Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

SV – En mai 2013, la requérante a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV). Le ministre l’a approuvé en mai 2014. Il a toutefois suspendu le versement du Supplément de revenu garanti à peine quelques mois plus tard. Lorsque la requérante a voulu savoir ce qui se passait, une agente a commencé à lui poser des questions sur ses liens avec les États-Unis. Par la suite, cette agente a envoyé le dossier pour une enquête plus approfondie qui a duré environ un an. En juillet 2015, le ministre a aussi suspendu le versement de la pension de la SV. En bout de ligne, le ministre a changé sa décision initiale d’approbation. La requérante a fait appel à la division générale (DG) qui a convenu que la requérante n’est pas admissible aux prestations de la SV. La requérante a porté cette décision en appel à la division d’appel (DA).

Dans un nombre croissant de causes, la DA du Tribunal a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de modifier sa décision d’approbation à la SV (ou sa décision initiale d’admissibilité). Le ministre n’a pas porté appel de ces décisions devant les instances supérieures, mais il se peut qu’il ne les suive pas non plus. La DA a réexaminé et reconfirmé cette limite importante imposée au pouvoir du ministre. La DA a conclu que la DG avait commis des erreurs de droit et de juridiction qui lui permettaient d’intervenir dans cette affaire. Elle a aussi décidé de rendre la décision que la DG aurait dû rendre. Ni le ministre ni le Tribunal n’ont le pouvoir de modifier la décision que le ministre a rendue en mai 2014, soit l’approbation de la demande. Il faut respecter cette décision. De plus, la DA a conclu que la requérante a habité au Canada du 22 mai 2014 au 4 janvier 2019. Par conséquent, elle a rétabli ses prestations de la SV.

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel et je rétablis l’admissibilité de la requérante aux prestations de la Sécurité de la vieillesse (SV).

Aperçu

[2] H. Z. est la requérante dans la présente affaire. En mai 2013, elle a présenté une demande de pension de la SV. Le ministre a accueilli la demande de la requérante en mai 2014, concluant qu’elle avait résidé au Canada pendant plus de 27 ansNote de bas page 1. Le ministre a également accueilli sa demande de Supplément de revenu garanti (SRG). Cependant, pour continuer à recevoir le SRG, la requérante devait continuer à résider au Canada.

[3] Le ministre a suspendu le SRG de la requérante quelques mois seulement après que celui‑ci a été approuvé. Lorsque la requérante s’est enquise du problème, une agente s’est inquiétée de ses liens avec les États-UnisNote de bas page 2. Elle a donc envoyé le dossier afin qu’il fasse l’objet d’une enquête plus approfondie. Elle a fait cela même si le ministre avait déjà tenu compte de la force des liens de la requérante avec les États-Unis avant d’accueillir la demande en mai 2014.

[4] L’enquête du ministre a duré environ un an, et en juillet 2015, le ministre a également suspendu la pension de la SV de la requérante.

[5] Finalement, le ministre a modifié sa décision d’approbation de la demande. Il a plutôt conclu que la requérante avait résidé au Canada pendant seulement 11 ans et qu’elle résidait aux États-Unis depuis le 1er décembre 1997.

[6] La requérante affirme que cette enquête lui a causé d’énormes difficultés. Elle n’a reçu aucune prestation de la SV depuis juillet 2015. De plus, le ministre exige qu’elle rembourse toutes les prestations qu’elle a reçues avant cette date, soit plus de 11 000 $.

[7] La requérante a interjeté appel de la décision du ministre auprès de la division générale du Tribunal. Dans sa première décision, la division générale a convenu que la requérante n’était pas admissible aux prestations de la SV. La requérante a demandé à la division générale d’annuler ou de modifier cette décision compte tenu de faits nouveaux, mais la division générale a rédigé une deuxième décision dans laquelle elle rejetait sa demande. La requérante n’a pas interjeté appel de la deuxième décision de la division générale. Par conséquent, je ne traiterai pas de celle-ci en l’espèce.

