Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : L. F. c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 718

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1964

ENTRE :

L. F.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Shannon Russell
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 23 juin 2020
Date de la décision : Le 13 juillet 2020

Sur cette page

Décision

[1] La requérante n’est pas admissible aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] La requérante est une femme de 62 ans qui a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC en novembre 2018. Dans sa demande, elle a indiqué qu’elle était incapable de travailler depuis 1992, car elle souffrait de tendinite, du syndrome du canal carpien et d’arthrite. Le ministre a rejeté la demande dans un premier temps et après révision. La requérante a fait appel de la décision issue de la révision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

Critères d’admissibilité

[3] Pour être admissible à des prestations d’invalidité du RPC, la requérante doit satisfaire aux exigences énoncées dans le RPC. Plus précisément, la requérante doit être déclarée invalide au sens du RPC au plus tard à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA). Le calcul de la PMA est fondé sur les cotisations de la requérante au RPC. J’estime que la date de fin de la PMA de la requérante est le 31 décembre 2013.

[4] Une personne est considérée comme invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas de page 1. Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès. Il incombe à la partie prestataire de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité satisfait aux deux volets du critère; ainsi, si elle ne satisfait qu’un seul volet, elle n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

Question en litige

[5] Je dois déterminer si l’invalidité de la requérante est grave et si elle est prolongée en date du 31 décembre 2013.

Analyse

Invalidité grave

La nature de l’invalidité de la requérante.

[6] La requérante a témoigné que son syndrome du canal carpien avait débuté en 1992 et qu’il était causé par un travail répétitif qu’elle effectuait depuis un certain temps. Elle a subi deux opérations chirurgicales des mains, puis a commencé à recevoir une indemnisation de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT). Elle a expliqué qu’elle avait un accord avec la CSPAAT en vertu duquel cette dernière lui versait une indemnité équivalente à 20 heures de travail par semaine et la requérante travaillait 20 heures par semaine.

[7] La requérante a indiqué qu’elle travaillait comme femme de ménage depuis qu’elle a commencé à recevoir des prestations de la CSPAAT. Elle a toutefois expliqué qu’elle ne pouvait pas travailler toute la semaine et qu’elle planifiait ses tâches de ménage de manière à avoir un temps de repos entre deux ménages. Elle a déclaré que ses blessures sont telles qu’elle ne peut pas travailler [traduction] « comme le font les gens normaux ». Elle insiste sur le fait qu’aucune autre personne ne travaillerait si elle souffrait comme elle.

[8] J’ai demandé à la requérante de décrire les symptômes qui ont affecté sa capacité à travailler en décembre 2013. Elle a décrit ses symptômes comme suit :

  • Elle ne pouvait pas dormir à cause d’un engourdissement et de picotements des mains et des doigts;
  • Elle ressentait parfois un engourdissement et des picotements le matin, et elle devait donc commencer sa journée en prenant de l’Advil, ce qui la soulageait pendant quelques heures;
  • Elle avait des douleurs dans tout son bras droit, à partir du cou en passant par l’épaule;
  • Elle ne pouvait pas saisir les objets correctement et elle est droitière.

L’invalidité de la requérante n’était pas grave au 31 décembre 2013.

[9] Je ne suis pas en mesure de conclure que l’invalidité de la requérante était grave au 31 décembre 2013. J’affirme cela pour deux raisons principales. Premièrement, il y a des lacunes notables en matière de preuves médicales entre 2008 et 2019. Deuxièmement, la requérante a travaillé en 2013 et au-delà.

[10] Je vais maintenant expliquer en détail chacune de ces raisons.

(i) Il y a des lacunes notables dans les éléments de preuve médicale entre 2008 et 2019.

[11] Il y a des lacunes notables dans les éléments de preuve médicale entre 2008 et 2019. Il y a un rapport du Dr Pflug daté du 1er octobre 2008 et ensuite il n’y a plus de rapports médicaux jusqu’en avril 2019, date à laquelle la Dre Liu a préparé le rapport médical pour le RPC.

[12] Les lacunes dans le dossier médical de la requérante sont problématiques, car sa PMA prend fin en décembre 2013 et se situe donc au milieu de la période où il y a un manque d’informations au dossier médical. Je n’ai aucun élément de preuve médicale attestant du niveau de fonctionnalité de la requérante en décembre 2013 et autour de cette date. Les éléments de preuve médicale sont nécessaires pour étayer une conclusion d’invalidité graveNote de bas de page 2.

[13] J’ai demandé à la requérante pourquoi il y a un tel manque d’éléments de preuve médicale, et elle a répondu que c’est parce qu’elle n’est jamais retournée voir le Dr Pflug, car il ne pouvait rien faire pour elle. Elle a dit qu’elle n’avait vu que sa médecin de famille.

[14] Lorsque je lis le premier rapport daté de 2008 et le dernier daté de 2019, je ne suis pas convaincue que l’invalidité de la requérante était grave en décembre 2013.

