Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : DS c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 712

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-139

ENTRE :

D. S.

Appelant (Requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Kelly Temkin
Requérant représenté par : Shyla Oates-Pennell
Date de l’audience par
vidéoconférence :
Le 13 juillet 2020
Date de la décision : Le 17 juillet 2020

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) payable à partir d’avril 2017.

Aperçu

[2] Le requérant avait 48 ans lorsqu’il a présenté sa demande de pension d’invalidité du RPC, en mars 2018. Il a travaillé pour la dernière fois comme concierge, pendant trois mois, en 2017. Il a affirmé que sa jambe droite avait été amputée sous le genou quand il avait trois ans. Il a affirmé qu’il était incapable de travailler depuis septembre 2017 à cause de sa jambe. Lors de l’audience, il a témoigné qu’il avait d’autres problèmes de santé, y compris au genou, au dos, des douleurs à la jambe, des faiblesses à la main gauche et des crises épileptiques. Le ministre a rejeté sa demande initialement et après révision. Le requérant a porté appel de la décision découlant de la révision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, le requérant doit être réputé invalide à la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant. Le calcul de la PMA est fondé sur les cotisations du requérant au RPC. La PMA du requérant a pris fin le 31 décembre 2010.

[4] Au sens du RPC, une personne est invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas page 1. Une personne est réputée avoir une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès. Il incombe à la partie requérante de prouver qu’il est plus probable qu’improbable que son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Ainsi, si le requérant ne satisfait qu’à un seul volet, il n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

Questions en litige

[5] L’amputation de la jambe du requérant sous le genou et ses autres problèmes de santé ont-ils entraîné chez lui une invalidité grave de sorte qu’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au 31 décembre 2010?

[6] Dans l’affirmative, l’invalidité du requérant était-elle également d’une durée longue, continue et indéfinie à cette date?

Analyse

Les problèmes de santé du requérant nuisaient à sa capacité à travailler à la fin de décembre 2010

[7] Le requérant a témoigné de manière directe et franche. J’ai trouvé son témoignage authentique et crédible.

[8] Il a affirmé qu’à l’âge de trois ans, sa jambe droite a été amputée sous le genou. Il ne peut pas rester debout pendant de longues périodes de temps, sa capacité à marcher est limitée, il ne peut pas conduire (en raison des crises épileptiques) et il ne peut pas rester en position assise très longtemps lorsqu’il porte sa prothèse. Il souffre également de douleurs constantes liées à l’amputation. Il a affirmé que lorsqu’il portait sa jambe artificielle, il avait toujours de la douleur sous le moignon. Il a des douleurs lorsqu’il se déplace, ainsi que des douleurs au dos, à la hanche et au genou. Il a dit que le niveau de douleur liée au port de la prothèse de jambe pouvait atteindre 10 sur 10, et que pour gérer sa douleur, il ne portait pas sa prothèse. Plus il portait sa prothèse, plus il ressentait de la douleur. Pour éviter cela, il laissait sa prothèse de côté le plus longtemps possible et évitait de prendre des antidouleurs, car la quantité de médicaments qu’il devait prendre était importante et il s’inquiétait de développer une dépendance. Il n’aime pas être dehors, au froid, en hiver, parce qu’il a une plaque de métal dans la jambe. L’été, les conditions sont difficiles et créent de la douleur en raison de l’humidité. Il porte sa jambe artificielle lorsqu’il se brosse les dents, lorsqu’il se rase ou lorsqu’il va faire l’épicerie. Il réduit sa douleur en quittant son domicile le moins possible. Il n’a presque pas de vie sociale en raison de ses problèmes de santé.

[9] Le requérant a également essayé une nouvelle jambe artificielle, mais cela n’a pas aidé. Il y a environ quatre ans, il a, grâce à des efforts considérables, obtenu l’argent pour s’acheter une nouvelle jambe artificielle. Il voyait le prothésiste une ou deux fois par semaine. Malgré ses efforts, la nouvelle jambe artificielle n’a pas fonctionné. Il a maintenant l’argent pour une nouvelle jambe artificielle, mais jusqu’ici, les tentatives de créer une prothèse adéquate n’ont pas réussi. Il faut environ six mois d’essais et erreurs pour créer une nouvelle prothèse, mais ce n’est pas une tâche facile. Quand il avait 12 ans, on lui a dit qu’il se pourrait qu’on doive l’amputer de nouveau plus tard au cours de sa vie. Il y a quelques années, un prothésiste lui a dit qu’aucun médecin ne toucherait à sa jambe en raison de son anatomie. Sa jambe semble être celle d’une personne de 70 ans et son membre résiduel est déformé.

