Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] La requérante est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) payable à partir de novembre 2017.

Aperçu

[2] La requérante a 41 ans. Elle habite avec son époux, B. A. Ce dernier a une fille de 10 ans dont ils ont la garde égale. Entre août 1999 et avril 2014, la requérante a travaillé pour Bell Aliant à temps plein. Elle a fait l’essentiel de sa carrière au centre d’appels, mais a occupé un poste de technicienne pendant les dernières années, ce qui était exigeant sur le plan physique. Ses fonctions supposaient notamment qu'elle installe des câbles à fibre optique. Elle avait cessé de travailler à cause d’une importante douleur aux brasNote de bas de page 1. Elle a brièvement occupé un emploi sédentaire, mais cette dernière tentative s’est soldée par un échec comme elle était incapable d’utiliser ses bras.

[3] La requérante affirme que son état de santé l’empêche de travailler depuis avril 2014Note de bas de page 2. À partir de 2016, elle avait fait un travail à temps partiel en vente multiniveau, depuis chez elle. Ce travail ne lui a cependant procuré aucun revenu depuis 2019. En janvier 2020, elle a aussi essayé de reprendre un emploi dans un centre d’appels, en vain. Le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité le 1er septembre 2017. Il a rejeté cette demande une première fois et après révision. La requérante a fait appel de la décision de révision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[4] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, la requérante doit remplir les conditions énoncées dans le RPC. Plus précisément, elle doit être considérée comme invalide, au sens du RPC, à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant cette date. La PMA est établie en fonction des cotisations versées au RPC. Je constate que la PMA de la requérante prend fin le 31 décembre 2019.

Questions en litige

[5] La requérante était-elle atteinte d’une invalidité grave le 31 décembre 2019?

[6] Si tel est le cas, son invalidité était-elle aussi de nature prolongée en date du 31 décembre 2019?

Analyse

[7] Une personne est considérée comme invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas de page 3. Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès. La requérante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité présente ces deux caractéristiques. Si elle n’en présente qu’une seule, elle ne sera pas admissible à la pension.

La requérante était-elle atteinte d’une invalidité grave le 31 décembre 2019?

[8] Pour les raisons qui suivent, la requérante était atteinte d’une invalidité grave depuis juillet 2017.

[9] Dans ses observations, le ministre s’attarde surtout à expliquer pourquoi chacun de ses problèmes n’est pas forcément invalidant. Néanmoins, je dois examiner les problèmes de la requérante d’un point de vue global. Autrement dit, je dois considérer l’ensemble de ses détériorations, et pas seulement la détérioration la plus importante ou la détérioration principaleNote de bas de page 4. La requérante recense de nombreux problèmes de santé : épicondylite latérale (aussi appelée coude du joueur de tennis et tendinite) aux deux bras, syndrome de la douleur chronique, endométriose, anxiété, dépression, et tachycardie (fréquence cardiaque élevée). Elle a subi huit opérations de l’endométrioseNote de bas de page 5. Cela dit, cette affection est maintenant moins problématique; elle s'est améliorée après l’arrêt du travail de bureau. Ses autres problèmes médicaux, eux, perdurent malheureusement. Elle est principalement affectée par l’épicondylite, mais elle souligne aussi le sérieux de sa douleur chronique.

[10] Par ailleurs, le caractère grave de son état doit être évalué dans un contexte réalisteNote de bas de page 6. Ainsi, pour décider si l’invalidité de la requérante est grave, je dois  tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. La requérante avait 41 ans à l’échéance de sa PMA. Elle parle parfaitement l’anglais. Elle a terminé le secondaire et a fréquenté l’université pendant deux ans. Elle a occupé plusieurs emplois en plus d’avoir travaillé dans le centre d’appels et comme technicienne d’installation chez Bell Aliant. Elle avait transcrit des messages pour un service de recherche de personne. Pendant quelques années, elle avait occupé un poste de vente à la commission pour les produits capillaires Monat Global (Monat). Comme étudiante, elle avait travaillé dans un cinéma. Elle avait travaillé pour une agence de logement où elle était affectée à l’entretien et à la réparation. Elle avait aussi travaillé avec des adultes ayant des besoins particuliers. Indépendamment de ses problèmes de santé, je juge que ses aptitudes lui permettraient d’occuper un large éventail d’emplois du secteur des services. Je pense notamment à des emplois en centre d’appels et à des postes plus conventionnels dans le commerce du détail. Son profil convient également à certains emplois manuels, comme ceux qui nécessitent des réparations et des installations de façon répétitive. Elle pourrait assumer différents rôles sans nécessiter beaucoup de formation.

