Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : A. E. c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 716

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1671

ENTRE :

A. E.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Tyler Moore
Requérant représenté par : Kaity Yang
Date de l’audience par
vidéoconférence :
Le 16 juin 2020
Date de la décision : Le 8 juillet 2020

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant a droit au versement d’une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) à compter de novembre 2017. Voici les motifs de ma décision.

Aperçu

[2] Le dernier emploi du requérant était un poste de gérant adjoint dans un commerce de détail. Il a travaillé à temps plein de juin 2014 à mai 2017. Il a précisé qu’il ne pouvait plus travailler depuis ce moment-là en raison de multiples fractures par compression subies à la colonne vertébrale ainsi que de l’arthrite au genou. Le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité du requérant le 15 octobre 2018. Le ministre a rejeté la demande une première fois, puis il l’a rejetée de nouveau après révision. Le requérant a porté la décision issue de la révision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour avoir droit à une pension d’invalidité du RPC, le requérant doit remplir les conditions énoncées dans le RPC. Plus précisément, il doit être déclaré invalide au sens du RPC au plus tard à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA). Le calcul de la PMA repose sur les cotisations que le requérant a versées au RPC. Je constate que la PMA a pris fin le 31 décembre 2019.

Questions préliminaires

[4] Le requérant a déposé des éléments de preuve supplémentaires quelques jours avant la date prévue de l’audience. Parmi les éléments se trouvait une mise à jour rédigée le 10 juin 2020 par son médecin de famille. Étant donné la PMA du requérant et le fait que le rapport n’aurait pas pu être présenté plus tôt, j’ai admis les pièces GD-12 et GD-13 au dossier. Le ministre a déposé des observations portant sur ces documents à la suite de l’audience. J’ai tenu compte de tous ces éléments en rendant ma décision.

Questions en litige

[5] Les problèmes de santé du requérant ont-ils entraîné chez lui une invalidité grave, c’est-à-dire était-il régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au plus tard le 31 décembre 2019?

[6] Dans l’affirmative, l’invalidité du requérant semblait-elle aussi devoir durer pendant une période longue, continue et indéfinie au plus tard le 31 décembre 2019?

Analyse

[7] L’invalidité se définit comme une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongéeNote de bas de page 1. Une personne est considérée comme ayant une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décès. La personne doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (qu’il y a plus de chances) que son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Par conséquent, si le requérant ne satisfait qu’à un seul volet, il n’a pas droit aux prestations d’invalidité.

[8] Je juge que le requérant et le témoin sont crédibles tous les deux. Lors de leur témoignage, les deux ont répondu franchement aux questions sur le travail et les antécédents du requérant ainsi qu’aux questions sur les effets de ses problèmes de santé sur sa vie de tous les jours. J’ai accordé autant d’importance au témoignage oral qu’à la preuve figurant au dossier d’appel.

Invalidité grave

Le requérant a de graves problèmes de santé aux effets cumulatifs

[9] Je dois évaluer l’état de santé du requérant dans son ensemble, ce qui signifie que je dois tenir compte de toutes ses déficiences possibles, pas seulement des déficiences les plus importantes ou de la déficience principaleNote de bas de page 2.

[10] Selon une imagerie par résonance magnétique (IRM) du genou droit qui date de décembre 2018, le requérant a des déchirures complexes chroniques du ménisque externe et du ligament croisé antérieur. L’IRM a aussi montré une chondromalacie rotulienne de stade 4. Une IRM de la colonne vertébrale prise en janvier 2019 montrait des fractures par compression des vertèbres T7 à T12, une discopathie dégénérative, une cunéiformisation discale, une hernie discale à L4 et L5 qui comprimait le nerf gauche en L4 ainsi qu’une légère protrusion discale de C5 à C7. Le requérant a reçu des diagnostics d’arthrose grave aux genoux, de maladie de Scheuermann à la colonne vertébrale et d’obésité sévère.

[11] Le ministre a fait valoir que le requérant a conservé une certaine capacité parce que son chirurgien orthopédiste n’avait pas décrit une invalidité d’une durée indéfinie. De plus, le requérant n’avait pas encore suivi toutes les recommandations de traitement.

[12] Le Dr Deakon, chirurgien orthopédiste, a examiné le requérant en 2018 pour ses douleurs aux genoux. Il lui a recommandé de perdre du poids, de porter un corset et de recevoir des injections. Il pensait que si le requérant perdait 10 livres, son état s’améliorerait de façon notable. Au début de 2019, le requérant a vu un autre chirurgien orthopédiste, le Dr Zabita, qui lui a dit qu’une intervention au genou était impossible sans une perte de poids importante. Par contre, il est important de souligner que les opinions des chirurgiens orthopédistes sont fondées uniquement sur le problème de genoux du requérant. Les problèmes aux genoux constituent seulement une partie des problèmes de santé du requérant.

