Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – La requérante a demandé et obtenu une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Le ministre lui a aussi accordé un paiement rétroactif de 15 mois. La requérante a interjeté appel de la décision du ministre à la division générale (DG) afin de contester le moment où la pension devrait commencer. La DG a accordé un paiement rétroactif additionnel en décidant que la requérante avait une incapacité datant de plus de 15 mois. Cette incapacité était particulière puisqu’elle se limitait à la capacité de former ou d’exprimer l’intention précise de présenter une demande de pension de décembre 2003 jusqu’à ce qu’elle le fasse en 2016. La DA a conclu que la DG avait commis une erreur de droit en concluant que la requérante était atteinte d’une telle incapacité restreinte.

Le test juridique applicable ne consiste pas à savoir si la requérante a la capacité de préparer, de traiter ou de remplir une demande, mais plutôt si elle a la capacité de former ou d’exprimer l’intention de le faire. Comme la Cour d’appel fédérale l’a précisé, cette capacité est la même que celle de former ou d’exprimer une intention de faire d’autres choix dans la vie de tous les jours. Même si elle est atteinte d’une maladie mentale très grave, la requérante a pris un certain nombre de décisions importantes pendant la période où elle dit avoir été incapable. Elle a pris ces décisions seule, sans l’intervention d’un mandataire spécial. Le fait qu’elle n’aurait pas pu remplir les formulaires ou rassembler les éléments de preuve nécessaires pour présenter une demande n’est pas une considération pertinente. La DA a conclu que la requérante n’avait pas d’incapacité et elle a accueilli l’appel du ministre. La demande de paiement rétroactif supplémentaire de la pension d’invalidité a été rejetée.

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit.

[2] Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre. La requérante avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension. Par conséquent, la prolongation de la rétroactivité de la pension est refusée.

Aperçu

[3] C. B. (requérante) a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, affirmant être invalide en raison d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), de nombreuses phobies spécifiques, de l’insomnie et d’un trouble cognitif. Elle avait 48 ans quand elle a présenté sa demande. Son dernier emploi était un poste de superviseure pour un programme de développement des aptitudes sociales chez les adolescentes et adolescents handicapés.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a approuvé la demande et accordé un paiement rétroactif de 15 mois. La requérante a appelé de la décision du ministre au Tribunal pour contester la date du premier versement de la pension. La division générale du Tribunal a accueilli l’appel et accordé à la requérante un autre versement rétroactifNote de bas de page 1. Elle a décidé que la requérante n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension de décembre 2003 jusqu’à ce qu’elle présente sa demande en 2016.

[5] Le ministre a demandé la permission d’appeler de cette décision à la division d’appel du Tribunal. La permission d’en appeler a été accordée parce que l’appel avait une chance raisonnable de succès au motif que la division générale avait commis une erreur de droit quand elle a conclu que la requérante avait une incapacité limitée qui l’empêchait de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension.

[6] J’ai examiné la décision de la division générale, les observations écrites que les parties ont soumises à la division d’appel et la preuve présentée à la division générale. La division générale a commis une erreur de droit. Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre, soit que la requérante avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension avant qu’elle le fasse. Par conséquent, le versement rétroactif supplémentaire de la pension est refusé.

Questions préliminaires

[7] Pour les raisons énumérées ci-dessous, la décision rendue dans le présent appel est fondée sur les documents déposés au Tribunal.

  1. La requérante et le ministre ont demandé que la décision soit rendue ainsi.
  2. La requérante a toujours déclaré qu’elle ne peut pas assister à une audience en raison de son état de santé.
  3. La question en litige est claire.
  4. Les faits ne sont pas contestés.
  5. Les parties ont déposé des observations claires sur les questions de droit.
  6. La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) prévoit que le Tribunal peut trancher toute question de droit ou de fait pour finaliser un appelNote de bas de page 2.
  7. Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS) exige que les appels soient menés de la manière la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 3.
  8. La requérante a demandé une pension d’invalidité en mai 2016. Des délais supplémentaires s’ensuivraient si l’affaire était de nouveau renvoyée à la division générale pour réexamen.

Question en litige

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit quand elle a décidé que la requérante avait une incapacité limitée l’empêchant de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité?

Analyse

[9] Un appel n’est pas une nouvelle occasion de débattre de la demande originale. En fait, je dois plutôt décider si la division générale :

  1. a mené une procédure inéquitable;
  2. a omis de statuer sur une question qu’elle aurait dû trancher ou a statué sur une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  3. a commis une erreur de droit;
  4. a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 4.

[10] Dans le présent appel, il s’agit de savoir si la division générale a commis une erreur de droit en utilisant le mauvais critère juridique pour décider si la requérante avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité.

[11] Le Régime de pensions du Canada précise qu’une personne ne peut être déclarée invalide plus de 15 mois avant la date de la présentation de sa demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 5. Il prévoit également une exception à cette règle dans le cas où la personne n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande pendant une période continue avant la présentation de la demandeNote de bas de page 6. Cette exception à la règle de rétroactivité maximale a été décrite comme étant ciblée et circonscriteNote de bas de page 7. C’est un critère juridique difficile à remplir.

