chroniques. Si certains ont bien répondu aux traitements, d’autres non. Des symptômes qui ne sont pas nécessairement débilitants comme tels peuvent le devenir si d’autres problèmes médicaux sont également présents. J’ai examiné l’état de santé du requérant dans son ensembleNote de bas de page 11. Je suis convaincue que la combinaison de ses nombreux symptômes donne lieu à une invalidité grave.

[16] Le fait qu’on ne puisse expliquer l’état du requérant n’a pas d’importance. Je crois ce qu’il m’a raconté. La preuve médicale ne laisse aucunement penser que de nombreux médecins ne l’auraient pas cru eux aussi. La question repose sur l’effet fonctionnel qu’ont les symptômes du requérant sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 12. Selon le ministre, la preuve médicale ne révèle pas que le requérant aurait [traduction] « un problème de santé qui l’empêcherait de détenir un quelconque emploi malgré une prise en charge continuelleNote de bas de page 13 ». Je ne suis pas d’accord.

[17] Il est vrai qu’une invalidité grave doit rendre la personne incapable de faire tout type de travail, et non juste son emploi habituelNote de bas de page 14. Cela dit, le critère n’est pas de savoir s’il est capable ou non de faire « un quelconque travail », mais bien de savoir s’il est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 15. Une personne régulièrement capable de faire quelque chose est une personne prévisibleNote de bas de page 16. Le requérant doit être en mesure de se présenter au travail lorsqu’il est censé y être, et être suffisamment productif pour gagner la somme prévue par le Règlement sur le Régime de pensions du Canada.Note de bas de page 17

[18] Je ne vois pas du tout comment le requérant en serait capable, peu importe l’emploi. Son travail d’estimateur d’assurance automobile n’était pas exigeant sur le plan physique. Il prenait en photo des véhicules accidentés, prenait des notes, se promenait dans des cours de réparation, communiquait par téléphone ou en ligne avec les experts, les clients et les ateliers de débosselage, et établissait des devis. Il passait plus de la moitié de son temps à travailler à un bureau installé dans son véhicule. Au moins une ou deux fois par année, il passait plusieurs semaines dans un bureau express où son travail était strictement sédentaire. Il passait de plus en plus de temps à travailler dans sa voiture alors que ses symptômes s’aggravaient. Ces changements à ses conditions de travail n’avaient fait aucune différence.

[19] Le requérant est aux prises avec des symptômes débilitants tous les jours. Ils s’aggravent sans crier gare et dans toutes sortes de situations, et malgré une prise en charge médicale. Leur exacerbation est parfois causée par un effort physique, mais cet effort est parfois minime. Il est constamment fatigué. Pour éviter que ses symptômes ne soient exacerbés à la maison, il doit rester assis ou allongé et ne rien faire. Vu cette situation, je ne peux l’imaginer capable de travailler, même s’il s’agissait d’un emploi sédentaire ou à temps partiel.

[20] Le requérant a affirmé que le stress est l’un des éléments qui aggravent son état. Cela dit, les exemples dont il m’a fait part se rapportent vraiment à tout type de stimulation. Pour lui, il n’existerait donc aucun emploi moins stressant. Il n’y a tout simplement pas d’emploi où il n’aurait pas besoin d’utiliser ses sens ou la plupart d’entre eux.

[21] Comme le requérant ne peut se mettre à l’abri de tous les éléments déclencheurs possibles et qu’il se sent constamment mal, il est improbable qu’il puisse se présenter à un lieu de travail et y rester de façon prévisible. Il ne serait pas un employé fiable, ni pour sa présence ni pour sa productivité.

