Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] La requérante n’a pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] La requérante est une femme de 49 ans qui est arrivée au Canada en 1997. En juin 2009, elle a commencé à exploiter sa propre garderie agréée chez elle. Elle a cessé de travailler en mai 2018.

[3] La requérante a demandé des prestations d’invalidité en novembre 2017, quelques mois avant de cesser de travailler. Dans sa demande, elle a déclaré que la dépression, le stress, l’anxiété et des crises de panique la rendent invalide. Elle a expliqué qu’elle est fatiguée, qu’elle manque d’énergie, de motivation et de concentration et qu’elle a peur de l’avenir. Le ministre a rejeté la demande une première fois, puis il l’a rejetée de nouveau après révision. La requérante a porté la décision de révision du ministre en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[4] Une membre du Tribunal a jugé l’appel de la requérante en août 2019. Elle a décidé que la requérante n’avait pas droit aux prestations d’invalidité parce que son invalidité n’était pas grave au moment de sa période minimale d’admissibilité (PMA).

[5] La requérante a appelé de la décision à la division d’appel du Tribunal. En janvier 2020, la division d’appel a accueilli l’appel, concluant que la division générale n’avait pas mené une procédure équitable puisque le ministre avait mentionné des éléments de preuve sans les transmettre à la requérante. La division d’appel a renvoyé l’affaire à la division générale pour réexamen par une ou un autre membre de la division générale. La division d’appel a également conclu que les parties pouvaient présenter à la division générale des observations sur le mode d’instruction du réexamen ainsi que sur la question de savoir si la décision antérieure de la division générale et l’enregistrement de son audience devaient toujours faire partie du dossier du Tribunal.

[6] En avril 2020, le ministre a fourni au Tribunal des éléments de preuve supplémentaires, y compris les rapports dont le ministre avait déjà fait mention et qui n’étaient pas au dossier au moment de la première audience du Tribunal en août 2019Footnote 1.

Questions préliminaires

[7] Le 20 mars 2020, j’ai écrit aux parties pour les inviter à présenter des observations sur le mode d’instruction du réexamen et sur la question de savoir si la décision que la division générale avait rendue en 2019 et l’enregistrement de son audience devaient rester au dossier du Tribunal. J’ai fixé au 20 avril 2020 la date limite pour envoyer une réponse.

[8] Dans ses observations datées du 15 avril 2020, le ministre a demandé la tenue d’une audience parce qu’il estimait que l’affaire était complexeFootnote 2. Le 27 avril 2020, j’ai envoyé un avis d’audience pour fixer la date de l’audience (par téléconférence) au 27 mai 2020. Dans l’avis, j’ai expliqué que l’une des raisons pour lesquelles j’allais tenir une audience était qu’il manquait des renseignements au dossier et qu’il me fallait des éclaircissements.

[9] Le 21 mai 2020 (peu de temps avant l’audience), la représentante de la requérante a déposé une requête pour me demander de rendre une décision fondée sur le dossier existant (sans tenir d’audience). Elle a soutenu que le dossier (y compris l’enregistrement de l’audience ayant eu lieu en août 2019) était suffisant pour trancher l’appel et que le fait d’exiger que la requérante témoigne à nouveau aggraverait considérablement son état de santé mentale. La représentante de la requérante a ajouté que si je décidais qu’une audience était nécessaire, il faudrait que la portée de l’examen soit limitée de sorte que la requérante n’ait pas à témoigner sur certains sujets comme son passé, ses antécédents de travail, certains rapports médicaux et ses symptômes. En ce qui concerne le retard de la requête, la représentante de la requérante a expliqué que sa requête avait été rédigée à l’origine le 30 mars 2020, mais que, par inadvertance, elle avait été envoyée au Tribunal seulement le 21 mai 2020.

