Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – Le requérant a reçu un diagnostic de stress post-traumatique en 2012. Il a continué à exercer son emploi régulier jusqu’en février 2014, alors qu’il a pris une retraite anticipée. Il a occupé une série d’emplois à temps partiel, par intermittence, jusqu’en juin 2018, date à laquelle il a complètement cessé de travailler en raison de son état de santé. Il a alors présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Le ministre a jugé que le requérant était invalide à partir de juin 2018. Il a rejeté la demande de révision du requérant qui voulait faire débuter plus tôt la date de début de l’invalidité. La division générale (DG) a rejeté l’appel du requérant. Elle a conclu que le requérant avait la capacité de travailler jusqu’en juin 2018, date à laquelle il est devenu invalide au sens du RPC. La division d’appel (DA) a conclu que la DG avait commis une erreur de droit en ne n’appliquant pas le test juridique servant à déterminer si le requérant était invalide lorsqu’il a arrêté de travailler en février 2014.
Si la DG a pour tâche de décider de la date de début de l’invalidité, elle doit alors fournir une analyse exhaustive permettant d’établir si l’invalidité était grave à partir de cette date. Le fait de sauter cette analyse rend toute discussion sur les emplois du requérant incomplète. La DG n’a pas appliqué le test juridique requis. Le fait que le requérant a occupé une série d’emplois à temps partiel de façon intermittente de 2014 à 2018 ne dispense pas la DG d’évaluer la preuve relative aux problèmes de santé et aux limitations du requérant à cette époque. Une analyse complète de l’état de santé du requérant et de ses limitations est toujours nécessaire. Les emplois occupés de 2014 à 2018 démontrent une capacité résiduelle de travail. Cependant, la DA a constaté qu’il s’agissait d’une série de tentatives de travail qui ont finalement échouées en raison de l’invalidité du requérant. Le travail effectué représentait la capacité maximale du requérant. Cela ne démontrait pas l’existence d’une capacité de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La DA a accueilli l’appel et a rendu la décision que la DG aurait dû rendre. La DA a conclu que le requérant avait droit à une pension d’invalidité.

Contenu de la décision



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Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de droit. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : le requérant a droit à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) à compter de 15 mois avant la date de sa demande de pension d’invalidité, soit mars 2017. La pension est payable quatre mois plus tard, soit à partir de juillet 2017.

Aperçu

[2] G. P. (requérant) travaillait comme agent de correction. Il a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT) en 2012. Malgré les difficultés, il a continué d’occuper son poste régulier jusqu’à ce qu’il prenne une retraite anticipée en février 2014. Pour des raisons financières, il a occupé une série de postes à temps partiel de façon intermittente jusqu’en juin 2018, lorsqu’il a cessé de travailler complètement en raison de ses problèmes de santé.

[3] Il a demandé une pension d’invalidité du RPC, affirmant qu’il ne pouvait plus travailler en raison d’un TSPT, de l’anxiété et de l’hypertension. Le ministre a déclaré le requérant invalide en date de juin 2018. Le requérant a soutenu qu’il était invalide depuis février 2014, lorsqu’il a quitté son emploi régulier et pris sa retraite. Le ministre a rejeté la demande du requérant qui voulait faire réviser la date du début de son invalidité. Le requérant a appelé de la décision du ministre auprès du Tribunal. La division générale a rejeté son appel. Elle a conclu que le requérant était capable de travailler (quoique pas comme agent de correction) jusqu’en juin 2018, lorsqu’il est devenu invalide au sens du RPC.

[4] Je dois décider si la division générale a commis une erreur aux termes de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS). Si elle a bel et bien fait une erreur, je dois décider de quelle façon la corriger (de la réparation).

[5] La division générale a commis une erreur de droit. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : le requérant a droit à une pension d’invalidité à compter de 15 mois avant la date de sa demande, soit mars 2017. La pension est payable quatre mois plus tard, soit à partir de juillet 2017.

Question en litige

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère juridique pour décider si le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée à compter de février 2014?

Analyse

La révision des décisions de la division générale

[7] La division d’appel ne donne pas aux gens l’occasion de tenir une nouvelle audience pour débattre une autre fois de la cause en entier. En fait, la division d’appel révise la décision de la division générale pour décider si une erreur a été commise. Cette révision repose sur le libellé de la LMEDS, qui énonce les motifs pour en appeler à la division d’appel (aussi appelés « moyens d’appelNote de bas page 1 »). Si la division générale a commis une erreur de droit, cela peut constituer le motif d’un appelNote de bas page 2.