[13] Je juge que le requérant a démontré qu’il a fait des efforts pour perdre du poids, bien qu’il n’y soit pas parvenu. En 2019, il est allé à une clinique où la perte de poids se fait sous supervision médicale, mais il n’a pas perdu de poids. Il a suivi bon nombre de diètes différentes, mais aucune n’a fonctionné. Malheureusement, il a continué de prendre du poids depuis 2017. Cette prise de poids est principalement due à ses douleurs chroniques et aux limitations fonctionnelles liées à ses genoux et à son dos. Elles restreignent véritablement sa capacité à bouger et à faire de l’exercice.

[14] Le requérant a fait valoir que même s’il subissait une intervention chirurgicale au genou pour réparer son ligament croisé antérieur et son ménisque externe, cela ne changerait pas le fait qu’il est atteint d’arthrose grave. La seule façon d’améliorer son état est de se faire remplacer le genou au complet. Étant donné son jeune âge, ce n’est toutefois pas une option.

[15] J’estime que le Dr Ghouse, un spécialiste en physiatrie, a utilisé une bonne analogie pour décrire l’état de santé du requérant en février 2020. Il a écrit que même si le requérant est relativement jeune, il a des pathologies importantes. Il est pris dans un cercle vicieux parce que ses douleurs limitent ses activités, ce qui lui fait prendre plus de poids. Le Dr Schal, qui travaille à la clinique de perte de poids sous supervision médicale, a répété les propos du Dr Ghouse en septembre 2019. Il a écrit que les activités du requérant étaient limitées en raison de ses problèmes aux articulations.

[16] Le requérant s’est rendu à une clinique antidouleur où il a reçu de multiples injections épidurales et anesthésies par bloc nerveux au dos. Elles n’ont rien donné. La physiothérapie, la massothérapie et la chiropractie ne l’ont pas aidé non plus.

[17] Le requérant a décrit la douleur à son dos comme étant constante, mais son intensité varie d’un jour à l’autre. Parfois, il ne dort pas de la nuit en raison de ses douleurs. Habituellement, il se réveille de deux à trois fois par nuit. La douleur qu’il ressent au milieu du dos affecte son cou, ce qui lui cause des maux de tête. De façon générale, l’état de santé du requérant ne s’est pas amélioré depuis qu’il a cessé de travailler. Il semble même que de nouveaux problèmes apparaissent à quelques mois d’intervalle. Par exemple, ses problèmes de santé ont commencé par les fractures par compression qu’il a subies à la colonne vertébrale; ensuite, il a commencé à avoir des douleurs au genou droit, puis au genou gauche en 2018. Par la suite, il a pris du poids et a fait une dépression, ce qui a empiré les choses. Même l’exercice aggrave ses douleurs.

[18] Au moment de la PMA, le requérant prenait des relaxants musculaires et du Tylenol No 3 contre la douleur. Ses médicaments causent des étourdissements, de la fatigue et des problèmes d’estomac, mais il doit les prendre pour être capable de vaquer à ses occupations.

[19] Le Dr Ghouse et le médecin de famille du requérant soutiennent tous les deux la demande de prestations du requérant et croient qu’il est incapable de travailler. En juin 2020, le Dr Ibrahim, le médecin de famille qui traite le requérant de longue date, a déclaré que ce dernier était toujours invalide et ne pouvait occuper aucun emploi. Plus précisément, il ne pouvait pas travailler parce qu’aucun traitement ne pouvait guérir les fractures par compression qu’il a subies à la colonne vertébrale. Il présentait également des déficiences marquées lorsqu’il s’agissait d’effectuer des activités simples de tous les jours.

[20] Je juge que le requérant a fait son possible pour suivre les traitements recommandés. Il a pris des médicaments, fait de la réadaptation et reçu des injections contre la douleur, mais toutes ses tentatives ont échoué. Il s’est fait traiter dans une clinique antidouleur et une clinique de perte de poids sous supervision médicale, mais cela n’a rien donné. Il ne peut même pas se faire faire une orthèse sur mesure pour ses genoux à moins de perdre du poids. Je juge que l’état de santé actuel du requérant freine tout traitement. S’il ne peut pas faire de l’exercice, il ne pourra pas perdre du poids. Le seul fait de bien manger ne l’a pas aidé. Même si le requérant perdait beaucoup de poids, la chirurgie traiterait seulement son problème de genou. Il n’existe aucun traitement pour son dos, qui est ce qui le fait souffrir le plus. Ainsi, même si le requérant perdait beaucoup de poids et subissait une intervention chirurgicale au genou, je juge qu’il ne pourrait toujours pas exercer régulièrement un emploi véritablement rémunérateur.

Les problèmes de santé du requérant ont des effets considérables sur son quotidien

[21] Pour évaluer si une invalidité est « grave », il ne s’agit pas de savoir si la personne a des déficiences graves, mais si l’invalidité l’empêche de gagner sa vie. Il n’est pas question de savoir si elle est dans l’impossibilité d’accomplir ses tâches habituelles, mais plutôt si elle est incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3.