[8] Dans un nombre croissant de cas, le Tribunal a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de modifier les demandes qu’il avait accueillies (ou les décisions initiales d’admissibilité). Le ministre n’a pas interjeté appel de ces décisions devant les tribunaux, mais il se peut aussi qu’il ne les respecte pas. En l’espèce, je reconsidérerai et réaffirmerai cette importante limite aux pouvoirs du ministre.

[9] J’ai conclu que la division générale a commis des erreurs de droit et de compétence qui me permettent d’intervenir dans la présente affaire. J’ai également décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. En somme, ni le ministre ni le Tribunal ne sont en mesure de modifier la décision d’approbation de mai 2014. Elle doit être respectée. De plus, la requérante a résidé au Canada du 22 mai 2014 au 4 janvier 2019.

[10] Les prestations de la SV de la requérante sont donc rétablies.

Questions préliminaires

[11] Trois questions méritent d’être discutées de manière préliminaire.

Je ne peux pas prendre en considération les critiques du ministre envers la décision relative à la demande de permission d’en appeler.

[12] Dans ses observations, le ministre a critiqué la décision dans laquelle j’accordais la permission d’en appeler de la requérante. Plus précisément, le ministre soutient que j’ai commis des erreurs de droit et de compétence en accordant la permission d’en appeler en me fondant sur une question que la requérante n’avait pas soulevée et en transférant le fardeau de la preuve de la requérante au ministre.

[13] Si le ministre avait voulu contester ma décision antérieure, il aurait pu demander à la Cour fédérale de la réviser. Il ne l’a pas fait. Par conséquent, cette décision est définitiveNote de bas page 3. Je ne peux ou ne devrais pas en dire plus sur cette décision, si ce n’est qu’elle a donné aux parties une occasion équitable de faire des commentaires sur les questions abordées ci-dessous.

Je tiendrai compte des nouveaux éléments de preuve du ministre.

[14] La division d’appel tient rarement compte de nouveaux éléments de preuve. Par nouveaux éléments de preuve, je fais référence à des éléments dont la division générale n’était pas saisie lorsqu’elle a rendu sa décision.

[15] La division d’appel se concentre plutôt sur la question de savoir si la division générale a commis une erreur pertinente. Cette évaluation est généralement fondée uniquement sur les éléments de preuve que les parties ont présentés à la division générale. Cependant, il existe des exceptions à la règle générale interdisant l’examen de nouveaux éléments de preuveNote de bas page 4.

[16] Parmi ses observations présentées à la division d’appel, le ministre a fourni un nouvel élément de preuve : l’affidavit d’Elizabeth CharronNote de bas page 5. Elizabeth Charron est une fonctionnaire du Parlement responsable de l’élaboration des politiques en ce qui concerne la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV) et le Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement sur la SV).

[17] Le ministre soutient que je peux tenir compte de l’affidavit de madame Charron, car il ne fournit que des renseignements généraux. Il s’agit là de l’une des exceptions reconnues à cette règle d’exclusion de nouveaux éléments de preuveNote de bas page 6.

[18] L’exception relative aux renseignements généraux est limitée. Elle « vise les observations pures et simples » afin d’aider à comprendre l’historique et la nature de l’affaireNote de bas page 7. Pour relever de cette exception, l’affidavit de madame Charron doit être rédigé dans un langage neutre et non controversé; il ne doit pas s’engager dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position, ou fournir des éléments de preuve se rapportant au fond de la question qui doit être tranchéeNote de bas page 8.

[19] Je reconnais que le ministre a déposé l’affidavit de madame Charron dans le but de m’aider dans mon interprétation de la Loi sur la SV et du Règlement sur la SV. La division générale ne s’est pas penchée sur cette question. Par conséquent, il n’est pas surprenant que le ministre ait retardé la présentation de l’affidavit.

[20] Je reconnais également que l’affidavit de madame Charron ne fait pas mention de détails précis au sujet de la présente affaire. Il vise plutôt à fournir des renseignements plus généraux sur les critères d’admissibilité aux prestations de la SV, ainsi que sur l’administration du programme de la SV.

[21] Pour ces motifs, j’ai décidé d’admettre l’affidavit de madame Charron en tant qu’exception à la règle générale d’exclusion de nouveaux éléments de preuve devant la division d’appel.