Une invalidité « grave » au sens du RPC

[8] Pour être admissible à une pension d’invalidité, le requérant doit avoir une invalidité grave au sens du RPC. Une personne ayant une invalidité grave est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas page 3. Pour évaluer la preuve concernant l’invalidité d’une requérante ou d’un requérant, la division générale tient compte de deux choses :

  • les antécédents de la personne (y compris son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie);
  • les problèmes de santé de la personne (ce qui implique l’évaluation de l’état de santé dans son ensemble — toutes les déficiences possibles qui pourraient nuire à la capacité de travailler)Note de bas page 4.

[9] La division générale examine également ce que la personne a fait pour gérer ses problèmes de santé et si elle a refusé un traitement de façon déraisonnableNote de bas page 5.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit?

[10] La division générale ne s’est pas appuyée sur le critère juridique pour décider si le requérant avait une invalidité grave au sens du RPC lorsqu’il a cessé de travailler comme agent de correction en février 2014. Elle devait tenir compte et discuter des problèmes de santé du requérant, de ses limitations fonctionnelles, de son traitement et de sa situation personnelle. La division générale a sauté une partie de cette analyse et a simplement pris la décision, en se fondant sur l’activité professionnelle du requérant de 2014 à 2018, que son invalidité n’était pas grave durant cette période.

[11] La division générale a décidé que le requérant avait la capacité de travailler et qu’en fin de compte, il ne satisfaisait pas au critère d’une invalidité grave aux termes du RPC à quelque moment que ce soit avant juin 2018Note de bas page 6. Pour en arriver à cette conclusion, il semble que la division générale se soit surtout appuyée sur les faits concernant le travail effectué par le requérant après qu’il a quitté son emploi d’agent de correction.

[12] La division générale a admis que le requérant ne pouvait plus effectuer son travail habituel et que son problème de santé et ses symptômes ont commencé avant qu’il quitte son emploi aux services correctionnels en 2014. La division générale a admis [traduction] « la preuve du requérant montrant qu’il souffre depuis (au moins) 2014. Toutefois, la souffrance du requérant n’est pas un élément fondamental du critère d’invaliditéNote de bas page 7 ».

[13] Ensuite, la division générale a analysé les activités professionnelles du requérant et elle a décidé que celles-ci démontraient une capacité de travail. Elle a résumé sa conclusion sur le travail du requérant comme ceci :

[traduction]
En examinant la capacité du requérant à obtenir et à conserver un emploi, à respecter un horaire de travail et à travailler à une fréquence constante dans un emploi rémunéré, j’ai conclu que le requérant avait une capacité continue d’exercer un emploi véritablement rémunérateur jusqu’à ce que ses problèmes de santé l’empêchent de continuer en juin 2018Note de bas page 8.

[14] Le requérant soutient que le travail qu’il a effectué de 2014 à 2018 n’était pas véritablement rémunérateur, que les mesures d’adaptation mises en place pour lui n’étaient pas [traduction] « mineures » et que son invalidité était grave en 2014, lorsqu’il a pris une retraite anticipée de son emploi dans le secteur correctionnel.

[15] Le ministre soutient que la division générale :

  • a énoncé correctement le critère relatif aux prestations d’invalidité dans la décision;
  • devait décider si on pouvait déclarer le requérant invalide à une date antérieure, alors que le ministre avait déjà conclu que le requérant avait une invalidité grave et prolongée depuis juin 2018;
  • a reconnu le [traduction] « fait non contesté » que le problème de santé, les symptômes et la souffrance du requérant sont apparus avant qu’il prenne sa retraite de son emploi régulier d’agent de correction;
  • s’est amplement appuyée (comme elle a le droit de le faire parce que le travail de la division générale consiste à soupeser la preuve) sur le rapport du Dr Hart, qui mentionnait que le requérant serait incapable de retourner travailler pour des raisons médicales à compter du 14 juin 2018, et ce, indéfiniment.

[16] Le ministre fait valoir que la division générale n’a commis aucune erreur en effectuant son analyse et qu’elle a examiné la preuve médicale ainsi que les limitations du requérant lorsqu’il travaillait.

