Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] Le 1er mai 2018, l’appelant a effectué une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Sa demande a été rejetée par le Ministre de l’Emploi et du Développement social. Il a interjeté appel de cette décision. 

[2] L’appelant n’est pas admissible à recevoir une pension d’invalidité en vertu du RPC et l’appel est rejeté, pour les motifs suivants.

Aperçu

[3] Au moment de l’audition, l’appelant était âgé de 60 ans. Quant à son éducation, l’appelant a complété sa douzième année. Il indique avoir complété quatre années d’études en piano avec une religieuse mais que pour le reste, il est autodidacte comme musicien.

[4] D’ailleurs, l’essentiel de l’expérience de travail de l’appelant au cours de sa vie est dans le domaine de la musique. L’appelant a travaillé sur plusieurs projets comme musicien, dont 58 trames sonores pour des films. Il a même enregistré et lancé son propre album en 2008-2009. L’appelant travaillait alors avec son beau-frère dans une compagnie fondée par ce dernier afin de mousser la carrière musicale de l’appelant. En conséquence, l’appelant a gagné des revenus de 29 475$ en 2008 et de 11 004$ en 2009.

[5] L’appelant n’a que peu travaillé depuis ce temps, toujours en musique, mais fort peu.

Question en litige

[6] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, l’appelant doit satisfaire aux exigences qui sont énoncées dans le RPC. Plus précisément, l’appelant doit avoir été déclaré invalide au sens du RPC à la fin de la période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant la fin de cette période.Note de bas page 1 Le calcul de la PMA est fondé sur les cotisations de l’appelant au RPC. Je constate que la PMA de l’appelant a pris fin le 31 décembre 2006.

[7] Dans un deuxième temps, pour être considérée comme invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée comme atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.Note de bas page 2

[8] La question en litige est donc de savoir si l’invalidité de l’appelant est grave et prolongée et ce, avant le 31 décembre 2006. L’appelant a le fardeau de preuve quant à ce qui précède.Note de bas page 3

L’invalidité de l’appelant est-elle grave et prolongée avant le 31 décembre 2006?

Témoignage de l’appelant

[9] Dans son questionnaire du 25 avril 2018, l’appelant indique que les conditions médicales qui l’empêchent de travailler sont le trouble de stress post-traumatique, la dépression ainsi qu’une fissure anale. Il indique également qu’il souffre d’une extrême anxiété ainsi que de problèmes de concentration.

[10] Je note dans un premier temps que la fissure anale n’a fait l’objet d’aucun témoignage ni d’aucun rapport médical postérieur à celui du Dr. Crozier du 1er mars 2018. J’en conclus qu’elle s’est résorbée ou qu’elle ne pose plus problème.

[11] Pour le reste l’appelant a effectivement témoigné souffrir des conditions médicales qui précèdent et ce, en raison d’une enfance difficile. Il a élevé en bonne partie par sa grand-mère, une fervente catholique qui lui a inculqué des peurs dès son plus jeune âge. Des histoires lugubres de démons sous son lit aux tableaux macabres qui ont pu orner sa chambre, l’appelant a décrit une enfance cauchemardesque qui lui a causé toute une vie d’anxiété et de peur.

[12] De façon pratique, l’appelant indique que sa peur l’empêche de travailler parce qu’il ne peut être seul. Lorsqu’il sort de chez lui, il est accompagné la plupart du temps. L’appelant va parfois prendre l’auto seul pour de petites distances mais la peur est toujours là. Il décrit cette peur comme étant constante, envahissante et paralysante.

[13] Ne pas pouvoir être seul rendait donc difficile la vie professionnelle de l’appelant. Il a d’ailleurs témoigné que pour l’essentiel, lors des années 2008 et 2009, alors qu’il a gagné des revenus de 29 475$ et 11 004$ respectivement, il était toujours accompagné lorsqu’il travaillait. L’appelant a témoigné avoir eu nombre de belles occasions lors de sa carrière de musicien, mais il était évident à ses yeux qu’il n’a pu se réaliser et pleinement réussir sa carrière en raison de ses problèmes de santé mentale. Il a témoigné qu’il croit avoir été invalide durant toute sa vie, qu’il se « qualifiait pour une pension » pendant toute sa vie.

[14] L’appelant est également devenu alcoolique afin de soigner lui-même son anxiété, mais il a cessé de consommer il y a environ 14 ans.