[10] À l’âge de 17 ans, il a attrapé la méningite et a été paralysé du côté gauche. Il a subi plusieurs interventions chirurgicales. Malgré ses traitements de réadaptation, sa main gauche n’est jamais revenue à sa pleine capacité. Cela fait en sorte qu’il lui est difficile d’utiliser un ordinateur. Il a subi plusieurs crises épileptiques, tard à l’adolescence, en raison de la méningite. Il n’a subi que quelques petites crises pendant sa vie adulte, y compris il y a un an et il y a quelques semaines. C’est pourquoi il ne peut pas conduire. Il n’a pas consulté de médecin au sujet des petites crises épileptiques.

[11] Le requérant a décrit ce à quoi ressemblait une de ses journées typiques en 2010. Il lisait les nouvelles, allait sur son ordinateur pour environ 30 minutes, prenait sa douche, écoutait la télévision et écoutait de la musique. Les choses sont largement semblables maintenant.

[12] Il a témoigné que son père avait fait une crise cardiaque et qu’il avait commencé à vivre avec lui et son frère. Son frère était le principal responsable de son père. Le requérant préparait davantage de repas pour son père lorsqu’il préparait ses propres repas. Il faisait aussi sa lessive. Plus tard, son père a été hospitalisé en raison de la démence.

[13] Les fournisseurs de soins du requérant ont confirmé quelle était la nature de ses déficiences. Le médecin de famille a écrit que le requérant avait subi une amputation à la jambe, sous le genou, pendant la petite enfance, et qu’il portait une prothèse depuis. Ses antécédents médicaux pertinents montrent qu’il avait un mauvais équilibre et qu’il ne pouvait pas rester debout pendant plus d’une demi-heure. Il ne prenait aucun médicament. Aucune consultation et aucun examen médical n’a été planifié. Le médecin de famille a émis un faible pronosticNote de bas page 2.

[14] J’aurais préféré voir la preuve médicale datant de la PMA ou aux environs de ces dates. Toutefois, l’amputation sous le genou du requérant a eu lieu pendant son enfance et je suis convaincue que ce problème de santé date d’avant la PMA. J’ai eu la chance d’entendre des preuves sur l’invalidité de longue date du requérant et sur l’incidence de son amputation subie pendant l’enfance sur sa capacité à fonctionner normalement en vieillissant. Il vit avec son frère aîné, quitte rarement son domicile, ne conduit pas (en raison des crises épileptiques) et ne socialise pas. Le requérant doit organiser sa vie d’une façon telle que la douleur liée au port de sa jambe artificielle n’est pas accablante. Ainsi, il vit de façon isolée et sa mobilité est extrêmement restreinte, ce qui réduit de façon majeure sa capacité à effectuer les activités du quotidien.

[15] Je suis convaincue que les invalidités du requérant, en particulier son amputation de la jambe droite sous le genou, nuisaient à sa capacité à travailler à la fin de décembre 2010.

Le requérant n’avait pas régulièrement la capacité de détenir une occupation véritablement rémunératrice à la fin de décembre 2010

[16] Le ministre soutient que bien que le requérant ne pouvait pas réintégrer son emploi habituel en raison de son problème de santé, la preuve médicale ne montre pas qu’il était incapable d’occuper d’autres emplois depuis sa PMA.

[17] Il était responsable d’une chaîne de production de verre depuis 19 ans. Il a cessé d’occuper cet emploi en 2009 parce que l’usine a fermé. À ce moment-là, son taux de présence laissait à désirer et il peinait à terminer ses journées de travail. À l’âge de 30 ans, l'état de sa jambe droite a commencé à s’empirer et travailler est devenu plus difficile. Il a tenté de ne pas porter sa prothèse. En 2009, il n’était capable de travailler que pendant quelques semaines avant de devoir prendre trois ou quatre jours de congé sans porter sa jambe artificielle.

[18] Après 2009, il a subvenu à ses besoins grâce à ses économies pendant un certain temps. Il a ensuite obtenu de l’aide sociale (Ontario au travail). Il a touché une pension d’invalidité du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (ODSP) pendant deux ans, jusqu’à ce qu’il devienne inadmissible parce qu’il avait reçu une petite pension de son ancien emploi.

[19] En 2017, il touchait de l’aide sociale et on lui a demandé de se former et de travailler comme concierge. Il craignait de perdre son aide sociale s’il refusait. La nouvelle matière n’a pas été difficile. Toutefois, pendant la partie de la formation qui se donnait en classe, il peinait à rester assis alors qu’il portait sa jambe artificielle. Il devait quitter la salle pour 5 à 10 minutes et était toujours le dernier à terminer ses tâches en raison de ses problèmes physiques. Lorsqu’il travaillait, ses tâches comprenaient des choses qu’il ne jugeait pas sécuritaires pour lui-même, comme passer l’aspirateur, monter dans des échelles et se mettre à genoux pour frotter. Il prenait le temps de tremper sa jambe dans un seau d’eau et d’appliquer de la lotion pendant ce temps. Après 11 semaines, il ne pouvait plus continuer à faire ce travail.