Je ne tiendrai pas compte des nouveaux éléments de preuve de la requérante.

[22] Dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, j’ai décidé que je ne tiendrais pas compte des nouveaux éléments de preuve que la requérante avait présentés jusqu’à cette dateNote de bas page 9. Outre les nouveaux éléments de preuve invoqués dans cette décision, la requérante a également présenté une lettre adressée à London Life ainsi que certains renseignements en matière d’impôt sur le revenuNote de bas page 10.

[23] Les motifs exposés précédemment ainsi que ceux énoncés dans la décision relative à la demande de permission d’en appeler s’appliquent également à ces nouveaux éléments de preuve. Aucune des exceptions à la règle interdisant l’examen de nouveaux éléments de preuve ne s’applique aux nouveaux éléments de preuve de la requérante. Par conséquent, je ne peux tenir compte d’aucun de ces éléments.

Questions en litige

[24] Au moment de prendre ma décision, je me suis concentré sur les questions suivantes :

  1. La division générale a-t-elle commis des erreurs de droit et de compétence en supposant que le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision d’approbation de mai 2014?
  2. Dans l’affirmative, la décision d’approbation de mai 2014 du ministre peut-elle être modifiée?
  3. La requérante a-t-elle résidé au Canada entre le 22 mai 2014 et le 4 janvier 2019?

Analyse

[25] Je dois me conformer à la loi et aux procédures définies par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). Par conséquent, je ne peux intervenir que si la division générale a commis une erreur pertinenteNote de bas page 11.

[26] En l’espèce, je me suis concentré sur la question de savoir si la division générale a commis une erreur de compétence en omettant de se prononcer sur toutes les questions en litige pertinentes et si sa décision contient une erreur de droitNote de bas page 12. Selon le libellé de la Loi sur le MEDS, toute erreur de ce type pourrait me permettre d’intervenir en l’espèceNote de bas page 13.

La division générale a commis des erreurs de droit et de compétence en omettant de se prononcer sur une question en litige pertinente.

[27] La division générale a supposé à tort que le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision d’approbation de mai 2014. L’étendue des pouvoirs du ministre était en cause dans cette affaire, mais la division générale n’a jamais tranché la question.

[28] Lorsque la requérante a présenté une demande de prestations de la SV, il était essentiel qu’elle prouve quand elle avait résidé au Canada. Plus particulièrement :

  1. son admissibilité à une pension de la SV dépendait du nombre d’années de résidence au Canada qu’elle avait accumulées entre son 18e et son 65e anniversaires;
  2. son admissibilité au SRG dépendait du maintien de sa résidence au Canada après son 65e anniversaire.

[29] À la réception de la demande de la requérante, le ministre a posé des questions de suiviNote de bas page 14. Certaines de ces questions portaient sur la force des liens de la requérante avec les États-Unis. Notamment, l’époux de la requérante est un citoyen américain. Ils se sont mariés à New York en 1995. L’époux de la requérante a également confirmé qu’ilNote de bas page 15 :

  1. partage son temps presque en parts égales entre le Canada et les États-Unis;
  2. n’a jamais travaillé au Canada.

[30] Néanmoins, la requérante a soutenu qu’elle et son époux passaient beaucoup de temps séparément et qu’elle n’était jamais restée à l’extérieur du Canada pendant plus de trois moisNote de bas page 16.

[31] Le ministre disposait de ces renseignements, les a examinés et a approuvé la demande de la requérante en mai 2014Note de bas page 17. Le ministre a accordé à la requérante une pension de la SV fondée sur 27 années de résidence au Canada. La lettre d’approbation du ministre indiquait à la requérante qu’il continuerait à lui verser sa pension de la SV indéfiniment, et ce, jusqu’au mois suivant son décès.

[32] Dans la décision d’approbation du ministre datée de mai 2014, celui-ci a également décidé que la requérante était admissible au SRG. Cependant, le SRG est une prestation fondée sur le revenu. Par conséquent, le ministre a affirmé qu’il réévaluerait l’admissibilité de la requérante au SRG sur une base annuelle, comme il le fait pour tous les bénéficiaires du SRG.