[15] En octobre 2008, le Dr Pflug a indiqué qu’il suivait la requérante pour un syndrome du canal carpien bilatéral ainsi que pour un syndrome douloureux régional complexe résultant d’une intervention chirurgicale. Il a déclaré que la requérante présentait toujours des symptômes, mais il a expliqué que les conclusions ayant trait au syndrome douloureux régional complexe étaient beaucoup moins évidentes. Le Dr Pflug a déclaré que la requérante avait encore des limitations certaines pour effectuer un travail ardu sur le plan physique, mais il n’a pas dit qu’elle était incapable d’effectuer un travail moins ardu. En fait, il a décrit l’invalidité de la requérante comme étant [traduction] « partielle » et il a noté que la requérante travaillait à temps partiel comme femme de ménage environ 20 heures par semaine et gagnait de 450 $ à 500 $ par semaineNote de bas de page 3.

[16] En avril 2019, la Dre Liu a résumé l’historique de la requérante relativement à l’état de ses membres supérieurs, y compris le syndrome persistant du canal carpien bilatéral. La Dre Liu a noté que la dernière consultation de la requérante avec une spécialiste (la Dre Sourkes) remontait à 2008, date à laquelle elle a subi des EMG qui n’ont pas donné de résultats probants. La Dre Liu a ensuite déclaré que [traduction] « la question » concernant la requérante (probablement ses problèmes aux membres supérieurs) n’a pas été abordée de nouveau avant 2019Note de bas de page 4. L’absence de suivi de 2008 à 2019 ne permet pas de conclure à une invalidité grave en 2013, d’autant plus que la Dre Liu s’occupait de la requérante depuis janvier 2015Note de bas de page 5. En outre, la Dre Liu n’a pas recommandé à la requérante de consulter un spécialiste (le Dr Marchie, physiatre) avant 2019, ce qui me porte à croire que la requérante s’accommodait de son problème de santé jusqu’en 2019. Effectivement, la requérante m’a dit plus d’une fois qu’en vieillissant son état s’était aggravé.

(ii) La requérante a travaillé en 2013 et au-delà.

[17] La requérante reconnaît qu’elle a travaillé comme femme de ménage en 2013 et au-delà. J’admets qu’il existe des circonstances dans lesquelles une personne atteinte d’une invalidité grave peut continuer à travailler pendant et après la PMA. Toutefois, si le travail est indicatif de la capacité à détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice, la personne n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

[18] J’ai eu quelques difficultés à évaluer si l’activité professionnelle de la requérante est indicative d’une capacité à détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Il y a deux raisons à cela.

[19] Premièrement, l’activité professionnelle de la requérante, y compris le nombre d’heures qu’elle a travaillées, n’a pas été systématiquement déclarée. Il m’est donc difficile de bien comprendre l’horaire de travail de la requérante au cours des dernières années. Voici trois exemples du manque de cohérence dans ses déclarations :

  • Dans sa demande, la requérante n’a indiqué ni la date à laquelle elle a commencé à travailler ni la date à laquelle elle a arrêté de travailler. Elle a déclaré qu’elle avait complètement arrêté de travailler, mais elle a également écrit que son emploi [traduction] « actuel » consistait à faire des ménages dans des maisons lorsqu’elle le pouvait et qu’elle travaillait quatre heures par jour, trois jours par semaineNote de bas de page 6.
  • En juin 2019, la requérante a parlé avec l’une ou l’un des arbitres du ministre et elle lui aurait dit qu’elle avait arrêté son travail en tant que femme de ménage en octobre 2018 ou novembre 2018 et qu’elle travaillait entre cinq et huit heures par jour, trois jours par semaineNote de bas de page 7.
  • Lors de l’audience, la requérante m’a dit qu’entre 2013 (sa PMA) et novembre 2018 (date à laquelle elle a présenté une demande de prestations d’invalidité), elle travaillait trois jours par semaine à faire des ménages dans des maisons. Après avoir demandé des prestations d’invalidité, elle a pris congé pour l’hiver. Elle a ensuite recommencé à travailler en juillet 2019 ou vers cette date, car elle a appris que sa demande avait été rejetée. Elle a travaillé jusqu’en mars 2020, date à laquelle tout a été fermé en raison de la Covid-19. De juillet 2019 à mars 2020, elle alternait les semaines de travail de deux jours et de trois jours. Pendant sa semaine de travail de deux jours, elle travaillait le mardi (six heures) et le jeudi (cinq heures). Pendant sa semaine de travail de trois jours, elle travaillait le mardi (six heures), le mercredi (cinq heures) et le jeudi (cinq heures).

