Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] S. E. est la requérante dans cette affaire. Elle a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en avril 2018. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. La requérante a porté la décision du ministre en appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale. J’accueille l’appel de la requérante. Les raisons de cette décision sont expliquées ci-dessous.

Aperçu

[2] La requérante est née en 1983. Elle a obtenu son diplôme d’études secondaires en 2001. Elle a obtenu un diplôme en administration des affaires (comptabilité) en 2004. Elle a obtenu un certificat en génie électrique de quatrième classe en 2009. Elle a obtenu un certificat en assurance‑vie en 2012. Elle a travaillé pour la dernière fois en juin 2017 dans une raffinerie de pétrole. Elle a arrêté de travailler en raison de l’anxiété, de la dépression, du trouble de stress posttraumatique (TSPT) et de douleurs au dos. La requérante soutient qu’elle ne peut détenir aucun emploi en raison de son état de santé.

Questions en litige

[3] Les problèmes de santé de la requérante ont‑ils entraîné chez elle une invalidité grave, en ce sens qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au 31 décembre 2019?

[4] Dans l’affirmative, l’invalidité de la requérante devait-elle aussi vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie au 31 décembre 2019?

Analyse

[5] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, la requérante doit satisfaire aux exigences énoncées dans le RPC. Plus précisément, elle doit être déclarée invalide au sens du RPC au plus tard à la fin de la période minimale d’admissibilité (PMA). Le calcul de la PMA est fondé sur les cotisations de la prestataire au RPC. J’estime que la date de fin de la PMA de la requérante est le 31 décembre 2019.

[6] On entend par invalidité une invalidité physique ou mentale grave et prolongée Note de bas de page 1. Une personne est réputée avoir une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit entraîner vraisemblablement le décès. Il incombe à la requérante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité satisfait aux deux volets du critère; ainsi, si la requérante ne satisfait qu’à un seul volet, elle n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

La requérante avait une invalidité grave au plus tard le 31 décembre 2019

[7] La mesure pour déterminer si une invalidité est « grave » n’est pas de savoir si la personne est atteinte d’une grave incapacité, mais de savoir si l’incapacité en question l’empêche de gagner sa vie. La détermination de la gravité de l’invalidité d’une personne ne dépend pas de son incapacité d’occuper son emploi régulier, mais plutôt de son incapacité de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 2.

[8] Je suis convaincu que la preuve a démontré que la requérante ne pouvait pas détenir une quelconque occupation véritablement rémunératrice au 31 décembre 2019.

[9] La requérante a détenu de nombreux emplois au cours de sa vie professionnelle. Elle a travaillé comme commis dans un magasin de pièces automobiles, ainsi que comme préposée à l’entretien et pêcheuse. Elle a occupé le poste de coordonnatrice de la formation, des installations et de la gestion des documents auprès d’un producteur pétrolier de 2004 à 2009. Elle a été ingénieure électrique de 2009 à 2012. Elle a ensuite travaillé comme agente d’assurance et de finances de 2012 à 2014. Elle a travaillé pour la dernière fois comme opératrice d’appareil de traitement dans une raffinerie de pétrole de juin 2014 à juin 2017Note de bas de page 3.

[10] Son emploi d’opératrice d’appareil de traitement comportait des tâches physiques. Elle devait opérer des compresseurs à hydrogène. Elle devait ouvrir des valves. Elle ne pouvait toutefois plus exécuter son travail, car elle n’arrivait plus à se concentrer.

[11] La requérante a affirmé dans son témoignage avoir été victime d’une violente agression sexuelle à l’âge de 22 ans. Elle est devenue méfiante à l’égard des hommes, et elle évitait les situations sociales. Elle gérait ces symptômes. Elle a cependant vécu du harcèlement sexuel à son dernier emploi. Des commentaires sexistes grossiers ont été formulés à son endroit. Cela a déclenché chez elle des flashbacks et des cauchemars. Sa santé mentale s’est également détériorée après que son père a subi un grave accident vasculaire cérébral et est décédé.

