Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : RC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1137

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1569

ENTRE :

R. C.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Raymond Raphael
Représentant du requérant : Roelf A. M. Swart
Représentant du ministre : John Gebera
Date de l’audience par Zoom : Le 8 juillet 2020
Date de la décision : Le 11 juillet 2020

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent en septembre 2016.

Aperçu

[2] Le requérant avait 27 ans lorsqu’il a demandé une pension d’invalidité du RPC en novembre 2016. Il travaillait comme charpentier. En mai 2016, pendant un match de hockey récréatif, un autre joueur l’a attaqué. L’autre joueur l’a frappé au visage avec un bâton de hockey. La plupart des os de son visage ont été fracturés. Le requérant n’a pas travaillé depuis. Dans son questionnaire sur l’invalidité, le requérant a affirmé qu’il avait été incapable de travailler depuis mai 2016 en raison du stress post-traumatique, de dépression grave et d’anxiété grave découlant de ses blessures au visage. Il a aussi mentionné qu’il avait d’autres problèmes incapacitants, notamment des troubles du sommeil, des dommages au nerf facial et des bombements discaux au dosNote de bas page 1.

[3] Le ministre a rejeté sa demande initialement et après révision. Le requérant a fait appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. En janvier 2019, la division générale a rejeté l’appel. Le requérant a fait appel devant la division d’appel. En septembre 2019, la division d’appel a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire à la division générale pour qu’elle tienne une nouvelle audience.

[4] Au sens du RPC, une invalidité est une déficience physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas page 2. L’invalidité du requérant est grave si elle le rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Son invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie.

[5] Pour que le requérant ait gain de cause, il doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’il est devenu invalide avant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), et qu’il continue à être invalideNote de bas page 3. Sa PMA, c’est-à-dire la date à laquelle il doit prouver qu’il était invalide, est le 31 décembre 2018. Il s’agit de la dernière date à laquelle il avait versé des cotisations valides au RPC pendant quatre des six dernières annéesNote de bas page 4.

Questions en litige

  1. Les problèmes médicaux du requérant l’ont-ils rendu régulièrement incapable de détenir une quelconque occupation véritablement rémunératrice avant le 31 décembre 2018?
  2. Si tel est le cas, son invalidité est-elle d’une durée longue, continue et indéfinie?

Analyse

[6] Au début de l’audience, M. Swart, représentant du requérant, a soutenu que les problèmes incapacitants les plus importants de ce dernier sont de multiples fractures au visage, des douleurs chroniques au bas du dos et au visage, et des problèmes psychologiques. Bien que le requérant ait suivi un traitement complet comprenant des médicaments, du counselling, de la physiothérapie et plusieurs orientations vers des spécialistes, il continue à être incapable de travailler. Les rapports et les dossiers cliniques du Dr Csanadi, médecin de famille du requérant, et du Dr Santher, son psychiatre traitant, confirment qu’il est incapable de retourner travailler dans quelque emploi que ce soit.

[7] M. Gebera, représentant du ministre, a soutenu que le requérant avait seulement 27 ans lorsqu’il a demandé une pension d’invalidité du RPC. Il a fait de bonnes études et il a des compétences transférables. M. Gebera a reconnu que le requérant a des limitations, et qu’il pourrait ne pas être capable de retourner travailler comme charpentier. Cependant, le ministre est d’avis que le requérant a la capacité de détenir un autre travail et qu’il n’a pas fait les démarches raisonnables pour y arriver.

Invalidité grave

Les problèmes de santé du requérant nuisaient à sa capacité de travailler au 31 décembre 2018

[8] Je dois évaluer l’état de santé du requérant dans son ensemble et tenir compte de toutes les déficiences qui compromettent son employabilité, et non seulement ses déficiences les plus importantes ou la déficience principaleNote de bas page 5.

Preuve orale

[9] Le requérant a affirmé qu’il avait été victime d’une attaque non provoquée alors qu’il jouait un match de hockey récréatif. Un autre joueur l’a soudainement heurté au visage avec un bâton de hockey. Il a glissé dans la bande, et il se rappelle ensuite s’être réveillé à l’hôpital. Il a subi une chirurgie reconstructive complexe d’une durée de huit heures.

