Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] Même si la division générale a commis une erreur aux termes de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), la requérante n’a pas démontré qu’elle était invalide avant la fin de sa période minimale d’admissibilité.

Aperçu

[3] L. O. (requérante) a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en 2017Note de bas de page 1. Elle soutient que ses troubles de santé mentale, dont la dépression et l’anxiété, la rendent invalide. À son dernier emploi, elle travaillait comme administratrice d’une usine. Elle a quitté cet emploi en septembre 2010 à cause de ses problèmes de santé.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. La requérante a porté cette décision en appel au Tribunal. La division générale du Tribunal a rejeté l’appel. Elle a décidé que la requérante n’avait pas une invalidité grave avant la fin de la période minimale d’admissibilité (PMA, soit la date à laquelle la requérante doit être invalide pour avoir droit à une pension d’invalidité).

[5] La division d’appel du Tribunal a accordé la permission d’appeler de cette décision parce que la division générale avait possiblement fondé sa décision sur une erreur de fait importante, à savoir que la requérante se portait assez bien pour cesser ses traitements psychiatriques.

[6] J’ai lu la décision de la division générale ainsi que les documents déposés au Tribunal. J’ai entendu les observations orales des parties et écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante concernant l’arrêt des traitements psychiatriques de la requérante en 2015 ou en 2016. Par conséquent, la division d’appel doit intervenir. Malgré l’erreur, la preuve ne démontre pas que la requérante était invalide avant la fin de sa PMA. L’appel de la requérante est donc rejeté.

Question préliminaire

[7] Le ministre a demandé et reçu une copie de l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. La requérante ne l’a cependant pas reçu avant l’audience de la division d’appel. Par conséquent, on a fait parvenir une copie de l’enregistrement au représentant de la requérante et, après l’audience, il a eu l’occasion de soumettre par écrit des observations fondées sur l’enregistrement. J’ai tenu compte de ces observations en rendant ma décision.

[8] Le ministre a dit au Tribunal qu’il n’avait pas d’autres observations à déposer après avoir reçu les observations de la requérante sur le sujet.

Questions en litige

[9] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une erreur de fait importante, à savoir que la requérante se portait assez bien pour cesser de voir son psychiatre et de prendre ses médicaments?

[10] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une erreur de fait importante, à savoir que la requérante n’était pas traitée par un psychiatre en décembre 2016?

Analyse

[11] Un appel n’est pas une nouvelle occasion de débattre de la demande originale. En fait, je dois plutôt décider si la division générale :  

  1. a mené une procédure inéquitable;
  2. a omis de statuer sur une question qu’elle aurait dû trancher ou a statué sur une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  3. a commis une erreur de droit;
  4. a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[12] La requérante soutient que la division générale a fondé sa décision sur deux erreurs de fait importantes. Pour avoir gain de cause sur ce fondement, elle doit prouver trois choses :

  1. une conclusion de fait était erronée (fausse);
  2. la conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale;
  3. la décision est fondée sur cette conclusion de faitNote de bas de page 3.

La requérante se portait-elle assez bien en 2015 ou en 2016 pour cesser ses traitements?

[13] En avril 2015, le médecin de la requérante a écrit qu’on lui avait diagnostiqué un trouble panique, un trouble de l’adaptation chronique, un trouble obsessionnel-compulsif et un trouble anxieux-dépressif mixte. En 2015 ou en 2016 (elle n’était pas certaine de la date exacte), la requérante a cessé de voir le professionnel de la santé mentale qui la traitait. Elle a déclaré qu’elle avait arrêté de voir son médecin parce qu’elle voulait faire les choses elle-mêmeNote de bas de page 4 et elle sentait qu’elle allait mieuxNote de bas de page 5.

[14] La requérante a aussi cessé de prendre des médicaments pour ses troubles de santé mentale pendant cette période.

[15] D’après cette preuve, la division générale a conclu que la requérante se portait assez bien pour cesser ses traitements et qu’elle avait une capacité résiduelle de travailNote de bas de page 6. La requérante fait valoir que cette conclusion de fait était une erreur aux termes de la Loi sur le MEDS.

[16] Je suis convaincue que cette conclusion de fait est erronée. Le médecin de la requérante a écrit qu’elle suivait toujours une thérapie d’une durée indéfinieNote de bas de page 7. De plus, la preuve de la requérante n’indique pas que son médecin a mis fin à son traitement, mais plutôt qu’elle a cessé d’aller le voir et de prendre ses médicaments parce qu’elle voulait essayer de se rétablir par elle-même. Cet élément de preuve ne démontre pas que la requérante avait une certaine capacité de travail.

[17] En outre, les problèmes de santé d’un requérant ou d’une requérante peuvent s’améliorer tout en étant graves au sens de la loi. La division générale n’a pas expliqué comment les problèmes de santé de la requérante n’ont jamais été graves à la lumière de la preuve, ni comment ils se sont améliorés, ni pourquoi ils n’étaient plus considérés comme graves. La preuve n’appuie pas de telles conclusions. En fait, la requérante a déclaré qu’après avoir arrêté de voir son médecin en 2015 ou en 2016, elle a commencé à parler à « X » (mais le moment où cela a débuté n’est pas clairement établi)Note de bas de page 8. De plus, la requérante a recommencé à prendre des médicaments pour ses troubles de santé mentale après avoir commencé à voir une nouvelle médecinNote de bas de page 9. Ces éléments laissent croire que la requérante n’allait pas assez bien pour cesser ses traitements quand elle l’a fait.