[33] Malgré son approbation en mai, le ministre a suspendu le SRG de la requérante en juillet 2014. Cela semble être dû au fait que la requérante n’avait pas produit sa déclaration de revenus à temps, de sorte que le ministre ne disposait pas des renseignements dont il avait besoin au sujet du revenu de la requérante pour l’année précédenteNote de bas page 18. Lorsque la requérante et son époux se sont rendus dans un centre de Service Canada pour s’informer, l’agente qu’ils ont rencontrée semblait de plus en plus inquiète, car le couple revenait tout juste des États-Unis. Elle a donc examiné le dossier, fait ses propres recherches sur Internet et envoyé le dossier afin qu’il fasse l’objet d’une enquête plus approfondieNote de bas page 19.

[34] L’enquête a duré environ un an et a incité le ministre à suspendre également la pension de la SV de la requérante. Finalement, le ministre a modifié sa décision d’approbation de mai 2014. Il a plutôt conclu que la requérante n’avait résidé au Canada que pendant 11 ans et qu’elle résidait aux États-Unis depuis le 1er décembre 1997.

[35] Selon cette décision, le ministre fait valoir que la requérante n’est pas admissible aux prestations de la SV et qu’elle devrait rembourser les montants qu’elle a déjà reçus.

[36] La division générale était d’accord : elle a conclu que la requérante n’avait pas résidé au Canada après le 30 novembre 1997.

[37] Cependant, la division générale n’a pas tenu compte, en premier lieu, du pouvoir du ministre de modifier sa décision d’approbation de mai 2014. J’ai conclu que la division générale a commis une erreur de droit et de compétence en ignorant cette question.

[38] Premièrement, si la requérante n’a peut-être pas exprimé ses préoccupations de manière légale, une interprétation généreuse de ses lettres révèle qu’elle s’interrogeait sur la capacité du ministre à revenir sur sa décision antérieureNote de bas page 20.

[39] Sur ce point, il convient de noter que les lettres du ministre à la requérante n’étaient pas claires. Par exemple, dans sa lettre datée du 9 mai 2016, le ministre a déclaré qu’il ne pouvait pas approuver la pension de la requérante parce qu’elle ne satisfaisait pas à tous les critères d’admissibilitéNote de bas page 21. Le ministre n’a pas précisé le fait qu’il avait déjà approuvé ses prestations de la SV en mai 2014 ni le pouvoir dont il se servait pour modifier cette décision.

[40] Néanmoins, la requérante s’est plainte auprès du ministre du temps qu’il lui faisait attendre pour des prestations auxquelles il avait déjà déterminé qu’elle avait droitNote de bas page 22. Compte tenu de cette plainte, la division générale aurait dû être consciente de la question relative au pouvoir du ministre de revenir sur sa décision antérieure.

[41] Deuxièmement, même si la requérante n’avait pas soulevé cette question, la justice exigeait que la division générale examine les limites possibles de la capacité du ministre à modifier ses décisions d’approbationNote de bas page 23.

[42] La capacité du ministre à modifier sa décision d’approbation est au cœur même des préoccupations de la requérante. Si le ministre ne pouvait pas modifier sa décision d’approbation, il a alors outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés en arrêtant la pension de la SV de la requérante et en lui demandant de rembourser toutes les prestations de la SV qu’elle avait reçues. Les pouvoirs du ministre (et du Tribunal) se limiteraient plutôt à la réévaluation de la résidence de la requérante au Canada, et ce, uniquement pour la période postérieure au 21 mai 2014.

[43] La justice exigeait que la division générale examine et remette en question la source des pouvoirs étendus que le ministre prétend exercer dans cette affaire (et dans d’autres cas semblables).

[44] Troisièmement, le Tribunal a maintenant statué dans plusieurs affaires que le ministre n’a pas le pouvoir de modifier ses décisions d’approbation. La première de ces affaires était BR c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas page 24.

[45] Je reconnais que la division générale n’était pas obligée de suivre les principes énoncés dans la décision BR. Toutefois, la décision BR soulève une question importante qui limite les pouvoirs du ministre et du Tribunal, et le ministre n’a jamais contesté la décision BR devant les tribunaux. Par conséquent, la décision BR s’applique potentiellement dans tous les cas où le ministre réexamine une décision d’approbation antérieure.