[15] Quant aux traitements, l’appelant a commencé à consulter pour son anxiété un de ses professeurs, V. D., alors qu’il était adolescent, et il l’a consultée à nouveau durant sa vie adulte, entre 1998 et 2000.

[16] L’appelant semble avoir intensifié sa recherche de traitements à compter de 2013, alors qu’il a commencé à voir davantage son médecin de famille (d’abord Dr. LeBlanc jusqu’en 2016, ensuite Dr. Saulnier à compter de 2017) et qu’il a fait des démarches en psychothérapie et en psychiatrie. Et bien que l’appelant dit qu’il pense avoir « toujours pris des médicaments », il semble que les essais en médication ont également été intensifiés durant cette période.

[17] L’appelant a indiqué que son médecin de famille lui avait suggéré, dans une période qui précédait le 31 décembre 2006, que son médecin de famille lui avait suggéré d’aller consulter en psychiatrie. Il a indiqué qu’il voyait ça comme une condamnation,

[18] L’appelant n’a que peu ou pas travaillé depuis 2009, malgré les traitements des dernières années.

Témoignage et lettre du 15 novembre 2018 de R. P.

[19] R. P. est un ami de l’appelant et le connaît depuis au moins 20 ans. Il indique que l’appelant souffre d’une invalidité grave et prolongée depuis avant 2006. R. P. indique que l’appelant est un musicien talentueux mais que sa carrière a été difficile en raison de ses problèmes de santé mentale. L’appelant a toujours été anxieux et n’a jamais pu être seul. Il indique que l’appelant a parfois pu travailler, ce qui rend sa situation difficile. R. P. a passé une bonne partie de son témoignage à souligner le rapport parlementaire déposé par l’appelant, que je résumerai ci-bas.

Témoignage et lettre du 15 novembre 2018 de A. B.

[20] A. B. est la fille de l’appelant. Elle indique que toute sa vie, son père a eu des problèmes de santé mentale, de dépression et d’anxiété. Elle indique qu’elle ou sa mère ont toujours accompagné l’appelant lors de ses déplacements à l’extérieur de la maison. Son père s’est médicamenté lui-même avec du pot et de l’alcool avant de vaincre cette dépendance. Elle indique que ç’a pris du temps à son père pour aller chercher de l’aide pour sa santé mentale. En 2003 environ, il aurait consulté son médecin de famille, qui lui avait demandé d’aller voir un psychiatre. L’appelant avait refusé et ne voulait pas être diagnostiqué, « il ne voulait pas être malade mental ».

Lettre de I. F. du 10 novembre 2018

[21] I. F. est la fille de l’appelant. Elle indique qu’il souffre de dépression et de trouble de stress post-traumatique et qu’il voit un psychiatre. Les difficultés de son père sont liées à une enfance difficile, où il a été traumatisé par sa grand-mère, qui l’a élevé et qui était une fervente religieuse. Elle lui a fait peur avec des histoires de démons et des images violentes. Elle dit que son père était nerveux et souffrait de crises de paniques. Ils ont grandi dans la pauvreté parce que son père ne pouvait sortir de chez lui pour travailler; il avait un studio chez lui. Elle indique que sa santé mentale s’est détériorée avec l’âge et qu’il a peur de sortir de chez lui et peine à ses activités quotidiennes.

Lettre de L. T. du 16 novembre 2018

[22] L. T. est la sœur de l’appelant. Elle note qu’il a toujours été nerveux et anxieux. Elle se souvient d’un incident alors que vers l’âge de 16 ans, l’appelant s’est sauvé à Toronto, croyant que des gens lui voulaient du mal. Elle indique qu’il y a eu des changements importants ces dernières années, que ça s’est détérioré. L’appelant ne peut même plus prendre une marche seul. Elle dit que la musique a été son travail et sa thérapie, mais que ses nerfs et sa dépression ont empêché l’appelant de réussir.

Lettre de L. S. du 10 novembre 2018

[23] L. S. indique que lui et son épouse sont de bons amis de l’appelant depuis 1990, bien qu’il indique ne pas avoir été en contact avec l’appelant entre 2004 et 2009. Il note que le trouble de stress post-traumatique et l’anxiété de l’appelant ont eu raison du vrai R. R. dans les années récentes. Il note un changement marqué au début des années 2000 et que ça s’est détérioré après 2012. L. S. note des impacts importants sur la vie professionnelle, sociale et personnelle de l’appelant, ainsi qu’au niveau de sa santé. Il indique qu’il aurait espéré que l’état de l’appelant se serait amélioré avec le temps et les traitements, mais que ce n’est pas le cas, malgré les efforts de l’appelant.