[10] J’ai répondu à la requête de la requérante le 26 mai 2020. J’ai expliqué que j’avais examiné le dossier dans son ensemble et que j’avais décidé qu’une audience était justifiée. J’ai souligné que de nouveaux éléments de preuve avaient été déposés après l’audience tenue en août 2019 et que certains de ces éléments soulevaient des questions qui sont abordées de façon insuffisante dans le dossier. J’ai également fait remarquer que le ministre avait demandé la tenue d’une audience et que j’étais d’accord avec lui sur le point de la complexité du dossier. Pour ce qui est de la portée des questions, j’ai mentionné que j’étais sensible aux problèmes de santé mentale de la requérante et au stress qui peut être associé au fait d’avoir à revenir sur des points qu’elle avait déjà abordés dans son témoignage. Cependant, j’ai dit que j’hésitais à exclure complètement tout sujet de l’interrogatoire, car certains points nécessiteraient peut-être des éclaircissements.

[11] Au début de l’audience, la représentante de la requérante a confirmé avoir reçu une copie de ma lettre de décision. Elle a dit qu’elle n’avait rien à ajouter. La représentante du ministre a dit qu’elle n’avait pas encore reçu ma lettre de décision, mais elle a aussi dit qu’elle ne se sentait aucunement désavantagée par le fait qu’elle ne l’avait pas reçue et elle a confirmé qu’elle se sentait à l’aise de participer à l’audience.

[12] L’audience s’est déroulée comme prévu.

Questions en litige

[13] Pour avoir droit à des prestations d’invalidité du RPC, la requérante doit remplir les conditions énoncées dans le RPC. Plus précisément, elle doit être déclarée invalide au sens du RPC au plus tard à la fin de la PMA. Le calcul de la PMA repose sur les cotisations que la requérante a versées au RPC. Je constate que la PMA de la requérante se termine le 31 décembre 2017.

[14] L’invalidité se définit comme une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongée. L’invalidité d’une personne est grave si elle la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décès. La personne doit prouver selon la prépondérance des probabilités que son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Autrement dit, si la requérante satisfait seulement à un volet, elle n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

[15] Je dois décider si l’invalidité de la requérante était grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2017.

Analyse

Invalidité grave

La requérante a un problème de santé important qui a entraîné des limitations fonctionnelles au plus tard à la fin de sa PMA

[16] La preuve montre que la requérante a un problème de santé important qui a entraîné des limitations fonctionnelles au plus tard à la fin de sa PMA.

[17] Le 23 octobre 2017, la requérante a déclaré que, presque tous les jours, elle a peu d’intérêt ou de plaisir à faire des activités, qu’elle a le moral bas et se sent déprimée ou désespérée, qu’elle a de la difficulté à s’endormir ou à rester endormie ou qu’elle dort trop longtemps, qu’elle se sent fatiguée ou a peu d’énergie, qu’elle se sent nerveuse, anxieuse ou au bord du précipice, qu’elle n’est pas capable d’arrêter ou de contrôler ses inquiétudes, qu’elle a de la difficulté à se détendre et qu’elle ressent de la peur. Il y a aussi des jours où elle pense qu’elle ferait mieux de mourir ou qu’elle envisage de se blesser d’une façon ou d’une autreFootnote 3.

[18] Le 16 novembre 2017 (environ six semaines avant la fin de la PMA), la médecin de famille de la requérante (la Dre Moghadam) a écrit que la requérante souffre de dépression et d’anxiété chroniques sous traitement non optimal. Elle s’est rendue à l’urgence plusieurs fois pour des crises de panique, sa dernière visite remontant à février 2017. Elle fait des crises de panique presque tous les jours, et son anxiété sociale l’empêche d’interagir avec des gens hors de chez elle. Elle a une garderie, mais il lui est de plus en plus difficile de s’occuper des enfants en raison de son humeur dépressive et anxieuse. Son état de santé l’empêche de travailler en ce moment, et elle bénéficierait d’une invalidité temporaire jusqu’à ce que son problème de santé soit traité et qu’elle puisse recommencer à travailler en toute sécuritéFootnote 4.