[46] Selon moi, si la division générale n’allait pas suivre les principes énoncés dans la décision BR, elle aurait au moins dû expliquer pourquoiNote de bas page 25. En effet, la Cour suprême du Canada a récemment souligné l’importance d’une prise de décision cohérence : les affaires semblables doivent généralement être tranchées de la même façonNote de bas page 26. La perfection n’est pas requise, mais les décideurs doivent invoquer leurs raisons pour expliquer pourquoi ils s’écartent d’autres décisions.

[47] En raison de tous ces motifs, j’ai conclu que la division générale avait commis une erreur de droit au titre de l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS lorsqu’elle a supposé que le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision d’approbation de mai 2014.

[48] Vu sous un angle différent, le pouvoir du ministre de modifier sa décision d’approbation de mai 2014 était une question que la division générale devait trancher, mais elle ne l’a pas fait. Cela peut également être considéré comme une erreur de compétence, comme le décrit l’article 58(1)(a) de la Loi sur le MEDS.

La décision d’approbation du ministre datée de mai 2014 ne peut pas être modifiée.

[49] Compte tenu de l’erreur de la division générale, j’ai décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas page 27. J’ai rendu cette conclusion, car :

  1. la loi exige que je mène les procédures de la façon la plus informelle et expéditive possibleNote de bas page 28;
  2. en vertu de la Loi sur le MEDS, la division générale et la division d’appel du Tribunal sont également habilitées à trancher les questions pertinentes d’une affaireNote de bas page 29;
  3. je dispose de tous les faits nécessaires pour rendre une décision, y compris l’affidavit d’Elizabeth Charron.

[50] Le ministre fait valoir que l’article 23 du Règlement sur la SV lui permet de réévaluer la résidence de la requérante au Canada pour toute période souhaitée, et ce, quand il le souhaite et autant de fois qu’il le souhaite. De plus, il est du devoir de la requérante de prouver sa résidence au Canada lors de ces réévaluationsNote de bas page 30.

[51] Les pouvoirs du ministre en vertu de l’article 23 du Règlement sur la SV sont définis de la façon suivante :

Autres renseignements et enquêtes avant ou après l’agrément de la demande ou l’octroi de la dispense

23 (1) Le ministre peut, avant ou après l’agrément d’une demande ou après l’octroi d’une dispense, exiger que le demandeur, la personne qui a fait la demande en son nom, le prestataire ou la personne qui touche la pension pour le compte de ce dernier, selon le cas, permette l’accès à des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité du demandeur ou du prestataire à une prestation.

(2) Le ministre peut, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestation, y compris sur la capacité du prestataire pour ce qui est de l’administration de ses propres affaires.

[52] Les arguments du ministre dans cette affaire sont les mêmes que ceux qu’il a avancés dans des affaires précédentes. Le Tribunal a déjà examiné et rejeté ces arguments dans d’autres décisions, plus particulièrement dans les décisions BR c Ministre de l’Emploi et du Développement social, Ministre de l’Emploi et du Développement social c JA et MA c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas page 31. Je suis d’accord avec ces décisions et j’adopte leur raisonnement en l’espèce.

[53] Le ministre a eu le temps et le pouvoir d’enquêter sur les liens de la requérante avec les États-Unis et de déterminer quand elle a résidé au Canada avant de prendre sa décision d’approbation en mai 2014.

[54] Le ministre avait également le pouvoir d’évaluer si la requérante avait continué de résider au Canada après sa décision d’approbation de mai 2014, puisque cela est nécessaire pour que la requérante continue de recevoir le SRG.

[55] Une fois que le ministre a pris sa décision d’approbation, la Loi sur la SV et le Règlement sur la SV énoncent les pouvoirs du ministre d’annuler ou de suspendre les prestations de la SV de la requérante. Cependant, l’article 23 du Règlement sur la SV ne donne pas au ministre le pouvoir de modifier ses décisions d’approbation antérieures.