Lettre de A. R. du 22 novembre

[24] A. R. est la mère de l’appelant. Elle indique que les problèmes d’anxiété et de peur de l’appelant ont débuté alors qu’il avait environ 13 ou 14 ans. Elle note que ses craintes ont duré toute sa vie. L’appelant a toujours peur d’être seul, il a besoin de quelqu’un pour l’accompagner où il va et ce, jusqu’à ce jour.

Taking Action : Improving The Lives of Canadians Living with Episodic Disabilities – Report of the Standing Committee on Human Resources, Skills and Social Development and the Status of Persons with Disabilities, dated March 2019

[25] L’appelant a déposé ce rapport de ce comité parlementaire qui est daté de mars 2019. Le rapport note une évolution du concept d’invalidité dans les trente dernières années et traite de la notion d’invalidité épisodique. Le rapport indique que la législation et les mécanismes liés aux prestations d’invalidité du Régime des pensions du Canada ne se sont pas adaptés à ces nouvelles réalités. Le rapport fait donc état d’onze recommandations visant à modifier la législation et les mécanismes afin que les prestations d’invalidité du Régime des pensions du Canada soient davantage accessibles aux personnes souffrant d’invalidité de façon épisodique.

[26] Par ailleurs, je dois aussi soupeser la preuve médicale, objective, à l’appui des prétentions de l’appelant.

Preuve médicale

[27] La preuve médicale quant à l’invalidité et aux limitations de l’appelant est la suivante, et je ferai le résumé des divers rapports médicaux ci-bas.

Rapport du Dr. Mario Saulnier, médecin de famille, du 19 mai 2018

[28] Dr. Saulnier est le médecin de famille de l’appelant depuis février 2017. Au niveau du diagnostic, Dr. Saulnier indique un trouble de stress post-traumatique chronique, dépression sévère chronique, et des crises de panique. Il indique que l’appelant souffre d’anxiété et de symptômes dépressifs depuis le début de l’âge adulte.

[29] En termes de limitations, Dr. Saulnier indique que l’appelant évite les interactions sociales en raison de son anxiété et dépression. Il lui est difficile de quitter sa maison et de trouver/conserver un emploi. Il indique que l’appelant est traité à l’aide de médicaments et de thérapie. Le pronostic est inconnu, mais il ne s’attend pas à ce que la condition de l’appelant s’améliore de façon significative puisqu’elle est chronique.

Lettre du Dr. Saulnier du 18 novembre 2018

[30] Dr. Saulnier indique avoir révisé le dossier médical de l’appelant, notamment pour voir s’il s’y trouvait quelque chose de pertinent avant ou pendant 2006. Il indique que le dossier contient de multiples visites relativement à l’anxiété et à la dépression, mais que les effets sur la vie de l’appelant n’ont pas été bien documentés. Il n’a également pas trouvé de rapports de consultation en psychologie et psychiatrie.

Lettre du Dr. Saulnier du 3 mars 2019

[31] Dr. Saulnier indique qu’il est le médecin de famille de l’appelant depuis février 2017. Dr. Saulnier dit que l’appelant souffre d’anxiété sévère depuis qu’il le connaît; il est très nerveux et paranoïaque, même lors des visites à son cabinet. Dr. Saulnier indique que l’appelant lui a dit ne pas avoir eu un emploi régulier depuis 2006, que son anxiété a débuté préalablement à cela et qu’elle s’est accentuée au fil du temps. Dr. Saulnier indique qu’il n’a pu vérifier si l’appelant travaillait avant 2006 parce que ça n’a pas été documenté par son médecin de famille précédent. Il indique enfin que l’appelant lutte contre l’anxiété depuis au moins 2005.

Notes évolutives du Dr. Paulette LeBlanc, ancien médecin de famille de l’appelant, du 2 mai 2005 jusqu’au 20 septembre 2016

[32] Les notes de Dr. LeBlanc font état d’une visite le 2 mai 2005, où l’appelant se plaint d’insomnie et de stress et désire avoir deux jours de congé du travail. Il y a deux autres notes en 2005, soit le 17 octobre et le 6 décembre, où il est fait état de la médication de l’appelant et ensuite de douleurs relatives à une otite.