[17] Pour décider si le requérant satisfaisait au critère avant juin 2018, on doit envisager le travail qu’il a effectué de 2014 à 2018 comme [traduction] « un facteur évident et important à considérer pour décider de sa capacité de travail malgré son problème de santé et ses symptômesNote de bas page 9 ».

[18] À mon avis, la division générale a commis une erreur de droit. Je suis d’accord avec le ministre : le rôle de la division générale était de décider si le requérant était invalide avant juin 2018. La division générale a énoncé correctement le critère relatif à la pension d’invalidité. Je conviens également que le travail effectué par le requérant de 2014 à 2018 était un facteur d’analyse évident et important.

[19] Cependant, si le travail de la division générale consiste à décider de la date du début d’une invalidité, elle doit faire une analyse complète de la gravité de l’invalidité à la date de début. Le fait de sauter l’analyse qui est décrite au paragraphe 8 ci-dessus rend insuffisante toute discussion de l’activité professionnelle du requérant. Par exemple, il se peut très bien qu’un requérant ou une requérante ait effectivement travaillé à temps partiel et sans aucune mesure d’adaptation dans un emploi qui n’est pas véritablement rémunérateur, mais que l’analyse de ses limitations fonctionnelles démontre que la personne est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[20] La division générale n’a pas appliqué le critère juridique requis pour décider si le requérant avait une invalidité grave avant qu’il cesse complètement de travailler en juin 2018. Il ne fait aucun doute que le travail effectué par le requérant de 2014 à 2018 était important dans la présente affaire. Cependant, le fait qu’il a occupé une série de postes à temps partiel de façon intermittente de 2014 à 2018 n’exempte pas la division générale de son obligation d’évaluer la preuve concernant les problèmes de santé et les limitations du requérant.

[21] Le fait que le requérant a travaillé à temps partiel pendant un certain temps peut venir appuyer la conclusion voulant qu’il avait une capacité de travail. Cependant, une analyse complète de l’état de santé du requérant et de ses limitations est tout de même requise.

Réparation

[22] Lorsque je constate qu’il y a une erreur, je peux la corriger (accorder une réparation) de deux façons. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamenNote de bas page 10.

[23] À l’audience de la division d’appel, le ministre et le requérant ont convenu que si je décidais que la division générale avait commis une erreur, je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[24] Quand le dossier est complet, j’ai tendance à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. C’est souvent la façon la plus juste et efficiente d’aller de l’avantNote de bas page 11.

[25] La période minimale d’admissibilité (PMA) du requérant a pris fin le 31 décembre 2019. La position du requérant est que son invalidité est devenue grave et prolongée au sens du RPC en février 2014, lorsqu’il est devenu incapable de travailler comme agent de correction. Il a travaillé de façon intermittente de 2014 à 2018. La position du ministre est que le requérant n’a pas démontré qu’il était invalide au sens du RPC avant juin 2018, lorsqu’il a complètement cessé de travailler.

[26] À mon avis, le requérant a démontré qu’il avait une invalidité grave et prolongée au sens du RPC quand il a cessé de travailler dans le secteur correctionnel en 2014. Pour tirer cette conclusion, j’ai tenu compte de son état de santé et de ses limitations fonctionnelles. Il y avait certains éléments de preuve qui montraient une capacité résiduelle à travailler (parce qu’il exécutait certaines tâches). Toutefois, je suis convaincue que de tels efforts n’ont jamais constitué un emploi véritablement rémunérateur, qu’ils représentaient sa capacité maximale de travail et qu’ils ont échoué à cause de son invalidité.

Situation personnelle

[27] Pour décider si l’invalidité du requérant est grave, je dois tenir compte de son degré d’employabilité dans le monde réel, étant donné :

  1. son âge;
  2. son niveau d’instruction;
  3. son aptitude à parler, à lire et à écrire en anglais;
  4. ses antécédents de travail et son expérience de vieNote de bas page 12.

[28] Le requérant avait 51 ans le dernier jour de sa PMA. Il n’était pas nécessairement trop vieux pour se recycler. Il a fait sa 12e année. Il a suivi des études collégiales pendant la moitié d’un trimestre vers la fin des années 80, mais il les a abandonnées pour aller travailler dans le secteur correctionnel. Il a obtenu un certificat de formation en services correctionnels en mai 1988 pour devenir agent de correction, un emploi qu’il a occupé jusqu’en 2014, lorsqu’il a pris une retraite anticipée pour cause d’invalidité. Le requérant n’a aucun obstacle à surmonter relativement à ses aptitudes à communiquer en anglais.  

