Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] L. M. est la requérante dans cette affaire. J’ai décidé qu’elle est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les versements commencent en septembre 2017. Voici les raisons pour lesquelles j’ai pris cette décision.

Aperçu

[2] La requérante avait 40 ans lorsqu’elle a cessé de travailler comme aide‑enseignante. Elle a dit être incapable de retourner au travail en raison de sa capacité limitée de se tenir debout, de marcher et d’utiliser ses mains. Elle a de nombreux problèmes de santé, notamment le diabète de type 1, de l’enflure aux mains et aux articulations, le syndrome de Lemierre, de la douleur aux jambes, de l’anxiété et de la dépression. Elle a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC en août 2018. Le ministre a rejeté sa demande. La requérante a porté la décision en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. Je suis la membre du Tribunal qui a instruit l’appel.

Question en litige dans cet appel

[3] Une personne qui présente une pension d’invalidité doit satisfaire aux exigences. La première exigence concerne la « période minimale d’admissibilité »Note de bas de page 1. La requérante satisfait à la première exigence. Sa période minimale d’admissibilité prend fin le 31 décembre 2017.

[4] Pour satisfaire à la deuxième exigence, il faut que la requérante soit atteinte d’une invalidité « grave et prolongée »Note de bas de page 2 à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité ou avant cette date. C’est la question que je dois trancher.

Que signifie « grave et prolongée »?

[5] Pour la plupart des gens, le terme « grave » signifie quelque chose qui est [traduction] « très mauvais » ou [traduction] « très sérieux ». Bien des gens pensent également que le terme « prolongée » représente quelque chose qui dure pendant une longue période. Toutefois, les termes « grave » et « prolongée » ont des sens précis dans ce domaine du droit.

[6] Ce n’est pas la nature de l’invalidité qui détermine la gravité de celle-ci. La gravité est plutôt déterminée par la mesure dans laquelle l’invalidité d’une personne a une incidence sur sa capacité de travailler. Si une invalidité est si grave qu’elle empêche une personne d’occuper régulièrement un emploi, cette personne est alors atteinte d’une invalidité grave. Il est important de noter que cela ne fait pas référence à un ancien emploi ou un emploi avec un salaire comparable. Cela vise toute occupation véritablement rémunératrice, même si le salaire est moins élevé que celui de l’ancien poste.

[7] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès. La partie requérante doit prouver que, selon la prépondérance des probabilités, son invalidité satisfait aux deux volets du critère; ainsi, si la partie requérante ne satisfait qu’à un seul volet, elle n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

L’argument du ministre

[8] Le ministre reconnaît que la requérante a des limitations causées par ses problèmes de santé. Cependant, selon le ministre, la preuve ne démontre pas que ces problèmes de santé sont graves. Cela signifie que la requérante aurait la capacité de travailler. C’est pourquoi sa demande a été rejetée.

[9] D’après le dossier du Tribunal, la requérante a de nombreux problèmes de santé. Elle est atteinte du diabète sucré de type 1 depuis plus de 30 ans. Elle a aussi un important problème de santé mentale depuis l’adolescenceNote de bas de page 3. La Dre Steiger a commencé à traiter la requérante en juillet 2010. Elle a affirmé qu’il est extrêmement difficile de contrôler la glycémie de la requérante. La Dre Steiger est d’avis que c’est ce qui a probablement contribué aux autres problèmes de santé de la requérante. En 2014, la requérante a eu une maladie potentiellement mortelle qui a exigé une chirurgie d’urgence au cou. Elle a reçu un diagnostic de syndrome de Lemierre. En raison de cet événement traumatisant, la requérante a développé un trouble de stress post‑traumatique et a été admise en psychiatrie à l’hôpital en 2016. La Dre Steiger a noté que la requérante est aussi atteinte de douleurs chroniques et de raideurs aux articulations et aux muscles. Elle a été évaluée par une ou un rhumatologue, mais il n’y a pas eu de diagnostic clair. Elle a aussi des migraines et de la difficulté à marcher.

[10] Je dois évaluer l’état de la requérante dans son ensemble, ce qui signifie que je dois tenir compte de toutes les déficiences possibles, et non seulement de la déficience la plus importante ou de la déficience principaleNote de bas de page 4. Cependant, pour déterminer si une invalidité est « grave », il ne faut pas se demander si la personne souffre de graves affections, mais plutôt si son invalidité l’empêche de gagner sa vie.Note de bas de page 5 Si la requérante est régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 6, elle n’est pas admissible à une pension d’invalidité.