[10] Ses problèmes de santé continus à la suite de la chirurgie comprennent ce qui suit :

  • Dommages importants au côté gauche de son visage : Le côté gauche est toujours engourdi; il a une douleur constante dans la région du nez; ses yeux sont toujours gonflés et il ne peut pas respirer avec sa narine gauche.
  • Maux de tête : Il a de [traduction] « très » graves maux de tête presque tous les jours; la douleur est insupportable et il doit habituellement rester dans une pièce sombre et s’étendre pendant au moins une heure.
  • Douleur aux dents : Il a une douleur constante aux dents. Son dentiste lui a dit que la douleur pourrait être permanente en raison des dommages au nerfNote de bas page 6.
  • Cicatrice : Il a une cicatrice permanente au centre du visage. Il est toujours en colère et bouleversé quand il se regarde dans le miroir. Il est très préoccupé par sa cicatrice, ce qui fait qu’il hésite à sortir et à fréquenter des gens.
  • Ruminations : Il pense toujours à l’attaque. Par conséquent, il n’est pas capable de se concentrer.
  • Douleur au dos : Bien qu’il ait eu de la douleur au dos avant l’attaque, l’état de son dos s’est aggravé par la suite. Sa douleur au dos est plus grave qu’avant et constanteNote de bas page 7.
  • Troubles du sommeil : Son sommeil est toujours interrompu. Il ne réussit jamais à dormir pendant toute une nuit.

[11] Le requérant a témoigné au sujet des traitements qu’il a suivis. Il prend des médicaments pour la dépression, l’anxiété, la douleur, les maux de tête, l’inflammation et la douleur névralgique. Ces médicaments lui procurent peu de soulagement, mais son état serait pire s’il ne les prenait pas. Les médicaments le rendent étourdi. Il a participé à de nombreuses séances de thérapie de groupe. Il a participé pour la dernière fois à une thérapie de groupe avec le Dr Santher en mai 2019. Il a essayé de prendre un autre rendez‑vous avec le Dr Santher, mais il n’a pas pu le faire. Il croit que le Dr Santher va bientôt partir à la retraite. Il est sur la liste d’attente pour voir une ou un psychologue. Il a vu le Dr Khadim, spécialiste de la douleur, en janvier 2019Note de bas page 8. Le Dr Khadim voulait faire des blocages nerveux, ce qui aurait nécessité l’insertion d’aiguilles dans son visage et son dos. Il n’est pas retourné voir le Dr Kadhim parce qu’il ne voulait pas ressentir de la douleur en raison des aiguilles. Son médecin de famille n’a pas recommandé une autre clinique de la douleur. Bien que certains de ses médecins aient été optimistes au départ, aucun d’entre eux ne l’a jugé apte à retourner travailler.

[12] V. T., l’épouse du requérant, a témoigné de ce qu’elle a observé chez le requérant. Elle a mentionné qu’il ne dort pas bien. Il bouge et se retourne toute la nuit. Il ne se réveille pas à la même heure tous les jours. Il n’est pas de bonne humeur quand il se réveille; il est très irritable, frustré et en colère. Il a de la difficulté à respirer du côté gauche; il expire généralement par la bouche. Il a de la difficulté à se concentrer, à lire des courriels et à faire le suivi de ses relevés de carte de crédit. Il n’arrive pas à se concentrer sur ses activités de la vie quotidienne. Il se sent très mal et son attention est toujours axée là‑dessus. Il est toujours émotif. Il est très inquiet et mal dans sa peau. Cela fait en sorte qu’il ne veut pas faire quoi que ce soit ni être avec des gens. Il a peur de sortir en public.

[13] V. T. a affirmé que le requérant ne pourrait pas être un travailleur fiable. Il essaie de participer aux tâches à la maison, mais il ne peut pas faire preuve de constance, car il est toujours dans des [traduction] « montagnes russes d’émotions ». Il dort parfois toute la journée. V. T. essaie de l’accompagner à la plupart de ses rendez‑vous médicaux parce qu’il ne retient pas l’information.

Preuve médicale

[14] Au moment de l’attaque, le Dr Henry était le médecin de famille du requérant. Dans son rapport médical au RPC en octobre 2016, il a posé un diagnostic de dégénérescence discale de la colonne lombaire, de douleurs chroniques au dos, de blessure au visage et de trouble de stress post‑traumatique. Il a noté que le pronostic de rétablissement du stress post‑traumatique du requérant était bon, qu’il devrait se rétablir de sa blessure au visage, et que ses douleurs au dos étaient chroniques et récurrentesNote de bas page 9. Malheureusement, ce pronostic était beaucoup trop optimiste.