[18] La conclusion de fait a été tirée sans tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance de la division générale. Plus précisément, la division générale n’a pas pris en considération la preuve montrant que l’état de santé mentale de la requérante ne s’est pas amélioré après qu’elle a cessé ses traitements en 2015 ou en 2016. La division générale n’a pas non plus expliqué pourquoi elle semble avoir ignoré l’opinion médicale voulant que la requérante ait besoin d’un traitement pour une durée indéfinie.

[19] La décision de la division générale est fondée sur la conclusion de fait que la requérante avait une certaine capacité de travail.

[20] Ainsi, la division générale a commis une erreur aux termes de la Loi sur le MEDS, et la division d’appel doit intervenir.

[21] L’avocat de la requérante a aussi fait valoir que la division d’appel devrait connaître d’office le fait que les personnes qui vivent avec des troubles de santé mentale arrêtent souvent leurs traitements quand elles ne devraient pas le faire et que cela entraîne des rechutes suivies d’un retour au traitement, comme dans le cas présent.

[22] La connaissance d’office est l’acceptation d’un fait sans qu’il soit prouvéNote de bas de page 10. Le critère juridique à remplir pour que la personne qui rend la décision admette un fait sans preuve est soit 1) que le fait est généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables ou 2) que l’existence du fait peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestableNote de bas de page 11.

[23] Ce critère juridique a été clarifié dans les cas où le fait en question n’est pas d’intérêt privé (c’est-à-dire quand, où et pourquoi se sont produits les faits en litige dans l’affaire)Note de bas de page 12. Lorsque le fait qu’on cherche à faire connaître d’office est un fait social (c’est-à-dire les faits qui relèvent de la procédure de recherche des faits et qui sont définis comme la recherche en sciences sociales servant à établir le cadre de référence pour trancher les questions factuelles cruciales), des considérations différentes peuvent aussi s’appliquerNote de bas de page 13.

[24] Par contre, le fait qui, selon la requérante, devrait être connu d’office ne répond pas au critère juridique. Aucun des éléments portés à ma connaissance ne démontre que ce fait est si généralement admis qu’il ne fait l’objet d’aucun débat ou qu’on peut démontrer son existence immédiatement et fidèlement en faisant référence à des sources accessibles et exactes. Sans ces éléments, je ne peux pas connaître d’office ce fait. Cet argument ne peut pas être accueilli.

Autre question en litige

[25] La requérante a présenté d’autres moyens d’appel. Toutefois, puisque la division d’appel doit intervenir pour les motifs décrits ci-dessus, l’examen des autres moyens d’appel n’est pas nécessaire.

Réparation

[26] La Loi sur le MEDS prévoit les recours que la division d’appel peut accorder si elle doit intervenir. Il convient que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre dans la présente affaire. Voici pourquoi.

  1. Les deux parties ont demandé que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre si elle devait intervenir.
  2. Il ne manque rien au dossier porté à ma connaissance.
  3. Les parties ont eu l’occasion d’aborder toutes les questions en litige.
  4. La requérante a demandé une pension d’invalidité en 2017. Cela fait longtemps et l’appel n’est pas encore réglé. Des délais supplémentaires s’ensuivraient si l’affaire était renvoyée à la division générale pour réexamen.
  5. La Loi sur le MEDS énonce que le Tribunal peut trancher les questions de droit ou de fait pour statuer sur un appelNote de bas de page 14.
  6. Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale exige que les appels soient tranchés de la façon la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 15.

L’invalidité de la requérante n’est pas grave

[27] Les faits ne sont pas contestés. Ils se trouvent dans les écrits au dossier. En voici un résumé.

  1. La PMA de la requérante a pris fin le 31 décembre 2015.
  2. La requérante a fait sa 10e année avant d’entrer sur le marché du travail.
  3. La requérante a travaillé dans une usine à la production et à l’emballage, puis à l’administration.  
  4. La requérante soutient que des troubles de santé mentale, dont l’anxiété, la dépression et des crises de panique, la rendent invalide.
  5. En 2012, on a diagnostiqué chez la requérante un trouble anxieux-dépressif mixte, un trouble obsessionnel-compulsif et un trouble paniqueNote de bas de page 16.
  6. Le médecin de la requérante a posé les mêmes diagnostics en avril 2015 et a écrit qu’elle aurait besoin d’une thérapie pour une durée indéfinie, mais que son invalidité n’était pas permanenteNote de bas de page 17.
  7. En 2015 ou en 2016, la requérante a cessé de voir le professionnel de la santé mentale qui la suivait.
  8. Dans le questionnaire relatif aux prestations d’invalidité, la requérante a déclaré que sa mémoire lui faisait parfois défaut, qu’elle ne dormait pas bien et que sa concentration n’était pas bonneNote de bas de page 18.
  9. La requérante a commencé à voir une nouvelle médecin de famille en décembre 2016. Elle lui a dit qu’elle avait déjà pris du Cipralex pour la dépression, mais qu’elle avait arrêté. La médecin lui a donné une nouvelle ordonnance pour ce médicamentNote de bas de page 19.
  10. La requérante a déclaré que son humeur s’était améliorée deux semaines plus tardNote de bas de page 20.
  11. En janvier 2017, la médecin de famille a écrit que la requérante allait bien maintenant qu’elle prenait des médicaments et que la consultation psychologique n’était pas indiquée dans son casNote de bas de page 21.
  12. La requérante a eu un accident de voiture en mars 2017. L’accident a aggravé ses problèmes de santé.
  13. En mars 2018, la requérante a dit à sa médecin qu’elle se sentait mieux quand elle prenait ses médicaments régulièrement et qu’elle ne suivait pas de thérapie parce que parler de son humeur triste et de son anxiété était douloureuxNote de bas de page 22.