[29] Pour ce qui est de ses antécédents de travail et de son expérience de vie, le requérant a été témoin d’événements traumatisants et a vécu des traumatismes dans le cadre de son travail dans le secteur correctionnel. Je suis convaincue que ces traumatismes ont nui à sa santé mentale de façon à miner considérablement son employabilité future.

Problèmes de santé et limitations fonctionnelles

[30] Dans le rapport médical qu’il a rempli pour le RPC en juin 2018Note de bas page 13, le Dr Hart (médecin de famille du requérant) a déclaré qu’il traitait le requérant depuis 1995. Il a commencé à traiter son problème de santé principal en 2012 (quand le requérant travaillait toujours dans le secteur correctionnel). Le Dr Hart lui a diagnostiqué un TSPT ainsi qu’un trouble anxieux chronique qu’il qualifie de [traduction] « superposé ». Il a aussi inscrit la note [traduction] « santé mentale famille actuelle » et déclaré que le requérant a développé de l’hypertension qui est aggravée par son TSPT.

[31] Le Dr Hart a écrit :

[traduction]
A travaillé dans un pénitencier pendant 26 ans, a quitté son emploi en 2014 en raison de la détérioration de sa santé mentale […] peu de temps après son départ et jusqu’à maintenant il souffre d’insomnie, de crises de panique, de flashbacks en lien avec de graves confrontations au pénitencier, il fait des cauchemars, devient extrêmement irritable et a des sautes d’humeur et des pensées paranoïdes, il a essayé de travailler ailleurs depuis 2014, surtout à temps partiel, mais il est incapable de continuer à occuper l’un ou l’autre de ces postes. (mis en évidence par la soussignée)

[32] Le Dr Hart a déclaré que le requérant se présentait à ses rendez-vous de suivi réguliers. Le médecin a écrit qu’il avait demandé des évaluations psychologique et psychiatrique pour le requérant. Le requérant prend un antidépresseur et des médicaments pour contrôler sa pression artérielle. Le Dr Hart a écrit : [traduction] « actuellement il est incapable d’occuper un poste quel qu’il soit et il devra suivre une psychothérapie de façon intensive ». Comme pronostic, il a écrit : [traduction] « avec un peu de chance, il continuera de subvenir à ses besoins personnels quotidiensNote de bas page 14 ».

[33] Le Dr Hart a également rédigé une lettre datée du 27 juin 2018 où il déclare que [traduction] « ce patient est incapable de retourner travailler pour des raisons médicales à compter d’aujourd’hui et pour une durée indéterminéeNote de bas page 15 ».

[34] Le requérant a fourni un certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées rempli par le Dr HartNote de bas page 16. Dans ce formulaire, le Dr Hart a déclaré que le requérant a [traduction] « des limitations importantes touchant tous les aspects du quotidien ». Le médecin a mentionné que le requérant continue d’avoir des crises de panique, de faire de l’insomnie et de subir des flashbacks le ramenant à de graves confrontations qui se sont produites quand il travaillait dans le secteur correctionnel. Il a ajouté que le requérant est devenu extrêmement irritable et a des sautes d’humeur ainsi que des pensées paranoïdes. Le Dr Hart a écrit que le requérant [traduction] « a essayé de travailler ailleurs, surtout à temps partiel, mais il est incapable de continuer à occuper l’un ou l’autre de ces postes ».

[35] Dans son questionnaire relatif aux prestations d’invalidité du RPCNote de bas page 17, le requérant a déclaré qu’il ne pouvait pas travailler en raison d’un manque de sommeil, de crises de panique, de flashbacks, de nervosité, de paranoïa et de sautes d’humeur. Il a aussi écrit qu’il faisait des cauchemars et qu’il était hypervigilant, irritable et émotif. Il a déclaré qu’il travaillait à temps partiel pour joindre les deux bouts, mais qu’il avait dû arrêter pour des raisons médicales. Le requérant a écrit : [traduction] « après avoir quitté les services correctionnels, j’ai essayé de trouver un emploi rémunérateur, mes problèmes de santé se sont aggravés avec le temps, ils ont toujours des effets quatre ans plus tardNote de bas page 18 ».