[33] Il n’y a aucune note à la suite de la visite du 6 décembre 2005 et ce, jusqu’au 7 juin 2011.

[34] Une note du 7 juin 2011 fait état que l’appelant voit un thérapeute pour un stress conjugal et note aussi de l’anxiété et de l’hyperlipidémie. Une note du 3 août 2011 indique que l’appelant va bien. 

[35] Il n’y a aucune note suite à la visite du 3 août 2011 et ce, jusqu’au 10 septembre 2013.

[36] De septembre 2013 à septembre 2016, soit pendant trois ans, il y a des notes pour neuf visites, soit une moyenne de trois par année. Les notes parlent d’une anxiété plus prononcée – la plupart des notes mentionnent le mot « anxiété » - et d’un trouble de stress post-traumatique, ainsi que de l’insomnie. On note des sessions « se prendre en main » et d’autres sessions pour aider avec son anxiété à compter de décembre 2014. Une note du 29 février 2016 indique que l’appelant a été référé en psychiatrie. La dernière note, du 20 septembre 2016, parle d’anxiété sévère et que l’appelant est de plus en plus craintif à quitter sa maison.

Rapport du Dr. Nachiketa Sinha, psychiatre, du 25 avril 2017

[37] Dr. Sinha indique qu’elle traite l’appelant depuis avril 2017 pour une dépression sévère récurrente et un trouble de stress post-traumatique chronique. Elle note les symptômes de longue date (« long term struggles ») comme étant une concentration et de l’énergie moindres, des rappels d’images (flashbacks), cauchemars, de l’hypervigilance, des comportements d’évitement et de l’anxiété accrue.

[38] En termes de traitements, Dr. Sinha note que l’appelant prend de la médication et suit une psychothérapie. Le pronostic du Dr. Sinha est réservé. Dr. Sinha indique que l’appelant souffre d’une maladie mentale chronique, sévère, persistante et prolongée. Elle ne croit pas qu’il pourrait retourner à tout type de travail dans un avenir prévisible, pour une période d’au moins un an, possiblement plus longtemps, et est du même avis pour suivre une formation à l’emploi.

[39] Le dossier fourni par Dr. Sinha comprend également ses notes évolutives du 20 avril 2017 au 28 novembre 2018, pour neuf visites sur une période d’environ 20 mois, soit une moyenne d’une visite aux deux mois. Les notes sont conformes à ce qui précèdent et traitent surtout des ajustements apportés à la médication de l’appelant. Par ailleurs, les notes de la visite du 8 juin 2017 relèvent que l’appelant est capable de composer des chansons plus rapidement qu’auparavant, alors que les notes de visite du 27 septembre soulignent que l’appelant a davantage de stress en raison des échéances liées à son travail.

Évaluation du Dr. Mylène Poirier, psychiatre, effectuée les 7 et 14 octobre 2014

[40] L’appelant consulte Dr. Poirier suite à une référence de son médecin de famille, Dr. LeBlanc, pour de l’anxiété sévère et des idées paranoïdes occasionnelles.

[41] Comme antécédents, Dr. Poirier indique que l’appelant n’a jamais consulté en psychiatrie, n’a jamais été hospitalisé et n’a fait de tentative suicidaire. Il a été suivi en psychothérapie pendant quelques mois mais n’a pu continuer en raison de difficultés financières. Il aurait tenté du Paxil et de l’Effexor mais a cessé en raison des effets secondaires.

[42] Dr. Poirier fait l’historique de de la maladie actuelle de l’appelant, indiquant l’apparition d’une anxiété paranoïde à partir de l’âge de 17 ans. L’appelant s’est mêlé au milieu de la drogue et de gens criminalisés et cela a exacerbé ses idées paranoïaques, tant et si bien que l’appelant a quitté l’Acadie pour l’Ontario début vingtaine pendant quelques temps pour se sauver.

[43] L’historique indique que cette peur est demeurée depuis son adolescence mais « s’était atténuée légèrement au fil des ans. » Dr. Poirier indique que l’appelant semble être conscient que « cette crainte est exagérée » et a voulu tenter de « s’exposer davantage aux sorties ». Elle note une augmentation de l’insomnie récente en raison de difficultés financières et de moments de découragement. Dr. Poirier note également que quand l’appelant « travaille à sa musique, il est fonctionnel. Il a encore de la capacité de plaisir et des intérêts préservés. »

[44] Dr. Poirier note l’enfance difficile de l’appelant, où on lui a inculqué des craintes de l’enfer et du démon et orné sa chambre à coucher de photos religieuses plutôt macabres. Elle note enfin que l’appelant « a eu tendance à avoir des dépendances facilement tout au long de sa vie », dont à l’alcool.