[19] Le 4 avril 2018 (environ trois mois seulement après la PMA), la requérante a vu la Dre Neelma Dhar pour une évaluation psychiatrique. La Dre Dhar a diagnostiqué un trouble affectif grave (moyennement grave sans psychose), un trouble panique et un trouble d’anxiété généralisée ainsi qu’une anémie qui aggrave son trouble de l’humeur. Elle a expliqué que la requérante avait de la difficulté à dormir et qu’au cours des deux dernières années, elle avait remarqué une lente diminution de son énergie, de son appétit, de son intérêt et de sa motivation, et qu’elle avait l’impression de [traduction] « se mourir de l’intérieurFootnote 5 ».

[20] Le 6 avril 2018, la Dre Moghadam a écrit que la requérante fait une dépression, de l’anxiété et des crises de panique chroniques et graves. Elle s’est rendue de nombreuses fois à la salle d’urgence pour ses crises de panique. Les symptômes qu’elle ressent chaque jour limitent vraiment ses activités quotidiennes et son fonctionnement normal. Son problème de santé est grave et limite sa capacité à travaillerFootnote 6.

La requérante ne s’est pas conformée aux recommandations de traitement

[21] Pour obtenir des prestations d’invalidité, les requérantes et requérants doivent non seulement produire des preuves sur la nature de leur invalidité, mais également sur les efforts déployés pour gérer leur problème de santéFootnote 7. On désigne généralement ces efforts comme « l’obligation de limiter le préjudice ». Les requérantes et requérants ont droit aux prestations d’invalidité du RPC seulement si l’obligation de limiter le préjudice est satisfaiteFootnote 8. Lorsqu’une personne refuse de suivre un traitement recommandé qui est susceptible d’avoir une incidence sur son statut d’invalidité, elle doit alors établir que son refus était raisonnableFootnote 9.

[22] Le ministre soutient que la requérante ne s’est pas conformée aux recommandations de traitementFootnote 10.

[23] La représentante de la requérante semble reconnaître que la requérante n’a pas suivi les recommandations de traitement. Toutefois, elle soutient que le non-respect des recommandations est raisonnable.

[24] La preuve montre que la requérante n’a pas suivi toutes les recommandations de traitement. À mon avis, elle a démontré une réticence générale à respecter des modalités de traitement importantes qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur son statut d’invalidité. En voici quelques exemples.

Recommandations du Dr Kheirani

[25] En novembre 2016, on a envoyé la requérante voir le Dr Kamran Kheirani (psychiatre) après qu’elle s’est plainte de douleurs à la poitrine et d’essoufflement durant une consultation à l’urgence. Le Dr Kheirani a formulé plusieurs recommandations. Par exemple, il a prescrit des médicaments (5 mg de Cipralex et de l’Ativan) à prendre pendant une semaine et il a dit à la requérante de trouver une ou un médecin de famille pour qu’elle puisse avoir des médicaments sur ordonnance. Il a aussi rempli un formulaire pour faire rembourser le coût des médicaments. Le Dr Kheirani a également recommandé à la requérante d’obtenir des services de consultation psychologique et, pour l’aider à cet égard, il lui a remis une liste des ressources offertes dans la collectivitéFootnote 11.

[26] La requérante n’est pas allée chercher d’autres médicaments et elle n’a pas tenté d’obtenir des services de consultation psychologique dans les semaines suivant sa consultation du Dr Kheirani. Je connais cette information parce que la requérante a vu un cardiologue (la Dre Blackwell) en décembre 2016, et lors de cette consultation, elle a dit que son ordonnance était expirée. Elle n’avait pas de médecin de famille et ne pouvait pas faire renouveler ses ordonnances. Elle a aussi dit à la Dre Blackwell qu’elle n’avait pas cherché à obtenir de l’aide psychologique parce que sa famille pensait qu’elle ne devait pas le faireFootnote 12. De plus, la Dre Moghadam a déclaré que lorsqu’elle a rencontré la requérante pour la première fois en octobre 2017, cette dernière lui a dit qu’elle ne prenait pas les médicaments qui lui avaient été prescrits parce qu’un médecin dans une clinique sans rendez-vous lui avait dit qu’ils pouvaient « créer une dépendanceFootnote 13 ».