[36] Dans son témoignage, le requérant a déclaré qu’après avoir pris une retraite anticipée, il était sur la liste d’attente d’une clinique de santé mentale. Il a confirmé qu’il voyait régulièrement son médecin de famille. Son médecin de famille a pris sa retraite plusieurs mois après qu’il a cessé de travailler, mais a ensuite décidé de revenir deux ou trois jours par semaine et a commencé un nouveau dossier à son nom. Le requérant a dit qu’il prenait des médicaments pour son anxiété et sa pression artérielle. Ce n’est qu’en 2018 qu’il a été envoyé à des spécialistes pour obtenir plus de soutien en santé mentale. Il a expliqué qu’en 2018, son médecin lui a suggéré d’aller consulter, car son état semblait empirer.

[37] Le requérant a fourni des éléments de preuve démontrant de multiples limitations fonctionnelles qui pouvaient nuire à sa capacité de travailler. Malgré le traitement qu’il recevait de son médecin de famille et même s’il a bien pris ses médicaments, les limitations fonctionnelles du requérant ont eu une incidence sur sa capacité à travailler. Je conclus que l’insomnie ou le manque de sommeil, les crises de panique, les flashbacks, la paranoïa, la nervosité, l’hypervigilance, l’irritabilité et les sautes d’humeur du requérant sont des limitations fonctionnelles qui ont une incidence sur sa capacité à travailler. Ces limitations sont la raison pour laquelle il ne pouvait plus continuer à travailler dans le secteur correctionnel, mais je juge qu’elles ont aussi continué à nuire au requérant après son départ des services correctionnels.

Capacité résiduelle à travailler

[38] Certains éléments de preuve montrent que le requérant avait une capacité partielle (appelée capacité résiduelle) de travail. Ils montrent que le requérant a travaillé un peu après avoir pris une retraite anticipée et quitté son emploi dans le secteur correctionnel en 2014.

[39] Le requérant a pris sa retraite anticipée en février 2014. Il a touché des prestations régulières d’assurance-emploi (AE) jusqu’à la saison printemps-été de 2015, durant laquelle il a travaillé pour une entreprise d’aménagement paysager. Ce travail était saisonnier et, durant l’automne 2015 et tout au long de l’hiver 2016, le requérant a touché des prestations d’AE. Au printemps 2016, il a repris son emploi saisonnier, mais il a dû arrêter de travailler pendant l’été en raison de son état de santé. À l’automne 2016, il a commencé à travailler dans une entreprise de nettoyage, de trois à quatre heures par jour, cinq jours par semaine. Dans son témoignage, le requérant a dit qu’il a réduit ses heures pour faire de deux à trois heures par jour et travailler seulement pendant les semaines où il y avait moins de stress au travail. À l’automne 2017, il a accepté un deuxième emploi dans une épicerie. Au début, il travaillait 20 heures par semaine, mais il a fini par réduire ses heures pour faire de 12 à 15 heures par semaine. En juin 2018, le requérant a complètement cessé de travailler.

[40] Dans le questionnaire rempli par l’entreprise de nettoyageNote de bas page 19, il est écrit que le requérant a cessé de travailler en juin 2017 en raison d’un manque de travail. On peut y lire que la présence au travail était bonne et que le requérant ne s’est pas absenté pour des raisons médicales. Le questionnaire confirme que le requérant faisait des quarts de quatre heures, puis mentionne sans fournir d’explication qu’il travaillait à temps plein et à temps partiel.

[41] Le questionnaire rempli par l’épicerieNote de bas page 20 confirme que le requérant a cessé de travailler pour des raisons médicales en 2018. Il indique que le requérant a travaillé en moyenne 22 heures par jour. Je suppose qu’on voulait plutôt dire par semaine. L’employeur a coché la case pour déclarer que le requérant a fait ce nombre d’heures parce que c’était le seul travail qui était offert. Je trouve ce document très peu utile, car on ne comprend pas trop comment l’employeur savait que la deuxième case ne s’appliquait pas également; elle indique que la personne a travaillé à temps partiel parce que c’était tout ce qu’elle était capable de faire. Le questionnaire indique que le problème de santé du requérant ne nuisait pas à sa capacité de répondre aux exigences du poste, qu’il avait une bonne assiduité au travail et qu’il ne s’est pas absenté pour des raisons médicales.