[15] La preuve médicale la plus significative provient de Dr Csanadi et Dr Santher. Ces deux médecins ont affirmé à plusieurs reprises que le requérant est incapable de retourner travailler dans quelque emploi que ce soit.

Dr Csanadi

[16] Le Dr Csanadi est le médecin de famille du requérant depuis janvier 2017. Il a vu le requérant souvent et régulièrement. Il a la responsabilité principale de la gestion des soins du requérant, y compris de lui prescrire ses médicaments, et de l’orienter vers des traitements et des spécialistes. Il a rempli des formulaires médicaux pour des demandes autres que celles visant les prestations du RPC. Il s’agissait notamment de sa demande de prestations du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) et de sa demande à la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels.

[17] Je présente ci‑dessous les extraits les plus significatifs des notes cliniques et des rapports du Dr Csanadi :

  • 17 janvier 2017 : N’est pas capable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur de façon permanenteNote de bas page 10.
  • 26 octobre 2017 : Dirigé chez le Dr SantherNote de bas page 11.
  • 28 novembre 2017 : Dirigé vers le Dr Stein, chirurgien orthopédique. Dégénération discale L4‑5 et sténose spinale depuis 2014Note de bas page 12.
  • 4 septembre 2018 : Orienté vers l’association canadienne de santé mentale de Fort Erie et une clinique de la douleur chroniqueNote de bas page 13. Douleur au milieu du visage, à la tête, à l’arrière de la hanche droite, aux articulations sacro-iliaques (bas du dos) et à la fesse droite. Anhédonie (incapacité à ressentir du plaisir) et humeur maussade – presque tous les jours. Troubles du sommeil, problèmes d’appétit, difficultés de concentration – plus de la moitié des jours. Fatigue – plusieurs jours. Culpabilité – presque tous les jours. Capacité à fonctionner – très difficile. Dépression majeure modérément graveNote de bas page 14.
  • 18 décembre 2018 : Dirigé vers la physiothérapie pour des douleurs chroniquesNote de bas page 15.
  • 9 juillet 2019 : Douleurs tous les jours devant et derrière la tête, aux deux oreilles, au milieu du visage, au bas et au milieu du dos, et à la fesse droite. Anhédonie, humeur maussade, troubles du sommeil, fatigue, problèmes d’appétit, culpabilité, difficultés de concentration et changements psychomoteurs – presque tous les jours. Idée qu’il vaudrait ‘mieux être mort’ ou de s’infliger des blessures – plusieurs jours. Capacité à fonctionner – extrêmement difficile. Dépression majeure graveNote de bas page 16.
  • 17 décembre 2019 : Plusieurs blessures, maux de tête; trouble de stress traumatique, anxiété et dépression; syndrome de douleur chronique et douleur lombaire de nature mécanique. Sont graves, répandus, continus, réfractaires et [traduction] « totalement incapacitants ». N’est pas capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur. Maximum du potentiel de réadaptation déjà atteintNote de bas page 17.

Dr Santher

[18] Le Dr Santher a vu le requérant d’octobre 2016 à mai 2019. Il a dirigé des séances de thérapie individuelle et de groupe auxquelles le requérant a participé. Pendant toute cette période, le Dr Santher a affirmé que le requérant était incapable de retourner travailler.

[19] En octobre 2016, le Dr Santher a posé un diagnostic de trouble de stress post-traumatique et de douleurs chroniques. Il a mentionné que le requérant n’était pas apte à retourner travailler à ce moment‑là. Il a aussi demandé au requérant de visualiser son retour au travail dès que possible. Le ministre se fonde sur sa déclaration pour appuyer sa position selon laquelle il était capable de retourner travailler. Cependant, je conviens avec M. Swart qu’il s’agissait d’une manifestation d’espoir, et non d’un énoncé de la réalité.