[22] Le ministre a soulevé que le médecin de famille du requérant, le docteur Lim, avait dit en avril 2017 qu’il souffrait de dépression, d’anxiété et de crises de panique, sans l’avoir pourtant dirigé vers un psychiatreNote de bas de page 18. En septembre 2016, le docteur Dahl, endocrinologue, s’était demandé si le requérant était atteint d’anxiété et de dépressionNote de bas de page 19. Cependant, l’année suivante, le docteur Dahl a affirmé qu’il n’avait, avec d’autres consultants, trouvé aucune preuve d’étiologie somatique pour l’état du requérantNote de bas de page 20. Aucune autre allusion n’est faite à la possibilité que la santé mentale du requérant puisse être une cause ou un facteur ayant contribué à son état. Que le requérant ait ou non été dirigé vers un psychiatre est donc peu important, voire aucunement, pour déterminer si son état était grave ou prolongé.

Le requérant est incapable de travailler

[23] Le requérant et son épouse ont tous les deux affirmé qu’il travaillerait s’il en était capable. La situation actuelle est difficile pour leur famille et leur couple et ils ont des difficultés financières. Je les crois.

[24] Lorsqu’il y a des preuves de capacité de travail, une personne doit démontrer qu’elle a essayé de travailler mais que cela a été impossible pour des raisons de santéNote de bas de page 21. En l’occurrence, il n’existe aucune preuve de capacité de travail. Les symptômes du requérant l’empêchent de s’appliquer pendant plus de quelques minutes aux tâches même les plus simples. Il n’est donc d’aucune importance qu’il est jeune (il avait 43 ans à l’échéance de sa PMA), détient un diplôme d’études secondaires et possède des atouts ou compétences transférables profitables à son employabilité. Il est incapable de travailler peu importe les circonstances.

Le requérant a suivi les recommandations de traitement raisonnables

[25] Le requérant s’est soumis à des examens et a essayé différents médicaments pendant des années. D’après les rapports médicaux, il est courtois et coopérant. Personne n’a insinué qu’il n’aurait pas fait un effort raisonnable pour se conformer à tous les traitements recommandés, mis à part le docteur Dahl qui a mentionné qu’il n’avait pas respecté le traitement de VPPCNote de bas de page 22. Le requérant n’avait pas utilisé la VPPC parce qu’il ne la tolérait pasNote de bas de page 23. Personne n’a suggéré qu’il l’essaie de nouveau, ou que la VPPC aurait un grand effet bénéfique sur son état de santé.   

[26] J’ai interrogé le requérant quant à la recommandation formulée en janvier 2017 par le docteur George, gastroentérologue, à savoir qu’il arrête de consommer du cannabisNote de bas de page 24. Il ne s’en souvient pas. Il m’a dit que ses internistes, les deux médecins s’appelant docteur Shin, avaient formulé la recommandation contraire. Il utilise maintenant des huiles au lieu de fumer. J’accepte la preuve du requérant à cet égard. En juin 2017, le docteur George a noté que le requérant utilisait de l’huile de cannabis et qu’elle l’aidait dans une certaine mesure. Il ne lui avait pas recommandé de cesser d’en consommerNote de bas de page 25. Aucun autre médecin ne s’est dit préoccupé par sa consommation de cannabis.Note de bas de page 26 Selon moi, il est donc improbable que les symptômes du requérant seraient différents s’il arrêtait de consommer du cannabis.

Le requérant est atteint d’une invalidité prolongée

[27] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie.Note de bas de page 27 Le requérant ne travaillait plus depuis trois ans lorsque sa PMA a pris fin. Il ne travaille plus depuis maintenant cinq ans. Il subit encore des examens et reçoit des traitements. Ses symptômes ne se sont cependant pas améliorés; il n’existe aucune explication ni plan de traitement pour son état global.

Conclusion

[28] Le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en janvier 2015, alors qu’il a cessé de travailler. Une personne ne peut être réputée invalide à une date antérieure de plus de 15 mois à la date où le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité.Note de bas de page 28 Comme le ministre a reçu sa demande en mai 2017; le requérant est réputé invalide à compter de février 2016. La pension est payable à compter du quatrième mois suivant cette date, soit à partir de juin 2016Note de bas de page 29.

[29] L’appel est accueilli.

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