[42] Il n’y a aucun questionnaire pour l’entreprise d’aménagement paysager.

[43] Le requérant a soutenu que les emplois qu’il a eus de 2014 à 2018 ne veulent pas dire qu’il aurait pu avoir une occupation véritablement rémunératrice. La preuve provenant de son médecin de famille a confirmé qu’il était [traduction] « incapable de continuer à occuper l’un ou l’autre de ces postes ». Il a fait valoir que les rapports de travail sont inexacts parce qu’ils n’ont pas été remplis par les personnes qui le supervisaient directement et qu’en réalité, il n’a pas fait toutes les heures qui lui étaient offertes. Il a ajouté qu’à l’épicerie, il a bénéficié de mesures d’adaptation qui ne sont pas décrites dans les questionnaires parce qu’ils ont été remplis par les gens du siège social.

[44] Le requérant soutient que les gens du siège social ne connaissent pas ses conditions de travail sur le terrain. Dans son témoignage, il a mentionné qu’il avait dû abandonner l’emploi en aménagement paysager en raison de problèmes de santé mentale et physique — TSPT, tension artérielle ou hypertension et anxiété chronique. Il n’a reçu aucune prestation d’AE. Il a expliqué qu’il n’avait aucun document consignant des visites chez le médecin à cette époque, de mai à juin 2018, parce que son médecin avait pris sa retraite, que ses dossiers avaient été entreposés et que le médecin était revenu au travail par la suite.

[45] Le requérant a déclaré qu’il aurait pu en faire plus lorsqu’il travaillait pour l’entreprise d’aménagement paysager, mais qu’il avait demandé de faire ces heures. Il a fait remarquer que s’il ne travaillait pas, il n’était tout simplement pas payé; les journées où il était malade n’étaient consignées nulle part. La décision initiale du ministre était largement fondée sur les rapports, mais le requérant n’a jamais eu l’occasion de les expliquer avant l’audience de la division générale. La position du requérant est qu’il ne pouvait pas travailler à temps plein, mais qu’il faisait de son mieux.

[46] Le ministre a reconnu qu’à compter de 2014, le requérant n’était plus capable de travailler à son ancien emploi d’agent de correction et qu’il a accepté des emplois à temps partiel, sans jamais gagner un salaire substantiel. Toutefois, le ministre a soutenu que le requérant a fait un petit nombre d’heures dans ses emplois parce que c’était tout ce qu’on offrait et que son problème de santé n’avait pas d’incidence sur sa capacité à effectuer ses tâches.

[47] Le ministre a soutenu que rien ne laissait croire que le requérant n’aurait pas pu occuper ces postes à temps plein si on lui avait offert du travail à temps plein. Le requérant travaillait à temps partiel pour combler des besoins financiers parce que sa pension de retraite anticipée représentait seulement 50 % de son salaire. La position du ministre est que le requérant travaillait à temps partiel durant ces années pour suppléer les paiements partiels de sa pension. Le ministre a fait valoir que la capacité du requérant à exercer ces emplois signifie en fait qu’il avait la capacité d’occuper d’autres emplois, comme des postes à temps plein. En d’autres mots, le fait qu’il a exercé ces emplois voulait dire qu’il avait effectivement la capacité de détenir un emploi véritablement rémunérateurNote de bas page 21.

[48] Le ministre fait essentiellement valoir que le fait que le requérant a travaillé à temps partiel démontre que, dans son cas, il aurait pu travailler à temps plein. Le ministre soutient également que le requérant n’a pas vu son médecin de mai 2016 à juin 2018, donc qu’il est peu probable que son état de santé se soit détérioré durant cette période.

[49] À l’audience, le requérant a déclaré que le travail à temps partiel qu’il a effectué représentait sa capacité maximale de travail et que c’est lui qui a décidé qu’il pouvait seulement travailler à temps partiel.

[50] La preuve qu’un travail a été effectué peut établir la capacité de travail, mais pas dans tous les cas. Dans une affaire, la Cour fédérale a décidé qu’un retour au travail qui ne durerait que quelques jours serait une tentative infructueuse, mais que deux années de gains comparables à la rémunération antérieure ne peuvent constituer une tentative infructueuseNote de bas page 22.