[12] La requérante ne se sentait pas en sécurité à l’extérieur de son domicile. Elle se sentait constamment en état de paranoïa et de panique. Ses médecins lui ont dit qu’elle vivrait de l’anxiété et de la dépression pour le reste de sa vie. Sa médecin de famille ne croit pas qu’elle soit capable de reprendre un travail quelconque. Elle sent qu’elle mène chaque jour un combat pour sa vie. Son TSPT lui fait revivre l’agression sexuelle. Elle a toujours peur d’avoir des flashbacks. Elle vit dans la peur d’être agressée sexuellement. Elle n’arrive pas à avoir les idées claires. Elle a des douleurs au dos. C’est toutefois sa santé mentale qui est le principal obstacle à son retour au travail.

[13] La requérante a affirmé avoir pris plusieurs congés avant de travailler pour la dernière fois en juin 2017.

[14] La requérante a eu un litige avec sa compagnie d’assurance‑invalidité privée, la Great‑West. Elle a réglé son litige avec la Great‑West, et cette dernière a reconnu qu’elle était atteinte d’une invalidité au titre des modalités de sa police d’assurance.

[15] La requérante a affirmé qu’elle veut travailler, mais qu’elle ne peut pas le faire. Elle a laissé son certificat d’assurance‑vie devenir caduque. Elle a de la difficulté à exécuter des tâches domestiques, et encore plus à travailler.

La preuve médicale appuie une conclusion selon laquelle la requérante avait une invalidité grave au 31 décembre 2019.

[16] La preuve médicale montre que la requérante a été aux prises avec l’anxiété en 2015. Elle a réussi à retourner au travail après avoir pris un congé d’un moisNote de bas de page 4.

[17] La preuve médicale de 2016 montre que la requérante a continué à avoir des problèmes de dépression. Elle avait peu d’énergie. Elle avait aussi des problèmes d’attention et de concentration. Elle s’est absentée du travailNote de bas de page 5. Elle a continué à avoir des douleurs au bas du dos et elle a été orientée vers des soins en chiropraxieNote de bas de page 6.

[18] La requérante a continué à avoir des douleurs au bas du dos en 2017. Elle n’était toutefois pas une candidate pour la chirurgie. En juillet 2017, sa médecin de famille croyait que la requérante ne pourrait pas effectuer de tâches professionnelles intenses. Elle devait s’allonger et se reposer après s’être assise ou tenue debout pendant de longues périodesNote de bas de page 7.

[19] Dans un rapport daté du 15 août 2017, une physiothérapeute a noté que la requérante avait aussi de la difficulté à marcher. Elle ressentait beaucoup de douleur. La physiothérapeute doutait de la capacité de la requérante à supporter ses tâches professionnelles, même en ayant un nombre d’heures limitéNote de bas de page 8.

[20] La santé mentale de la requérante demeurait un enjeu en 2017. L’incapacité de la requérante à travailler la frustraitNote de bas de page 9. Elle a dit à son médecin de famille le 23 août 2017 qu’elle savait qu’elle devait envisager de changer d’emploi. La requérante ne savait toutefois pas exactement quel type d’emploi elle pourrait exécuterNote de bas de page 10.

[21] La médecin de famille de la requérante a écrit à la Great‑West en août et en septembre 2017. Elle a avisé la Great‑West que la requérante ne pouvait pas travailler. La santé mentale de la requérante était une préoccupation majeure. On a dit à la requérante qu’elle devrait retourner faire des tâches légères quatre heures par jour. Mais la requérante s’inquiétait de devoir retourner à un quelconque type d’emploiNote de bas de page 11.

[22] En octobre 2017, la médecin de famille de la requérante a avisé la Great‑West que la requérante était stressée et avait des troubles de sommeil. La médecin de famille de la requérante croyait que la requérante bénéficierait d’une évaluation d’aptitude au travail concernant son éventuel retour au travailNote de bas de page 12.

[23] La requérante a commencé à recevoir un soutien psychologique le 19 octobre 2017. Le psychologue a posé un diagnostic de trouble dépressif majeur, de trouble d’anxiété généralisée et de TSPT. La requérante s’inquiétait au sujet de sa sécurité physique au travail, en raison de ses problèmes d’attention et de concentration. D’après le psychologue, la requérante ne semblait pas prête à retourner travaillerNote de bas de page 13.

[24] La requérante a dit à sa médecin de famille le 7 novembre 2017 qu’elle ne croyait pas qu’elle pourrait retourner travailler à la raffinerie en raison de ses douleurs au dos et de l’anxiété. Les commentaires de nature sexuelle qu’elle avait reçus au travail lui rappelaient des souvenirs de son agression sexuelleNote de bas de page 14.