[56] Dans la décision BR, le Tribunal a fourni des raisons détaillées expliquant pourquoi il a rejeté l’interprétation large du ministre de l’article 23 du Règlement sur la SV. Dans le cadre de cette décision, le Tribunal a pris soin d’examiner le texte, le contexte et l’objet de la disposition concernée. En résumé :

  1. Le régime de la SV a un but altruiste et les gens ne devraient pas être exclus à la légère des prestations qu’il fournitNote de bas page 32.
  2. La Loi sur le SV et le Règlement sur le SV doivent être interprétés de la manière la plus harmonieuse possible.
  3. Une fois approuvées, les pensions de la SV sont versées à vie, à moins que la pensionnée ne demande l’arrêt des paiements plus tôtNote de bas page 33. Cependant, la Loi sur la SV prévoit des circonstances précises dans lesquelles le ministre peut suspendre le versement des prestationsNote de bas page 34.
  4. Les pouvoirs que le ministre prétend lui être conférés par l’article 23 du Règlement sur la SV sont de nature extraordinaire. Bien qu’il soit admis que le ministre a le pouvoir d’évaluer l’admissibilité continue d’une personne aux prestations de la SV, rien dans la Loi sur la SV et dans le Règlement sur la SV ne donne à penser que le ministre ait le pouvoir de modifier ou d’annuler ses décisions d’approbation.
  5. Le ministre a le pouvoir de modifier d’autres types de décisions qu’il prend (en vertu de la Loi sur la SV et d’autres lois qu’il applique). Il est donc d’autant plus frappant que le Parlement n’ait pas utilisé un langage semblable en ce qui concerne les décisions d’approbation du ministre.
  6. Par conséquent, une lecture harmonieuse de la Loi sur la SV et du Règlement sur la SV ne soutient pas la position du ministre. Il en va de même pour un arrêt de la Cour d’appel fédéraleNote de bas page 35.

[57] Le ministre a avancé quelques arguments supplémentaires, lesquels ont été pris en compte par le Tribunal dans la décision MA. En résumé :

  1. Le raisonnement exposé dans la décision BR s’applique à des cas comme celui-ci, où le ministre tente de modifier une décision d’approbation antérieure.
  2. D’autres décisions invoquées par le ministre, comme De Bustamante c Canada (Procureur général)Note de bas page 36, De Carolis c Canada (Procureur général)Note de bas page 37, MR c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas page 38 et Comeau’s Sea Foods Ltd. c Canada (Ministre des Pêches et des Océans)Note de bas page 39 n’aident pas le ministre dans cette affaire.
  3. Lorsque le ministre a accueilli la demande de prestations de la SV de la requérante, il exerçait une fonction législative qui a eu une incidence sur les droits légaux de la requérante. Il s’agit d’un pouvoir que le ministre ne peut utiliser qu’une seule fois.
  4. Indépendamment du fait de savoir si le ministre trouverait utile d’avoir le pouvoir de modifier ses décisions d’approbation, il est limité aux pouvoirs que la loi lui confère. Même après avoir examiné les dispositions précises que le ministre a soulignées, la loi ne peut être interprétée comme donnant au ministre un pouvoir illimité de modifier ses décisions d’approbation antérieures.

[58] Je suis d’accord avec le fait que le Parlement a voulu que le ministre dispose de certains pouvoirs d’enquête, car le droit d’une personne aux prestations de la SV peut changer au fil du temps. Cependant, aucune des sources invoquées par le ministre n’indique clairement que le Parlement souhaitait également que le ministre ait le pouvoir de modifier ses décisions d’approbation.

[59] Pour tous ces motifs, j’ai conclu que le ministre ne pouvait pas modifier sa décision d’approbation de mai 2014. Selon cette décision, la requérante résidait au Canada le 21 mai 2014 et pendant plus de 27 ans entre son 18e et son 65e anniversaires.

[60] Par conséquent, le ministre pourrait évaluer la résidence de la requérante au Canada uniquement à partir du 22 mai 2014.

[61] Le Tribunal a les mêmes pouvoirs que le ministreNote de bas page 40. Il ne peut lui aussi évaluer la résidence de la requérante qu’à partir du 22 mai 2014. Toutefois, le Tribunal peut continuer son évaluation de la résidence de la requérante au Canada jusqu’à la date de l’audience devant la division générale.