[11] Bien que la requérante ait de nombreux problèmes de santé, elle a dit qu’elle est incapable de travailler principalement en raison de l’enflure et de la douleur aux mains, des crampes et de la douleur aux jambes, qui limitent sa capacité de marcher et de se tenir debout. J’estime que la preuve médicale appuie le fait que ces deux problèmes de santé rendraient la requérante invalide et incapable d’occuper quelque emploi que ce soit.

i) Crampes aux jambes et douleur névralgique

[12] La preuve médicale montre un déclin constant de la capacité de marcher et de se tenir debout de la requérante. En août 2015, elle était capable de monter à pied deux étages sans s’arrêter et elle marchait environ 45 minutes par jourNote de bas de page 7. En avril 2016, elle pouvait seulement marcher sur une distance correspondant à un pâté de maisons sur un sol plat et monter quatre ou cinq marchesNote de bas de page 8. En février 2017, la requérante avait des crampes juste en dessous des genoux et une sensation de brûlure aux mollets. Elle était uniquement capable de traverser la rue avant de développer de graves symptômes aux molletsNote de bas de page 9. Au moment de sa PMA (décembre 2017), elle éprouvait aussi un serrement et de l’enflure aux deux mollets, ce qui lui causait plus de difficulté à marcher. Elle avait aussi de la douleur du côté gauche, jusqu’à l’arrière du mollet. La Dre Steiger a affirmé que depuis 2016, la requérante présentait [traduction] « une incapacité marquée à marcher au moins 90 % du temps, car les complications du diabète causaient des douleurs névralgiques, des douleurs aigües et des crampes aux muscles des mollets lorsqu’elle marchait »Note de bas de page 10. Elle a dit qu’il fallait à la requérante un [traduction] « temps démesuré » pour marcher. Elle s’attendait à ce que cette situation soit permanente.

[13] La requérante a été vue par le Dr Edwards au Diabetes Centre [centre du diabète] en janvier 2019Note de bas de page 11. Il a dit que la requérante avait des douleurs aux jambes qui étaient probablement de nature neuropathique. La requérante ressentait de la douleur dans la partie inférieure des jambes. Le Dr Edwards a dit que la requérante pourrait souffrir de neuropathie douloureuse des petites fibres. Cette affection a souvent été associée à un mauvais contrôle glycémique. La capacité de la requérante à marcher et à se tenir debout ne s’est pas améliorée depuis qu’elle a arrêté de travailler. À l’audience, elle m’a dit qu’elle doit utiliser une canne pour marcher.

[14] J’estime que la preuve appuie le témoignage de la requérante concernant son incapacité à marcher et à se tenir debout pendant plus de quelques minutes. Cela l’empêcherait d’occuper un emploi qui l’obligerait souvent à marcher ou à se tenir debout. J’ai examiné la question de savoir si elle aurait la capacité de détenir un emploi de type sédentaire qui n’exigerait pas de se tenir debout ou de marcher pendant plus de quelques minutes. Bien que ses crampes et sa douleur névralgique aux jambes ne l’empêcheraient pas de faire un travail sédentaire, j’estime que l’enflure des articulations des mains et sa douleur chronique l’empêcheraient d’exécuter un tel travail. En tenant compte des problèmes de crampes aux jambes et de douleur névralgique de la requérante combinés à l’enflure et à la douleur aux articulations de ses mains, j’estime qu’elle est invalide.

ii) Enflure des mains et des articulations et douleur chronique

[15] La preuve médicale appuie également le fait que la requérante a un problème de longue date d’enflure et de douleur aux articulations et aux mains.

[16] La requérante a affirmé que lorsqu’elle a travaillé pour la dernière fois en juin 2016, ses mains étaient enflées et douloureuses. Elle ne pouvait pas écrire pendant plus de cinq minutes. Son employeur (la directrice de l’école) lui a dit qu’elle devait prendre un congé en raison de son état de santé. Elle était au courant des limitations de la requérante concernant l’écriture et du fait qu’il lui fallait plus de temps pour écrire. En mai 2017, la requérante a continué à avoir de la douleur et de l’enflure aux articulations des doigtsNote de bas de page 12. En décembre 2017, elle avait des raideurs matinales et de l’enflure aux mains. Un an plus tard, en décembre 2018Note de bas de page 13, cette situation persistait, et aussi en septembre 2019. Son état a continué à se détériorer. La requérante a affirmé que présentement, après avoir utilisé ses mains pendant trois à cinq minutes, elle commence à ressentir de la douleur. Elle doit arrêter pendant une quinzaine de minutes et les passer sous l’eau chaude. Elle est incapable de tenir une tasse, d’ouvrir une bouteille ou de serrer le poing.

[17] Bien que la preuve objective permette de tirer peu de conclusions, aucune preuve n’a été fournie par les soignantes et soignants selon laquelle la requérante exagérerait ses symptômes. En janvier 2019, elle a été évaluée par le Dr Brown (chirurgien plasticien)Note de bas de page 14. Bien que cela soit bien après l’échéance de la PMA de la requérante (décembre 2017), les symptômes de la requérante sont demeurés constants même si leur intensité a continué d’augmenter. Le Dr Brown était d’avis que les raideurs et certaines des sensations qu’avait la requérante étaient attribuables à son diabète bien qu’aucun changement évident n’ait été constaté dans les études de conduction nerveuse. Le Dr Brown a dit qu’en ce qui concerne la douleur et la sensibilité, il n’avait pas grand-chose à offrir à la requérante. Il soupçonnait que ces problèmes étaient probablement associés à son diabète.