[25] Un médecin a fourni un rapport à l’employeur de la requérante le 21 novembre 2017. Ce médecin a donné un avis selon lequel la requérante n’était pas apte à travailler. Il a aussi mentionné que le temps nécessaire au rétablissement de la requérante était inconnuNote de bas de page 15.

[26] Les problèmes de santé de la requérante ont continué en 2018. La médecin de famille de la requérante a noté des problèmes d’anxiété et de concentrationNote de bas de page 16. La requérante avait des problèmes de paranoïaNote de bas de page 17. Elle a continué à bénéficier d’un soutien psychologiqueNote de bas de page 18. Elle a eu des crises de paniqueNote de bas de page 19. Son anxiété l’a menée à l’épuisement. Elle a continué à avoir des cauchemars et des flashbacks à propos d’événements antérieurs traumatisantsNote de bas de page 20.

[27] La médecin de famille a rempli un rapport médical pour le ministre le 4 avril 2018. Elle a avisé le ministre que les limitations de la requérante étaient plus physiques que mentales. La requérante avait une faible capacité d’adaptation dans les situations stressantes. La médecin de famille a noté que l’état de la requérante était stable par moments, mais qu’il arrivait qu’il se détérioreNote de bas de page 21.

[28] La médecin de famille de la requérante a fourni un rapport au représentant juridique de la requérante le 18 juillet 2018. Elle ne croyait pas qu’un employeur, dans un contexte réaliste, embaucherait la requéranteNote de bas de page 22.

[29] La requérante a commencé à consulter un psychiatre en 2018. Le psychiatre a émis l’opinion selon laquelle la requérante n’était pas apte à travailler. Le psychiatre ne croyait pas que la requérante pourrait accomplir ses tâches régulières en raison de son état de santé. Il était aussi d’avis qu’un employeur, dans un contexte réaliste, ne l’embaucherait vraisemblablement pasNote de bas de page 23.

[30] La médecin de famille de la requérante a fourni un rapport à son représentant juridique le 15 mai 2019. Selon elle, la requérante ne pourrait pas être présente au travail sur une base constante et fiable. La requérante continuait à être traitée pour la dépression, l’anxiété et le TSPTNote de bas de page 24.

La requérante n’avait pas la capacité de travailler au 31 décembre 2019

[31] Je dois évaluer le caractère grave du critère dans un contexte réalisteNote de bas de page 25. Cela signifie que pour décider si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de facteurs comme son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie.

[32] J’estime que la requérante ne pouvait pas travailler dans un contexte réaliste à la date de fin de sa PMA. La requérante avait seulement 36 ans à l’échéance de sa PMA. Elle a fait des études postsecondaires et elle maîtrise bien l’anglais. Elle possède une vaste expérience de travail dans le domaine des services financiers et dans l’industrie du pétrole et du gaz. L’âge, le niveau d’instruction et l’expérience de travail de la requérante donnent à penser qu’elle a des compétences considérables pour le marché du travail. Je suis tout de même convaincu qu’elle était incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice au 31 décembre 2019.

[33] Je ne crois pas que la requérante aurait pu exercer un quelconque type d’emploi physique ou sédentaire en raison de ses déficiences. Et surtout, je suis convaincu que la requérante n’aurait pas pu exercer un quelconque type d’emploi en raison de ses graves problèmes de concentration qui découlent de ses troubles de santé mentale. La requérante a de l’anxiété grave dans les situations sociales. J’accepte toutefois la preuve qu’elle a présentée à l’audience selon laquelle elle aurait été capable de travailler de la maison en raison de ses difficultés de concentration. Je ne crois pas qu’elle aurait pu détenir un emploi de chauffeuse en raison de son anxiété. J’accepte le fait que sa capacité à accomplir les tâches domestiques était affaiblie à l’échéance de sa PMA. Je ne crois pas que la requérante avait la capacité de travailler sur une base régulière et fiable, et ce, en exerçant quelque type d’emploi que ce soit, à la date de fin de sa PMA.