Recommandations de la Dre Moghadam

[27] Lorsque la Dre Moghadam a rencontré la requérante pour la première fois et a appris qu’elle ne prenait pas les médicaments prescrits par le Dr Kheirani, elle a insisté sur l’importance de suivre les recommandations des médecins, y compris la prise de médicaments. À ce moment-là, comme l’écrit la Dre Moghadam, la requérante a promis de suivre ses recommandations. La Dre Moghadam a ensuite donné une autre prescription de Cipralex et d’Ativan à la requérante et lui a aussi prescrit du Trazadone pour l’aider à dormir. Lors des visites de suivi, la requérante a dit à la Dre Moghadam qu’elle prenait ses médicaments. Toutefois, elle a admis par la suite qu’elle prenait le Cipralex et le Trazadone de façon irrégulière parce qu’elle n’aimait pas les effets de ces médicaments et qu’ils la rendaient amorphe. La Dre Moghadam a offert à la requérante de plutôt lui prescrire du Wellbutrin, mais la requérante a refusé. Elle a dit qu’elle réessaierait le Cipralex pour voir si elle le tolérerait mieux. Il semble que la requérante n’ait pas tout à fait suivi les recommandations parce qu’elle a vu une autre psychiatre (la Dre Dhar) en avril 2018 (après avoir refusé de revoir le Dr Kheirani) et la Dre Dhar a écrit que la requérante ne prenait pas ses médicaments comme prescrits. La requérante semble avoir dit à la Dre Dhar qu’elle ne prenait pas les médicaments comme prescrits parce qu’ils étaient inefficacesFootnote 14.

Recommandations de la Dre Dhar

[28] En avril 2018, la Dre Dhar a changé les médicaments de la requérante et a dit que cette dernière était d’accord avec le changement. La Dre Dhar a recommandé de faire passer la dose de mirtazapine de 7,5 mg à 15 mg pour l’aider à dormir. Elle a aussi recommandé à la requérante de continuer de prendre 20 mg de Cipralex (escitalopram). La Dre Dhar a ajouté qu’elle remplirait un formulaire pour que la requérante puisse obtenir des médicaments remboursés par le gouvernementFootnote 15. En mars 2019, la Dre Moghadam a déclaré qu’elle n’était pas certaine si la requérante avait donné suite aux recommandations de la Dre DharFootnote 16.

Recommandations du Dr Fagbuyi

[29] La Dre Dhar a quitté son cabinet. La requérante a donc commencé à voir le Dr Kay Fagbuyi (psychiatre) en décembre 2018.

[30] Le Dr Fagbuyi a recommandé que la requérante augmente la dose de mirtazapine à 30 mg et qu’elle arrête de prendre du lorazépam et du CipralexFootnote 17. La requérante n’a pas suivi ses recommandations. En janvier 2019, la requérante a dit au Dr Fagbuyi qu’elle n’avait pas pris la dose recommandée parce qu’elle avait vu la Dre Moghadam et, ensemble, elles avaient décidé que la dose de mirtazapine aurait dû être augmentée plus lentement. Elle a ajouté que la dose était donc passée à 22,5 mg seulement. Je me demande si la requérante a dit toute la vérité au Dr Fagbuyi parce que rien dans les rapports de la Dre Moghadam ne laisse entendre qu’elle croyait ou avait suggéré que le Dr Fagbuyi avait prescrit une dose trop élevéeFootnote 18. En mars 2019, la Dre Moghadam a écrit que la requérante est venue la voir après avoir vu le Dr Fagbuyi. Elle précise que la requérante lui a dit ne pas se sentir à l’aise avec les recommandations du Dr Fagbuyi et avoir donc cessé de prendre le médicament après deux jours. La Dre Moghadam a dit qu’elle a eu une longue discussion avec la requérante, et la requérante a accepté de recommencer à prendre le médicament. Par contre, la Dre Moghadam a appris plus tard que la requérante ne l’a jamais faitFootnote 19.