[12] Pour répondre au critère, il ne s’agit pas de savoir si la requérante a la capacité de préparer, de traiter ou de remplir une demande, mais si elle a la capacité de former ou d’exprimer l’intention de le faire. Cette capacité équivaut à former ou à exprimer l’intention de faire d’autres choses.

[13] Par conséquent, pour décider si une personne avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension, on doit examiner la preuve médicale ainsi que la preuve relative aux activités pertinentes de la personneNote de bas de page 8. C’est ce que la division générale a faitNote de bas de page 9. Ainsi, elle a conclu que même si la requérante avait la capacité de prendre des décisions se rapportant à son traitement, à l’enseignement à domicile pour son enfant et à la fin de son mariage, elle n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension en raison de la singularité et de la complexité de ses troubles de santé mentale.

[14] Les troubles de santé mentale de la requérante sont déclenchés par les situations où ses antécédents de troubles de santé mentale risquent d’être dévoilés aux autres et par une inaptitude à interagir avec le système de santéNote de bas de page 10. C’est sur ce motif que la division générale a décidé que la requérante avait une incapacité limitée qui l’empêchait de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité sans toutefois l’empêcher de former ou d’exprimer l’intention de faire d’autres choses.

[15] Cependant, la Cour d’appel fédérale a clairement énoncé que la capacité de former l’intention de demander une pension n’est pas essentiellement différente de la capacité de former une intention concernant les autres possibilités qui s’offrent à la personne qui demande des prestationsNote de bas de page 11. Par conséquent, la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a décidé que la requérante avait une incapacité limitée.

[16] La division générale a invoqué une décision de la Commission d’appel des pensions (CAP) qui porte sur le concept d’incapacité limitée dans certaines sphères de la vie d’une personneNote de bas de page 12. Cette décision n’a toutefois pas un caractère obligatoire pour le Tribunal, contrairement à celle de la Cour d’appel fédérale. Le Tribunal doit appliquer les principes de cette dernière. Autre fait à noter, la décision de la Cour d’appel fédérale a été rendue après celle de la CAP. Ainsi, la Cour d’appel fédérale aurait pu confirmer la décision de la CAP, mais elle en a décidé autrement.

[17] Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit en invoquant la décision de la CAP. Le principe juridique d’application obligatoire est que la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension n’est pas différente de la capacité de former ou d’exprimer l’intention de prendre d’autres décisions.

[18] L’appel est accueilli parce que la division générale a commis une erreur de droit.  

Réparation

[19] La division d’appel peut accorder différentes mesures de réparation lorsqu’elle accueille un appel. Il convient que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre dans la présente affaire. Voici pourquoi.

  1. Les faits ne sont pas contestés.
  2. Il ne manque aucun écrit au dossier.
  3. Les principes juridiques sont clairs.
  4. Les parties ont demandé à la division d’appel de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.
  5. La Loi sur le MEDS prévoit que le Tribunal peut trancher toute question de droit ou de fait pour juger un appelNote de bas de page 13.
  6. Le Règlement sur le TSS exige que les appels soient menés de la manière la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.
  7. Il y a déjà eu de nombreux retards dans la présente affaire et des délais supplémentaires s’ensuivraient si l’affaire était renvoyée à la division générale pour réexamen.

La requérante avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande

[20] Les parties conviennent du contexte factuel, qui est résumé ci-après.

  1. La requérante avait 48 ans lorsqu’elle a demandé une pension.
  2. La requérante a terminé ses études secondaires et obtenu un diplôme universitaire en littérature anglaise.
  3. Le dernier emploi de la requérante était un poste de superviseure dans un programme pour les adolescentes et adolescents handicapés.
  4. La requérante est invalide en raison d’un certain nombre de troubles de santé mentale, dont un TSPT, un trouble cognitif, un trouble panique avec agoraphobie, de nombreuses phobies spécifiques et de l’insomnieNote de bas de page 14.
  5. Le ministre a décidé que la requérante est invalide et qu’elle a le droit de recevoir une pension à compter de juin 2015.
  6. La requérante affirme qu’elle n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande à partir de l’apparition de ses troubles de santé en décembre 2003 jusqu’à ce qu’elle présente une demande en 2016.

[21] Pour décider si la requérante avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande durant cette période, le Tribunal doit examiner la preuve médicale ainsi que la preuve relative aux activités et aux autres décisions de la requérante.