[22] Le requérant aimait bouger, jouer au soccer et jouer avec ses enfants avant que ses douleurs apparaissent en 2017. Depuis, il ne peut pas rester assis pendant plus de 30 minutes ni se tenir debout pendant plus de 15 minutes. Il ne peut pas soulever plus de 5 livres et il a beaucoup de difficulté à monter les escaliers. Il ne peut pas se pencher et il a de la difficulté à étendre le bras et à lever la tête. Il lui est aussi très difficile de mettre des bas et des souliers. À la maison, son épouse s’occupe de toutes les tâches ménagères et de l’entretien de la maison. Avant, elle et lui se partageaient les tâches ménagères et les soins aux enfants. L’épouse du requérant a aussi dû trouver du travail parce qu’ils n’ont aucune autre source de revenus.

[23] Le requérant s’inquiète de l’état dans lequel il se réveillera tous les matins. Chaque jour, il doit planifier ses activités en fonction de ses douleurs et il ne peut pas respecter un horaire. Il est rare qu’il voie d’autres personnes dans un contexte social parce qu’il ne veut pas avoir à s’étendre n’importe où. Lorsque ses douleurs sont vives, il doit s’étendre.

[24] Le Dr Ibrahim a énuméré les limitations du requérant en juillet 2019. Il ne pouvait pas, entre autres choses, bouger son cou ou son dos brusquement, faire une rotation ou se pencher, soulever ou porter et tirer ou pousser un objet pesant plus de 10 livres, courir, sauter, se mettre à genoux, rester assis pendant plus de 5 minutes sans changer de position et marcher pendant plus de 10 minutes.

[25] J’admets que le quotidien du requérant est imprévisible et dicté par ses douleurs. Il a dû adopter un mode de vie sédentaire. Ce n’est pas par choix, mais parce que c’est sa seule option. Il ne peut pas bouger avec ses enfants, faire du sport ou effectuer des activités simples de la vie quotidienne sans aggraver ses douleurs. De toute évidence, son quotidien a été profondément perturbé par ses problèmes de santé.

Il n’est pas réaliste de penser que le requérant est apte à l’emploi

[26] Je dois aussi évaluer le critère relatif à la gravité dans un contexte réalisteNote de bas de page 4. Ainsi, pour décider si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie.

[27] Le requérant a immigré au Canada depuis l’Égypte en 2012. En Égypte, il a obtenu un diplôme universitaire en comptabilité. Au Canada, il a seulement travaillé dans la vente au détail et comme ouvrier. Il était très motivé à réussir sa vie professionnelle avant de tomber malade. À son dernier emploi, il a été promu quelques fois et est devenu le gérant adjoint d’un magasin. Il avait même discuté avec le directeur régional de la possibilité de devenir gérant du magasin. À son dernier emploi, il devait soulever des objets lourds et monter des escaliers assez souvent. C’était un travail physique. Par contre, les douleurs du requérant n’ont pas diminué depuis qu’il a cessé de travailler en mai 2017.

[28] J’admets que le requérant travaillerait s’il le pouvait. Comme il est incapable de rester dans la même position plus de quelques minutes et qu’il ne peut pas s’engager à respecter un horaire, je juge qu’il ne serait pas un bon candidat pour un programme de recyclage ou un travail moins exigeant physiquement. Il n’a pas cherché un autre travail parce que son état de santé ne s’est pas amélioré.

[29] Je conclus que le requérant avait une invalidité grave au sens du RPC au plus tard le 31 décembre 2019.

Invalidité prolongée

[30] Je conclus que l’invalidité du requérant devait aussi durer pendant une période longue, continue et indéfinie dès le 31 décembre 2019. Même s’il a consulté bon nombre de spécialistes et qu’il a subi une grande variété de traitements, son état de santé ne s’est pas beaucoup amélioré depuis 2017. Selon le Dr Ibrahim, son problème à la colonne vertébrale ne s’améliorera probablement jamais. Étant donné le caractère chronique des symptômes du requérant et l’absence de toute amélioration jusqu’à maintenant, je juge qu’il y a peu de chances que son état s’améliore jusqu’au point où il pourrait retourner régulièrement exercer un emploi véritablement rémunérateur.

Conclusion

[31] Le requérant avait une invalidité grave et prolongée en mai 2017, quand il a cessé de travailler. Toutefois, pour établir la date du paiement de la pension, il faut considérer qu’une personne est réputée être devenue invalide tout au plus 15 mois avant que le ministre reçoive sa demande de pensionNote de bas de page 5. La demande du requérant a été reçue en octobre 2018, donc la date réputée de son invalidité est juillet 2017. Le versement de la pension commence quatre mois après la date réputée de l’invalidité, donc à compter de novembre 2017Note de bas de page 6.

[32] L’appel est accueilli.

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