Recommandations de Beena Jaswal

[31] Beena Jaswal est une thérapeute clinicienne qui a commencé à voir la requérante vers le mois de mars 2018Footnote 20. Mme Jaswal a fait quelques recommandations à la requérante, y compris des thérapies de groupe et des séances individuelles. Cependant, la Dre Moghadam a déclaré que la requérante ne faisait pas ses devoirs et qu’elle a fini par arrêter de se présenter aux séances et par annuler tous ses rendez-vous de suivi avec Mme Jaswal. Lorsqu’elle l’a interrogée à ce sujet, la requérante a dit à la Dre Moghadam que [traduction] « Beena n’était pas gentille avec moi et elle ne me traitait pas comme une personne maladeFootnote 21 ».

[32] En juin 2019, Mme Jaswal a écrit que la requérante avait eu son congé, car elle n’était pas en mesure d’appliquer la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) ni de participer au groupe de TCC et la thérapie ne fonctionnait pasFootnote 22.

Les modalités de traitement de la requérante auraient eu une incidence sur son statut d’invalidité

[33] Si la requérante avait respecté les recommandations de traitement, elles auraient eu une incidence sur son statut d’invalidité. Je dis cela parce qu’on ne s’attendait pas à ce que la requérante cesse de travailler pendant une longue période. En novembre 2016, le Dr Kheirani a dit qu’il donnait à la requérante un billet pour un congé de deux mois (vraisemblablement pendant que la requérante suivait ses recommandations de traitementFootnote 23). De plus, lorsque la Dre Moghadam a commencé à voir la requérante, la médecin était optimiste quant au fait qu’avec un traitement, la requérante pourrait retourner au travail. En novembre 2017, elle a écrit que sans le bon traitement, la requérante allait probablement être hospitalisée et son état se détériorerait encore plus. Elle a ajouté que la requérante bénéficierait probablement d’un congé [traduction] « temporaire » jusqu’à ce qu’elle soit plus apte sur le plan médical et mental à retourner travaillerFootnote 24.

Le non-respect des recommandations n’a pas été expliqué de façon raisonnable

[34] Lors de sa première audience en août 2019, la requérante a été interrogée sur les problèmes de respect des recommandations. Dans sa réponse, la requérante a surtout mis l’accent sur les effets secondaires des médicaments. Elle a dit, par exemple, que le médicament (sans préciser lequel) lui donnait l’impression d’être un zombie, lui faisait ressentir de la fatigue et la laissait sans énergie ni capacité de concentration. Comme la réponse de la requérante met surtout l’accent sur les effets secondaires du médicament, je vais les examiner en premier.

[35] Je ne crois pas que le non-respect des recommandations sur la prise de médicaments s’explique raisonnablement par des effets secondaires.

[36] La requérante a eu des problèmes à prendre les médicaments comme prescrits dès sa première consultation avec le Dr Kheirani. De plus, elle n’a pas toujours mentionné les effets secondaires pour expliquer le non-respect des recommandations. Par exemple, lorsque le Dr Fagbuyi lui a prescrit 30 mg de mirtazapine, la requérante a cessé de le prendre après seulement deux jours. Elle a simplement dit à sa médecin de famille qu’elle n’était pas à l’aise avec les recommandations du Dr Fagbuyi. Cela m’amène à me demander si les effets secondaires sont une explication sincère. Certaines des choses que la requérante a dites en réponse aux suggestions de ses médecins appuient ma préoccupation. Par exemple, lorsque la Dre Moghadam a appris que la requérante prenait du Cipralex et du Trazadone de façon irrégulière parce qu’ils lui donnaient l’impression d’être [traduction] « amorphe », la Dre Moghadam a offert de plutôt lui prescrire du Wellbutrin. La requérante a refusé d’essayer le Wellbutrin et a plutôt choisi de recommencer à prendre du CipralexFootnote 25. Si la requérante avait ressenti des effets secondaires de façon à ce qu’ils causent un problème relatif au respect des recommandations, je me serais attendu à ce qu’elle essaie un autre médicament avant de décider de reprendre l’un des médicaments qui, selon ses dires, causait des effets secondaires.