La requérante a résidé au Canada du 22 mai 2014 au 4 janvier 2019.

[62] Dans ce contexte, le fait de « résider au Canada » a un sens très précis. L’article 21(1) du Règlement sur la SV énonce qu’une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada. Cela diffère de la situation d’une personne qui est physiquement présente au Canada.

[63] La question de savoir si la requérante résidait au Canada est tranchée en fonction de tous les faits de son cas particulier. Plus précisément, j’ai examiné les éléments suivants du cas de la requéranteNote de bas page 41 :

  1. les liens prenant la forme de biens mobiliers;
  2. les liens sociaux au Canada;
  3. les autres liens au Canada (assurance médicale, permis de conduire, bail, dossiers fiscaux, etc.);
  4. les liens dans un autre pays;
  5. la fréquence et la durée des séjours au Canada par rapport à la fréquence et à la durée des absences du Canada;
  6. le mode de vie et le degré d’établissement au Canada.

[64] L’importance accordée à chaque facteur peut varier d’une affaire à une autreNote de bas page 42.

[65] Le fait que la requérante avait des liens à la fois avec le Canada et les États-Unis au cours de la période concernée n’est pas contesté. Voici un tableau résumant ses liens avec chaque pays :

Canada États-Unis
La fille de la requérante et sa famille vivent au Canada, bien qu’elles ne soient plus en contact depuis 2014 environ. Le fils de la requérante vit aux États-Unis avec sa famille. L’époux de la requérante passe également jusqu’à la moitié de son temps aux États-Unis.
Depuis 2014, la requérante partage un appartement sur l’avenue X avec une amie. En raison de sa situation financière, elle a déclaré qu’elle ne pouvait pas louer un appartement toute seule. Elle a fourni cette adresse à divers organismes publics en 2014. Cette adresse est confirmée dans des documents officiels, et son nom figure sur le bail depuis 2016Note de bas page 43. La requérante et son époux sont propriétaires d’un condominium sur le rang X en Floride. La requérante a expliqué que cette propriété appartient réellement à son gendre et que son nom figure sur le titre de propriété uniquement pour des raisons juridiques. Elle a admis qu’elle était déjà restée dans cette propriété auparavant, mais elle reste généralement avec son fils lorsqu’elle est en Floride.
La requérante a la citoyenneté canadienne et conserve son passeport canadien. La requérante n’a aucun statut juridique aux États-Unis et ne possède pas de numéro de sécurité sociale américain.
La requérante conserve son permis de conduire québécoisNote de bas page 44. La requérante avait autrefois un permis de conduire de la Floride, mais il a expiré il y a longtemps.
La requérante conserve une assurance maladie provinciale et reçoit des traitements médicaux au Canada. La requérante n’a pas de couverture médicale aux États-Unis.
La requérante fait chaque année une déclaration de revenus au Canada et se déclare résidente du Québec. La requérante ne fait pas de déclaration de revenus aux États-Unis.
La requérante reçoit une petite pension du Régime de rentes du Québec. Elle bénéficiait d’une petite pension par l’intermédiaire de son ancien employeur, laquelle lui a été versée en 2015Note de bas page 45. La requérante avait également une police d’assurance-vie au Canada, mais elle l’a encaissée plus tôt parce qu’elle avait besoin de cet argentNote de bas page 46. Il n’existe aucune preuve de l’existence de polices d’assurance ou d’investissements semblables aux États-Unis.
La requérante a un compte bancaire au Canada, mais elle dit qu’elle fait peu de transactions parce qu’elle n’a pas d’argent. La requérante a admis au cours de l’audience qu’elle et son époux avaient un compte bancaire aux États-Unis, mais elle a déclaré que son gendre gérait ce compte.
Il n’y a aucune preuve à l’appui du fait que la requérante est politiquement active au Canada. En janvier 2014, la requérante a fait un don de 25 $ à un homme politique américainNote de bas page 47. La requérante a expliqué que son gendre lui avait demandé de faire ce don.
Lors de l’audience devant la division générale, la requérante a déclaré qu’elle ne possédait que quelques objets personnels, comme des vêtements, des meubles et un ordinateur. Elle a dit que tout cela se trouvait au Canada. La requérante ne laisse pas d’effets personnels aux États-Unis.