[34] Je ne crois pas que la requérante ait eu la capacité de travailler depuis qu’elle a travaillé pour la dernière fois en juin 2017. La requérante a affirmé avoir travaillé pour la dernière fois en juillet 2017. Elle a rempli un questionnaire à l’appui de sa demande d’invalidité dans lequel elle a mentionné avoir arrêté de travailler en décembre 2017. Elle a toutefois expliqué à son audience que le mois de décembre 2017 est le mois où elle a commencé à toucher des prestations d’invalidité à long terme de la Great‑West. J’accepte juin 2017 comme la date de début de son invalidité parce que son avocat a soutenu qu’il s’agit de la date à laquelle elle a arrêté de travaillerNote de bas de page 26. J’estime que la date de juin 2017 est la plus exacte, car la requérante semblait nerveuse à l’audience. Je présume aussi que l’information qu’elle a fournie à son avocat a été vérifiée par lui et qu’elle est exacte.

La requérante était un témoin crédible

[35] Il est souvent difficile de mesurer la gravité de la détresse psychologique d’une personne. Bon nombre de ces cas reposent sur les faits en cause et la crédibilité d’une partie requérante est un facteur important à considérer.

[36] J’ai trouvé que la requérante était un témoin crédible. Je n’ai aucune raison de ne pas croire la preuve qu’elle a présentée à l’audience. J’accepte le fait qu’elle est atteinte d’une grave dépression, d’anxiété et du TSPT. Je ne pense pas qu’elle ait exagéré ses symptômes. Elle a affirmé que ses douleurs au dos n’étaient pas une cause importante de son incapacité à travailler, même si la preuve médicale laisse entendre qu’elle a eu de graves douleurs au dos en 2017 et 2018.

[37] Je crois qu’elle travaillerait si elle le pouvait. Elle a gagné un bon revenu en exerçant une carrière qu’elle aimait. Elle est aussi motivée à travailler parce qu’elle a de jeunes enfants. Elle a d’excellents antécédents professionnels, et elle a continué à travailler malgré ses problèmes de santé jusqu’en juin 2017.

La requérante a suivi le traitement et s’y est conformée

[38] J’estime que la requérante a suivi le traitement recommandé. La requérante a fait un suivi avec sa médecin de famille. Elle a essayé la physiothérapie. Elle a essayé les antidépresseurs. Elle a consulté un psychologue et un psychiatre. Elle continuait à bénéficier d’un suivi psychologique au moment de l’audience.

Invalidité prolongée

[39] Le ministre a fait valoir que la preuve n’appuyait pas une conclusion selon laquelle les problèmes de santé de la requérante la rendraient incapable d’exercer tout type de travail indéfinimentNote de bas de page 27.

[40] Je ne suis pas d’accord.

[41] J’estime que la requérante a prouvé qu’elle avait une invalidité qui durera vraisemblablement pendant une période longue, continue et indéfinie.

[42] Dans son rapport médical au ministre daté du 4 avril 2018, la médecin de famille de la requérante a exprimé l’espoir que la requérante puisse retourner au travailNote de bas de page 28.

[43] La médecin de famille de la requérante a fourni un rapport au représentant juridique le 4 mai 2019. Elle y exprimait de nouveau l’espoir d’un retour au travail. Elle a toutefois mentionné qu’il était impossible de prédire quand cela arriverait. Elle croyait que l’invalidité de la requérante était d’une durée indéfinieNote de bas de page 29.

[44] Dans un rapport au ministre daté du 30 décembre 2019Note de bas de page 30, le psychiatre de la requérante a formulé à son égard un pronostic peu optimiste quant à un retour à un quelconque type de travail.

[45] Le psychologue de la requérante a remis au ministre un rapport daté du 10 janvier 2020. Le psychologue y décrivait le traitement de la requérante depuis 2017. Il a mentionné qu’il était très difficile de fournir une estimation concernant le retour de la requérante à un quelconque type de travail en raison de ses symptômes qui persistentNote de bas de page 31.

[46] Je ne crois pas que les rapports des médecins traitants de la requérante appuient le fait qu’il est probable que la requérante reprendra un emploi véritablement rémunérateur. Je crois que ses médecins concentrent leurs efforts sur la gestion de ses symptômes plutôt que d’essayer de les guérirNote de bas de page 32.

Conclusion

[47] La requérante avait une invalidité grave et prolongée en juin 2017, lorsqu’elle a travaillé pour la dernière fois. Les versements commencent quatre mois après la date d’invalidité, à compter d’octobre 2017Note de bas de page 33.

[48] L’appel est accueilli.

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