[37] Au cours de l’audience ayant eu lieu en août 2019, la requérante a aussi mentionné qu’elle n’avait pas aimé la façon dont le Dr Fagbuyi lui parlait. Elle a dit, par exemple, que lorsqu’elle a essayé de parler au Dr Fagbuyi de tous les symptômes qu’elle éprouvait après avoir pris les médicaments, il a dit quelque chose comme : [traduction] « C’est moi le médecin. Vous n’en savez pas plus que moi. Prenez les médicaments. Sinon, ne venez pas me voir. »

[38] Je ne serais pas surprise si le Dr Fagbuyi exprimait une certaine frustration à l’égard du non-respect des recommandations de la part de la requérante, mais je me demande s’il a parlé à la requérante comme elle l’a décrit et si ses propos visaient à répondre aux préoccupations soulevées par la requérante au sujet des effets secondaires des médicaments. Le dossier comporte de nombreuses mentions où la requérante décrit plusieurs praticiennes et praticiens comme manquant de gentillesse ou étant insensibles à son égard. J’ai de la difficulté à croire que toutes ces personnes ont agi comme elle le prétend. Par exemple, la requérante a dit à la Dre Moghadam que le Dr Kheirani n’était pas gentil avec elle et qu’elle a donc refusé de faire un suivi auprès de luiFootnote 26. Elle a aussi dit qu’une conseillère en santé mentale (une femme qu’elle a consultée avant Mme Jaswal) ne semblait pas se soucier d’elleFootnote 27. Quant à Mme Jaswal, la requérante a dit qu’elle n’était pas gentille avec elle et qu’elle ne la traitait pas comme une personne maladeFootnote 28. Toutes ces descriptions me poussent à me demander si la requérante a exagéré en décrivant ses rencontres ou si une mauvaise perception a autrement déformé ses récits. Si le deuxième scénario est le bon, je me demande si les consultations psychologiques lui auraient été utiles.

[39] Je sais que lorsque le Dr Fagbuyi a vu la requérante pour la dernière fois en juin 2019, il a dit que les difficultés liées au mariage sont le principal problème et qu’une approche axée sur la recherche de solutions serait la voie à suivre, car il n’était pas certain qu’un médicament modifierait ce que la requérante ressentFootnote 29. Le problème pour moi, c’est que je ne sais pas si les difficultés liées au mariage étaient le principal problème touchant la santé mentale de la requérante en décembre 2017 (à la fin de sa PMA). J’hésite donc à déduire que les médicaments auraient été inutiles même si elle avait suivi les recommandations médicales plus tôt, à l’époque de sa PMA. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas de difficultés conjugales au moment de la PMA. Je dis simplement que je sais qu’ils ont contribué de façon importante à l’invalidité de la requérante à ce moment-là. En effet, la preuve médicale montre que les problèmes de santé mentale de la requérante se sont progressivement aggravés après octobre 2017 (lorsque la requérante a rencontré la Dre Moghadam pour la première foisFootnote 30). Je remarque également qu’en novembre 2016, la requérante a dit au Dr Kheirani qu’elle avait généralement une bonne relation avec son épouxFootnote 31. En avril 2018, la requérante a dit à la Dre Dhar qu’elle avait un bon mari, mais elle a mentionné qu’il lui faisait des commentaires négatifsFootnote 32.

[40] La représentante de la requérante a fourni une liste d’éléments à considérer, car, selon elle, ils constituent une explication raisonnable du non-respect des recommandations de la part de la requérante. La liste inclut des obstacles financiers, la crainte de la requérante de développer une dépendance, des problèmes culturels, dont la honte entourant la maladie mentale, l’incapacité de la requérante de quitter son domicile en raison de l’anxiété sociale et de l’agoraphobie, la méfiance de la requérante à l’égard des médecins, les obstacles linguistiques, les problèmes logistiques liés à la continuité des soins (les médecins déménagent et ferment les dossiers) ainsi que le trouble de stress post-traumatique dont la requérante est atteinte depuis longtemps et la façon dont il pourrait l’amener à prendre des décisions irrationnelles.

