Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : CP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 719

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-11

ENTRE :

C. P.

Requérant

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Kelley Sherwood
Requérant représenté par : Daniel Balena
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 6 mai 2020
Date de la décision : Le 23 juillet 2020

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant, C. P., ne peut pas invoquer la disposition sur l’incapacité pour prolonger la période de rétroactivité de ses paiements de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] Le requérant travaillait comme policier. Il a subi un accident de voiture grave en juin 2010. Il n’a pas travaillé depuis. Le ministre a reçu la première demande du requérant en novembre 2010, mais il l’a rejetée. Le requérant n’a pas présenté d’autre demande avant février 2018. Le ministre a accepté sa deuxième demande, concluant qu’il répondait aux critères relatifs à l’invalidité. Le ministre lui a accordé le paiement rétroactif maximal prévu dans le RPC.

[3] Le requérant soutient qu’il est admissible à une plus longue période de rétroactivité pour ses paiements puisque son invalidité est continue depuis son accident. Le requérant a interjeté appel de la décision découlant de la révision devant le Tribunal de la sécurité sociale. Depuis qu’il a porté appel devant le Tribunal, le requérant a rempli une déclaration d’incapacité pour soutenir sa demande de prolongation de la période de rétroactivité pour ses paiements.

Question en litige

[4] Le requérant peut-il invoquer la disposition sur l’incapacité du RPC pour prolonger la période de rétroactivité de ses paiements de pension d’invalidité du RPC?

Antécédents procéduraux

[5] L’historique procédural de ce dossier est long et requiert des explications.

[6] Comme je l’ai indiqué ci-haut, le ministre a reçu la première demande du requérant en novembre 2010Note de bas de page 1. En mars 2011, le ministre a expliqué qu’il rejetait sa demande. Elle a alors écrit [traduction] « [...] l’information fournie dans votre dossier montre que vous pourriez être en mesure d’occuper un emploi adéquat dans l’avenir »Note de bas de page 2. Dans la lettre, le ministre expliquait que le requérant avait 90 jours pour demander une deuxième opinion sur ce rejet, ce que l’on appelle, selon les termes du RPC, une « décision découlant d’une révision ».

[7] Le représentant du requérant a écrit au ministre en novembre 2015 pour demander quel était l’état de l’appel du requérantNote de bas de page 3. Il s’agissait de la première communication du requérant ou de son représentant avec le ministre depuis mars 2011, selon les dossiers du ministre.

[8] Le ministre a demandé au représentant du requérant de lui fournir une explication plus détaillée pour le retard de la demande de révisionNote de bas de page 4. Il lui a accordé 30 jours pour répondre à sa demande, mais il n’a pas reçu de réponse avant la date d’échéance. Le ministre a rejeté la demande de révision tardive en février 2016Note de bas de page 5.

[9] Le représentant du requérant a ensuite interjeté appel devant le Tribunal en mars 2016Note de bas de page 6. La question qui devait être tranchée par le Tribunal était celle de savoir si le ministre avait agi judicieusement lorsqu’il a rejeté la demande de révision tardive du requérantNote de bas de page 7. Le représentant du requérant a expliqué que la demande de révision avait été présentée à temps (plus précisément le 7 avril 2011), mais que le ministre avait perdu la demande. Toutefois, cet argument n’avait pas convaincu le Tribunal. En avril 2017Note de bas de page 8, le Tribunal a décidé que le ministre avait agi judicieusement lorsqu’il avait refusé la demande de révision tardive. Le Tribunal a rejeté l’appel.

[10] Le requérant a ensuite présenté une nouvelle demande de pension d’invalidité en février 2018Note de bas de page 9. Le ministre a accepté sa demande après avoir établi que le requérant répondait au critère d’invalidité grave et prolongée. Conformément au RPCNote de bas de page 10, le ministre a réputé le requérant invalide en date de novembre 2016 (15 mois avant la réception de sa demande), et les paiements ont commencé en mars 2017 (après la période d’attente obligatoire de quatre mois).

[11] Le représentant du requérant a présenté une demande de révision de la demande de 2018. Il a soutenu que le requérant était admissible aux prestations à partir de la date de son accidentNote de bas de page 11. Le ministre a rejeté sa demande en novembre 2018, expliquant que le requérant avait reçu le paiement rétroactif maximal permis par le RPCNote de bas de page 12. Le prestataire a interjeté appel de la décision découlant de la révision devant la division générale en décembre 2018Note de bas de page 13.

