Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : M. P. c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 715

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-821

ENTRE :

M. P.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Tyler Moore
Requérante représentée par : Geoffrey Hume
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 17 juin 2020
Date de la décision : Le 8 juillet 2020

Sur cette page

Décision

[1] La requérante a droit au versement d’une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) à compter de juin 2017. Voici les motifs de ma décision.

Aperçu

[2] Le dernier emploi de la requérante était un poste de caissière à temps partiel qu’elle a occupé de mai 2013 à décembre 2016. Elle a précisé qu’elle ne pouvait plus travailler depuis ce moment-là en raison de la fibromyalgie et d’une dépression. Le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité le 18 mai 2018. La demande a été rejetée une première fois, puis de nouveau après révision. La requérante a porté la décision issue de la révision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour avoir droit à une pension d’invalidité du RPC, la requérante doit remplir les conditions énoncées dans le RPC. Plus précisément, elle doit être déclarée invalide au sens du RPC au plus tard à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA). Le calcul de la PMA repose sur les cotisations que la requérante a versées au RPC. Je constate que la PMA de la requérante a pris fin le 31 décembre 2018.

Questions en litige

[4] Les problèmes de santé de la requérante ont-ils entraîné chez elle une invalidité grave, c’est-à-dire était-elle régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au plus tard le 31 décembre 2018?

[5] Dans l’affirmative, l’invalidité de la requérante semblait-elle aussi devoir durer pendant une période longue, continue et indéfinie au plus tard le 31 décembre 2018?

Analyse

[6] L’invalidité se définit comme une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongéeNote de bas de page 1. Une personne est considérée comme ayant une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décès. La requérante doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (qu’il y a plus de chances) que son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Par conséquent, si la requérante ne satisfait qu’à un seul volet, elle n’a pas droit aux prestations d’invalidité.

[7] Je juge que la requérante est crédible. Lors de son témoignage, elle répondait directement aux questions sur son travail et ses antécédents médicaux. J’ai accordé autant d’importance au témoignage oral de la requérante qu’à la preuve figurant au dossier d’appel. 

Invalidité grave

La requérante a de graves problèmes de santé aux effets cumulatifs

[8] Je dois évaluer l’état de santé de la requérante dans son ensemble. Pour ce faire, je dois tenir compte de toutes ses déficiences, pas seulement des déficiences les plus importantes ou de la déficience principaleNote de bas de page 2.

[9] Le médecin de famille de la requérante, qui la traite depuis longtemps, a affirmé en mai 2018 qu’elle souffre de fibromyalgie et d’une dépression. Elle était malade depuis longtemps et ses problèmes de santé ne répondaient pas au traitement. De plus, ils étaient imprévisibles et aggravés par la douleur chronique. Le Dr Nichols ne prévoyait faire aucune autre demande d’examen ou de consultation.

[10] Le ministre a fait valoir que la requérante n’a pas consulté de spécialistes de la santé mentale ni suivi de thérapie pour sa dépression. Les médecins de la requérante ont aussi déclaré que la gravité, la fréquence et la durée de ses symptômes sont intermittentes.

[11] Comme traitement, la requérante a fait de la physiothérapie et reçu des traitements de chiropractie et de massothérapie contre la douleur. Elle n’a pas été en mesure de suivre ces traitements de façon continue en raison de leurs coûts. Elle a essayé de nombreux médicaments contre la douleur et la dépression. Au moment de la PMA, elle prenait de la gabapentine, du Tylenol Douleurs arthritiques et de l’Effexor. Dans le passé, elle avait déjà essayé le Naproxen, le Lyrica, l’Ability [sic], la zopiclone et le Celebrex, mais elle a dû cesser de les prendre en raison des effets secondaires. La requérante a aussi suivi un programme éducatif sur la fibromyalgie, comme on le lui a recommandé.