[28] Pour qu’un requérant ou une requérante soit invalide au sens du Régime de pensions du Canada, il faut prouver qu’il y a plus de chances que son invalidité était à la fois grave et prolongée avant la fin de sa PMA. L’invalidité d’une personne est grave si elle la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 23.

[29] La preuve n’est pas suffisante pour établir cela.

[30] Il y a seulement un rapport médical qui date d’avant la fin de la PMA. Il indique les diagnostics de troubles de santé mentale et précise que la requérante aura besoin d’un traitement d’une durée indéfinie. Il ne mentionne pas la capacité de la requérante à travailler.

[31] Dans le questionnaire relatif aux prestations d’invalidité, la requérante a écrit qu’elle avait des difficultés de concentration, de sommeil et de mémoire. Elle n’a pas expliqué par écrit la façon dont ces difficultés nuisaient à sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Elle n’a pas fourni d’autres précisions lors de son témoignage.

[32] La requérante a déclaré qu’elle avait cessé de travailler en 2010Note de bas de page 24. Elle a travaillé pour une seule entreprise, sa carrière ayant commencé dans l’atelier et s’étant terminée à l’administration. Ses gestionnaires étaient au courant de ses problèmes de santé, mais ne pouvaient pas lui assigner des travaux légers.

[33] Dans son témoignage, la requérante a dit qu’elle fait des crises de panique et qu’en conséquence, elle s’était souvent évanouie au travail. Son état s’est maintenant amélioré et elle perd conscience moins souventNote de bas de page 25.

[34] La requérante s’est vu prescrire des médicaments d’ordonnance pour traiter ses troubles de santé mentale. Elle a cessé de prendre ces médicaments en 2015 ou en 2016, puis a recommencé à les prendre après avoir consulté sa médecin de famille actuelle en décembre 2016, soit après la PMA.

[35] La membre de la division générale a posé à la requérante un certain nombre de questions durant l’audience. Les réponses que la requérante a fournies se rapportaient à ses problèmes de santé à cette époque plutôt qu’avant l’échéance de sa PMA. La division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a interrogé la requérante. Il incombe à la requérante de présenter sa cause au Tribunal, et non à la membre de s’assurer que tous les éléments de preuve pertinents ont été produits. La membre de la division générale a donné l’occasion à la requérante d’ajouter à la preuve qu’elle avait présentée en répondant aux questions qui lui étaient posées.

[36] La requérante n’a produit aucune preuve sur la façon dont ses troubles de santé mentale nuisaient à ses activités quotidiennes avant la fin de sa PMA. Par exemple, elle a déclaré qu’à l’époque de l’audience, elle allait faire l’épicerie avec son mari et avait peur de conduireNote de bas de page 26, mais elle n’a pas mentionné si elle pouvait faire ces choses d’elle-même avant la fin de sa PMA.

[37] Je dois aussi tenir compte de la situation personnelle de la requérante. Elle avait 47 ans à la fin de sa PMA. Elle n’a pas fait d’études postsecondaires. Malgré cela, ses antécédents de travail incluent des postes exigeants sur le plan physique et des tâches administratives. Ainsi, elle possède des compétences polyvalentes. De plus, elle était jeune à la fin de sa PMA et elle n’a aucun obstacle linguistique à surmonter. Les caractéristiques personnelles de la requérante jouent contre elle.  

[38] La preuve ne suffit pas à démontrer que la requérante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice avant la fin de sa PMA en raison d’une invalidité. Son invalidité n’est pas grave.  

[39] Comme j’ai décidé que l’invalidité de la requérante n’est pas grave, il n’est pas nécessaire de décider si elle est prolongée.

Conclusion

[40] La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante. La division d’appel doit intervenir.

[41] Par contre, il n’y a pas assez de preuves pour démontrer que la requérante avait une invalidité grave avant la fin de sa PMA.

[42] Par conséquent, la demande de pension d’invalidité présentée par la requérante est rejetée.

Date de l’audience :

Le 6 mai 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

L. O., appelante

David Edwards, avocat de l’appelante

Susan Johnstone, représentante de l’intimé

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