Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – La requérante est devenue veuve en 1998, un peu avant d’avoir 35 ans. À cette époque, le Régime de pensions du Canada (RPC) interdisait le versement d’une pension de survivant aux veuves de moins de 35 ans. En 2018, le RPC a été modifié pour annuler cette limite d’âge. La requérante a commencé à recevoir la pension de survivant en janvier 2019. Elle a porté en appel à la division générale (DG) la décision du ministre de ne pas lui verser la pension de survivant avant janvier 2019. La DG a rejeté l’appel. La DG a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour modifier la loi. La division d’appel (DA) a accordé à la requérante la permission d’en appeler.

Les membres du Tribunal doivent être sensibles à la situation des parties et jouer un rôle actif pour veiller à ce qu’elles comprennent leur dossier et présentent leurs arguments de manière effective. Ce que les membres doivent faire au juste pour y arriver dépendra des faits et des circonstances propres à chaque affaire. La DG n’a pas appliqué ce principe dans ce cas-ci. Même si, de toute évidence, la requérante essayait de faire valoir que les dispositions du RPC la discriminent en raison de son âge (le fait d’avoir moins de 35 ans), la DG ne lui a posé aucune question pour tenter de déterminer ou de clarifier son argument. Elle ne lui a pas donné l’occasion « d’étoffer » les arguments juridiques qu’elle essayait de présenter en expliquant la procédure prévue par le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale pour ce faire. Par conséquent, la DG n’a pas mené une procédure équitable. La DA a accueilli l’appel sur cette base et renvoyé l’affaire à la DG pour réexamen avec directives.

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale n’a pas offert un processus équitable à la requérante.

[2] L’appel est renvoyé à la division générale pour réexamen.

[3] Une copie de l’avis de question constitutionnelle de la requérante (AD9) doit être versée au dossier de la division générale.

Aperçu

[4] L. M. (requérante) est devenue veuve en 1998, alors qu’elle avait un peu moins de 35 ans. À l’époque, le Régime de pensions du Canada (RPC) n’autorisait pas le versement de prestations de survivant à une personne veuve âgée de moins de 35 ans. En 2018, le RPC a été modifié et la restriction liée à l’âge a été retirée. La requérante a commencé à recevoir les prestations de survivant en janvier 2019.

[5] La requérante a interjeté appel de la décision du ministre de l’Emploi et du Développement social devant le Tribunal, car le ministre avait refusé de lui verser des prestations de survivant avant janvier 2019. La division générale du Tribunal a rejeté l’appel. Elle a conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir légal de modifier la loi.

[6] La permission d’interjeter appel de cette décision devant la division d’appel du Tribunal a été accordée, car la division générale n’avait peut-être pas tenu compte de l’argument de la requérante selon lequel les articles pertinents du RPC portent atteinte à ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

[7] J’ai pris connaissance des documents déposés devant le Tribunal et j’ai écouté les observations orales des parties ainsi que l’enregistrement de l’audience devant la division générale. L’appel est accueilli, car la division générale n’a pas offert un processus équitable à la requérante puisqu’elle n’a pas tenu compte de ses arguments en lien avec la Charte. L’affaire est renvoyée à la division générale pour que celle-ci puisse déterminer si l’avis de question constitutionnelle de la requérante répond aux exigences du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS)Note de bas de page 1, et le cas échéant, s’il y a eu atteinte à ses droits en vertu de la Charte.

Question en litige

[8] La division générale a-t-elle omis d’offrir un processus équitable à la requérante en ne tenant pas compte de son argument selon lequel le RPC était discriminatoire à son endroit en raison de son âge?

Analyse

[9] La division générale doit offrir un processus équitable aux parties qui comparaissent devant elle. Cela signifie que chaque partie doit avoir la possibilité de présenter pleinement sa cause devant le Tribunal, de connaître les arguments avancés contre elle et d’y répondre, et d’obtenir d’un décideur impartial une décision fondée sur le droit et les faits.

[10] La requérante soutient que la division générale ne l’a pas fait étant donné qu’elle n’a pas tenu compte de son argument selon lequel le RPC est discriminatoire à son endroit en raison de son âge en vertu de la CharteNote de bas de page 2.

[11] Devant la division générale, la requérante n’a pas précisément fait valoir dans ses observations écrites que les articles pertinents du RPC sont discriminatoires à son endroit, et par conséquent, contraires à la Charte. Toutefois, la requérante a clarifié ses arguments lors de l’audience. Voici ce qu’elle a précisé :

  • le fait d’exiger qu’elle ait 35 ans pour recevoir les prestations de survivant était injusteNote de bas de page 3;
  • la règle relative à l’âge de 35 ans est discriminatoireNote de bas de page 4;
  • l’âge n’est pas un facteur pertinent ni justifiable lorsqu’une personne devient veuveNote de bas de page 5;
  • le Tribunal n’a pas le pouvoir d’outrepasser la loi, mais il devrait accorder aux parties requérantes le droit de réparer cette injusticeNote de bas de page 6;
  • la question relative à la règle sur l’âge doit être débattue et modifiéeNote de bas de page 7;
  • elle a demandé à la division générale d’examiner la question relative à la discriminationNote de bas de page 8.