[51] J’accepte le témoignage du requérant sur sa capacité de travail de 2014 à 2018. Il a travaillé juste assez pour subvenir à ses besoins financiers (en combinaison avec sa pension réduite). Je conclus qu’il n’a pas agi ainsi simplement parce qu’il a choisi de travailler moins que ce dont il était capable, mais plutôt parce qu’il n’avait pas la capacité de gagner plus d’argent ou de travailler plus que ce qu’il a fait.

[52] J’accueille la thèse du requérant concernant les questionnaires qui ont été remplis par les entreprises qui l’ont employé. Je n’accorde pas beaucoup d’importance à ces documents. Il s’agit d’une série de cases cochées sans explication. Il semble que la personne qui a rempli le formulaire pour l’épicerie ne travaillait pas au même endroit que le requérant. Je ne crois pas que cette personne aurait accès au genre de renseignements que le requérant a mentionnés dans son témoignage, soit qu’il a fait seulement le nombre d’heures de travail qu’il pouvait faire.  

[53] Dans le même ordre d’idées, l’information fournie par l’entreprise d’aménagement paysager n’est pas d’une grande aide. Les déficiences liées aux troubles de santé mentale sont parfois appelées des déficiences [traduction] « invisibles ». Les limitations fonctionnelles associées à la déficience ne sont pas nécessairement faciles à voir pour l’employeur ou l’employeuse. Il peut être difficile pour une personne occupant un poste de direction dans l’entreprise d’aménagement paysager de savoir, par exemple, si les crises de panique du requérant l’empêcheraient de faire plus d’heures si on lui en offrait.

[54] Je juge que même si le travail effectué par le requérant après avoir quitté le secteur correctionnel constituait une preuve de sa capacité résiduelle à travailler, ce travail représente des tentatives d’obtenir et de conserver un emploi qui ont finalement échoué en raison de son incapacité. Le requérant a dû cesser complètement de travailler en 2018, et cette décision était appuyée par son médecin de famille. Les emplois qu’il a eus n’étaient pas véritablement rémunérateurs de toute façon. Dans le cas de l’entreprise d’aménagement paysager, le travail était saisonnier et il a dû arrêter de travailler pendant un certain temps à l’été 2016 à cause de son invalidité. Le travail effectué correspond à une série d’emplois à temps partiel que le requérant n’a finalement pas été en mesure de conserver, même s’ils n’impliquaient pas beaucoup d’heures de travail.

[55] Je suis convaincue que le requérant avait une invalidité grave en 2014 lorsqu’il a cessé de travailler dans le secteur correctionnel. Il avait des troubles de santé mentale qui nuisaient à sa capacité à travailler. Il ne dormait pas. Il avait des flashbacks et faisait des crises de panique. Il était extrêmement irritable et avait des sautes d’humeur. Ces symptômes constituent des limitations fonctionnelles qui nuisent à sa capacité de travail. Il prenait ses médicaments et il était sur la longue liste d’attente d’une clinique pour obtenir du soutien supplémentaire en santé mentale. Il est resté en contact avec son médecin de famille et n’a refusé aucun traitement.

[56] Même si le travail qu’il a effectué de 2014 à 2018 démontre une capacité résiduelle à travailler, je conclus qu’il s’agissait en fait d’une série de tentatives infructueuses qui ont finalement échoué en raison de son invalidité. Le requérant n’était pas régulièrement capable d’exercer un emploi véritablement rémunérateur quand il a quitté le secteur correctionnel. Il effectuait un travail qui n’était pas véritablement rémunérateur, et je juge que dans la présente affaire, le fait qu’il travaillait ne démontre pas qu’il aurait pu en faire plus. Le travail qu’il a accompli représente sa capacité maximale. Il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

L’invalidité est prolongée

[57] L’invalidité du requérant devait vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie. Cela signifie que l’invalidité est prolongée au sens du RPCNote de bas page 23.

[58] Le Dr Hart envisageait le pronostic du requérant avec très peu d’optimisme lorsqu’il a déclaré que [traduction] « avec un peu de chance, il continuera de subvenir à ses besoins personnels quotidiensNote de bas page 24 ».

Conclusion

[59] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de droit. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre : le requérant a droit à une pension d’invalidité au titre du RPC à compter de 15 mois avant la date de sa demande de pension d’invalidité, soit mars 2017. La pension est payable quatre mois plus tard, soit à partir de juillet 2017.

Date de l’audience :

Le 19 février 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

G. P., appelant
Susan Johnstone, représentante de l’intimé

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