[11] J’ai été impressionné par le témoignage de la requérante et de son époux. Un tableau clair en est ressorti : elle était auparavant une personne active et engagée, qui adorait travailler et s’impliquer dans tous les aspects de sa vie. Cependant, la douleur à ses bras était vie apparue après le début de son emploi d’installation, physiquement exigeant. Elle avait été incapable de continuer à le faire. Sa vie sociale et sa vie de famille avaient été affectées. Cette version des faits est corroborée par la preuve médicale objective de spécialistes comme le docteur Hewins (orthopédie)Note de bas de page 7. Son retour au travail en janvier 2020 avait suscité un espoir et un enthousiasme sincères chez elleNote de bas de page 8. Je traiterai de cette tentative plus tard.

[12] J’admets que la requérante est incapable de procéder à l’installation de câbles depuis qu’elle a quitté Bell Aliant en 2014. Elle avait subi une opération effractive aux deux bras peu après son départ. Ses médecins traitants ont affirmé à maintes reprises qu’elle ne pouvait pas faire un travail aussi exigeant d’un point de vue physique. En mai 2017, le docteur Hewins estimait qu’elle était inapte à tout travail manuelNote de bas de page 9. En mai 2019, le docteur Livingstone (omnipraticien) a accepté une évaluation de 2018 selon laquelle la requérante ne reprendrait jamais son ancien emploiNote de bas de page 10. En novembre 2019, le docteur Hewins a confirmé son opinion passéeNote de bas de page 11.

[13] Cela dit, l’inaptitude de la requérante à réintégrer son ancien poste ne permet pas de conclure à une invalidité grave. La gravité de l’invalidité n’est pas fondée sur l’incapacité d’une personne d’occuper son emploi habituel, mais plutôt sur son incapacité d’effectuer une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 12. Je vais maintenant examiner les problèmes médicaux et les limitations fonctionnelles de la requérante.

Affections et limitations fonctionnelles actuelles de la requérante

[14] La requérante a eu d’importants problèmes aux bras. En plus des traitements de physiothérapie, de massothérapie et d’acupuncture, d’injections et d’attelles, elle a subi trois opérations depuis qu’elle a quitté Bell Aliant. Des désinsertions musculaires ont été pratiquées à son coude droit en 2015 et à son coude gauche en 2016 pour traiter l’épicondylite latéraleNote de bas de page 13. Son coude gauche a développé une dangereuse infection après l’opération initiale de 2016, et elle avait dû être opérée d’urgence au même coude seulement trois semaines plus tardNote de bas de page 14. Elle craignait de perdre son bras.

[15] La requérante ne peut pas maintenir ses bras dans une seule position. Des douleurs cuisantes la réveillent la nuit. L’état de son bras droit ne s’est ni amélioré ni aggravé depuis l’opération. Son bras gauche est cependant dans un pire état qu’avant, comme l’infection a causé des dommages irréversibles. En guise de traitement, elle reçoit principalement des injections au bras droit. Celles-ci ne l’aident habituellement qu’un peu. Le docteur Hewins ne peut administrer d’injections à son bras gauche à cause de l’infection passée. Elle ressent tous les jours une douleur chronique au bas du dos, à l’articulation sacro-iliaque, aux haches, aux épaules, aux genoux et aux pieds. Son anxiété et sa dépression se sont accentuées, bien qu’une modification récente de sa médication semble l’avoir aidée. À cause de son trouble cardiaque, elle souffre de douleur à la poitrine, de palpitations et d’essoufflement. Heureusement, ce problème semble bien maîtrisé grâce aux médicaments.