[20] Deuxièmement, la preuve documentaire ne me donne pas une idée précise de la somme d’argent que la requérante a gagnée. Il m’est donc difficile d’évaluer si son occupation était « véritablement rémunératrice ». Par exemple, la requérante m’a dit qu’elle a travaillé de 2013 (et probablement auparavant aussi) jusqu’en 2018. Elle m’a également dit qu’elle avait déclaré tous ses revenus et qu’elle avait toujours rempli des déclarations de revenus. Je ne parviens pas à concilier cette information et le fait que le registre des gains de la requérante n’indique rien pour les années 2013, 2014, 2016 et 2017Note de bas de page 8. Je suis donc amenée à me demander si la requérante a toujours rempli une déclaration de revenus et si elle a toujours déclaré l’ensemble de ses revenus. Si elle l’a fait, je n’ai aucune preuve documentaire montrant combien elle a gagné en 2013 et les années suivantes, y compris les montants (le cas échéant) qu’elle a pu déduire au titre de ses dépenses.

[21] Le registre des gains de la requérante montre qu’elle n’a pas gagné suffisamment d’argent pour pouvoir verser des cotisations valables au RPC en 2015 et 2018Note de bas de page 9. Cela signifie que ses revenus déclarés étaient inférieurs à 5 300 $ en 2015 et à 5 500 $ en 2018. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, je ne sais pas si la requérante a déclaré des dépenses pour chacune de ces années, et, le cas échéant, à combien elles s’élevaient. Je ne connais pas non plus le montant des revenus qu’elle a déclaré au cours des autres années qui ne figurent pas dans son registre des gains (c’est-à-dire en 2013, 2014, 2016 et 2017).

[22] J’ai demandé à la requérante combien lui rapportaient ses tâches de ménage et elle m’a répondu qu’au moment où elle a arrêté de travailler, en mars 2020, elle gagnait 180 $ pour six heures de travail et 150 $ pour cinq heures de travail. Cela revient à environ 30 $ l’heure. J’ai demandé à la requérante si elle aurait gagné le même montant par maison en 2013 et elle m’a répondu qu’elle gagnait un peu moins, mais pas beaucoup moins.

[23] Sans disposer de davantage de renseignements, je ne peux pas conclure que la requérante n’avait pas la capacité de gagner un revenu véritablement rémunérateur en 2013 et dans les années suivantes. Ainsi, si elle travaillait trois jours par semaine en 2014 (l’année suivant sa PMA) et gagnait 150 $ par jour, son revenu annuel aurait alors été d’environ 21 600 $. Ce montant est supérieur au seuil de revenu fixé par la loi pour une occupation véritablement rémunératrice.

[24] Selon la loi, une occupation « véritablement rémunératrice » se dit d’une occupation qui procure un traitement ou un salaire égal ou supérieur à la somme annuelle maximale qu’une personne pourrait recevoir à titre de pension d’invaliditéNote de bas de page 10. La somme annuelle maximale qu’une personne pouvait recevoir à titre de pension d’invalidité en 2014 était de 14 836,20 $.

[25] En jugeant que le travail de la requérante illustrait sa capacité à détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice, j’ai trouvé significatif qu’en dépit du travail pénible qu’elle effectuait, elle ait apparemment pu le poursuivre sur une longue période. La requérante m’a dit que ses tâches de ménage consistaient à laver les sols, passer l’aspirateur, nettoyer les salles de bain et faire la poussière.

[26] La requérante m’a dit qu’elle ne pouvait continuer à faire le travail qu’elle faisait que parce qu’elle prenait du temps pour se reposer entre ses journées de ménage. Je reconnais que la requérante ne pouvait peut-être pas faire le ménage cinq jours par semaine en 2013 et au-delà. Cependant, il semble qu’elle ait néanmoins eu la capacité de travailler régulièrement. Elle avait des jours de travail fixes, et rien n’indique dans les éléments de preuve qu’elle n’était pas fiable.

[27] En évaluant la capacité de la requérante à travailler, j’ai tenu compte de son âge, de sa scolarité, de ses compétences linguistiques, de ses antécédents professionnels et de son expérience de vie. En prenant en compte ces facteurs, on s’assure d’évaluer le critère de gravité dans un contexte réalisteNote de bas de page 11.

[28] Je reconnais que les caractéristiques personnelles de la requérante pouvaient limiter les types d’emplois qu’elle était réellement en mesure de détenir en 2013. En décembre 2013, la requérante avait 56 ans et une formation limitée. La requérante m’a dit qu’elle avait arrêté sa scolarité à la neuvième année en Jamaïque. Elle a dit qu’elle avait essayé d’améliorer son niveau de formation au Canada, mais qu’elle avait arrêté en 1991 à cause de son syndrome du canal carpien. Ses antécédents professionnels comprennent essentiellement des emplois exigeants sur le plan physique, dont la garde d’enfants, le travail en usine (fabrication de disques d’ordinateur) et le nettoyage. Malgré les limites de l’employabilité de la requérante, je ne trouve pas qu’elle n’était pas réellement employable. En fait, elle était employée et elle est restée employée pendant plusieurs années après la fin de sa PMA.

Invalidité prolongée

[29] Étant donné que j’ai conclu que l’invalidité de la requérante n’était pas grave au 31 décembre 2013, je n’ai pas besoin d’évaluer si elle était prolongée.

Conclusion

[30] L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.