[45] À l’examen, Dr. Poirier note un délire paranoïde structuré mais que celui-ci est « relativement encapsulé et monsieur est capable d’une relative autocritique par rapport à ses convictions ». Elle pose donc les diagnostics suivants :

  • Trouble délirant type persécutoire, en rémission partielle;
  • Insomnie secondaire à un trouble d’adaptation en lien avec des difficultés financières;
  • Dépendance à l’alcool en rémission complète;
  • Absence de trouble anxieux (dont PTSD), absence de risque suicidaire ou hétéro-agressive;

[46] Quant aux recommandations, Dr. Poirier indique d’abord que « pour ce qui est du trouble délirant, à noter que l’évolution est favorable, même sans intervention particulière ». Elle lui propose diverses options quant à la médication antipsychotique, indiquant qu’une dose légère à moyenne conviendrait « étant donné que sa condition psychotique actuelle n’est pas sévère ».

[47] Dr. Poirier lui propose également une intervention en psychothérapie « pour poursuivre l’acquisition d’autocritique, diminuer la force des cognitions délirantes et de poursuivre l’exposition qu’il a déjà débutée. » Enfin, pour ce qui est de l’insomnie, l’appelant serait satisfait de sa médication actuelle.

Rapport de Michel Drisdelle, psychothérapeute, du 27 novembre 2018

[48] M. Drisdelle indique avoir traité l’appelant en 2016, pour 15 sessions de psychothérapie. Il indique que dès le départ, il était évident que l’appelant souffrait d’une dépression sévère. Il avait été diagnostiqué avec un trouble de stress post-traumatique, un trouble de l’anxiété et avait de la misère à fonctionner de façon sociale.

[49] M. Drisdelle indique qu’au fil des rencontres, il est devenu évident que l’appelant avait subi des effets durables et significatifs suite aux traumatismes qu’il a subis. Il indique que l’appelant voulait travailler à s’améliorer de façon sincère, mais que son anxiété a perduré. L’appelant ne pouvait continuer les rencontres en raison d’un manque de revenus.

[50] M. Drisdelle est d’avis que l’appelant est atteint d’un trouble de stress post-traumatique sévère. Sa dépression est également un facteur qui rend difficile le fonctionnement dans un environnement de travail. Il est aussi d’avis que l’appelant devrait pouvoir bénéficier de prestations d’invalidité de longue durée et appuie sa demande en ce sens.

Lettre de V. D., du 12 décembre 2018

[51] V. D. indique avoir accompagné l’appelant en tant qu’enseignante au début des années 80 et ensuite en counseling entre 1998 et 2000. Elle indique que l’appelant avait « des anxiétés profondes qui étaient parfois hallucinantes » et qu’il a consommé des drogues. Elle indique que l’appelant avait un « grand talent musical » mais que « sa nervosité nuisait à sa concentration ».

[52] V. D. a également reçu l’appelant entre 1998 et 2000 alors qu’il était marié avec des enfants. L’appelant « était encore habité par les mêmes angoisses ». Il faisait partie d’une religion « qui lui offrait un certain encadrement », mais « son instabilité psychologique semblait toujours avoir le dessus ».

[53] V. D. indique que l’appelant avait quitté sa conjointe pour une autre et qu’à partir de ce moment, elle ne l’a plus revu et « donc, je ne connais pas sa présente situation ».

Rapport du Dr. Michael Crozier du 1er mars 2018

[54] L’appelant consulte le Dr. Crozier pour un suivi concernant une fissure anale. L’appelant se plaint de rougeurs et Dr. Crozier croit qu’il s’agit de pratiques d’hygiène trop enthousiastes. Il recommande l’arrêt du traitement (une crème diltiazem) pour quelques semaines. Il indique que l’appelant est anxieux à l’idée d’arrêter le traitement.