[22] La Dre Benn a commencé à traiter la requérante pour ses troubles de santé mentale en 2004. Elle a rédigé un certain nombre de rapports qui ont été déposés au Tribunal. Elle y affirme ce qui suit :

  1. Même si la requérante finit par pouvoir gérer les décisions qu’elle doit prendre au quotidien, elle n’a pas la capacité d’en arriver à poser des gestes qui la font sentir le moindrement vulnérable ou qui la forcent à rencontrer du personnel médical ou psychiatriqueNote de bas de page 15.
  2. On ne peut pas comparer la réalisation d’une opération bancaire avec la nécessité de reconnaître ses troubles de santé mentale, de les décrire par écrit, de faire une déclaration officielle sur le sujet et de fournir des précisions pour appuyer le tout. De tels gestes dépassaient sa capacité jusqu’à peu de temps avant la rédaction du rapport médical en janvier 2017Note de bas de page 16.
  3. La requérante avait de la difficulté à assister à ses consultations psychologiques et parvenait tout juste à se présenter à ses rendez-vousNote de bas de page 17.
  4. En raison d’éléments pouvant déclencher de graves symptômes de TSPT, la requérante n’avait pas la capacité d’envisager sa participation à toute activité médicale à moins de percevoir la situation comme mettant la vie en danger de façon imminente et presque certaineNote de bas de page 18.
  5. La peur d’être hospitalisée contre sa volonté empêchait la requérante de même imaginer suivre les étapes requises pour demander une pensionNote de bas de page 19.

[23] Voici également un résumé de la preuve concernant les activités de la requérante.

  1. La requérante et sa famille ont quitté Vancouver pour déménager en Ontario en 2004.
  2. Malgré l’apparition de son TSPT en 2003, la requérante a continué d’amener sa fille à des activités ayant lieu près de chez elleNote de bas de page 20.
  3. La requérante n’a pas eu recours à une procuration ni à une mandataire spéciale ou un mandataire spécial pour qu’une personne prenne des décisions en son nomNote de bas de page 21.
  4. La requérante connaissait l’existence des prestations d’invalidité avant de demander une pension.
  5. Lorsqu’elle s’est séparée de son époux, la requérante a négocié les modalités de sa séparation, y compris la garde partagée et la pension alimentaireNote de bas de page 22.
  6. La requérante a accepté la garde complète de sa fille quand cette dernière, étant plus âgée, a décidé de vivre avec la requéranteNote de bas de page 23.
  7. La requérante s’occupe des affaires financières de son ménage depuis sa séparationNote de bas de page 24.

[24] La capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension n’est pas différente de la capacité de prendre d’autres décisions. Quand on examine la preuve dans son ensemble, on constate que malgré des troubles de santé mentale très graves, la requérante a pris un certain nombre de décisions importantes pendant la période où, selon ses dires, elle avait une incapacité. Elle a décidé, entre autres choses, de déménager d’une province à une autre, de chercher un traitement psychologique et de consentir à des séances hebdomadaires, de mettre fin à son mariage, de négocier les modalités de sa séparation et d’élever un enfant. La requérante a pris ces décisions par elle-même, sans l’intervention d’une mandataire spéciale ou d’un mandataire spécial.

[25] J’accorde une grande importance aux décisions que la requérante a prises relativement à son traitement médical. Je comprends qu’en raison de ses antécédents médicaux très traumatisants, il était extrêmement difficile d’aller chercher de l’aide et de suivre un traitement. Je salue la requérante d’avoir surmonté des obstacles très importants à cet égard et d’avoir continué son traitement pendant très longtemps. Elle l’a fait tout au long de la période de prétendue incapacité.

[26] En plus de prendre des décisions très difficiles liées à son traitement, la requérante a pu mettre fin à son mariage et négocier les questions relatives à la garde partagée et à la pension alimentaire. L’entente de garde partagée nécessitait sans doute de prendre constamment des décisions et de communiquer de façon continue avec son ex-époux et avec sa fille qui grandissait. Rien n’indique que la requérante n’avait pas la capacité de le faire.

[27] Finalement, la requérante s’occupait de ses affaires financières et de son ménage. Une fois de plus, rien ne prouve qu’elle n’avait pas la capacité de prendre de telles décisions.

[28] La preuve présentée démontre que la requérante avait la capacité de former et d’exprimer l’intention de prendre des décisions, dont bon nombre étaient complexes et difficiles.

[29] De plus, la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension est différente de la capacité de remplir les formulaires, de rassembler des éléments de preuve à l’appui ou de faire les autres démarches nécessaires pour présenter la demande. Il se peut que les troubles de santé mentale de la requérante l’aient empêchée de présenter la demande. Toutefois, le critère juridique de l’incapacité est tout autre. Par conséquent, le fait qu’elle ne pouvait pas remplir les formulaires ou recueillir la preuve nécessaire pour présenter une demande n’est pas un élément pertinent à considérer.

[30] Pour ces motifs, la preuve ne démontre pas que la requérante n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension avant qu’elle le fasse.

Conclusion

[31] L’appel est accueilli.

[32] La division générale a commis une erreur de droit.

[33] Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre. La requérante avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension. Par conséquent, le versement rétroactif supplémentaire de la pension d’invalidité est refusé.

Mode d’instruction :

Sur la foi du dossier

Observations :

Anna Szczurko, représentante de l’appelant

Hilary Perry, représentante de l’intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.