[16] La requérante est aux prises avec des limitations fonctionnelles considérables. Elle affirme que ses problèmes de santé ont eu des conséquences importantes sur ses interactions sociales, sa routine, son sommeil, sa mobilité et son équilibre. Elle a de la difficulté à rester debout ou assise longtemps, à s’accroupir, à taper au clavier, et à faire des gestes répétitifs nécessitant d’étendre le bras, ou de soulever, pousser ou tirer des objets. Ses problèmes de santé ont eu un effet modéré sur ses soins personnels et sa stabilité émotionnelle. Sa douleur se manifeste quand elle manipule des documents, utilise une souris et écrit au stylo.

[17] La requérante a besoin de se reposer fréquemment. Elle n’arrive souvent pas à dormir tant elle a mal aux bras. Il lui est donc difficile d’être alerte. Elle est incapable de faire la lessive parce que le panier est trop lourd. Son époux a acheté une fontaine réfrigérante pour l’eau parce qu’elle est incapable de prendre une cruche d’eau conventionnelle dans ses mains. Il fait la plupart des tâches ménagères et l’aide parfois à laver ses cheveux. Comme leur budget est serré, il fait aussi des heures supplémentaires et vend les œufs de leurs poules. Elle est incapable de transporter un sac de moulée de 5 kg pour nourrir les poules. Si le temps est mauvais ou si elle a mal dormi, il lui faut annuler ses plans. Elle dort souvent durant la journée, mais il arrive qu’elle prépare le souper si sa journée s’est bien passée. Cela dit, elle n’a qu’une ou deux bonnes journées par semaine. Si elle en fait trop, elle est incapable de fonctionner le lendemain. Ces limitations persistent en dépit des injections qu’elle reçoit régulièrement. 

[18] À cause de ses limitations, la capacité de travail de la requérante est faible, voire nulle. Sa tentative de travail en janvier 2020, dans un centre d’appels, l’a d’ailleurs démontré. Elle avait commencé une formation rémunérée le 13 janvier. Elle avait dû manquer la moitié de cette première journée pour recevoir une injection. Son époux a dit qu’elle pleurait et qu’elle devait aller au lit après chaque journée de travail. Elle était incapable de bouger ses bras. Cependant, elle avait tellement mal qu’il lui était aussi difficile de dormir.

[19] La requérante a dit que la formation nécessitait essentiellement qu’elle reste assise dans une salle, écrive un peu, utilise une souris et tape. Elle n’avait toléré que neuf jours. Elle a démissionné le 23 janvier 2020 : ce matin-là, elle avait été incapable de bouger ses bras en se réveillant.

[20] E. R. a aussi participé à cette formation. Elle a confirmé cette version des faits. E. R. a dit que la requérante avait extrêmement mal en utilisant la souris et le clavier. Elle avait vu quotidiennement la requérante aller prendre ses médicaments à l’écart. La requérante lui avait confié que l’injection de cortisone du 13 janvier n’avait aucunement apaisé sa douleur. E. R. avait essayé de l’aider; elle avait pris des notes et ajusté son poste de travail, mais la requérante avait tout de même été incapable de poursuivre le travail. Je vais maintenant traiter des limitations de la requérante et de sa capacité de travail à compter du milieu de 2017Note de bas de page 15.

Limitations et capacité de travail depuis le milieu de 2017

[21] La capacité de travail de la requérante est négligeable depuis le milieu de 2017. En août 2017, elle rapportait qu'elle avait mal aux bras tous les jours. Faire des mouvements répétitifs ou soulever des objets exacerbait sa douleur. Elle ne dormait pas et se réveillait maintes fois à cause de la douleur dans ses bras, qui restaient dans la même position durant son sommeil. Elle avait de la difficulté à prendre et à transporter des sacs. Elle a mal aux bras en faisant sa toilette, notamment en brossant ses cheveux ou ses dents. Si elle conduit, ses bras lui font mal en 20 minutes, au plus. Elle pouvait seulement faire des tâches ménagères (comme aspirer, éplucher des légumes ou faire la lessive) en petites étapesNote de bas de page 16. En octobre 2017, le docteur Hewins a noté un gonflement et une sensibilité aux deux coudes, et une force de préhension faible aux deux brasNote de bas de page 17.