[12] Selon la requérante, l’Effexor a contribué à réduire sa dépression d’au plus 45 %. Ses médicaments contre la douleur peuvent ramener ses douleurs à 6/10, mais elles peuvent monter jusqu’à 9/10. Elle peut vaquer à ses occupations, mais ses douleurs sont constantes. Jusqu’à ce qu’on impose les limitations dues au coronavirus, la requérante allait nager deux fois par semaine. Elle a dit que ces séances d’exercice l’aidaient. Par contre, les jours où elle allait nager, elle ne pouvait rien faire d’autre à la maison parce qu’elle était complètement épuisée. 

[13] La requérante a bel et bien consulté en psychiatrie il y a sept ou huit ans. Elle a aussi reçu des services de consultation pendant six à sept mois. Depuis, le Dr Nichols a entrepris de s’occuper de la gestion de sa dépression par des services de consultation et les médicaments. Il n’a recommandé aucun autre traitement ou consultation avec des spécialistes. La requérante a vu une rhumatologue en 2018, mais sa seule recommandation était de continuer à faire de la nage et à prendre ses médicaments contre la fibromyalgie.

[14] En plus de la fibromyalgie et d’une dépression, la requérante a affirmé avoir des symptômes de maladie inflammatoire de l’intestin. Au moment de la PMA, il y avait un grand nombre de jours où elle ne pouvait pas sortir de chez elle. Il fallait qu’elle soit proche d’une salle de bain. La prise de probiotiques a permis de réduire ses symptômes jusqu’à un certain point, mais elle peut tout de même ressentir l’urgence d’aller aux toilettes de deux à six fois par jour.

[15] Je ne blâme pas la requérante parce qu’on ne l’a pas envoyée voir des spécialistes ou qu’elle n’a pas pu suivre certains traitements en raison des coûts qui y étaient associés. Je juge qu’elle a fait son possible pour suivre les traitements recommandés. Malgré les efforts qu’elle a faits, je juge que la combinaison d’une dépression, de la fibromyalgie et du côlon irritable l’empêche régulièrement d’avoir un travail véritablement rémunérateur.

Les problèmes de santé de la requérante ont des effets considérables sur son quotidien

[16] Pour évaluer si une invalidité est « grave », il ne s’agit pas de savoir si la personne a des déficiences graves, mais si l’invalidité l’empêche de gagner sa vie. Il n’est donc pas question de savoir si une personne est incapable d’accomplir ses tâches habituelles, mais plutôt si elle est incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3.

[17] La requérante a décrit ce qu’elle vivait au moment de sa PMA : chaque semaine, il y avait deux journées vraiment mauvaises et une bonne journée. Au cours d’une mauvaise journée, elle avait beaucoup de difficultés à organiser ses pensées, ses douleurs étaient plus intenses et elle était complètement épuisée. Les mauvaises journées pouvaient être causées par le stress ou même par le simple fait d’avoir marché dans les rayons d’une épicerie la veille. Environ trois journées par semaine, les symptômes de sa dépression s’aggravaient aussi. Cela voulait dire qu’elle ne prenait pas de douche, qu’elle mangeait très peu et qu’elle ne sortait pas de la maison. Au cours d’une bonne journée, elle pouvait peut-être effectuer quelques tâches ménagères.

[18] La requérante a appris à connaître son niveau de tolérance envers ses activités. Ses symptômes déterminent ce qu’elle peut ou ne peut pas faire chaque jour. Elle ne peut pas prédire le moment où elle aura des douleurs lancinantes aux jambes et au dos ni celui où un objet lui tombera des mains. Son niveau de tolérance pour l’exercice a grandement diminué. Au moment de sa PMA, elle ne pouvait pas marcher plus loin qu’un demi-pâté de maisons avant de devoir revenir à la maison. Avant, elle adorait jouer au curling trois fois par semaine, mais elle a dû cesser de jouer complètement vers 2018 en raison de ses douleurs. En plus de pouvoir se tenir debout pendant seulement 5 minutes, elle peut rester assise pendant seulement de 5 à 10 minutes.