[12] J’ai tenu une audience en février 2020. J’ai commencé par demander au représentant du requérant sur quelle disposition du RPC il se fondait pour demander des paiements rétroactifs de plus de 15 mois. Dans la discussion qui a suivi, j’ai fourni des explications sur les dispositions du RPC, y compris sur les dispositions relatives à l’incapacité. Le représentant du requérant a demandé un ajournement afin de pouvoir considérer la possibilité de faire une demande d’incapacité. Le spécialiste qui suit le requérant depuis des années a depuis rempli un formulaire de déclaration d’incapacité. Une deuxième audience a été tenue en mai 2020 et les arguments sur la question de la capacité ont été entendus. J’ai mis l’appel en suspens pour donner au ministre le temps d’enquêter sur la possibilité de tirer sa conclusion sur la question de l’incapacité. Les deux parties ont maintenant eu l’occasion de fournir leurs observations à ce sujet.

Analyse

Le requérant ne répond pas au critère relatif à l’incapacité du RPC.

[13] Le requérant ne peut pas invoquer la disposition relative à l’incapacité pour faire modifier la date de commencement de sa pension d’invalidité. Je reconnais qu’il est invalide et qu’il ne peut pas travailler, et qu’il est peu probable que son état de santé s’améliore. Toutefois, la définition d’incapacité du RPC va bien plus loin que celle d’invalidité. C’est un critère juridique difficile à remplir.

[14] Le RPC indique que le plus tôt qu’une personne peut être réputée invalide est 15 mois avant la date de réception de sa demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 14. La seule exception à cette règle est lorsqu’une personne montre qu’elle n’était pas capable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande avant la date à laquelle elle a réellement présenté sa demandeNote de bas de page 15. Dans un tel cas, il est possible d’antidater la demande.

[15] Pour répondre à la définition d’incapacité du RPCNote de bas de page 16, une personne doit répondre à chacune des trois exigences suivantes :

  1. le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite;
  2. la période d’incapacité du demandeur a cessé avant cette date;
  3. la demande a été faite, selon le cas, au cours de la période égale au nombre de jours de la période d’incapacité, mais ne pouvant dépasser douze mois débutant à la date où la période d’incapacité du demandeur a cessé ou, si la période d’incapacité est inférieure à 30 jours, au cours du mois qui suit celui au cours duquel la période d’incapacité du demandeur a cessé.

[16] Par ailleurs, la loi exige que la période d’incapacité soit continueNote de bas de page 17.

La période d’incapacité demandée ne modifiera pas la date de commencement de la pension du requérant.

[17] En mai 2020, le neuropsychiatre qui traite le requérant depuis des années, le Dr McCullagh, a rempli un formulaire de déclaration d’incapacité pour le requérantNote de bas de page 18. Dans ce formulaire, il a indiqué que la période d’incapacité du requérant a commencé le 5 juin 2010, soit la date de son accident, et qu’elle a continué [traduction] «  au moins jusqu’en janvier 2011 ».

[18] Une lettre en annexe faisait référence à une incapacité à partir de la date de l’accident jusqu’au 9 novembre 2010 Note de bas de page 19. La date semble être liée à la demande de pension d’invalidité initiale du requérant, mais je n’ai pas la compétence de l’examiner. La loi exige l’existence d’une décision découlant d’une révision pour que le Tribunal puisse entendre un appel relatif à l’invalidité au titre du RPC. Le ministre n’a jamais rendu de décision découlant d’une révision. Comme je l’ai indiqué dans les antécédents procéduraux précédemment, un autre membre du Tribunal a maintenu la décision du ministre de rejeter la demande de révision tardive du requérant. Cette demande est maintenant fermée et ne peut pas être rouverte.