[12] Lors de l’audience devant la division d’appel, la représentante du ministre a fait valoir que la division générale n’avait pas commis d’erreur parce qu’elle avait clairement expliqué la loi existante et avait appliqué les faits au droit pour rendre sa décision. Toutefois, lorsque les arguments juridiques de la requérante sont considérés dans leur ensemble, il est évident que la requérante essayait de présenter l’argument selon lequel les dispositions relatives aux prestations de survivant du RPCNote de bas de page 9 étaient discriminatoires à son endroit en raison de son âge, étant donné qu’elle avait moins de 35 ans. La division générale n’a pas accepté cet argument.

[13] Au Tribunal, il n’est pas rare que les parties comparaissent sans représentation ni formation juridiques. Les membres du Tribunal doivent donc s’adapter à la situation des parties et jouer un rôle actif pour veiller à ce que les personnes qui comparaissent comprennent et présentent efficacement leur causeNote de bas de page 10. Les mesures à prendre dépendent des faits et des circonstances de chaque cas.

[14] Par exemple, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré dans un cas de congédiement injustifié que le juge de première instance n’avait pas suffisamment enquêté sur une partie avant de conclure qu’elle avait abandonné un aspect de sa demande. La décision précise ce qui suit :

[traduction]
Lorsque la preuve d’une partie non représentée soulève une question dans l’esprit [du décideur] au sujet de la réparation particulière que la partie demande, le [décideur] doit mener les enquêtes appropriées auprès de la partie pour clarifier la question. Ces enquêtes doivent être menées de façon claire, non ambiguë et exhaustive afin d’obtenir différents résultats : (i) le [décideur] n’a plus de doute quant à la position de la partie; (ii) la personne non représentée comprend parfaitement les implications juridiques du choix décisif auquel elle est confrontée quant à la possibilité de poursuivre ou d’abandonner sa cause; et (iii) la personne non représentée comprend parfaitement la question que le [décideur] doit trancherNote de bas de page 11.

[15] Les mêmes principes s’appliquent au Tribunal. Les membres du Tribunal doivent prendre en considération les arguments que les parties requérantes tentent de présenter. Ils doivent offrir aux parties requérantes la possibilité d’expliquer ou de [traduction] « préciser » les arguments juridiques complexes comme ceux portant sur une allégation de discrimination en vertu de la Charte. Pour ce faire, ils peuvent leur poser les questions appropriées ou les diriger vers des organismes susceptibles de les aider.

[16] La division générale ne l’a pas fait en l’espèce. Bien qu’il soit évident que la requérante tentait de présenter l’argument selon lequel les dispositions du RPC sont discriminatoires à son endroit en raison de son âge (elle avait moins de 35 ans), la division générale n’a mené aucune enquête auprès de la requérante pour essayer de cerner ou de clarifier son argument. Elle ne lui a pas permis de [traduction] « préciser » les arguments juridiques qu’elle tentait de présenter en expliquant le processus prévu par le Règlement sur le TSS pour poursuivre sa causeNote de bas de page 12. La division générale n’a donc pas offert un processus équitable à la requérante.

[17] L’appel est accueilli.

Réparation

[18] Lorsqu’un appel est accueilli, la division d’appel peut accorder différentes réparationsNote de bas de page 13. Il convient de renvoyer cet appel à la division générale pour réexamen. Les motifs de cette décision sont expliqués ci-dessous.

[19] La division générale est le juge des faits. Elle doit initialement entendre les témoignages et les arguments des parties, puis rendre une décision fondée sur le droit et les faits. La requérante n’a pas présenté pleinement sa cause devant la division générale. Elle ne savait pas qu’elle devait déposer un avis de question constitutionnelle. La division générale n’a pas examiné si un tel avis satisfaisait aux exigences du Règlement sur le TSS.

[20] De plus, le ministre soutient que la réparation appropriée est de renvoyer l’appel à la division générale pour réexamen.

Conclusion

[21] L’appel est accueilli.

[22] L’appel est renvoyé à la division générale pour réexamen.

[23] La division générale doit d’abord examiner si l’avis de question constitutionnelle de la requérante suffit pour trancher la question relative à la Charte. Une copie de l’avis de question constitutionnelle de la requérante (AD9) doit donc être déposée devant la division générale.

[24] Cette décision ne présume pas de l’issue de l’appel lorsque celui-ci sera réexaminé.

 

Date de l’audience :

Le 12 juin 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

L. M., appelante

Tiffany Glover, représentante de l’intimé

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