[19] La requérante a de la difficulté à se rappeler les noms et les dates. Elle ne peut pas se concentrer assez longtemps pour faire de la lecture. Quant à son sommeil, elle passe peut-être une bonne nuitée par semaine. D’autres nuits, elle se réveille souvent à cause de crampes musculaires. Au cours de telles nuits, elle dort peut-être un total de trois heures.

[20] Sa fibromyalgie et son côlon irritable lui ont fait manquer des rencontres familiales, des événements sociaux et des voyages. Je le répète, elle ne peut rien planifier. Même assister à une partie de hockey est hors de question parce qu’il faudrait qu’elle marche jusqu’à son siège dans les gradins.  

[21] L’époux de la requérante effectue la majorité de la cuisine et du nettoyage à la maison. Elle fait ce qu’elle peut pour l’aider, selon ses symptômes.  

[22] J’admets que les problèmes de santé de la requérante ont eu des effets considérables sur son quotidien. Ses symptômes sont imprévisibles et varient de jour en jour. Elle a dû apporter de grands changements à son style de vie pour tenter de contrôler ses symptômes. Je reconnais qu’il y a eu quelques améliorations depuis qu’elle a cessé de travailler, mais uniquement parce qu’elle peut contrôler son environnement quand elle est à la maison. Elle peut s’étendre et se reposer au besoin et, lors d’une mauvaise journée, elle peut décider de ne rien faire du tout.

Il n’est pas réaliste de penser que la requérante est apte à l’emploi

[23] Je dois aussi évaluer le critère relatif à la gravité dans un contexte réalisteNote de bas de page 4. Ainsi, pour décider si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie.

[24] La requérante avait 55 ans et parlait bien l’anglais au moment de sa PMA. Elle a fait sa 11année et a reçu un diplôme d’infirmière auxiliaire après avoir suivi un programme collégial d’un an. Elle a seulement travaillé comme infirmière auxiliaire et comme caissière. Elle possède peu de compétences en informatique. Je constate que la requérante a très peu de compétences polyvalentes et présente de nombreuses limitations fonctionnelles et psychologiques. Étant donné son âge, son niveau d’instruction limité, son manque de compétences polyvalentes et les limitations découlant de ses problèmes de santé, je juge qu’elle ne serait pas une bonne candidate pour un programme de recyclage ou des mesures d’adaptation en milieu de travail. 

[25] La requérante a essayé de continuer à travailler aussi longtemps qu’elle le pouvait en réduisant graduellement ses heures. Malheureusement, il est hors de question qu’elle reste dans la même position pendant plus de quelques minutes. Cette limitation ne s’est pas améliorée depuis décembre 2016. J’admets que la requérante retournerait travailler si elle le pouvait.

[26] J’ai conclu qu’il y a plus de chances que la requérante avait effectivement une invalidité qui est grave au sens du RPC au plus tard le 31 décembre 2018.

Invalidité prolongée

[27] Je juge que l’invalidité de la requérante devait aussi durer pendant une période longue, continue et indéfinie dès le 31 décembre 2018. Malgré l’essai de plusieurs médicaments et la consultation de spécialistes, elle présente des symptômes depuis 2016. Étant donné le caractère chronique de ses problèmes de santé et le fait qu’on ne lui a présenté aucune nouvelle option de traitement, je juge qu’il y a peu de chances que son état s’améliore d’une façon telle qu’elle pourrait retourner exercer régulièrement un emploi véritablement rémunérateur.

Conclusion

[28] La requérante avait une invalidité grave et prolongée en décembre 2016, lorsqu’elle a cessé de travailler. Toutefois, pour établir la date du paiement de la pension, il faut considérer qu’une personne est réputée être devenue invalide tout au plus 15 mois avant que le ministre reçoive sa demande de pensionNote de bas de page 5. La demande de la requérante a été reçue en mai 2018, donc la date réputée de son invalidité est février 2017. Le versement de la pension commence quatre mois après la date réputée de l’invalidité, donc à compter de juin 2017Note de bas de page 6.

[29] L’appel est accueilli.

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