[19] Même si j’accepte l’avis du Dr McCullagh selon lequel le requérant répondait au critère de la disposition sur l’incapacité de juin 2010 à janvier 2011, la période d’incapacité demandée n’est que de sept mois. Cela signifie que le requérant devrait avoir présenté sa demande de pension d’invalidité dans les sept mois suivant la fin de son incapacité afin de pouvoir invoquer cette disposition. Toutefois, sa demande n’a pas été reçue avant février 2018. En d’autres mots, sa demande a été reçue après la limite de temps allouée pour invoquer la disposition sur l’incapacité. Ainsi, la période d’incapacité demandée ne modifierait pas la date de commencement de la pension du requérant.

La preuve ne montre pas que l’incapacité du requérant était continue

[20] L’utilisation des mots [traduction] « au moins » par le Dr McCullagh pour décrire la période d’incapacité demandée laisse entendre que la période d’incapacité du requérant aurait pu continuer au-delà de janvier 2011. En théorie, le rapport du Dr McCullagh pourrait soutenir l’argument selon lequel l’incapacité du requérant a continué jusqu’à ce qu’il présente sa demande actuelle de pension d’invalidité. Toutefois, un examen des activités du requérant ne vient pas appuyer cette conclusion.

[21] Il est important de comprendre que la capacité de former l’intention de demander des prestations n’est pas essentiellement différente de la capacité de former une intention concernant les autres possibilités qui s’offrent à la personneNote de bas de page 20. Dans un arrêt important, la Cour d’appel fédérale a conclu que diverses activités pouvaient être utilisées pour prouver qu’une personne n’était pas incapable, notamment présenter une demande de prestations d’invalidité d’un régime privé, se battre pendant plusieurs années contre des compagnies d’assurance, embaucher et mandater un avocat et chercher à obtenir des rapports médicaux sans assistanceNote de bas de page 21.

[22] J’ai analysé les activités du requérant entre la date de son accident et la date de la présentation de sa demande actuelle de pension d’invalidité. Le témoignage entendu lors de l’audience a montré qu’il avait embauché un avocat, qu’il avait participé à un programme de réadaptation en 2011, qu’il avait recommencé à conduire à partir d’au moins septembre 2011 (mois de la naissance de son deuxième enfant), qu’il a commencé à se rendre par lui-même à ses rendez-vous médicaux (y compris à se déplacer tous les deux mois de Toronto à Hamilton pour ses consultations avec le Dr McCullagh), et qu’il se rendait à pied à l’école avec sa fille. Sa capacité à mener ces activités ne vient pas soutenir la conclusion qu’il avait une incapacité continue. Sans doute, les limitations fonctionnelles dont on fait état dans son questionnaire du RPC font en sorte qu’il lui est difficile de faire certaines de ces activitésNote de bas de page 22, mais une limitation fonctionnelle n’équivaut pas forcément à une incapacité au sens du RPC.

[23] Lors de l’audience, le requérant a soutenu que sa femme avait organisé la présentation de sa demande de pension d’invalidité du RPC en son nom. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a déjà clarifié le fait qu’il s’agissait d’une erreur de confondre l’acte de faire une demande avec la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas de page 23. Je constate notamment que le prestataire a signé la demande. Il n’a pas eu besoin de donner une procuration pour qu’une autre personne présente la demande en son nom. Il a peut-être eu besoin d’aide pour présenter sa demande, mais cela ne signifie pas qu’il était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter sa demande.

[24] En rendant ma décision, je veux souligner que je ne sous-estime pas le fait que l’accident du requérant ait changé sa vie et qu’il ait entraîné une invalidité. Non seulement l’accident a complètement changé sa vie, il a eu des répercussions majeures sur sa famille. Sa femme a présenté un témoignage convaincant qui illustrait toutes les difficultés avec lesquelles ils ont dû composer. La lettre du Dr McCullagh de mai 2020 montre de façon convaincante en quoi l’invalidité du requérant répond au critère d’invalidité grave et prolongée du RPCNote de bas de page 24. Toutefois, le ministre en est déjà arrivé à cette conclusion et a accordé une pension d’invalidité au requérant. La loi ne me permet pas de réputer le requérant invalide plus de 15 mois avant la date de la réception de la demande par le ministre, sauf si la disposition relative à l’incapacité peut être appliquée. Pour les raisons fournies dans la présente décision, je conclus que le requérant ne peut pas invoquer la disposition sur l’incapacité pour recevoir des paiements rétroactifs de sa pension d’invalidité à une date antérieure.

Conclusion

[25] L’appel est rejeté.
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