[66] Le ministre semble préoccupé par le fait que la requérante passe beaucoup de temps aux États-Unis et qu’elle y possède une plus grande richesse, notamment un condominium.

[67] Il est très difficile d’évaluer combien de temps la requérante passe au Canada par rapport aux États-Unis. Il n’existe aucun registre objectif permettant de confirmer ses allées et venues entre les deux pays. De plus, les réponses de la requérante à cette question étaient contradictoires. Par exemple :

  1. Dans un questionnaire, la requérante a écrit que, depuis son arrivée au Canada en 1986, elle n’avait jamais quitté le pays pendant plus de trois moisNote de bas page 48.
  2. La requérante aurait dit à l’enquêteur du ministre qu’elle passe les hivers en Floride, à l’exception d’un retour au Canada pour NoëlNote de bas page 49.
  3. À l’audience devant la division générale, la requérante a déclaré qu’elle se rendait habituellement en Floride deux fois par année, mais pour de courts voyages seulement. Un des voyages avait lieu à Noël et l’autre à un moment qui convenait à son fils. En 2014-2015, la requérante est restée plus longtemps aux États-Unis parce qu’elle s’était cassé le bras.

[68] Si ces incohérences sont troublantes, aucune d’entre elles ne donne à penser que la requérante a passé plus de temps aux États-Unis qu’au Canada. De nombreux Canadiennes et Canadiens se rendent aux États-Unis pour l’hiver sans perdre leur résidence canadienne.

[69] En ce qui concerne sa prétendue richesse aux États-Unis, la requérante a demandé pourquoi elle aurait encaissé sa police d’assurance, pourquoi elle aurait vécu si modestement pendant son séjour au Canada et pourquoi elle aurait tardé à faire faire d’importants travaux dentaires si elle était une personne ayant de tels moyens.

[70] Je reconnais que le fait que la requérante soit partiellement propriétaire d’un condominium en Floride est un facteur important qui la lie aux États-Unis. Toutefois, ses liens avec les États-Unis doivent être évalués par rapport à ses liens avec le Canada. Cela comprend le fait que la requérante semble passer beaucoup plus de temps à l’appartement de Montréal qu’au condominium en Floride.

[71] Je reconnais également que les moyens financiers limités de la requérante font partie du contexte global dans lequel je dois examiner son cas.

[72] Dans l’ensemble, je suis convaincu que la requérante a établi sa demeure au Canada et qu’elle y a vécu ordinairement pendant la période concernée. En arrivant à cette conclusion, j’ai trouvé qu’il était particulièrement important que la requérante :

  1. conserve son passeport canadien, son permis de conduire et sa couverture médicale provinciale;
  2. produise chaque année sa déclaration de revenus au Canada, en déclarant être résidente du Québec;
  3. n’ait pas de numéro de sécurité sociale américain et n’ait pas le droit légal de séjourner aux États-Unis pendant des périodes prolongées;
  4. ait ou avait des pensions et des polices d’assurance au Canada.

[73] Par conséquent, je conclus que la requérante a résidé au Canada du 22 mai 2014 au 4 janvier 2019. Je ne suis pas en mesure de tirer des conclusions concernant la résidence de la requérante au Canada après la date de l’audience devant la division générale.

Conclusion

[74] J’ai conclu que la division générale avait commis des erreurs de droit et de compétence et que sa décision devait être annulée. J’ai également décidé que je peux évaluer la résidence de la requérante au Canada du 22 mai 2014 au 4 janvier 2019. Je suis d’accord avec la requérante pour dire qu’elle a résidé au Canada pendant toute cette période. Par conséquent, j’accueille son appel et je rétablis son droit aux prestations de la SVNote de bas page 50.

Date de l’audience :

Le 21 avril 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence, suivie d’observations écrites

Comparutions :

H. Z., appelante
Tiffany Glover, représentante de l’intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.