[22] La preuve révèle que l’état de santé de la requérante s’était aggravé vers le milieu de 2017, et que sa santé avait nui à sa capacité de travail. En avril 2017, après l’opération, elle a rapporté une légère amélioration des symptômes à son bras droit, mais une amélioration négligeable au bras gaucheNote de bas de page 18. En octobre 2017, le docteur Hewins a dit croire qu’elle avait atteint son rétablissement maximal.Note de bas de page 19 En novembre 2019, le docteur Hewins a rapporté une résurgence importante des symptômes à ses deux bras depuis le début 2017; en mai 2018, son état était redevenu comparable à son état préopératoire. En janvier 2020, un ergothérapeute avait dit que les capacités fonctionnelles de la requérante s’étaient détériorées depuis les évaluations menées en novembre 2016 et en août 2017Note de bas de page 20.

[23] Certains éléments de preuve donnent à penser que la requérante était peut-être incapable de travailler avant le milieu de 2017. Néanmoins, son travail pour Monat en 2016 et 2017 m’empêche de considérer plus sérieusement cette possibilité.

Le travail pour Monat empêche de conclure à invalidité grave avant la fin 2017

[24] La requérante a affirmé que des pressions financières l’avaient forcée à envisager un emploi à temps partiel, après que son assurance invalidité ait mis fin à ses indemnités. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée chez Monat, une compagnie qui vend ses produits grâce à un système de vente multiniveau. La requérante touchait une commission pour chaque produit qu’elle vendait. Elle touchait aussi une commission pour les produits vendus par ses « associés », qui relevaient d’elle. Voici ce qu’elle a gagné entre juin 2016 et octobre 2018 grâce à MonatNote de bas de page 21 :

Année Ventes totales   Ventes personnelles Ventes réseau Mois d’activité
2016 10 070,08 $ 1616,14 $ 8453,94 $   Juin à sept. seulement
2017   15 224,29 $ 2714,66 $ 12 509,63 Année entière
2018 3228,49 $  548,32 $ 2 680,17 $ Jusqu’à la mi-octobre seulement

[25] La requérante a seulement commencé à travailler pour Monat en juin 2016, mais son revenu, proportionnellement, aurait pu être de 17 260 $ si elle avait travaillé l’année entière. En 2017, son revenu n’a pas été réparti de façon égale toute l’année.Note de bas de page 22 Elle a gagné 9075 $ les six premiers mois, puis seulement environ 6150 $ le reste de l’année. Pour les six premiers mois, son taux de rémunération annuel était donc de 18 000 $. Pour récompenser ses efforts, Monat lui avait offert des voyages à Las Vegas (octobre 2017) et à Toronto (2018) afin d’assister à des conférencesNote de bas de page 23. Cependant, ses ventes et sa commission ont vite ralenti après 2017, comme en témoigne son revenu nul en 2019.

[26] Le revenu de la requérante de juin 2016 à juin 2017 était assez élevé pour être considéré comme véritablement rémunérateur. Selon le Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Règlement), une occupation qui est « véritablement rémunératrice » procure un revenu égal ou supérieur à la somme annuelle maximale qu’une personne peut recevoir à titre de pension d’invalidité. En 2016, le montant maximal d’une pension d’invalidité du RPC était de 15 489,72 $. En 2017, ce montant était établi à 15 763,92 $Note de bas de page 24. Comme le revenu de la requérante était supérieur au seuil véritablement rémunérateur de juin 2016 à juin 2017, je ne peux pas conclure qu’elle était atteinte d’une invalidité à cette époque.

[27] La requérante affirme que son travail pour Monat ne devrait pas influencer la question de savoir si elle avait une invalidité « grave ». Elle dit qu’elle avait fait ce travail parce qu’elle était incapable de respecter un horaire, qu’elle avait le soutien de la personne qui l’avait enrôlée, et qu’il lui fallait seulement passer 30 minutes par jour sur Facebook. Les exigences n’étaient pas comparables à celles d’un « vrai » travail : les ventes des autres généraient la majeure partie de son revenu. Même si les chiffres d’affaires appuient ce propos, il demeure qu’elle avait enrôlé et soutenu les vendeurs des échelons inférieurs. C’est là l’essence de la vente multiniveau : les bénéfices proviennent notamment d’un réseau de vente lucratif. Cette proposition est valable pour tout exploitant qui veut former une bonne équipe de vente. Selon le Règlement, la définition de « véritablement rémunératrice » est fondée sur le revenu, et non le nombre d’heures travaillées. Une décision de 2007 de la Commission d’appel des pensions va en ce sens. La Commission a, en effet, conclu que le revenu tiré de la vente multiniveau peut donner lieu à une occupation véritablement rémunératrice, même si la requérante ne travaillait pas beaucoupNote de bas de page 25.