[18] La requérante a affirmé que le Dr Brown lui avait dit que sa peau s’épaississait et que l’état de ses mains ne s’améliorerait pas. Elle a dit avoir essayé la physiothérapie et une petite balle antistress, mais sa capacité ne s’est pas améliorée. Elle ne peut pas utiliser d’anti-inflammatoires en raison de ses reins.

[19] Même si la requérante aurait pu faire un travail sédentaire malgré sa douleur aux jambes, aux mollets et aux pieds, l’enflure et sa douleur aux mains l’en empêchaient. Elle est incapable d’écrire ou de taper pendant plus de quelques minutes. Elle est incapable de saisir un téléphone ou d’autres objets. Il ne me vient à l’esprit aucune autre occupation dans un contexte réaliste que la requérante serait capable de détenir.

Contexte réaliste

[20] Je dois évaluer le volet du critère relatif à la gravité dans un contexte réalisteNote de bas de page 15. Cela signifie qu’au moment de décider si l’invalidité de la requérante est grave, je dois tenir compte de facteurs comme l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie.

[21] Bien que la requérante avait seulement 42 ans au moment de sa PMA (décembre 2017), elle ne serait pas en mesure de se recycler professionnellement. Elle est incapable d’écrire ou de taper et elle est limitée dans l’utilisation de ses mains. Elle possède quelques compétences transférables, mais ces compétences exigeraient que la requérante ait la capacité de marcher, de se tenir debout et d’écrire, de taper ou d’utiliser ses mains. Elle n’est pas une employée fiable. Son dernier employeur lui a demandé de cesser de travailler en raison de ses limitations pour marcher, se tenir debout et utiliser ses mains.

[22] Elle a tenté, et c’est tout à son honneur, de travailler à la maison pour prendre soin de deux enfants d’âge scolaire placés en famille d’accueil. Malheureusement, son état physique et mental l’a empêchée de le faire au-delà de quelques mois.

[23] Malgré le fait que son âge, son niveau d’instruction et ses expériences de travail constituent un avantage pour elle, son état de santé ne lui permettrait pas d’être une employée fiable. Elle ne serait pas une employée prévisible pour un employeur dans un contexte réaliste. La requérante a affirmé que ses heures étaient souvent réduites pour des raisons économiques, et que même en faisant des heures réduites, elle avait tout de même besoin de prendre congé en raison de la douleur. J’estime que la requérante a prouvé qu’elle avait une invalidité grave au sens du RPC après une analyse dans un contexte réaliste.

L’invalidité de la requérante est prolongée

[24] Une invalidité est prolongée si elle dure pendant une longue période et si elle semble devoir se poursuivre indéfiniment ou entraîner le décès d’une personneNote de bas de page 16.

[25] Je ne constate aucun élément de preuve qui pourrait raisonnablement m’amener à supposer que l’état de la requérante s’améliorera dans un avenir prévisible. La requérante continue de souffrir de douleur chronique, de douleur aux jambes et aux mains, et d’enflure. Son état ne s’est pas suffisamment amélioré pour lui permettre de reprendre un emploi rémunérateur. On ne s’attend pas à ce que son état s’améliore, et aucune autre option de traitement n’est prévue.

[26] Sa médecin de famille, qui l’a traitée pendant 10 ans, est d’avis que la requérante souffre de nombreux problèmes de santé qui affectent sa capacité de travailler. Elle estime que la requérante est invalideNote de bas de page 17.

[27] La requérante a fait ce que ses médecins lui ont dit de faire, mais son état ne s’est pas amélioré. Le Dr Brown a affirmé qu’il n’avait rien à offrir à la requérante pour améliorer la fonction de ses mains et diminuer la douleur. On ne s’attend à aucune amélioration de la fonction de ses mains ou de sa capacité à marcher ou à se tenir debout. Cela me donne à penser que son état se poursuivra indéfiniment. Pour cette raison, je conclus que son invalidité est prolongée et grave.

Conclusion

[28] La requérante avait une invalidité grave et prolongée en juin 2016, date qui marque la fin de sa capacité de travailler. Cependant, pour le calcul de la date du versement de la pension, une personne ne peut pas être réputée invalide plus de 15 mois avant la date à laquelle le ministre a reçu la demande de pensionNote de bas de page 18. La demande ayant été reçue en août 2018, la date réputée d’invalidité est mai 2017. Les versements commencent quatre mois après la date réputée d’invalidité, soit à compter de septembre 2017Note de bas de page 19.

[29] L’appel est accueilli.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.