Analyse

Invalidité grave

[55] Le critère permettant de déterminer si une invalidité est « grave » ne consiste pas à établir si la personne souffre d’incapacités graves, mais plutôt à déterminer si son invalidité l’empêche de gagner sa vie. La détermination de la gravité de l’invalidité n’est pas fondée sur l’incapacité de la personne d’occuper son emploi régulier, mais plutôt sur son incapacité d’effectuer tout travail c’est-à-dire, « une occupation véritablement rémunératrice ».Note de bas page 4

[56] Par ailleurs, l’appelant doit prouver qu’il était invalide au sens du RPC le ou avant le 31 décembre 2006, la date de fin de sa PMA. Le fardeau de preuve appartient à l’appelant et il doit prouver ce qui précède selon la balance des probabilités.

[57] En sus d’une preuve subjective de son invalidité, c’est-à-dire le témoignage de l’appelant sur son invalidité et ses limitations, l’appelant doit fournir une preuve médicale objective de son invaliditéNote de bas page 5.

[58] Je conclus que l’appelant ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve et que la preuve est insuffisante afin que je puisse conclure qu’il y avait invalidité grave le ou avant le 31 décembre 2006, pour les motifs suivants.

[59] Tout d’abord, le témoignage de l’appelant quant à sa condition médicale et ses limitations n’était pas particulièrement spécifique à la période avant le 31 décembre 2006. L’appelant a par ailleurs témoigné qu’il croit qu’il a été invalide toute sa vie. Bien que j’avais indiqué à l’appelant qu’il était nécessaire de se concentrer sur la période avant le 31 décembre 2006, je note qu’un témoignage vague par rapport à des périodes données n’est pas nécessairement inhabituel. Dans ce cas, la preuve médicale peut souvent nous éclairer.

[60] Or, je note que dans ce dossier, la preuve médicale est assez mince, surtout lorsqu’on l’analyse à la lumière de la date du 31 décembre 2006.

[61] L’appelant n’a pas consulté son médecin de famille entre le 6 décembre 2005 et le 7 juin 2011, soit aucune visite pendant cinq ans et demi. Et après une deuxième visite en 2011, celle du 3 août 2011, il n’y a aucune visite jusqu’au 10 septembre 2013. En conséquence, de décembre 2005 à septembre 2013, soit pendant près de huit ans, l’appelant n’a visité son médecin de famille que deux fois. Cela ne tend pas à appuyer une conclusion d’invalidité grave.

[62] Je crois que l’appelant a souffert de problèmes de santé mentale toute sa vie. Cependant, beaucoup de Canadiens souffrent de problèmes de santé mentale à divers égards mais peuvent détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Je réitère que ce n’est pas le diagnostic qui importe, c’est l’impact sur la capacité de travailler.

[63] Je crois que l’appelant a souffert de problèmes de santé mentale mais je conclus que ceux-ci se sont exacerbés après sa PMA du 31 décembre 2006, plus particulièrement dans la période après 2013.

[64] Dans un premier temps, l’appelant commence à fréquenter son médecin de famille plus intensément à compter de septembre 2013.

[65] Aussi, aucun spécialiste n’est consulté avant 2014. La première consultée est la psychiatre Mylène Poirier, dont le rapport date d’octobre 2014. Je note que ses conclusions ne sont pas aussi prononcées que celles des rapports subséquents. Elle indique un trouble délirant type persécutoire, qui est en rémission partielle. Elle parle d’une insomnie secondaire à un trouble d’adaptation en lien avec des difficultés financières. Elle note l’absence « de trouble anxieux (dont PTSD), absence de risque suicidaire ou hétéro-agressive », ce qui contredit les rapports et diagnostics subséquents de trouble de stress post-traumatique.

[66] Je ne conclus pas de ce rapport que Dr. Poirier a raison et que les autres ont tort, ou l’inverse. Je crois que la juxtaposition de ce rapport avec les rapports subséquents souligne plutôt que la condition de l’appelant s’est détériorée avec les années et ce, surtout à compter de 2013. Je crois que c’est cette détérioration qui a amené une intensification de la recherche de traitements de la part de l’appelant. Ainsi, l’appelant a consulté ensuite le psychothérapeute Michel Drisdelle en 2016 et la psychiatre Nachiketa Sinha en 2017.