[20] Le requérant a témoigné qu’il avait fait des efforts, au cours des dix dernières années, pour se trouver un emploi adéquat. Il a utilisé des services d’orientation et de réorientation professionnelle. Il a discuté avec plusieurs travailleurs sociaux et avec des ergothérapeutes, mais personne ne lui a présenté d’options réalistes.

[21] J’ai été frappée par les efforts que le requérant a faits pour aborder ses problèmes liés à ses limitations physiques et par les obstacles auxquels il a fait face en tentant d’améliorer sa qualité de vie et sa capacité à travailler. Son témoignage a mis en évidence la gravité de son amputation à la jambe sous le genou dans le contexte de l’analyse globale de sa personne.

[22] Le critère relatif à la gravité doit être évalué dans un contexte réaliste. Cela signifie que pour déterminer si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vieNote de bas page 3. Le requérant avait 40 ans à la fin de sa PMA et il parle couramment l’anglais. Il a terminé ses études secondaires et a travaillé pour le même employeur pendant 20 ans. Aucune de ces caractéristiques personnelles n’aurait limité de façon importante ses occasions d’emplois.

[23] Toutefois, les expériences professionnelles du requérant se limitaient à des emplois physiques, qu’il n’est plus en mesure d’occuper. Il n’a jamais travaillé dans un bureau, n’a pas de compétences en informatique et a de la difficulté à taper sur un clavier. De plus, en raison de ses limitations l’empêchant de rester en position assise, je ne pense pas qu’il puisse régulièrement et constamment occuper un emploi sédentaire, ni aujourd’hui ni en date de sa PMA. Le fait qu’il prenne soin de son père n’est pas, à mon avis, une preuve de sa capacité à travailler : son rôle était fort limité. Sa capacité à faire des tâches ménagères légères ou à faire l’épicerie, ce qu’il peut faire à son propre rythme, ne peut pas équivaloir à la capacité de faire des tâches légères dans un marché commercialNote de bas page 4.

[24] Bien que le requérant ait été en mesure de participer à une formation en 2071 [sic], la capacité d’étudier n’équivaut pas à la capacité de travailler. Compte tenu de son expérience professionnelle, de ses limitations l’empêchant de rester debout ou assis, d’avoir un bon équilibre et de marcher, je ne pense pas que les compétences qu’il a acquises en formation soient transférables dans un contexte réaliste. Je ne vois aucun fondement permettant de conclure qu’il possède des compétences transférables à un emploi sédentaire.

[25] Selon les antécédents professionnels du requérant et son témoignage, j’estime qu’il a une bonne éthique de travail. Il a travaillé dans une chaîne de production pendant près de 20 ans. Manifestement, ses problèmes de santé se sont aggravés avec l’âge. Depuis 2009, il a déployé d’importants efforts pour se trouver du travail. Il a notamment communiqué avec diverses agences qui soutiennent les personnes vivant avec un handicap pour se trouver un emploi adéquat. Je pense que le requérant travaillerait s’il le pouvait. Il a demandé à divers professionnels, y compris à des travailleurs sociaux et à des ergothérapeutes, de l’aider à se trouver un emploi adéquat. Grâce à un programme coop, il s’est trouvé un emploi de concierge. Après avoir occupé cet emploi pendant plusieurs mois, il lui est devenu impossible de continuer à travailler en raison de ses problèmes de santé. Je considère que sa tentative de retourner au travail, en septembre 2017, était une tentative vaine, malgré que l’effort était louable. Il a montré que ses démarches pour conserver un emploi ont été vaines en raison de son état de santéNote de bas page 5.

[26] Le requérant souffre de douleurs intenses lorsqu’il utilise sa jambe artificielle. Il a déployé beaucoup d’efforts, au cours des 15 dernières années, pour se trouver une jambe artificielle confortable, en vain. Bien que j’espère que sa nouvelle prothèse l’aidera à mieux fonctionner, j’estime que ce serait pure spéculation de tirer des conclusions quant aux résultatsNote de bas page 6.

[27] Je conclus que le requérant a établi qu’il est plus probable qu’improbable qu’il avait une invalidité grave à la fin de décembre 2010.

Invalidité prolongée

[28] Le requérant a subi une amputation de la jambe droite sous le genou alors qu’il était enfant et le médecin de famille a confirmé que son pronostic était défavorable.

[29] Son invalidité est d’une durée longue, continue et indéfinie. Je conclus donc qu’il s’agit d’une invalidité prolongée.

Conclusion

[30] Le requérant avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2010, quand il est devenu incapable de travailler en raison de ses problèmes de santé. Toutefois, pour calculer la date du paiement de la pension, une personne ne peut être réputée invalide qu’au plus 15 mois avant la date de réception de la demande de pension par le ministreNote de bas page 7. Le ministre a reçu la demande en mars 2018. La date à laquelle le requérant est réputé invalide est donc décembre 2016. Les paiements commencent quatre mois après la date à laquelle le requérant est réputé invalide, soit avril 2017Note de bas page 8.

[31] L’appel est accueilli.

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