[41] Je n’ai pas de preuve indiquant que le non-respect des recommandations est attribuable à des obstacles financiers. La preuve médicale indique qu’au moins deux médecins (le Dr Kheirani et la Dre Dhar) ont rempli des formulaires (Plan G) pour que la requérante puisse se faire rembourser ses médicaments. De plus, rien n’indique dans le dossier que la requérante a dû payer pour les séances de thérapie qui lui ont été offertes.

[42] Pour ce qui est de la crainte de développer une dépendance, je remarque que, lorsque la requérante a rencontré la Dre Moghadam pour la première fois en 2017, elle lui a dit qu’elle ne prenait pas les médicaments prescrits par le Dr Kheirani parce qu’un médecin d’une clinique sans rendez-vous lui avait dit que les médicaments pouvaient créer une dépendance. Je n’ai pas de preuve de la clinique sans rendez-vous indiquant qu’on a découragé la requérante de prendre les médicaments qui lui avaient été prescrits. Si les choses se sont passées comme le dit la requérante, je trouve curieux qu’elle ait préféré les conseils d’un médecin sans rendez-vous (qui vraisemblablement ne la connaissait pas) à ceux du psychiatre qui a effectué une évaluation complète. Quoi qu’il en soit, la Dre Moghadam a déclaré qu’elle a insisté sur l’importance de suivre les recommandations des médecins, y compris la prise de médicaments, et que la requérante a promis de respecter les recommandations formulées. Il semble que la requérante n’a pas parlé aux spécialistes qui la traitaient de toute autre préoccupation liée à la dépendance.

[43] Pour ce qui est des autres considérations, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un regroupement d’explications possibles qui pourraient contribuer au fait qu’une requérante ou un requérant ne suive pas les recommandations de ses médecins. La preuve montrant que l’une ou l’autre de ces raisons était les véritables raisons pour lesquelles la requérante ne respectait pas les recommandations est mince. Comme je l’ai mentionné plus tôt, lorsque la requérante a été interrogée sur le problème de respect des recommandations lors de l’audience tenue en août 2019, elle a mis l’accent sur les effets secondaires des médicaments. Je trouve important le fait que les praticiennes et praticiens qui traitaient la requérante (la Dre Moghadam, le Dr Fagbuyi et Mme Jaswal) aient tenu une réunion conjointe avec elle en mars 2019 pour discuter de ses objectifs et de ses attentes ainsi que de l’importance de l’observation des traitements pharmacologiques et non pharmacologiques. Le résumé de cette réunion ne donne pas à penser que les praticiennes et praticiens ont conclu que le respect du traitement était une attente irréaliste pour la requérante, compte tenu de sa situation. En fait, la Dre Moghadam a écrit que la requérante a accepté de continuer à voir Mme Jaswal et de faire un suivi auprès du Dr Fagbuyi et d’elle-même (la Dre Moghadam) au sujet de ses médicaments.

[44] Enfin, la représentante de la requérante soutient que je devrais appliquer la décision BulgerFootnote 33. Elle fait valoir que la décision confirme la proposition voulant que le respect des recommandations doit être considéré en tenant compte du contexte de la situation de la requérante et qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale s’engagent dans des programmes de traitement avec le même enthousiasme, la même régularité et la même attitude positive que les personnes qui se remettent d’une fracture ou d’un traumatisme.