[67] Je souligne aussi que la lettre du Dr. Mario Saulnier du 3 mars 2019 indique que l’appelant lui a dit ne pas avoir eu un emploi régulier depuis 2006, que son anxiété a débuté préalablement à cela et qu’elle s’est accentuée au fil du temps : « His anxiety started prior to this and worsened over time. »

[68] Je souligne aussi que plusieurs témoignages semblaient également tendre vers une détérioration plus récente de la condition de l’appelant :

  • Je cite L. S., ami de l’appelant : « The anxiety of his PTSD has all but obscured the real R. R. in recent years. R. R. and I were out of touch for a few years around 2004-2009. However, we had noticed a marked change in the early 2000s, with a further steep decline professionally and socially after 2012. He no longer travels, his basic sense of humour is now absent, and he is paralyzed by fears I confess I don’t fully understand despite weekly and sometimes daily conversations. Shockingly, the composer whose first language was always music now rarely composes or plays »;
  • Également, L. T., soeur de l’appelant : « I noticed a big chance in him in the last few years. He is getting worse. »;
  • Enfin, I. F., fille de l’appelant : « my dad’s mental health is getting worst (sic) with age »);

[69] Il y a R. P., ami de l’appelant, qui a voulu appuyer la thèse de celui-ci à l’effet qu’il était invalide toute sa vie en indiquant ce qui suit : « Prior to 2006 and since 2006, R. R. has suffered a great and prolonged disability ». Pour les motifs que j’ai exposés ci-haut, je ne peux retenir cette thèse de l’appelant.

[70] Il m’est difficile de retenir cette prétention de R. P. que je juge contraire à l’essentiel de la preuve devant moi. Je crois que R. P., peut-être davantage que certains autres témoins, a voulu servir un peu de procureur pour son ami; il a d’ailleurs plaidé l’application du rapport parlementaire déposé par l’appelant pendant plusieurs instants.

[71] D’ailleurs, ce rapport parlementaire sur la notion d’invalidité épisodique, s’il est d’un intérêt à la lecture, n’a qu’une valeur politique à présent et non légale. Le législateur fédéral y donnera peut-être suite, peut-être pas. Je ne peux présumer que la loi sera modifiée et je ne peux le faire moi-même. Et je ne peux tout simplement pas m’en servir pour écarter les critères sur lesquels j’ai fondé ma décision.

[72] Aussi, le Ministre a souligné les revenus gagnés par l’appelant en 2008 et 2009, soit de 29 475$ et 11 004$, après sa PMA du 31 décembre 2006. J’en suis, mais j’ajouterais que l’appelant a gagné des revenus semblables au cours des années 2000 à 2003 : 11 042$ en 2000, 30 450$ en 2001, 15 950$ en 2002 et 11 200$ en 2003. Je crois que cela vient contredire la prétention de l’appelant qu’il a été invalide toute sa vie, et appuyer plutôt la thèse d’une détérioration des troubles de santé mentale de l’appelant de façon plus récente, après 2013.

[73] En conséquence, la preuve, dont la preuve médicale ainsi que les revenus gagnés par l’appelant en 2008 et 2009, ne me fait pas conclure à une invalidité grave avant le 31 décembre 2006, mais plutôt à une condition qui s’est détériorée après 2013, soit longtemps après la fin de la PMA de l’appelant. Je ne peux donc conclure que la condition de l’appelant le rendait incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice le ou avant le 31 décembre 2006.

[74] Enfin, le critère de gravité doit faire l’objet d’une analyse réaliste.Note de bas page 6 C’est donc dire qu’au moment de décider si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de facteurs comme l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie.

[75] L’appelant était âgé de 47 ans à la fin de sa PMA. Il a vécu de la musique toute sa vie, étant surtout autodidacte et, de l’avis de plusieurs témoignages (dont le sien), d’un talent certain. L’appelant a parfois gagné des revenus qui excédaient le seuil réglementaire d’une occupation véritablement rémunératrice.

[76] Même sa carrière a pu être quelque peu limitée en raison de ses problèmes de santé mentale, il a donc pu gagner des revenus liés à la musique durant une bonne partie de sa vie et la preuve devant moi, surtout la preuve médicale, m’empêche de conclure qu’il ne pouvait régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice le ou avant le 31 décembre 2006.

Invalidité prolongée

[77] Puisque j’ai déterminé que l’invalidité de l’appelant n’était pas grave avant le 31 décembre 2006, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur le critère d’invalidité prolongée.

Conclusion

[78] L’appelant n’est pas admissible à recevoir une pension d’invalidité en vertu du RPC. L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.