[28] La requérante a dit que le revenu de son travail pour Monat était faible en comparaison à son salaire chez Bell Aliant. Cependant, son salaire chez Bel Aliant n’a rien à voir avec la question de savoir si son occupation chez Monat était « véritablement rémunératrice ». Il n’est pas nécessaire que le revenu gagné grâce à Monat soit comparable à son ancien revenu. Il importe plutôt de savoir si ce travail lui permettait de gagner la rémunération minimale par le Règlement.

Le travail pour Monat après juin 2017 n’exclut pas une conclusion d’invalidité grave

[29] Même si la requérante a continué de toucher un revenu grâce à Monat après juin 2017, son montant avait considérablement diminué et était tombé sous le seuil d’une occupation véritablement rémunératrice. Cette baisse pourrait en partie être attribuée à l’effritement de la nouveauté et de l’engouement initial entourant la marqueNote de bas de page 26. Il semble aussi que des problèmes liés aux produits aient fait surface, et il était difficile d’enrôler de nouvelles personnes. La requérante avait cependant confié à un évaluateur, en janvier 2020, qu’elle avait [traduction] « vraiment fait son possible », mais qu’elle avait [traduction] « fini par ne plus faire d’argent »Note de bas de page 27. Elle a aussi déclaré qu’elle était incapable de consacrer beaucoup d’efforts à son travail pour Monat en 2017 et 2018Note de bas de page 28.

[30] Compte tenu des limitations avec lesquelles composait la requérante à partir du milieu de 2017, je suis convaincu qu’elle était incapable de gagner une rémunération supérieure à celle qu’elle avait obtenue. Un travail en ventre multiniveau, à la maison, était essentiellement le seul travail qu’elle pouvait faire. Dès que cette occupation ne pouvait plus lui être véritablement rémunératrice, son invalidité est devenue grave. La baisse de son revenu et l’échec de son retour au travail en 2020 corroborent cette conclusion.

[31] Je note que la requérante a assisté à deux conférences après juin 2017. Ces voyages avaient été payés par Monat pour la féliciter de son rendement. Elle a confirmé que la conférence de Las Vegas n’avait duré que trois jours, et qu’elle avait spontanément décidé d’épouser son époux alors qu’elle était là-bas. La cérémonie avait duré 15 minutes. La conférence de Toronto avait seulement compris deux nuitées. Elle ne participait aux conférences que de façon passive et écoutait simplement les présentations. Son époux l’avait accompagnée aux deux conférences et avait transporté ses bagages. Elle dit qu’elle n’aurait pas pu voyager seule. Elle avait pris des antidouleurs lors des deux voyages. Elle n’a fait aucun autre voyage depuis 2014. Il lui est difficile de voyager puisqu’elle doit prévoir des moments pour se reposer et s’allonger. Compte tenu de tout ce qui précède, j’accepte que ces deux conférences ne révèlent pas une capacité de travail. Je vais maintenant commenter brièvement les observations du ministre.

Commentaires sur les observations du ministre

[32] Le ministre se fonde sur l’évaluation des capacités fonctionnelles faite par madame Landry en 2017. Néanmoins, je ne trouve pas que les observations et les conclusions contenues dans ce rapport sont persuasives. Ce rapport a été produit avant que la requérante ne soit atteinte d’une invalidité grave, et j’ai constaté que son état s’était aggravé au fil du tempsNote de bas de page 29. Le ministre laisse aussi entendre que certaines améliorations pourraient être possibles grâce aux recommandations de 2018 du docteur Boucher. La requérante a abordé ce sujet durant l’audience. Elle a notamment dit qu’elle avait déjà participé à un programme multidisciplinaire de gestion de la douleur pour la grave douleur générée par son endométriose. Le programme ne l’avait pas aidée : elle avait seulement appris à prendre son temps. Le docteur Livingstone n’avait pas recommandé la poursuite d’un tel programme, et il aurait su qu’elle en avait déjà essayé un. Le docteur Livingstone connaissait les recommandations du docteur Boucher, et la requérante peut se fier à son jugement quant aux recommandations à suivre. Elle a affirmé qu’elle avait essayé tous les traitements recommandés par ses médecins traitants.