[45] La décision Bulger a été rendue par la Commission d’appel des pensions (CAP). À proprement parler, elle n’a donc pas un caractère obligatoire pour moi. Je l’ai cependant examinée attentivement. Je vois deux grandes différences à souligner dans la décision Bulger. Premièrement, elle concerne une femme qui souffrait de fibromyalgie. C’est pour tenir compte de la fibromyalgie que la CAP a assoupli les exigences de respect des recommandations. La CAP a écrit qu’on ne peut pas s’attendre à ce que « les personnes qui souffrent de fibromyalgie et de douleurs diffuses constantes, qui manquent de sommeil et d’énergie et qui se sentent désespérées et déprimées » suivent des programmes de traitement avec le même enthousiasme et la même régularité que les personnes qui se remettent d’une fracture ou d’une blessure infligée dans un accident. Dans la présente affaire, la requérante n’est pas atteinte de fibromyalgie et n’a reçu aucun autre diagnostic de douleur chronique à l’époque de sa PMA. Deuxièmement, la requérante dans la décision Bulger a été en mesure de démontrer qu’elle avait abandonné les programmes de traitement seulement après qu’ils ont semblé n’apporter aucune amélioration ou, dans certains cas, lorsque son état s’est réellement aggravé. Dans la présente affaire, je n’ai pas suffisamment d’éléments de preuve pour affirmer que la requérante a respecté ses recommandations de traitement assez longtemps pour montrer que les traitements n’ont apporté aucune amélioration ou qu’ils ont aggravé ses symptômes.

La preuve médicale est insuffisante pour montrer que l’anémie aurait empêché la requérante de travailler au plus tard à la fin de la PMA

[46] En mai 2018, la requérante a écrit que l’anémie la mettait dans un état d’épuisement constant, de sorte qu’elle serait incapable de remplir les exigences d’un emploi physiqueFootnote 34. Le problème pour moi, c’est que l’anémie n’était pas un nouveau problème de santé et que la requérante avait démontré par le passé (bien avant sa PMA) qu’elle pouvait occuper des emplois exigeants sur le plan physique malgré l’anémie. Elle y arrivait en dépit du fait qu’elle a passé de nombreuses années sans prendre ses suppléments de fer. En avril 2018, la Dre Moghadam a écrit que la requérante présente une anémie par carence de fer depuis longtemps, mais qu’elle ne prenait pas les suppléments de fer depuis de nombreuses années parce qu’elle n’avait pas les moyens de les payerFootnote 35.

[47] Certains éléments de preuve laissent croire que le coût des suppléments de fer a peut-être été remboursé parce qu’en avril 2018, la Dre Dhar a fait un lien entre l’anémie et l’humeur de la requérante et a dit qu’elle remplirait le formulaire du Plan G. En effet, en décembre 2018, il est écrit que la requérante devait recevoir des injections, car le traitement oral était inefficaceFootnote 36. Cela m’indique que la requérante a probablement commencé à prendre les médicaments par voie orale après avril 2018, mais aussi qu’il y avait une autre modalité de traitement (par injection) qui aurait pu être envisagée si le coût des médicaments était demeuré prohibitif.

L’employabilité de la requérante est limitée

[48] J’ai tenu compte de l’âge, du niveau d’instruction, des aptitudes linguistiques, des antécédents de travail et de l’expérience de vie de la requérante. La prise en compte de ces facteurs garantit que le critère relatif à la gravité est évalué dans un contexte réalisteFootnote 37.

[49] Je reconnais que l’employabilité de la requérante dans un contexte réaliste est limitée. Même si elle était relativement jeune (46 ans) au moment de sa PMA, elle a peu d’instruction (3e ou 6e annéeFootnote 38), elle est incapable de lire ou d’écrire en anglais (mais elle parle anglais, français et arabeFootnote 39) et elle a effectué seulement des tâches physiques comme faire du ménage, garder des enfants et offrir un service de garde. Toutefois, malgré ces caractéristiques, je ne suis toujours pas en mesure de conclure que l’incapacité de la requérante était grave le 31 décembre 2017. Lorsque la médecin de famille de la requérante l’a rencontrée pour la première fois, elle a précisé que le traitement aiderait probablement la requérante de sorte qu’elle puisse retourner travailler. Comme je l’ai expliqué plus haut, la requérante n’a pas suivi les recommandations de traitement.

Invalidité prolongée

[50] Comme j’ai conclu que l’invalidité de la requérante n’était pas grave au plus tard le 31 décembre 2017, il n’est pas nécessaire que j’évalue si elle était prolongée.

Conclusion

[51] L’appel est rejeté.

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