[20] Les notes cliniques et les rapports du Dr Santher confirment que le requérant a continué d’être incapable de travailler. Je présente ci‑dessous les extraits les plus significatifs de ces notes cliniques et de ces rapports :

  • 7 novembre 2016 : N’est pas apte à occuper un quelconque emploiNote de bas page 18.
  • 13 décembre 2016 : Aime travailler, mais il ne peut pasNote de bas page 19.
  • 17 février 2017 : N’est pas apte à occuper un emploi indéfinimentNote de bas page 20.
  • 30 mai 2017 : N’est pas apte à travaillerNote de bas page 21.
  • 10 juillet 2017 : N’est pas apte à travaillerNote de bas page 22.
  • 5 septembre 2017 : A présenté une demande au POSPH. N’est pas content de ne pas travailler. N’est pas apte à travailler indéfinimentNote de bas page 23.
  • 31 octobre 2017: Accepté dans le POSPH. N’est pas apte à travaillerNote de bas page 24.
  • 14 mai 2018 : Rapport de thérapie pour la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels. Est inapte à travaillerNote de bas page 25.
  • 14 décembre 2018 : Maux de tête, anxiété grave, est déprimé. N’arrive pas à se concentrer. Déprimé, triste, anxieux, se sent désespéré, préoccupé par le traumatismeNote de bas page 26.
  • 22 janvier 2019 : Toujours déprimé, en colère, désespéré, irritable; ne peut pas dormir, reste au lit; maux de tête; ne peut pas surmonter le traumatisme; multiples plaintes au sujet de ses symptômes et incapacité de travaillerNote de bas page 27.
  • 19 février 2020 : A assisté aux séances de thérapie de groupe de février à mai 2019. Il a bien participé aux séances, mais il a continué à être aux prises avec la douleur, la dépression et l’anxiétéNote de bas page 28.

Mes conclusions

[21] Compte tenu de l’effet combiné des problèmes physiques et psychologiques du requérant, j’estime que ses problèmes de santé nuisaient à sa capacité de travailler à la fin de décembre 2018.

Le requérant a établi qu’il était atteint d’une invalidité grave

[22] Une invalidité est grave si elle rend la partie requérante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Je dois évaluer l’exigence relative à la gravité dans un « contexte réaliste » et tenir compte de certains facteurs comme l’âge du requérant, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie pour déterminer son « employabilité »Note de bas page 29.

[23] Le requérant avait seulement 30 ans en décembre 2018. Il a fait de bonnes études et il a des compétences transférables importantes. Il maîtrise bien l’anglais et rien ne laisse entendre qu’il a un trouble d’apprentissage. Ces facteurs positifs appuieraient une conclusion selon laquelle il a la capacité de détenir un autre emploi moins physique.

[24] Cependant, malgré ces facteurs positifs, la preuve médicale du médecin de famille et du psychiatre du requérant démontre qu’il n’avait pas la capacité résiduelle de travailler en date du 31 décembre 2018. De plus, la preuve orale du requérant et de son épouse était crédible. Elle concordait avec la preuve médicale complète et était appuyée par cette preuve.

[25] Le requérant est atteint de plusieurs troubles incapacitants, parmi lesquels de la douleur au visage et des douleurs chroniques de longue date au dos, des maux de tête, des troubles du sommeil, un trouble de stress post‑traumatique, la dépression et l’anxiété. Il a de la difficulté à se concentrer, à lire, et même à faire le suivi de choses simples comme ses relevés de carte de crédit. Il est incapable de faire des travaux à la maison de façon constante. Il lui arrive de dormir toute la journée. Malgré sa jeunesse et ses caractéristiques personnelles positives, il ne pourrait pas être un employé régulier et fiable.

[26] Je suis convaincu que le requérant n’a pas la capacité régulière de détenir un quelconque emploi véritablement rémunérateur. Dans ces conditions, il n’est pas obligé de faire des démarches pour détenir un autre emploi.

[27] J’estime que le requérant a établi qu’il est plus probable qu’improbable qu’il souffre d’une invalidité grave conformément aux exigences du RPC.

Invalidité prolongée

[28] Les nombreux problèmes incapacitants du requérant persistent depuis de nombreuses années. Malgré un traitement complet et continu, il y a eu peu ou pas d’amélioration.

[29] L’invalidité du requérant est d’une durée longue et continue, et il n’y a pas de probabilité raisonnable d’amélioration dans un avenir prévisible.

[30] J’estime par conséquent que son invalidité est prolongée.

Conclusion

[31] J’estime que le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en mai 2016, lorsqu’il a été attaqué. Les paiements commencent quatre mois après la date d’invaliditéNote de bas page 30, à compter de septembre 2016.

[32] L’appel est accueilli.

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