[33] Enfin, certaines observations se rapportent au retour au travail que la requérante allait tenter en 2020. Le ministre ne savait pas encore que cette tentative échouerait. Je juge que c’est davantage un désir de travailler qu’une réelle capacité de travail qui a motivé cette tentative. Il est ressorti très clairement des témoignages de la requérante et de son époux qu’elle aurait gardé cet emploi si elle en avait été capable.        

Conclusions sur la gravité

[34] Bien que la requérante avait une certaine capacité de travail, celle-ci se limitait à la vente multiniveau qu’elle faisait pour Monat. Dans un contexte réaliste, elle était incapable d’occuper tout autre genre d’emploi. Elle ne pouvait travailler que brièvement et dépendait de sa [traduction] « marraine » quand ses symptômes empiraient. Quand son travail pour Monat n’a plus constitué une occupation véritablement rémunératrice, son invalidité est devenue grave. Comme son revenu est tombé sous le seuil véritablement rémunérateur après juin 2017, je conclus que son invalidité est devenue grave en juillet 2017.

La requérante était-elle atteinte d’une invalidité prolongée en date du 31 décembre 2019?  

[35] La requérante n’a pas laissé entendre que son invalidité devait entraîner vraisemblablement son décès. Son invalidité n’est donc prolongée que si elle est susceptible de durer pendant une période longue et continue.

[36] À l’audience, la requérante a affirmé que ses symptômes étaient constamment présents et que son état s’était progressivement aggravé. Elle estime avoir fait tout ce qu’elle pouvait faire pour améliorer son état, et il lui était simplement impossible de reprendre un emploi, quel qu’il soit. Elle avait essayé toutes les options de traitement sans connaître d’amélioration. Son traitement actuel lui procure un certain soulagement, mais aucune amélioration du point de vue fonctionnel. Le docteur Hewins hésite à la soumettre à d’autres opérations comme les interventions passées n’avaient pas porté fruit, et que l’une d’elles avait causé une dangereuse infection.

[37] La requérante évalue son propre état d’une façon qui concorde avec les opinions formulées par les médecins qui la suivaient depuis longtemps. En novembre 2019, le docteur Hewins a affirmé que l’état de la requérante avait énormément régressé au début de 2017, et qu’elle était revenue à son état préopératoire en mai 2018. Le médecin comme la requérante étaient frustrés de ne pas avoir obtenu un meilleur résultat. Il estimait qu’un travail répétitif serait source de douleur pour la requéranteNote de bas de page 30.

[38] En mai 2019, le docteur Livingstone a affirmé que la douleur chronique, à elle seule, rendait tout emploi irréaliste pour la requérante. De plus, comme elle avait atteint son rétablissement maximal, son traitement visait désormais à améliorer le plus possible ses habiletés fonctionnelles et sociales. Le but était de l’aider à accomplir les activités de la vie quotidienne. L’opinion du docteur Livingstone était basée sur le rapport de 2018 du docteur Boucher, qu’il considérait comme un spécialiste en algologieNote de bas de page 31. Même en 2017, le docteur Livingstone avait dit que la requérante avait une invalidité permanenteNote de bas de page 32.

[39] Compte tenu de ce qui précède, j’admets que l’invalidité de la requérante doit vraisemblablement durer pendant une période longue et continue. J’admets également que cela est le cas depuis que son invalidité est grave. Elle était donc atteinte d’une invalidité prolongée depuis juillet 2017.

Conclusion

[40] La requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en juillet 2017. Les prestations sont versées à compter du quatrième mois suivant la date d’invalidité, soit à partir de novembre 2017.Note de bas de page 33

[41] L’appel est accueilli.

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